Bail rural : modus operandi pour le bailleur en cas de dégradations du fonds par son fermier
Si des travaux réalisés illégalement par le preneur ont entraîné une dégradation du fonds, le bailleur ne peut pas exiger la remise des lieux en l’état en cours de bail, Il peut demander, à l’expiration du bail, l’allocation d’une indemnité ; en revanche, le renouvellement du bail ne prive pas le bailleur de la possibilité d’en demander la résiliation, lorsque les agissements du fermier ont compromis la bonne exploitation du fonds, même antérieurs à ce renouvellement, et se sont produits ou prolongés au cours du bail renouvelé.
Dans les chroniques ordinaires du monde rural, l’affaire dont il est question concerne des faits courants qui concourent à une dégradation environnementale majeure de nos campagnes tant au regard de la dégradation des sols que de la biodiversité ou la qualité des paysages. Ces faits concernent les haies bordant les parcelles exploitées.
Une ministre déplorait récemment sur une radio publique la réglementation excessive les concernant, arguant une « sédimentation de lois » et l’accumulation de « douze régimes de haies » (France info, 22 févr. 2022), alors même que le sujet avait fait l’objet d’un pacte gouvernemental né au dernier trimestre 2023 ambitionnant une approche globale et intégrée.
Certes, le régime juridique des haies nécessite d’analyser nombre de dispositions légales éparpillées dans le code de l’environnement, le code civil, le code de l’urbanisme, le code de la voirie routière et, évidemment, le code rural. Mais il ne faut pas laisser croire au locataire qui arrache des haies qu’il peut être mis à l’abri de toutes sanctions.
C’est d’un texte contenu dans le code rural et de la pêche maritime dont il est question dans l’arrêt sous étude. Que les haies soient supprimées au prétexte d’agrandir une parcelle, faciliter le passage des engins agricoles, favoriser un meilleur ensoleillement ou même procurer du bois de chauffage, le procédé est toujours soumis tant aux dispositions légales qu’aux clauses et conditions relatives au bail rural. En l’occurrence, l’article L. 411-28 dudit code conditionne la suppression des haies et talus à une amélioration de l’exploitation, d’une part, et à l’accord du bailleur, d’autre part. Cette affaire est une nouvelle illustration de la fonction environnementale essentielle du bail rural. Ses conditions de mise en œuvre permettent de sanctionner les agissements contraires au bon entretien du fonds agricole et à la préservation de la nature. Il est joué un nouvel air de « la complainte des haies arrachées » (selon l’expression de S. Crevel, obs. ss. Dijon, 19 mai 2009, n° 08/0609, RD rur. 2009, n° 158).
Par acte du 2 décembre 2005, des bailleurs ont donné à bail rural à un preneur diverses parcelles. Le 21 août 2020, invoquant la suppression de haies implantées sur les parcelles, réalisée par le preneur sans leur accord, les bailleurs ont saisi le tribunal paritaire des baux ruraux pour demander la résiliation du bail et la remise en état des lieux. Ils sont alors déboutés tant quant à leur demande de remise en état des haies que relativement à leur demande de résiliation du bail du fait de l’arrachage. Ils se pourvoient en cassation. Si la Cour de cassation rejette les moyens relatifs à la remise en état des haies, elle casse l’arrêt ayant rejeté leur demande de résiliation du bail.
Sur la demande de remise en état des haies
Le preneur doit répondre des dégradations qui se produisent pendant sa jouissance. En l’espèce, les bailleurs estimaient que la remise en état du terrain, considérée comme une exécution en nature des obligations du preneur, devait pouvoir être demandée en cours de bail quand bien même il était prévu l’indemnisation du préjudice subi en fin de bail.
La Cour de cassation rappelle les dispositions de l’article L. 411-28 du code rural et de la pêche maritime qui énonce que de tels travaux sont notifiés au bailleur qui a deux mois pour s’y opposer. L’absence de réponse écrite vaut accord. Aussi, si des dégradations liées à ces travaux sont constatées, elles ne peuvent donner lieu à remise en état au cours du bail.
Tout au plus le bailleur peut, à l’expiration du bail, réclamer une indemnité en réparation du préjudice subi sur le fondement de l’article L. 411-72 du code rural et de la pêche maritime.
En l’espèce le bail étant encore en cours, aucune remise en état ne pouvait être réclamée : le bailleur aurait dû être plus vigilant et s’opposer à la réalisation des travaux.
Sur la demande de résiliation du bail
Les bailleurs peuvent toutefois faire cesser le bail (et réclamer alors une indemnité) en optant pour la solution radicale de la résiliation du bail fondée sur les manquements et agissements du preneur. C’est l’objet du deuxième moyen. Il est reproché à la décision de ne pas avoir considéré que les effets dommageables de l’arrachage des haies se poursuivaient au cours du bail renouvelé.
