Bail commercial : effet de la résolution du plan de redressement sur la procédure de résiliation

L’ouverture d’une liquidation judiciaire concomitamment à la résolution d’un plan de redressement fait obstacle à la résiliation du bail commercial pour des loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire.

Le bailleur dispose cependant de la faculté de se prévaloir d’une décision constatant ou prononçant la résolution du bail dès lors que cette décision a acquis force de chose jugée avant le jugement d’ouverture de cette nouvelle procédure. À défaut, le contrat de bail reste en vigueur et peut être transféré dans le cadre d’un plan de cession.

Les locaux commerciaux constituent régulièrement le premier outil de travail d’une entreprise. Lorsque ceux-ci font l’objet d’un bail commercial, la résiliation de celui-ci peut ainsi avoir des conséquences irrévocables sur la poursuite de l’activité. Pour cette raison, le code de commerce et la jurisprudence s’attachent à encadrer strictement cette résiliation, lorsque le preneur à bail fait l’objet d’une procédure collective. Poursuivant cette tendance, la Cour de cassation juge que la liquidation judiciaire ouverte concomitamment à la résolution d’un plan de redressement fait obstacle à la résiliation du bail commercial pour des loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire, de sorte que ledit bail peut être transféré dans le cadre d’un plan de cession.

En l’espèce, une entreprise de fabrication de glace occupait son atelier en application d’un bail commercial. Après des premiers impayés et un commandement de payer reçu de son bailleur, le preneur a été placé en redressement judiciaire en octobre 2019. Les impayés s’étant poursuivis durant la période d’observation, le bailleur a sollicité la constatation de la résiliation du bail auprès du juge-commissaire.

Cette résiliation a été rejetée par le juge-commissaire, puis acceptée en janvier 2022 par le Tribunal de commerce de Bordeaux statuant sur opposition du bailleur. Ce jugement était assorti de l’exécution provisoire, de sorte que l’expulsion du preneur a été prononcée en référé en novembre 2022. Le preneur et les organes de la procédure ont interjeté appel du jugement ayant prononcé cette résiliation.

En parallèle, le preneur s’est vu arrêter un plan de redressement par voie de continuation en février 2021. Ce plan a été résolu en mars 2023 et le preneur a été placé en liquidation judiciaire. Dans ce cadre, un plan de cession a été ordonné un mois plus tard, incluant la cession du bail commercial, malgré la résiliation et l’expulsion qui avaient été prononcées. Le bailleur a alors interjeté appel contre ce jugement.

Par deux décisions distinctes des 5 et 12 septembre 2023, la Cour d’appel de Bordeaux a respectivement confirmé la résiliation du bail commercial, pour non-paiement des loyers postérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire, et infirmé le jugement ayant inclus ledit bail dans le plan de cession, dès lors que celui-ci avait été résilié par une décision exécutoire et non infirmée à la date à laquelle le plan a été ordonné.

Un pourvoi est formé contre ces deux jugements. Au visa des articles L. 622-27 (sic), L. 641-11-1, I et II et L. 641-12, 3°, du code de commerce, la Cour de cassation énonce qu’il résulte de ces textes qu’une liquidation judiciaire ouverte concomitamment à la résolution d’un plan de redressement constitue une nouvelle procédure collective, laquelle fait obstacle à la résiliation du bail des immeubles pour des loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire. Le bailleur dispose cependant de la faculté de se prévaloir d’une décision constatant ou prononçant la résolution du bail dès lors que cette décision a acquis force de chose jugée avant le jugement d’ouverture de cette nouvelle procédure.

Une telle résolution du bail n’étant pas intervenue, elle casse et annule l’arrêt ayant prononcé la résiliation du bail et annule par voie de conséquence l’arrêt ayant infirmé le jugement de cession.

Dans cet arrêt publié au Bulletin, la Cour de cassation harmonise le caractère que doit revêtir la résiliation du bail pour défaut de paiement de loyers pour résister à l’ouverture d’une procédure collective. Cet arrêt contient également des renseignements plus subtils mais précieux sur la possibilité d’inclure dans un plan de cession un bail commercial résilié par une décision n’ayant pas encore acquis force de chose jugée.

La nécessité d’une résiliation constatée ou prononcée par une décision ayant force de chose jugée

La Cour de cassation juge de façon ancienne et constante que la résolution d’un bail commercial prononcée en application d’une clause résolutoire en raison d’impayés doit être constatée par une décision passée en force de chose jugée antérieurement à l’ouverture de la procédure collective du preneur (Civ. 3e, 13 mai 1998, n° 96-10.953 ; Com. 15 févr. 2011, n° 10-12.747). L’arrêt commenté rappelle cette exigence.

À défaut, la résolution est caduque et le bail commercial est considéré comme toujours en vigueur durant la période d’observation. En raison du principe de l’interdiction des poursuites, le bailleur ne peut initier une nouvelle procédure visant à constater l’acquisition de la clause résolutoire en se fondant sur les impayés antérieurs.

