Bail commercial né du maintien en possession du preneur après un bail dérogatoire : imprescriptibilité de l’action
La demande tendant à faire constater l’existence d’un bail soumis au statut né du maintien en possession du locataire à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du code de commerce, n’est pas soumise à la prescription.
 
                            La question de la prescription est essentielle pour les praticiens en ce qu’elle peut être une issue décisive du procès. Les spécialistes des baux commerciaux ne sont pas épargnés par cette question, tant ils doivent composer avec prescription de droit commun et prescription biennale.
La Haute juridiction précise dans l’arrêt sous commentaire sa jurisprudence sur le régime de la prescription des actions en constatation de l’existence d’un bail commercial né à l’expiration d’un bail dérogatoire en raison du maintien dans les lieux loués du locataire.
Dans cette affaire, après la conclusion d’un premier « bail commercial de courte durée », les parties ont conclu à nouveau un bail de même nature avec pour terme le 30 septembre 2006.
À l’échéance du contrat, la locataire est restée dans les lieux et a été laissée en possession, et le bailleur a continué à émettre des quittances de loyer jusqu’au 31 décembre 2016, date à partir de laquelle il a facturé des indemnités d’occupation.
La locataire a assigné son bailleur en constatation de l’existence d’un bail soumis au statut des baux commerciaux né du fait de son maintien du maintien dans les lieux à l’issue du dernier bail dérogatoire.
La Cour d’appel de Pau (Pau, 29 juill. 2021, n° 19/03483) a retenu que l’action litigieuse est une action en constatation de l’existence d’un bail soumis au statut des baux commerciaux, laquelle est soumise aux dispositions de l’article 2224 du code civil de sorte que, pour déclarer prescrite l’action de la locataire, les juges du fond ont constaté que le premier bail ayant été signé le 14 juin 2004, la locataire aurait dû agir au plus tard dans un délai de cinq ans, soit le 14 juin 2009.
La locataire a formé un pourvoi en cassation.
La troisième chambre civile, après avoir écarté un moyen irrecevable et s’être saisie d’un moyen relevé d’office, censure partiellement l’arrêt d’appel au visa de l’article L. 145-5 du code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-776 du 4 août 2008, et considère que s’il résulte de ce texte que si, à l’expiration du bail dérogatoire conclu pour une durée au plus égale à deux ans (depuis la loi Pinel du 18 juin 2014 pour une durée au plus égale à trois ans, et au plus tard à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échéance), le preneur reste et est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail soumis au statut des baux commerciaux. Elle en déduit que « la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial statutaire, né du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du code de commerce, n’est pas soumise à prescription ».
Action en contestation de l’existence d’un bail statutaire
L’existence d’un bail soumis au statut des baux commerciaux ne semble pas être pas discutée devant la haute juridiction. La discussion porte sur le délai de prescription applicable à une action en constatation de l’existence d’un bail soumis au statut des baux commerciaux, né du maintien en possession du locataire à l’issue du bail dérogatoire.
À cet égard, une précision doit être apportée.
