Bail commercial : l’offre de renouvellement à des clauses différentes vaut refus de renouvellement

Le congé signifié par le bailleur comportant une offre de renouvellement du bail à des clauses et conditions différentes de celles du bail expiré doit s’analyser comme un congé avec refus de renouvellement ouvrant droit à indemnité d’éviction pour le locataire.

Par cet important arrêt de cassation, la Haute juridiction décide qu’un congé comportant offre de renouvellement du bail commercial, mais proposant de nouvelles clauses et conditions, différentes de celles du bail expiré, doit être requalifié. Un tel congé assorti de modifications du bail expiré doit s’analyser comme un congé comportant refus de renouvellement du bail. Par conséquent, le locataire a droit au paiement d’une indemnité d’éviction.

La Cour de cassation vise l’article 1103 du code civil, selon lequel le contrat fait la loi des parties, ainsi que l’article L. 145-8 du code de commerce sur le droit au renouvellement et l’article L. 145-9 concernant le congé. Effectivement, la Cour de cassation prend soin de définir ce qu’est un renouvellement de contrat, pour qualifier ensuite le congé en considération de la volonté exprimée par son auteur.

Définition d’un renouvellement de bail

Le renouvellement d’un contrat constitue un nouveau contrat dont les clauses et conditions sont calquées sur l’ancien. Une définition générale figure à l’article 1214 du code civil : « Le renouvellement donne naissance à un nouveau contrat dont le contenu est identique au précédent mais dont la durée est indéterminée ». En matière de bail commercial, la définition est la même, sauf en ce qui concerne la durée, puisque l’article L. 145-12 du code de commerce précise qu’elle est de neuf ans sauf accord des parties pour une durée plus longue.

Il résulte d’une jurisprudence constante que le renouvellement d’un bail commercial intervient aux mêmes clauses et conditions que celles du bail expiré, et qu’aucune juridiction n’a le pouvoir de les modifier, sauf le pouvoir reconnu au juge en matière de fixation de prix (Civ. 3e, 12 oct. 1982 P ; 6 mars 1991, n° 89-20.452,  D. 1992. Somm. 364 , note L. Rozès ; Administrer 2/1992. 28, note J.-P. Forestier).

Les clauses et conditions du bail expiré peuvent avoir éventuellement été modifiées par un avenant dont les stipulations s’appliquent au bail renouvelé (Civ. 3e, 21 déc. 2017, n° 16-26.699).

Ces règles s’appliquent même si le renouvellement ne donne pas lieu à l’établissement d’un écrit (Civ. 3e, 17 mai 2006, n° 04-18.330, D. 2006. 1818, obs. Y. Rouquet  ; ibid. 2007. 1827, obs. L. Rozès  ; AJDI 2006. 819 , note M.-P. Dumont-Lefrand  ; Gaz. Pal. 16 déc. 2006. 22, note J.-D. Barbier).

Seules modifications possibles

Ainsi, sauf accord amiable des parties, les seuls éléments modifiés par le juge, dans le cadre d’un renouvellement, sont le montant du loyer que le juge a pour mission de fixer, et la durée qui est de neuf années, même si la durée du bail expiré était supérieure (Civ. 3e, 2 oct. 2002, n° 01-02.781, D. 2002. 3014 , obs. Y. Rouquet  ; AJDI 2003. 28 , obs. J.-P. Blatter  ; RTD com. 2003. 277, obs. J. Monéger  ; Gaz. Pal. 2003. 452, note J.-D. Barbier ; 8 juin 2013, n° 12-19.568, AJDI 2014. 279 , obs. J.-P. Blatter  ; ibid. 2013. 759  ; Administrer 12/2013. 28, note J.-D. Barbier ; 16 mars 2017, n° 15-27.920, AJDI 2017. 513 , obs. D. Lipman-W. Boccara  ; Gaz. Pal. 11 juill. 2017. 59, note J.-D. Barbier).

