Beau fixe sur l’appel à jour fixe

Constitue une sanction disproportionnée l’irrecevabilité de l’appel d’un jugement d’orientation prononcée du seul fait que la requête adressée au premier président ne contient pas les conclusions au fond.

Le 29 décembre 2023, le pouvoir réglementaire nous a gratifiés d’un décret prétendant simplifier la procédure d’appel (M. Barba et R. Laffly, « Simplification » de la procédure d’appel, Dalloz actualité, 1er févr. 2024 ; J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : l’influence du décret du 29 décembre 2023 sur l’exercice des voies de recours, Dalloz actualité, 12 janv. 2024 ; K. Leclère-Vue et L. Veyre, Réforme de la procédure d’appel en matière civile : explication de texte, D. 2024. 362 ; N. Gerbay, Le décret n° 2023-1393 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile : nouveautés et points de vigilance, Procédures 2/2024. Étude 1 ; F. Loyseau de Grandmaison, Décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 : premiers regards sur une simplification immobile de la procédure d’appel, Gaz. Pal. 9 janv. 2024, p. 13 ; C. Bléry et N. Reichling, Quelle réforme de la procédure d’appel ?, Gaz. Pal. 16 avr. 2024, p. 38 ; C. Lhermitte, Réforme de la procédure d’appel : vous vouliez de la simplification ? Vous aurez de la lisibilité, Lexbase Droit privé, 11 janv. 2024 ; F.-X. Berger, Réforme de la procédure d’appel : une voie pavée de bonnes intentions, RLDC, 1er mai 2024, p. 24 ; L. Mayer, L. Veyre et L. Larribère, Chronique de droit judiciaire privé, JCP 2024. Doctr. 673). Hélas, les inutiles complexités de la procédure à jour fixe ont visiblement échappé à la sagacité des simplificateurs, qui n’ont aucunement retouché celle-ci. Réjouissons-nous donc qu’un véritable vent de simplification souffle quai de l’Horloge, spécialement au cas de jour fixe imposé.

Un jugement d’orientation est rendu sur poursuites aux fins de saisie immobilière. La vente forcée du bien est ordonnée. Appel est relevé. Sur autorisation du premier président, l’appelant assigne l’intimé à jour fixe. Une difficulté apparaît : les conclusions au fond ne furent pas jointes à la requête adressée au premier président en vue d’être autorisé d’assigner à jour fixe. Or l’article 918 du code de procédure civile exige bien que cette requête contienne les conclusions au fond. La cour d’appel le relève et prononce l’irrecevabilité de l’appel. Pourvoi est formé.

Le requérant fait valoir un unique moyen de cassation, ramassé sur l’essentiel : cette sanction est disproportionnée au regard de l’utilité toute relative de la charge procédurale correspondante. Pour le dire trivialement, le requérant souligne que cette charge procédurale ne sert à rien ou presque au cas d’un jour fixe imposé ; de sorte qu’il est anormal qu’elle soit sanctionnée aussi durement. Du manquement procédural en question ne résulterait « aucune conséquence préjudiciable (…) ni pour la procédure ni pour l’intimée ». Le droit d’accès au juge est invoqué et la prohibition du formalisme excessif avec lui.

Au prix d’un revirement tout en sobriété réalisé au visa des articles 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 918 du code de procédure civile et de l’article R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution, la deuxième chambre civile opine.

Elle rappelle tout d’abord sa jurisprudence antérieure, selon laquelle est effectivement irrecevable l’appel dirigé contre un jugement d’orientation lorsque la requête de l’appelant tendant à être autorisé à assigner à jour fixe ne contient pas les conclusions sur le fond ni ne vise les pièces justificatives (Civ. 2e, 7 avr. 2016, n° 15-11.042, Dalloz actualité, 6 mai 2016, obs. M. Kebir ; D. 2017. 1388, obs. A. Leborgne ).

Puis une bascule désormais classique est opérée : la Cour énonce que cette jurisprudence mérite d’être reconsidérée à la lueur du droit au procès équitable (§ 8).

Suivent les raisons du revirement, elles aussi énoncées avec la plus grande sobriété :

« 9. D’une part, il résulte de l’article R. 322-19 précité que l’appel du jugement d’orientation suit de plein droit la procédure à jour fixe sans que le premier président ait à apprécier l’existence d’un péril pour la fixation prioritaire d’une date d’audience.
10. D’autre part, en application de l’article 922 du code de procédure civile, la cour d’appel est saisie par la remise au greffe d’une copie de l’assignation délivrée à la partie adverse. »

Que dit la deuxième chambre civile ? Qu’inclure les conclusions au fond dans la requête ne sert effectivement pas à grand-chose au cas d’un jour fixe imposé, ce d’autant qu’en tous les cas, l’assignation, qui contient ces conclusions, sera ultimement remise au greffe de la cour aux fins de saisine. En application du principe de proportionnalité procédurale (des sanctions au regard des charges), il n’y a dès lors pas lieu d’en sanctionner le défaut par l’irrecevabilité de l’appel. Le revirement consommé est d’application immédiate « en ce qu’il assouplit les conditions de l’accès au juge » (§ 13).