L’action visée dans l’arrêt est une action en contestation de l’existence d’un bail statutaire et non une action en requalification d’un contrat, quel qu’il soit, en bail commercial comme il a pu s’agir dans le second arrêt rendu le même jour par la troisième chambre civile (Civ. 3e, 25 mai 2023, n° 22-15.946, Dalloz actualité, 19 juin 2023, obs. T. Brault ; D. 2023. 1006  ; ibid. 1331, obs. M.-P. Dumont
 ; ibid. 1331, obs. M.-P. Dumont  ), et pour lequel la troisième chambre civile rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle le délai de prescription applicable à l’action en requalification d’un contrat en bail commercial est le délai biennal prévu par l’article L. 145-60 du code de commerce du fait qu’elle est exercée en vertu du statut des baux commerciaux (Civ. 3e, 7 déc. 2022, n° 21-23.103, Dalloz actualité, 17 janv. 2023, obs. P. Gaiardo ; D. 2022. 2221
), et pour lequel la troisième chambre civile rappelle sa jurisprudence constante selon laquelle le délai de prescription applicable à l’action en requalification d’un contrat en bail commercial est le délai biennal prévu par l’article L. 145-60 du code de commerce du fait qu’elle est exercée en vertu du statut des baux commerciaux (Civ. 3e, 7 déc. 2022, n° 21-23.103, Dalloz actualité, 17 janv. 2023, obs. P. Gaiardo ; D. 2022. 2221  ; ibid. 2023. 1331, obs. M.-P. Dumont
 ; ibid. 2023. 1331, obs. M.-P. Dumont  ; AJDI 2023. 113
 ; AJDI 2023. 113  , obs. J.-P. Blatter
, obs. J.-P. Blatter  ; Rev. prat. rec. 2023. 23, chron. E. Morgantini et S. Gonon
 ; Rev. prat. rec. 2023. 23, chron. E. Morgantini et S. Gonon  ; AJDI 2023. 344, obs. P. Haas ; JCP N 2023, n° 6, 1027, obs. P. Lemay ; 28 sept. 2022, n° 21-17.907, AJDI 2023. 31
 ; AJDI 2023. 344, obs. P. Haas ; JCP N 2023, n° 6, 1027, obs. P. Lemay ; 28 sept. 2022, n° 21-17.907, AJDI 2023. 31  , obs. J.-P. Blatter
, obs. J.-P. Blatter  ; Rev. prat. rec. 2023. 23, chron. E. Morgantini et S. Gonon
 ; Rev. prat. rec. 2023. 23, chron. E. Morgantini et S. Gonon  ; Administrer 11/2022. 50, note J.-D. Barbier ; 17 sept. 2020, n° 19-18.435, D. 2020. 1836
 ; Administrer 11/2022. 50, note J.-D. Barbier ; 17 sept. 2020, n° 19-18.435, D. 2020. 1836  ; ibid. 2469, chron. L. Jariel et A.-L. Collomp
 ; ibid. 2469, chron. L. Jariel et A.-L. Collomp  ; AJDI 2021. 361
 ; AJDI 2021. 361  , obs. J.-P. Blatter
, obs. J.-P. Blatter  ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin
 ; Rev. prat. rec. 2021. 25, chron. E. Morgantini et P. Rubellin  ; RTD com. 2020. 779, obs. B. Saintourens
 ; RTD com. 2020. 779, obs. B. Saintourens  ; LEDC oct. 2020, p. 2, obs. M. Latina ; Rev. loyers 2020. 472, obs. C. Lebel ; JCP N 2021. 1133, note A. Mbotaingar ; JCP E 2021, n° 5, 1168, obs. B. Brignon ; 14 sept. 2017, n° 16-23.590, Dalloz actualité, 25 sept. 2017, obs. Y. Rouquet ; D. 2017. 1832
 ; LEDC oct. 2020, p. 2, obs. M. Latina ; Rev. loyers 2020. 472, obs. C. Lebel ; JCP N 2021. 1133, note A. Mbotaingar ; JCP E 2021, n° 5, 1168, obs. B. Brignon ; 14 sept. 2017, n° 16-23.590, Dalloz actualité, 25 sept. 2017, obs. Y. Rouquet ; D. 2017. 1832  ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki
 ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki  ; AJDI 2017. 775
 ; AJDI 2017. 775  , obs. M.-P. Dumont-Lefrand
, obs. M.-P. Dumont-Lefrand  ; RTD civ. 2017. 869, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2017. 869, obs. H. Barbier  ; 22 janv. 2013, n° 11-22.984, AJDI 2013. 609
 ; 22 janv. 2013, n° 11-22.984, AJDI 2013. 609  , obs. R. Hallard