Si en revanche le preneur ne reprend pas rigoureusement le paiement des loyers dus durant la période d’observation, deux voies s’offrent au bailleur. Il peut soit mettre à nouveau en œuvre la clause résolutoire et saisir le juge des référés pour faire constater son acquisition, soit saisir directement le juge-commissaire pour qu’il constate la résiliation de plein droit du bail (Com. 10 juill. 2001, n° 99-10.397, D. 2001. 2830 , obs. A. Lienhard ).

Dans les deux cas, le bailleur est tenu d’observer un délai de « non-agression » de trois mois à compter du jugement d’ouverture de la procédure collective.

S’il décide de mettre en œuvre la clause résolutoire, il sera tenu aux dispositions de l’article L. 145-41 du code de commerce (Com. 28 juin 2011, n° 10-19.331, Dalloz actualité, 18 juill. 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2012. 1844, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ). Celles-ci requièrent d’adresser d’abord un commandement de payer faisant courir un délai d’un mois durant lequel la clause ne peut produire d’effet. Elles offrent ensuite la possibilité au débiteur de solliciter des délais de paiement.

À cet égard, la seconde voie offerte par le droit des procédures collectives (C. com., art. L. 622-12 et L. 641-12) présente un double avantage. Non seulement elle simplifie la procédure pour le bailleur qui n’a pas à recourir à un commandement de payer (Com. 9 oct. 2019, n° 18-17.563, Dalloz actualité, 16 oct. 2019, obs. A. Lienhard ; D. 2019. 2208, chron. S. Barbot, C. de Cabarrus et A.-C. Le Bras ; ibid. 2020. 1541, obs. M.-P. Dumont ; ibid. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli ; AJDI 2019. 900 , obs. J.-P. Blatter ; AJ contrat 2020. 45, obs. M. Tirel ; Rev. sociétés 2019. 784, obs. F. Reille ; Rev. prat. rec. 2020. 25, chron. P. Roussel Galle et F. Reille ; ibid. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin ; pour une application en liquidation judiciaire ; 15 janv. 2020, n° 17-28.127, D. 2020. 1023 , note S. Tisseyre ; AJDI 2020. 615 , obs. J.-P. Blatter ; AJ contrat 2020. 250, obs. M. Tirel ; pour une application en redressement judiciaire), mais en plus elle interdit au juge commissaire d’appliquer des délais de paiement (Com. 18 mai 2022, n° 20-22.164, Dalloz actualité, 13 juin 2022, obs. S. Andjechaïri-Tribillac ; D. 2022. 990 ; ibid. 1375, obs. M.-P. Dumont ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno ; AJDI 2023. 27 , obs. M. Abbas Khayli ; Rev. prat. rec. 2023. 19, chron. E. Morgantini et S. Gonon ; ibid. 23, chron. E. Morgantini et S. Gonon ; RTD com. 2022. 465, obs. F. Kendérian ). Le débiteur peut en revanche toujours solliciter de tels délais devant le juge des référés, sur le fondement de l’article 1343-5 du code civil, mais il devra veiller à bien les obtenir avant que le juge-commissaire ne statue.

Elle présente en revanche également un inconvénient en ce qu’elle offre un recours supplémentaire au débiteur. Le recours contre la décision du juge-commissaire devra en effet être effectué d’abord devant le tribunal de commerce, avant qu’un appel ne puisse être interjeté. Or comme le démontre l’arrêt commenté, cela laisse un temps de répit supplémentaire pour le preneur pour geler la procédure de résolution du bail.

La Cour de cassation juge en effet dans le présent arrêt que la liquidation judiciaire ouverte concomitamment à la résolution d’un plan de redressement fait obstacle à la résiliation du bail des immeubles pour des loyers échus postérieurement au jugement d’ouverture du redressement judiciaire. Autrement dit, cette résiliation aurait dû être constatée par une décision ayant force de chose jugée avant l’ouverture de la liquidation judiciaire pour être inattaquable.

La Haute Cour aligne donc le régime de la procédure de résolution de l’article L. 622-14 avec celle de l’article L. 145-41 du code de commerce sur la question des effets de l’ouverture d’une procédure collective à l’égard du preneur. Cet alignement semble toutefois reposer sur des fondements différents.

Pour l’acquisition de la clause résolutoire, la solution de la Cour de cassation est dictée par le principe de l’interdiction des poursuites (C. com., art. L. 622-21) qui interrompt toute action en justice en cours tendant à la résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent par le débiteur.

Pour la résolution prononcée par le juge-commissaire, la Cour de cassation énonce sa solution au visa de l’article L. 626-27 (et a priori non l’art. L. 622-27 c. com., comme indiqué par erreur dans l’arrêt) du code de commerce, qui traite de la résolution d’un plan lorsque l’état de cessation des paiements du débiteur est constaté. Elle rappelle également que la procédure collective ouverte concomitamment à la résolution du plan est une nouvelle procédure par rapport à celle ayant donné lieu à l’adoption dudit plan.