Opportunément, l’irrecevabilité est donc écartée comme, nous semble-t-il, toute forme de sanction, donnant une fois encore à voir une charge processuelle non sanctionnée.

L’irrecevabilité écartée

Revenons sur la jurisprudence antérieure avant d’examiner le revirement et ses prolongements.

La jurisprudence antérieure

La jurisprudence antérieure était nette et rigoureuse : que la procédure d’appel à jour fixe soit facultative ou imposée, l’article 918 du code de procédure civile doit être respecté. Or celui-ci impose que la requête adressée au premier président en vue d’être autorisé d’assigner à jour fixe contienne les conclusions au fond.

Il est vrai que la pratique est divisée sur cette charge processuelle selon laquelle la requête doit « contenir » les conclusions sur le fond : certains praticiens font figurer dans la requête même les conclusions au fond, suivant une interprétation littérale du texte ; d’autres joignent les conclusions au fond. Au cas d’espèce, une difficulté a d’ailleurs pu exister de ce chef car le moyen souligne que la cour d’appel a exigé « que les conclusions au fond soient jointes et pas seulement contenues dans la requête » (§ 3). La Cour de cassation fait en tout cas fi de cette difficulté. De fait, les deux procédés sont admis, nous semble-t-il.

Quoi qu’il en soit, il est acquis au regard de la jurisprudence antérieure qu’au cas d’appel d’un jugement d’orientation, qui est un jour fixe imposé conformément à l’article R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution, la requête adressée au premier président doit contenir les conclusions au fond d’une façon ou d’une autre. Surtout, il est acquis depuis 2016 que la sanction est l’irrecevabilité de l’appel (Civ. 2e, 7 avr. 2016, n° 15-11.042, préc.).

Le raisonnement est classique : de longue date, la deuxième chambre civile estime que la méconnaissance de la procédure à jour fixe se paie d’une irrecevabilité. Et comprenons-nous bien : se paie d’une irrecevabilité de l’appel non seulement le fait de ne pas emprunter du tout la voie de la procédure à jour fixe (Civ. 2e, 22 févr. 2012, n° 10-24.410, Dalloz actualité, 6 mars 2012, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2012. 690 ; 16 oct. 2014, n° 13-24.634, Dalloz actualité, 28 oct. 2014, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2015. 287, obs. N. Fricero ; RTD civ. 2015. 194, obs. N. Cayrol ) mais également le fait de mal l’arpenter (Civ. 2e, 7 avr. 2016, n° 15-11.042, préc. ; v. égal., Civ. 2e, 28 sept. 2017, n° 16-22.143, Dalloz actualité, 17 oct. 2017, obs. G. Payan ; D. 2018. 1223, obs. A. Leborgne ; 20 mai 2021, n° 19-19.258, Dalloz actualité, 3 juin 2021, obs. N. Hoffschir). Concrètement, la méconnaissance des modalités de la procédure d’appel à jour fixe, déterminées aux articles 917 et suivants du code de procédure civile, entraîne celle de l’article R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution, conduisant à l’irrecevabilité de l’appel à moins d’une disposition contraire énonçant une autre sanction (pour un ex., v. Civ. 2e, 17 mai 2023, n° 21-20.690, Dalloz actualité, 6 juin 2023, obs. M. Barba ; D. 2023. 1016 ; ibid. 1969, chron. C. Bohnert, F. Jollec, X. Pradel, S. Ittah, C. Dudit et J. Vigneras ).

Cette jurisprudence inaugurée en 2016 a été réitérée (v. not., Civ. 2e, 22 mars 2018, n° 17-11.246 ; 21 févr. 2019, n° 18-11.469 ; 9 juin 2022, n° 21-12.728 ; Civ. 3e, 23 mai 2019, n° 17-31.463, AJDI 2019. 559 ) et même étendue au cas de l’appel-compétence (Civ. 2e, 22 oct. 2020, n° 18-19.768, Dalloz actualité, 23 nov. 2020, obs. C. Lhermitte) même s’il est alors plus volontiers question de caducité de la déclaration d’appel par l’effet de l’article 84 du code de procédure civile.