, obs. R. Hallard  ; Administrer 3/2013. 34, obs. D. Lipman-W. Boccara; Gaz. Pal. 2-3 août 2013. 46, obs. J.-D. Barbier ; RJDA 12/13 n° 990 ; 23 nov. 2011, n° 10-24.163, Dalloz actualité, 9 déc. 2011, obs. Y. Rouquet ; D. 2011. 2991, obs. Y. Rouquet
 ; Administrer 3/2013. 34, obs. D. Lipman-W. Boccara; Gaz. Pal. 2-3 août 2013. 46, obs. J.-D. Barbier ; RJDA 12/13 n° 990 ; 23 nov. 2011, n° 10-24.163, Dalloz actualité, 9 déc. 2011, obs. Y. Rouquet ; D. 2011. 2991, obs. Y. Rouquet  ; ibid. 2012. 1844, obs. M.-P. Dumont-Lefrand
 ; ibid. 2012. 1844, obs. M.-P. Dumont-Lefrand  ; AJDI 2012. 266
 ; AJDI 2012. 266  , obs. J. Monéger
, obs. J. Monéger  ; ibid. 345
 ; ibid. 345  , obs. M.-P. Dumont-Lefrand
, obs. M.-P. Dumont-Lefrand  ; RTD com. 2012. 297, obs. F. Kendérian
 ; RTD com. 2012. 297, obs. F. Kendérian  ). En effet, aux termes des dispositions de l’article L. 145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées sur le fondement du statut des baux commerciaux (C. com., art. L. 145-1 s.) se prescrivent par deux ans, de sorte qu’en principe les actions qui ne sont pas fondées sur les dispositions statutaires des baux commerciaux se prescrivent par cinq ans.
). En effet, aux termes des dispositions de l’article L. 145-60 du code de commerce, toutes les actions exercées sur le fondement du statut des baux commerciaux (C. com., art. L. 145-1 s.) se prescrivent par deux ans, de sorte qu’en principe les actions qui ne sont pas fondées sur les dispositions statutaires des baux commerciaux se prescrivent par cinq ans.
Si le régime applicable à l’action en requalification a été défini par la Cour de cassation, tel n’a pas été le cas de l’action en constatation de l’existence d’un bail commercial statutaire né par le seul effet du maintien dans les lieux du locataire à l’expiration du bail dérogatoire. Dans un important arrêt du 1er octobre 2014, la haute juridiction s’est contentée d’écarter la prescription biennale, sans préciser le délai de prescription applicable à une telle action, ce qui a soulevé des difficultés d’interprétation (Civ. 3e, 1er oct. 2014, n° 13-16.806, Dalloz actualité, 8 oct. 2014, obs. Y. Rouquet ; D. 2014. 2565, note R.-J. Aubin-Brouté  ; ibid. 2015. 1615, obs. M.-P. Dumont-Lefrand
 ; ibid. 2015. 1615, obs. M.-P. Dumont-Lefrand  ; RTD com. 2014. 773, obs. F. Kendérian
 ; RTD com. 2014. 773, obs. F. Kendérian  ; Loyers et copr. 2014, n° 272, note P.-H. Brault ; JCP 2014. 1146, note C. Lebel ; JCP E 2015. 1130, obs. H. Kenfack).
 ; Loyers et copr. 2014, n° 272, note P.-H. Brault ; JCP 2014. 1146, note C. Lebel ; JCP E 2015. 1130, obs. H. Kenfack).
Ainsi, en l’absence de précision, certaines cours d’appel, à l’instar des juges d’appel de Pau (Paris, 1er déc. 2021, n° 20/04742, AJDI 2022. 203  ; Rev. prat. rec. 2022. 35, chron. E. Morgantini et P. Rubellin
 ; Rev. prat. rec. 2022. 35, chron. E. Morgantini et P. Rubellin  ; B. Brignon, note ss. Civ. 3e, 25 mai 2023, n° 21-23.007, D. 2023. 1006
 ; B. Brignon, note ss. Civ. 3e, 25 mai 2023, n° 21-23.007, D. 2023. 1006  ; Lexbase Affaires n° 758 du 8 juin 2023), ont considéré qu’à défaut de la prescription biennale, c’est la prescription quinquennale de droit commun qui est applicable du fait que l’action tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial soumis au statut, est exercée en vertu de l’article L. 145-5 du code de commerce, lequel est dérogatoire au statut des baux commerciaux (H. Kenfack, Baux commerciaux, JCP E 2015. 1130, n° 11). En conséquence, les juges d’appel de Pau, pour déclarer prescrite l’action de la locataire, ont retenu que le premier bail ayant été signé le 14 juin 2004, la société aurait dû agir au plus tard dans un délai de cinq ans, soit le 14 juin 2009.
