Bail d’habitation : validation d’un congé-rénovation
Un congé délivré pour motifs sérieux et légitimes visant de lourds travaux de rénovation est justifié dès lors que la réalité du projet est établie et que les lieux doivent être libérés, le propriétaire n’ayant pas à rapporter la preuve du caractère indispensable desdits travaux.
Par cette décision, la Cour d’appel de Bordeaux confirme une solution bien établie, selon laquelle le bailleur peut délivrer un congé légitime et sérieux à son cocontractant à raison d’importants travaux de rénovation qu’il entend entreprendre dans les lieux (v. déjà, not., Civ. 3e, 7 févr. 1996, n° 94-14.339, D. 1997. 268
, obs. CRDP Nancy II
; Administrer 8-9/1996. 34, note Beddeleem).
La particularité de l’espèce tenait, d’une part, en ce que les travaux portaient sur un ensemble immobilier (lequel appartenait à un propriétaire unique) et, d’autre part, en ce qu’ils visaient, pour partie, à améliorer la performance énergétique des appartements (par le remplacement des appareils de chauffage électriques et de production ECS, par l’installation de doubles vitrages…).
Cette circonstance résonne avec la question très actuelle du traitement de l’indécence des logements énergivores, soit, depuis le 1er janvier 2025, par application combinée des articles 6 de la loi du 6 juillet 1989 et L. 173-1-1 du code de la construction et de l’habitation, des logements étiquetés G (sur la question de l’indécence des passoires thermiques et du calendrier mis en place par la loi n° 2021-1104 du 22 août 2021, dite « loi Climat et résilience », v. P. de Plater, AJDI 2021. 750
; concernant le congédiement d’un locataire en vue de la rénovation énergétique du logement, v. aussi, J. Lafond, Loyers et copr. 2021. Formule 2).
Pour autant, au cas particulier, les travaux visaient la simple « amélioration de la performance énergétique » des logements (sans plus de précision) et il était également question de réaliser des travaux d’amélioration du confort acoustique et de remise à niveau de la qualité esthétique des logements.
Dans cette affaire, des locataires ayant reçu congé faisaient valoir que le congé n’était ni sérieux ni légitime. Ils soutenaient que les travaux projetés n’étaient que de second œuvre, pouvant être exécutés en leur présence, et estimaient que la motivation des travaux reposait en réalité sur des considérations purement spéculatives et que, partant, le congé était frauduleux.
Ils ont été déboutés tant en première instance (TJ Bordeaux, 29 nov. 2022, n° 22/00998), qu’en appel par la présente décision.
Un congé sérieux
Pour les juges, la réalité du projet de rénovation de l’ensemble immobilier était suffisamment établie dès lors, notamment, qu’avant la délivrance du congé :
- une proposition d’honoraires d’un cabinet de géomètres-experts avait été signée pour la réalisation de plans d’intérieur et que des plans avaient été effectivement réalisés et transmis par ces mêmes géomètres-experts ;
- l’estimation complète du montant des travaux avait été communiquée au bailleur ;
- trois devis concernant les travaux du logement occupé par le demandeur avaient été produits.
Par conséquent, le sérieux de la démarche du bailleur ne prêtait pas le flanc à la critique (dans le même sens, exigeant que le bailleur justifie de sa réelle intention de réaliser les travaux, Paris, 28 juin 2007, n° 06/22609, AJDI 2007. 926
; jugeant que des travaux de rénovation constituent un motif légitime et sérieux de congé sous réserve que le bailleur établisse leur faisabilité et leur sérieux, v. aussi, Versailles, 14 avr. 2015, n° 13/07281, Loyers et copr. 2015, n° 135, obs. B. Vial-Pedroletti ; exigeant la production de devis, Versailles, 24 févr. 2004, BICC 2005, n° 636 ; pour un projet dénué de toute véridicité, Paris, 13 sept. 2007, n° 06/11227, AJDI 2007. 926
).
Par ailleurs, les juges relèvent que le bailleur a, quelques mois après avoir donné congé au demandeur à l’action, délivré un congé identique à un autre locataire de l’ensemble immobilier (on rappellera qu’aux termes de l’art. 15 de la loi de 1989, le bailleur ne peut délivrer congé que pour le terme du bail et moyennant le respect d’un préavis de 6 mois). Preuve supplémentaire de la cohérence du projet du propriétaire.
Un congé légitime
Ainsi que le précise la cour, la question de la légitimité du motif de la reprise est celle de la nécessité des travaux et de la nécessité de libérer les appartements afin de les réaliser.
Sur le premier point, les juges bordelais considèrent que « le propriétaire n’a pas à établir le caractère indispensable des travaux, la légitimité du motif reposant suffisamment en l’espèce sur la recherche d’une rénovation globale afin d’améliorer la rentabilité énergétique de l’immeuble ou l’acoustique des logements, dont les installations sont vieillissantes ».
Quant à la nécessité de libérer les locaux, elle est incontestable, les travaux étant d’envergure et longs et devant être menés de concert sur tout l’immeuble.
Et, le fait que l’appartement objet du litige ait été décrit par un huissier comme étant « en parfait état » n’y change rien, esthétique et performance énergétique et acoustique n’étant évidemment pas liées.
Bordeaux, 6 janv. 2025, n° 22/05642
© Lefebvre Dalloz