Au visa des articles L. 411-28, L. 411-31, I, 2°, et L. 411-50 du code rural et de la pêche maritime, la Haute Cour casse l’arrêt d’appel qui avait rejeté la résiliation du bail. Elle déduit au contraire de ces articles que le renouvellement du bail ne prive pas le bailleur de la possibilité de demander la résiliation du bail, notamment lorsque les effets des agissements du preneur compromettant la bonne exploitation du fonds se produisent, ou se prolongent, au cours du bail renouvelé. Les bailleurs sont donc en mesure de demander la résiliation du bail.
Épée de Damoclès pour le preneur
L’hostilité de principe à la résiliation du bail rural marque le pas. Il avait déjà été jugé que l’accord de principe donné par le propriétaire au renouvellement, plusieurs mois avant la fin du bail, n’implique pas une renonciation de sa part à demander la résiliation (Soc. 27 févr. 1958, Rev. loyers 1959. 15). Cet arrêt énonce que même en cas de renouvellement, le bailleur n’est pas privé du droit de demander la résiliation.
Cette solution est évidemment transposable à de nombreuses espèces concernant toutes dégradations du fonds, quelles que soient leurs origines (travaux, pratiques culturales, …). Voilà qui instaure une certaine insécurité pour les preneurs puisque les effets de leurs agissements peuvent se constater parfois plusieurs années après les travaux et après un renouvellement. Si l’indemnisation du préjudice est reportée à la fin du bail, la possibilité de résilier ce bail précipite l’inéluctable versement d’une indemnité réparatrice. Il s’agit là d’un rappel et d’une mise en garde : la sanction est toujours possible et le temps n’efface rien. Au contraire, ce dernier révèle parfois même l’ampleur des dégâts et leurs conséquences dévastatrices (mouvements de terrain, inondations…). Ainsi, la résiliation du bail devient une sanction classique des agissements contraires aux normes environnementales (Civ. 3e, 19 nov. 2020, n° 19-21.348, Rev. prat. rec. 2021. 31. Chron. R.-J. Aubin-Brouté
; RD rur. 2021, n° 27, obs. S. Crevel).
Du reste, le preneur s’expose à des sanctions sur d’autres fondements juridiques.
Rappelons que le préfet peut ainsi interdire la destruction des haies sur divers fondements (v. par ex., l’art. L. 126-3 c. rur. mais égal., les classements possibles en zone Natura 2000, réserve naturelle régionale ou protection du biotope). Le PLU peut encore avoir identifié les haies au titre des espaces boisés classés, ce qui interdit strictement tout abattage. S’ajoutent aux éventuels arrêtés ainsi affichés dans la commune, la réglementation issue de la transposition de règles européennes visant à maintenir dans de bonnes conditions agricoles et environnementales les terres agricoles bénéficiaires des aides de la PAC. La taille des haies et l’élagage des arbres sont interdits entre le 16 mars et le 15 août en France. En cas de non-respect, l’agriculteur concerné risque amende et emprisonnement, ainsi que des conséquences sur les aides et subvention PAC. Enfin, les boisements linéaires, les haies et plantations d’alignement bénéficient aussi de certaines aides publiques et d’exonérations fiscales (s’ils peuvent être rattachés au régime des bois, forêts et terrains à boiser), ce qui incite à leur conservation.
Vigilance pour le bailleur
Parce que le bailleur a deux mois pour s’opposer à la demande du preneur, il lui appartient de réagir assez rapidement pendant le bail. De manière générale, son attitude ne saurait rester passive et suppose au contraire une grande vigilance. En tant que propriétaire, il faut rappeler qu’il est contraint, avec le preneur, par les mesures et procédures administratives de protection de l’environnement qui soumettent l’arrachage à autorisation préfectorale (v. supra). Il pèse ainsi directement et indirectement une sorte de « devoir de vigilance » sur les bailleurs qui doivent préserver la qualité naturelle de leurs parcelles et ce faisant également la valeur marchande attachée à leur propriété. Ne pas réagir à une dégradation des terres agricoles n’est pas que préjudiciable du point de vue environnemental, c’est également une incurie qui risque de conduire à des pertes de revenus et une dévalorisation de leur patrimoine. Le bail environnemental permet de renforcer à cet égard les obligations du preneur et œuvre pédagogiquement et juridiquement à la garantie du respect de ces normes (C. rur., art. L. 411-31, I, 3°, le bailleur peut demander la résiliation en cas de non-respect des clauses ; adde Rép. min. n° 16700, JO Sénat 3 sept. 2020, p. 3887).
Civ. 3e, 14 déc. 2023, FS-B, n° 22-20.257
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