 ; Lexbase Affaires n° 758 du 8 juin 2023), ont considéré qu’à défaut de la prescription biennale, c’est la prescription quinquennale de droit commun qui est applicable du fait que l’action tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial soumis au statut, est exercée en vertu de l’article L. 145-5 du code de commerce, lequel est dérogatoire au statut des baux commerciaux (H. Kenfack, Baux commerciaux, JCP E 2015. 1130, n° 11). En conséquence, les juges d’appel de Pau, pour déclarer prescrite l’action de la locataire, ont retenu que le premier bail ayant été signé le 14 juin 2004, la société aurait dû agir au plus tard dans un délai de cinq ans, soit le 14 juin 2009.
Imprescriptibilité de l’action
Mais la Cour régulatrice, dans l’arrêt du 25 mai 2023 infirmant la décision des juges du fond, apporte une précision fondamentale sur le régime de l’action née du maintien dans les lieux du locataire à l’expiration d’un bail dérogatoire.
Après avoir énoncé en 2014 qu’une telle action n’est pas soumise à prescription biennale, elle affirme à présent et distinctement que l’action en constatation de l’existence d’un bail statutaire né du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire est imprescriptible.
La justification du caractère imprescriptible de l’action trouve fondement dans l’article L. 145-5 du code de commerce.
En effet, la troisième chambre civile énonce que l’existence d’un bail commercial statutaire, né du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du code de commerce.
Comme l’énonce un auteur, « qu’une action soit engagée ou non pour le faire constater, il résulte de cet article que le bail statutaire s’est ainsi formé de plein droit et il n’y a pas lieu d’appliquer une prescription à une action qui n’a pour objet que de faire constater ce qui existe déjà antérieurement par le seul effet de la loi » (Lettre d’actualité du cabinet Blatter Seynaeve, juin 2023, note J.-P Blatter).
Dit autrement, en vertu de l’article visé, le bail commercial est formé de plein droit par le maintien du locataire dans les lieux loués à l’issue d’un bail dérogatoire, de sorte que sans contrainte de temps, le locataire est recevable à revendiquer le statut des baux commerciaux dès lors que, conformément aux dispositions susvisées, il est resté dans les lieux loués sans opposition du bailleur (A. Confino, Du nouveau sur la prescription de l’action en requalification d’un contrat en bail statutaire, Open Lefebvre Dalloz, 30 mai 2023).
Cette solution ne se limite pas au seul locataire. Le bailleur, lorsqu’il le juge opportun, est également en droit de solliciter la reconnaissance du bail devenu statutairement commercial.
Un arrêt d’une portée majeure
Tant pour les praticiens que pour les partenaires locatifs, la portée de cet arrêt est majeure.
À l’avenir, il appartiendra aux parties de faire preuve de vigilance en exprimant par des actes positifs et non équivoques leur volonté de mettre fin à la relation contractuelle (Civ. 3e, 11 mai 2022, n° 21-15.389, Dalloz actualité, 2 juin 2022, obs. T. Brault ; D. 2022. 991  ; ibid. 1375, obs. M.-P. Dumont
 ; ibid. 1375, obs. M.-P. Dumont  ; Rev. prat. rec. 2023. 19, chron. E. Morgantini et S. Gonon
 ; Rev. prat. rec. 2023. 19, chron. E. Morgantini et S. Gonon  ; Rev. Loyers 2022.. 335, note S. Andjechaïri-Tribillac) si elles ne souhaitent pas être enfermées dans une relation locative de longue durée et éviter les conséquences statutaires (bien que le locataire puisse invoquer la résiliation triennale).
 ; Rev. Loyers 2022.. 335, note S. Andjechaïri-Tribillac) si elles ne souhaitent pas être enfermées dans une relation locative de longue durée et éviter les conséquences statutaires (bien que le locataire puisse invoquer la résiliation triennale).
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