Cette jurisprudence antérieure est rigoureuse en deux endroits. Elle est rigoureuse sur la charge processuelle – fournir les conclusions au fond lors de la requête adressée au premier président quand bien même il s’agit d’un jour fixe imposé – et sur la sanction – l’irrecevabilité de l’appel du jugement d’orientation. La doctrine a souligné cette rigueur mais sans la critiquer particulièrement et pour cause : les textes sont têtus et il est vrai qu’en l’état, l’article 918 du code de procédure civile ne distingue pas selon que le jour fixe est facultatif ou imposé – la seule différence étant que le requérant n’a pas à justifier d’un péril en ce dernier cas (C. pr. exéc., art. R. 322-19, al. 1er). La doctrine s’est en revanche montrée plus sceptique quant à la sanction – l’irrecevabilité de l’appel tirée de la méconnaissance de l’article R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution (v. not., M. Kebir, Procédure à jour fixe : irrecevabilité de l’appel en l’absence de conclusions jointes à la requête, Dalloz actualité, 6 mai 2016, qui évoque la sévérité de la solution). C’est sur ce dernier point que se concentre le présent revirement.

Le revirement et ses prolongements

À proprement parler, la deuxième chambre civile ne supprime pas la charge processuelle : jour fixe imposé ou facultatif, il appartient toujours au requérant s’adressant au premier président de lui fournir ses conclusions au fond en application de l’article 918 du code de procédure civile, dont la teneur n’a pas changé. En revanche, la deuxième chambre civile élimine la sanction qu’elle avait créée de toutes pièces : l’irrecevabilité de l’appel n’est plus encourue.

Pour aboutir à ce résultat, la Cour de cassation procède à une pesée dans un esprit de proportionnalité procédurale : elle compare l’importance de la charge processuelle et celle de la sanction qui l’assortit ordinairement. Et cette pesée laisse apparaître un fort déséquilibre : la sanction est très lourde, cependant que l’intérêt de la charge processuel est léger, voire évanescent. Voilà qui conduit à revenir à la raison d’être de la règle imposant de fournir au premier président les conclusions au fond lors de la requête en vue d’être autorisé d’assigner à jour fixe.

Pourquoi impose-t-on au requérant demandant un jour fixe de fournir au premier président les conclusions au fond ? Deux raisons sont généralement avancées. D’une part et principalement, il s’agirait de cristalliser le débat au plus tôt, en montrant simultanément au premier président que l’appelant est déjà fin prêt à procéder – péril oblige. D’autre part et justement, il s’agit de permettre au premier président de pouvoir apprécier au plus juste l’existence d’un péril. On rappellera en effet que, d’ordinaire, la requête adressée au premier président « doit exposer la nature du péril » qui justifiera de procéder à jour fixe (C. pr. civ., art. 918). Mais il est souvent utile au premier président de disposer au surplus des conclusions sur le fond où le litige est déployé en intégralité.

Or c’est là que le bât blesse dans la jurisprudence classique, antérieure au présent revirement : au cas d’un jour fixe imposé à l’instar de l’appel d’un jugement d’orientation, les conclusions au fond ne servent aucunement au premier président pour apprécier l’existence ou la consistance d’un péril qui justifierait d’accorder l’autorisation convoitée. De fait, sa caractérisation n’est même pas nécessaire. La doctrine praticienne l’avait relevé : « dans le cadre d’un jour fixe de droit, le premier président n’a pas à apprécier le péril et il rend l’ordonnance autorisant à assigner à jour fixe sans considération des conclusions et des pièces. » (C. Lhermitte, Requête à jour fixe : avec les conclusions, c’est mieux, Dalloz actualité, 23 nov. 2020). En jour fixe imposé, la fourniture des conclusions au fond lors de la requête ne s’impose pas avec la même nécessité qu’au cas d’un jour fixe facultatif. Il est vrai que demeure l’autre raison – celle de cristalliser le débat au plus tôt – mais elle ne suffit certainement pas à justifier la force de la sanction – l’irrecevabilité de l’appel.

Elle suffit d’autant moins que ces conclusions au fond seront tôt ou tard remises au greffe de la cour d’appel en application de l’article 922 du code de procédure civile, faute de quoi la déclaration d’appel sera caduque, y compris en cas d’appel d’un jugement d’orientation (Civ. 2e, 17 mai 2023, n° 21-20.690, préc.). Dit autrement, les conclusions au fond, nécessairement contenues dans l’assignation, seront bien remises à la cour d’appel et le défaut de leur remise sera, le cas échéant, sanctionné de la belle manière – la caducité de la déclaration d’appel. Sans doute n’est-il donc point besoin d’y ajouter l’irrecevabilité de l’appel au cas d’omission des conclusions au fond dans la requête adressée au premier président.

