Bientôt une information spécifique des consommateurs en matière de shrinkflation
Un arrêté du 16 avril 2024, annoncé depuis plusieurs semaines déjà, va rendre obligatoire, à compter du 1er juillet 2024, pour les entreprises du secteur de la distribution une information spécifique en faveur des consommateurs en matière de shrinkflation, qui désigne l’évolution à la hausse des prix des produits ayant subi une baisse de quantité. C’est dire que si la pratique de la shrinkflation est licite, encore faut-il qu’elle soit parfaitement transparente.
La shrinkflation, une pratique sournoise mais licite. En ces temps d’inflation et de baisse de pouvoir d’achat, difficile tant pour les industriels que pour les détaillants d’augmenter leur prix. En même temps, les coûts de revient des produits et services sont nettement orientés à la hausse depuis plusieurs mois, compte tenu de l’augmentation du coût, pêle-mêle, des matières premières, de l’énergie, des salaires, ou encore du transport. Or, les répercuter sur le prix de vente est souvent une nécessité pour les entreprises si elles veulent conserver leurs marges. Mais plutôt que d’agir à visage découvert, certaines ont eu l’idée, de manière plus sournoise, de ne pas augmenter leurs prix (ou de le faire de manière raisonnable), tout en diminuant la quantité des produits. Ainsi, le paquet de croquettes pour chat de 3 kilos, facturé à 6 € TTC il y a encore quelques mois est désormais vendu à 7 €, pour une quantité portée à 2,5 kilos. Nul n’est besoin d’être un as en mathématiques pour se rendre compte que le prix au kilo a, du fait de ce tour de passe-passe, significativement augmenté pour passer de 2 € à 2,8 €, soit une augmentation de 40 %. Ce n’est pas rien, même pour les amoureux des chats ! Il va sans dire que l’augmentation du prix rapporté à la quantité peut alors être difficilement perceptible par le consommateur au moment de son achat.
Cette pratique est connue sous son terme anglais de shrinkflation (contraction de l’anglais shrink, c’est-à-dire rétrécir, et d’inflation), ou, si l’on préfère, de « réduflation ». Elle n’est pas en soi illicite, même si d’aucuns serait tenté de l’analyser en une pratique commerciale trompeuse. Bruno Le Maire, de son côté, n’hésite pas à la qualifier d’« arnaque » (communiqué de presse, n° 1783, 19 avr. 2024) ! Rien de moins. Mais plutôt que de l’interdire purement et simplement – ce qui serait de toute façon impossible, et même illicite, car elle est le corollaire de la liberté des prix, qui est la règle (C. com., art. L. 410-2, al. 1er) – le gouvernement a préféré jouer la carte de la pédagogie et de favoriser la transparence. Par un arrêté en date du 16 avril 2024, qui entrera en vigueur le 1er juillet prochain, il a simplement décidé de rendre obligatoire l’information des consommateurs relative à l’évolution à la hausse des prix des produits ayant subi une baisse de quantité.
Produits de grande consommation. Concrètement, les produits de grande consommation au sens de l’article L. 441-4 du code de commerce qui ont subi une modification de poids ou de volume à la baisse entraînant une hausse de prix à l’unité de mesure devront faire l’objet d’une mesure spécifique d’information des consommateurs portant sur ces évolutions. Ce texte définit les produits de grande consommation comme les « produits non durables à forte fréquence et récurrence de consommation », la liste de ces produits étant fixée par décret (C. com., art. D. 441-1). De nombreux produits figurent ainsi dans cette liste : outre les produits alimentaires (paquets de riz, boîtes de conserve, etc.) ou encore les boissons (alcoolisées ou non), les piles électriques, les pansements, ou encore le papier hygiénique figurent dans l’énumération. Dans le silence de la loi, sont visés tant les produits vendus sous la marque du fabriquant (Nestlé, par ex.), dite marque « nationale », que ceux des marques de distributeurs (MDD). Comme le précise le communiqué de presse du gouvernement (préc.), ne sont en revanche pas concernées par ces dispositions les denrées alimentaires préemballées dont la quantité peut varier à la préparation (rayon traiteur, par ex.) et les denrées alimentaires vendues en vrac.