C’est donc le caractère nouveau de cette seconde procédure qui justifie, selon la Cour de cassation, qu’il soit mis fin à la procédure de résiliation rattachée à la première collective. S’il s’était agi d’une simple conversion de procédures, la solution aurait donc été différente puisqu’il ne s’agit pas de l’ouverture d’une « nouvelle » procédure (Com. 26 oct. 2022, n° 20-23.150, Dalloz actualité, 16 nov. 2022, obs. B. Ferrari ; D. 2022. 1901 ; Rev. sociétés 2022. 707, obs. F. Reille ).

Pourtant, cette nouvelle procédure est souvent présentée comme comportant des aménagements favorables aux créanciers. Ainsi, les créanciers admis au passif de la première procédure sont dispensés de déclarer leurs créances dans la nouvelle procédure (C. com., art. L. 626-27, III). Aussi, les créanciers ayant bénéficié du privilège de la conciliation dans la première procédure continuent d’en profiter dans le cadre de la seconde, malgré la résolution du plan (Paris, 6 oct. 2017, n° 16/20078, RTD com. 2018. 461, obs. F. Macorig-Venier ).

Dans le même sens, il aurait pu être jugé que la procédure de résiliation initiée sur le fondement de l’article L. 622-24 lors de la première procédure continuait de déployer ses effets dans la seconde. La Cour de cassation ne choisit pas cette voie-là, certainement pour préserver les chances de redressement du preneur ou de cession de son fonds de commerce en liquidation judiciaire.

Pour le bailleur, la sanction est rude, il a subi en l’espèce des impayés préalablement à la première procédure, puis durant la période d’observation de cette première procédure et il continuera d’être soumis à la discipline collective dans la seconde procédure. Pour obtenir la résolution de son bail, il devra à nouveau respecter le délai de non-agression de trois mois, qui court à compter de la date du jugement prononçant la résolution du plan et ouvrant la liquidation judiciaire (Com. 18 janv. 2023, n° 21-15.576, Dalloz actualité, 17 févr. 2023, obs. S. Andjechaïri-Tribillac ; D. 2023. 117 ; ibid. 1331, obs. M.-P. Dumont ; ibid. 1430, chron. S. Barbot et C. Bellino ; AJDI 2023. 267 , obs. J.-P. Blatter ; RTD com. 2023. 228, obs. C. Saint-Alary-Houin ).

Il ne pourra pas non plus s’opposer à l’inclusion du bail dans le plan de cession ordonné sur les actifs et l’activité de son preneur.

La possibilité d’inclure dans un plan de cession un bail résilié par une décision non définitive

En l’espèce, la Cour d’appel de Bordeaux a infirmé le jugement ayant ordonné le plan de cession du preneur, en ce qu’il a inclus le transfert du bail commercial. Les juges d’appel se sont en effet placés au jour où les juges de première instance ont statué, pour dire qu’à cette date, la résiliation du bail avait été constatée par une décision exécutoire par provision et assortie de l’autorité de la chose jugée. Dans la mesure où cette autorité perdure jusqu’à une éventuelle infirmation en cause d’appel, ils ont sanctionné le tribunal d’avoir ordonnée la cession du bail, fut-ce par précaution du fait de l’appel en cours sur le jugement ayant constaté la résiliation.

La Cour de cassation, après avoir cassé et annulé le premier arrêt d’appel sur le volet « résolution du bail », annule « par voie de conséquence » ce second arrêt d’appel sur le volet « plan de cession ». La solution de la Haute Cour ne contient pas plus de développements.

Cette annulation revient toutefois à infirmer les juges bordelais, pour qui la solution ne devait pas être impactée par les suites procédurales de l’affaire, puisqu’il convenait de se placer au jour où les premiers juges avaient statué.

Cette solution de la Cour de cassation ne surprend guère. Elle s’inscrit dans la droite lignée de sa jurisprudence sur la résiliation des baux commerciaux : l’autorité de la chose jugée ne suffit pas à une décision constatant ou prononçant la résiliation d’un bail pour résister aux effets de la procédure collective du preneur. Elles doivent pour cela acquérir force de chose jugée.

Tant que cette force de chose jugée n’est pas acquise, les baux doivent être considérés comme des contrats en cours qui perdurent durant la période d’observation du preneur et qui peuvent être inclus dans un plan de cession. La Cour d’appel de Paris avait déjà jugé en ce sens sur ce dernier point (Paris 30 oct. 2008, n° 08/06058 ; 15 janv. 2013, n° 12/17592).

Si cette exigence se comprend au regard des conséquences que la résiliation d’un bail commercial peut avoir sur l’activité du preneur, elle peut conduire ce dernier à user des délais et voies de recours offerts par le code de procédure civile à des fins purement stratégiques. En l’espèce, plus de trois ans et demi se sont écoulés entre le premier commandement de payer signifié par le bailleur et l’adoption du plan de cession forçant le transfert du bail au repreneur.

La combinaison du droit des procédures collectives et de la procédure civile peut ainsi avoir l’effet, pour le bailleur commercial, d’une trêve hivernale qui n’en finit plus.

 

Com. 12 juin 2025, F-B, n° 23-22.076

par Rudi Pfortner, Avocat au barreau de Paris

© Lefebvre Dalloz