Le principe du renouvellement aux clauses et conditions du bail expiré ne souffre que quelques exceptions. En premier lieu, un pacte de préférence ne se renouvelle pas, car on considère qu’il s’agit d’une convention distincte du bail, même si la rédaction figure dans le bail (Civ. 3e, 13 juill. 1994, Gaz. Pal. 1994. 2. Somm. 535 ; 16 juin 1999, n° 97-16.764, D. 1999. 196  ; RDI 1999. 473, obs. J. Derruppé  ; Administrer 10/1999. 27 ; 21 juin 2005, n° 04-15.030, Gaz. Pal. Somm. 4237, note J.-D. Barbier). En second lieu, l’assiette du bail peut être modifiée si une partie des locaux loués a été vendue à un tiers au cours du bail expiré (Civ. 3e, 4 mai 2000, n° 98-18.108, D. 2000. 167  ; RDI 2000. 398, obs. F. Collart-Dutilleul  ; Gaz. Pal. Somm. 2035 ; 12 janv. 2005, n° 03-19.255, D. 2005. 713, obs. Y. Rouquet  ; AJDI 2005. 473 , obs. M.-P. Dumont ; Gaz.Pal. 16 avr. 2005. 12 ; 11 juill. 2007, n° 06-14.476, D. 2007. 2242, obs. G. Forest  ; ibid. 2008. 1645, obs. L. Rozès  ; Administrer 11/2007. 30, note J.-D. Barbier). L’assiette du bail peut également être modifiée en cas de sous-location partielle et de locaux divisibles, le preneur n’ayant droit au renouvellement que sur les locaux où il exploite son fonds de commerce (Civ. 3e, 7 juill. 1993, Gaz. Pal. 1994. 1. 200 ; 15 nov. 2006, Administrer 1/ 2007. 41, notes J.-D. Barbier). Enfin, depuis la loi n° 2014-626 du 18 juin 2014 et le décret n° 2014-1317 du 3 novembre 2014, les clauses contraires aux dispositions de l’article R. 145-35 du code de commerce, telle la clause mettant à la charge du locataire les gros travaux de l’article 606 du code civil, ne se renouvellent pas, puisqu’elles sont réputées non écrites, et l’on se demande si les parties doivent procéder à une nouvelle rédaction du bail, lors de son renouvellement, pour le mettre en conformité avec les nouveaux textes.

Requalification du congé

Dans l’affaire commentée le bailleur, qui ne se trouvait nullement dans le cadre d’une des exceptions précitées, avait déclaré dans son congé accepter le principe du renouvellement mais en modifiant la contenance des lieux loués ainsi que les obligations d’entretien du locataire. De telles modifications étaient donc contraires au principe du renouvellement tel que précédemment défini.

Les juges avaient le choix entre deux sanctions.

Première solution : les juges auraient pu admettre la validité du congé comportant offre de renouvellement en tenant pour nulles et de nul effet les modifications demandées comme contraires à la nature d’un renouvellement. Le congé resterait un congé comportant offre de renouvellement, sans modification des clauses et conditions antérieures.

Dans le même esprit, il a été jugé par la Cour d’appel de Versailles qu’une clause nouvelle insérée par le bailleur dans le bail renouvelé, sans que l’attention du preneur ait été attiré, était nulle (Versailles, 14 nov. 1996, Loyers et copr. 1998, n° 245, obs. P.-H. Brault et C. Mutelet).

Seconde solution : le congé est requalifié. Le bailleur ayant clairement manifesté son intention de ne pas maintenir les clauses et conditions du bail expiré, sa volonté n’était pas de renouveler ce bail. Le congé est donc considéré comme comportant refus de renouvellement, ce qui oblige au paiement de l’indemnité d’éviction. C’est la solution retenue par la Cour de cassation.

Cette solution avait déjà été admise par une cour d’appel qui avait requalifié en « congé-refus » un congé qui comportait une offre de renouvellement assorti de diverses modifications, notamment relatives à l’assiette du bail (Versailles, 6 janv. 2000, Gaz. Pal. Somm. 2032, note P.-H. Brault).

La requalification de l’acte relève de la mission du juge, conformément à l’article 12 du code de procédure civile. L’exacte qualification s’apprécie en fonction de la volonté des parties et du contenu de l’acte, sans s’arrêter à sa dénomination.

S’agissant du congé, qui est un acte unilatéral comme le rappelle la Cour de cassation, c’est la volonté de son auteur qui importe.

Comme le bailleur avait exprimé des volontés contradictoires, en déclarant vouloir renouveler, mais avec des modifications incompatibles avec un renouvellement les juges devaient choisir. La volonté du bailleur était-elle de renouveler ou de tout changer ? La Cour de cassation estime que les demandes de modifications sont déterminantes pour qualifier l’acte.

Conséquences de la requalification

La sanction est sévère pour le bailleur car, en l’espèce, le preneur avait déménagé, pour des raisons qui ne sont pas expliquées. Le propriétaire se trouve donc tenu de payer l’indemnité d’éviction, sans possibilité de repentir. S’il avait prévu les conséquences de son acte, peut-être aurait-il exprimé sa volonté de façon plus claire dans son congé.

Il faudra apprécier la portée de cette jurisprudence. En effet, les suites d’un congé-offre ne sont pas les mêmes que celles d’un congé-refus. Il faut connaître la nature de l’acte pour savoir comment se comporter. Notamment, sous l’angle de la prescription, à la suite d’un congé comportant offre de renouvellement, le locataire ne risque pas grand-chose. C’est seulement s’il veut une baisse de loyer qu’il doit agir.

En revanche, en présence d’un congé comportant refus de renouvellement du bail, le locataire doit nécessairement agir dans le délai de deux ans, sous peine de perdre tous ses droits. La qualification importe.

 

Civ. 3e, 11 janv. 2024, FS-B, n° 22-20.872

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