Le conclusif est net : « constitue une sanction disproportionnée l’irrecevabilité de l’appel d’un jugement d’orientation prononcée du seul fait que la requête adressée au premier président ne contient pas les conclusions au fond » (§ 11).

Malgré son libellé, il est permis de penser que la même solution sera rejointe aux cas des autres jours fixes imposés à l’instar de l’appel-compétence. En revanche, la deuxième chambre civile ne balaie pas d’un revers de main toute sa jurisprudence rendue en application de l’article R. 322-19 du code des procédures civiles d’exécution. Elle indique bien que la sanction de l’irrecevabilité de l’appel est disproportionnée lorsqu’elle est découle « du seul fait que la requête adressée au premier président ne contient pas les conclusions au fond ». Dès lors, l’arbre ne doit pas cacher la forêt : à moins d’autres revirements, la jurisprudence classique est par ailleurs maintenue.

Encourt par exemple l’irrecevabilité de son appel l’appelant qui, sur son assignation, communique à l’intimé une copie non intègre de l’ordonnance du premier président (Civ. 2e, 20 mai 2021, n° 19-19.258). De même, la nullité de la requête aux fins d’assignation à jour fixe devrait toujours entraîner l’irrecevabilité de l’appel formé selon la procédure à jour fixe dont les exigences n’ont pas été respectées (Civ. 2e, 2 févr. 2023, n° 21-10.145).

Par ailleurs, encourt l’irrecevabilité de son appel l’appelant qui ne joint pas sa requête à l’assignation adressée à l’intimé (Civ. 2e, 27 sept. 2018, n° 17-21.833, Dalloz actualité, 10 oct. 2018, obs. R. Laffly ; D. 2018. 1920 ; ibid. 2019. 1306, obs. A. Leborgne ). Sur ce dernier point, un arrêt contraire de la chambre commerciale doit cependant être signalé, rendu en matière d’appel-compétence (Com. 14 juin 2023, n° 21-15.445). Dans ce dernier arrêt, la chambre commerciale souligne, d’abord, qu’en fait d’appel-compétence, le requérant s’adressant au premier président n’a pas à justifier d’un péril : c’est un jour fixe imposé (Com. 14 juin 2023, n° 21-15.445, préc., § 10). La requête « ne tend qu’à obtenir une date d’audience », énonce la chambre commerciale, qui ajoute à la suite :

« 11. L’information des intimés et, par elle, le respect des droits de la défense, sont assurés par la notification qui leur est faite de la déclaration d’appel motivée et des conclusions qui y sont jointes.
12. Dans ces conditions, la circonstance que la copie de la requête ne soit pas jointe à l’assignation délivrée aux intimés ne peut donner lieu à sanction. » (Com. 14 juin 2023, n° 21-15.445, préc.)

La ressemblance avec le présent arrêt est frappante. Il n’est donc pas exclu qu’un nouveau vent de simplification souffle rapidement sur l’appel à jour fixe, du moins lorsqu’il est imposé (v. déjà, Civ. 2e, 17 mai 2023, n° 21-20.690, préc.). À terme, deux régimes devraient nettement apparaître : l’un, propre au jour fixe imposé, moins rigoureux que l’autre, propre au jour fixe facultatif. Regrettons à nouveau que l’exécutif n’ait pas pris avantage de la récente réforme de la procédure d’appel pour reprendre la procédure d’appel à jour fixe et introduire cette logique dichotomie.

Une charge processuelle sans sanction

Sous l’angle plus général de la procédure civile, il est frappant de constater que, ces derniers temps, la figure de la charge processuelle sans sanction se multiplie, donnant corps à une bonne intuition doctrinale (J. Jourdan-Marques, Vers une nouvelle réforme de la procédure civile ?, D. 2023. 728 ).