Moyenne et grande distribution. L’information prévue par l’arrêté du 16 avril 2024 devra être apportée par les distributeurs dans les grandes et moyennes surfaces, concrètement les magasins dont la surface de vente est supérieure à 400 m². C’est dire que les supérettes (magasins de 120 à moins de 400 m², selon les critères de l’INSEE) et les commerces d’alimentation générale de moins de 120 m² à dominante alimentaire sont exclus de ce dispositif. De même, vraisemblablement, que les drives ou encore les sites de e-commerce. En sont également exclus les industriels, c’est-à-dire les marques. Cela peut d’ailleurs même conduire à mettre les détaillants dans le plus grand embarras si les marques auprès desquelles ils s’approvisionnent ne les informent pas qu’elles pratiquent elles-mêmes la shrinkflation. Pourquoi cette exclusion des industriels ? Parce que, pour la ministre chargée du commerce, Olivia Grégoire, pour obliger les industriels à noter une information sur l’emballage d’un produit, cela devra se faire au niveau européen et non au niveau national. Cela, à l’occasion de la prochaine révision (prévue en 2025) des règles de l’information du consommateur sur les denrées alimentaires en Europe (Règl. [UE] n° 1169/2011 du 25 oct. 2011 concernant l’information des consommateurs sur les denrées alimentaires, dit « règlement INCO »).
Une information pendant deux mois. Concrètement, les distributeurs visés par l’arrêté devront indiquer, en sus des informations légales sur les prix en vigueur, « directement sur l’emballage ou sur une étiquette attachée ou placée à proximité de ce produit » (Olivia Grégoire fait, quant à elle, référence à une « affichette »), de façon visible, lisible et dans une même taille de caractères que celle utilisée pour l’indication du prix unitaire du produit, la mention suivante, à l’exclusion de toute autre : « Pour ce produit, la quantité vendue est passée de X à Y et son prix au [préciser l’unité de mesure concernée] a augmenté de … % ou … € » Les deux valeurs X et Y sont exprimées, selon le cas, en poids ou en volume. L’unité de mesure est indiquée conformément au deuxième alinéa de l’article 1er de l’arrêté du 16 novembre 1999 relatif à la publicité, à l’égard du consommateur, des prix de vente à l’unité de mesure de certains produits préemballés (JO 24 nov., texte n° 4). Selon ce texte, le prix de vente doit être exprimé, selon les cas, en kilogramme, hectogramme, litre, décilitre, mètre, mètre carré ou mètre cube. L’obligation d’information prévue par l’arrêté est limitée dans le temps : elle s’appliquera pendant un délai de deux mois à compter de la date de la mise en vente du produit dans sa quantité réduite.
Sanctions. Curieusement, de prime abord, l’arrêté du 16 avril 2024 ne prévoit aucune sanction en cas d’inobservation de celui-ci. Mais cela ne veut en aucun cas dire que le manquement à l’obligation d’information qu’il édicte ne donne lieu à aucune sanction. Bien au contraire. En réalité, cet arrêté est pris en application de l’article L. 112-1 du code de la consommation qui prévoit que tout vendeur de produit ou tout prestataire de services est tenu d’informer le consommateur, par voie de marquage, d’étiquetage, d’affichage ou par tout autre procédé approprié, sur les prix et les conditions particulières de la vente et de l’exécution des services, selon des modalités fixées par arrêtés du ministre chargé de l’économie, après consultation du Conseil national de la consommation (v. sur la liste des arrêtés pris en application de cet article, qui se chiffrent à plusieurs dizaines, C. consom., Dalloz, ss. art. L. 112-1).
Les manquements aux dispositions de cet article, ainsi que des arrêtés pris pour son application, sont passibles d’une amende administrative dont le montant pourra atteindre 3 000 € pour une personne physique et 15 000 € pour une personne morale (C. consom., art. L. 131-5). En outre, les agents de la DGCCRF pourront utiliser, pour faire cesser ces manquements, les pouvoirs de police administrative (pouvoir d’injonction) qui leur sont octroyés par l’article L. 521-1 du code de la consommation. En outre, ces décisions pourront faire l’objet d’une mesure de publicité aux frais du professionnel sanctionné, en application de l’article L. 521-2 de ce même code et selon le principe du name and shame. De leur côté, les consommateurs ayant des doutes quant au prix à l’unité de mesure affiché en rayon sont invités par le gouvernement à le signaler via l’application ou le site internet SignalConso (communiqué de presse, préc.).
© Lefebvre Dalloz