Récemment et sans exhaustivité, la deuxième chambre civile a neutralisé toute sanction associée au défaut de motivation de l’appel au cas prévu par l’article R. 3211-43 du code de la santé publique (Civ. 1re, 15 mai 2024, n° 22-22.893). Elle a encore neutralisé toute sanction en l’absence de renvoi à l’annexe lors de la régularisation d’une déclaration d’appel (Civ. 2e, 7 mars 2024, n° 22-23.522, n° 22-20.035, n° 22-19.473 et n° 22-19.157, Dalloz actualité, 21 mars 2024, obs. C. Bléry). Moins récemment, la deuxième chambre civile a aussi neutralisé toute sanction s’agissant de la notification de la déclaration d’appel à l’avocat de l’intimé constitué « entretemps », i.e. entre l’expiration du délai pour constituer avocat à compter de l’avis adressé par le greffe et la signification de la déclaration d’appel (Civ. 2e, avis, 12 juill. 2018, n° 18-70.008, Dalloz actualité, 12 sept. 2018, obs. R. Laffly ; 14 nov. 2019, n° 18-22.167, Dalloz actualité, 4 déc. 2019, obs. R. Laffly ; 2 juill. 2020, n° 19-16.336, Dalloz actualité, 11 sept. 2020, obs. R. Laffly ; 22 oct. 2020, n° 18-25.769, Dalloz actualité, 18 nov. 2020, obs. R. Laffly). Bref, la figure de la charge processuelle sans sanction se propage en jurisprudence.

C’est aussi le cas en législation. Par exemple, il n’a pas échappé aux commentateurs de la réforme de la procédure d’appel du 29 décembre 2023 qu’en circuit court, l’appelant doit désormais non seulement notifier la déclaration d’appel mais aussi l’avis de fixation (C. pr. civ., art. 906-1, al. 3, version à venir en vigueur au 1er sept. 2024). Mais il n’a pas davantage échappé aux commentateurs qu’aucune sanction n’est prévue. Consacrant la jurisprudence de la Cour de cassation (not., Civ. 2e, 29 sept. 2022, n° 21-23.456, Dalloz actualité, 19 oct. 2022, obs. C. Lhermitte ; D. 2022. 1756 ; AJ fam. 2022. 550, obs. F. Eudier ), le pouvoir réglementaire a encore maintenu l’exigence d’indication des chefs de jugement critiqués dans l’acte d’appel en procédure sans représentation obligatoire… tout en précisant qu’en cas d’omission, l’appel est total (C. pr. civ., art. 933, 6°, version à venir en vigueur au 1er sept. 2024). La mention de l’objet de l’appel dans l’acte d’appel en procédure sans représentation obligatoire ne paraît pas davantage sanctionné (C. pr. civ., art. 933, 5°, version à venir en vigueur au 1er sept. 2024), cependant que la doctrine s’échine à trouver celle qui assortira possiblement la même exigence au cas de la procédure avec représentation obligatoire, outre la nullité pour vice de forme.

Tout cela pour dire que la figure de la charge processuelle sans sanction paraît désormais bien installée et de plus en plus en droit judiciaire privé français. C’est d’abord et avant tout le signe d’un changement de cap jurisprudentiel : fut un temps où la Cour de cassation s’employait, voire s’amusait, à combler les lacunes textuelles par la découverte de diverses sanctions ; aujourd’hui, elle s’en tient régulièrement au constat qu’aucune sanction n’est prévue, faisant reculer la théorie des sanctions virtuelles (au sens de virtuellement comprises dans les textes). C’est désormais la théorie des sanctions textuelles qui paraît dominer : pas de sanction sans texte.

Au premier abord, la perspective est déroutante en termes d’effectivité : quel est l’intérêt d’une charge processuelle sans sanction ? Rationnellement, il est à craindre que les gens de justice, aux premiers rangs desquels les avocats, s’épargnent ces charges processuelles (v. déjà, M. Barba, Appel non motivé : l’introuvable sanction, Dalloz actualité, 28 mai 2024). Quel avocat ira, demain, fournir au premier président les conclusions au fond au cas de l’appel d’un jugement d’orientation si leur défaut n’est pas sanctionné ? Éradiquer la sanction revient indirectement à éliminer la charge processuelle.

Cela étant dit, cette nouvelle donne jurisprudentielle n’est pas dénuée d’intérêt, bien au contraire. Elle présente l’avantage considérable de mettre le pouvoir réglementaire face à ses responsabilités : s’il veut qu’une charge processuelle soit sanctionnée, qu’il l’indique ; à défaut, la Cour de cassation n’en découvrira pas. Et si elle a déjà découvert une sanction au gré de sa jurisprudence, à l’instar de l’irrecevabilité de l’appel du jugement d’orientation faute de conclusions au fond adressées au premier président au moment de la requête, elle se permettra désormais de la défaire. En outre, quoi qu’en disent les textes, la Cour de cassation contrôlera à présent la proportionnalité des sanctions procédurales au regard de l’intérêt des charges processuelles.

C’est, croyons-nous, le message fort et ferme adressé par la Cour de cassation au pouvoir réglementaire. Il est digne d’une pleine approbation non seulement sous le petit angle de la procédure civile mais aussi sous le grand angle de la sécurité juridique.

 

Civ. 2e, 23 mai 2024, FS-B, n° 22-12.517

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