Blocage de la revendication par le paiement immédiat du créancier réservataire de propriété : office du juge-commissaire

L’article L. 624-16, alinéa 4, du code de commerce n’a ni pour objet ni pour effet de dispenser le propriétaire de biens vendus avec une clause de réserve de propriété de faire reconnaître son droit dans les conditions prévues aux articles L. 624-9 et L. 624-17 de ce code mais permet à l’administrateur judiciaire de ne pas restituer ces biens en payant immédiatement leur prix sur autorisation du juge-commissaire.

Ainsi, dès lors que l’administrateur judiciaire indique, dans la requête saisissant le juge-commissaire, que la clause de réserve de propriété est valable et opposable à la procédure collective, le juge-commissaire n’a pas à se prononcer sur l’opposabilité de la clause mais doit uniquement rechercher si le paiement du créancier réservataire de propriété se justifie par la poursuite de l’activité.

Alors que la procédure collective produit des effets délétères pour de nombreux créanciers, ceux qui conservent la propriété d’un bien remis à titre précaire au débiteur tirent incontestablement leur épingle du jeu. Eu égard à leur qualité de propriétaire, ils peuvent empêcher que leurs biens soient attraits à la procédure collective ouverte. Il en va ainsi du créancier réservataire de propriété autorisé à distraire de la procédure les marchandises livrées au débiteur, sous réserve que la clause de réserve de propriété dont il prétend être le bénéficiaire soit valable et opposable à la procédure. En l’absence de publicité du contrat de vente et conformément aux dispositions de l’article L. 624-16, alinéa 2, du code de commerce, l’action en revendication est l’unique voie que doit emprunter le créancier réservataire afin de faire valoir son droit de propriété et sortir ainsi le bien du périmètre de la procédure. Elle prend toujours la forme, dans un premier temps, d’une demande en acquiescement de revendication adressée, par lettre recommandée avec accusé de réception, dans le délai légal de trois mois à compter de la publication du jugement d’ouverture au Bodacc (C. com., art. L. 624-9) à l’administrateur judiciaire ou, à défaut, au débiteur, avec copie au mandataire judiciaire (C. com., art. R. 624-13, al. 1). En cas de liquidation judiciaire, c’est au liquidateur que doit être adressée la demande (C. com., art. L. 641-14-1). Cette phase amiable présente un caractère obligatoire pour le créancier propriétaire, lequel ne saurait directement saisir le juge-commissaire de sa demande (Com. 2 oct. 2001, n° 98-22.304, Babian c/ Walczak, D. 2001. 3043 , obs. A. Lienhard ; RTD com. 2002. 159, obs. A. Martin-Serf ; APC 2001, n° 250, obs. F. Pérochon ; JCP E 2002. Chron. 175, n° 13, obs. M. Cabrillac et P. Pétel). L’acquiescement à la demande en revendication emporte alors la reconnaissance du droit de propriété du créancier réservataire de propriété et conduit en principe à la restitution du bien revendiqué.

Toutefois, le droit de reprise du bien conféré à ce créancier ne doit pas venir menacer la finalité de sauvetage de l’entreprise. Ainsi, lorsque le bien détenu par le débiteur apparaît nécessaire à la poursuite de l’activité, le législateur prévoit une règle alternative de nature à satisfaire tous les intérêts en présence et qui s’adapte aux spécificités de la revendication fondée sur une réserve de propriété « où la propriété n’est que la garantie d’une créance de prix » (F. Pérochon et alii, Entreprises en difficulté, 12e éd., LGDJ, n° 3036). Ainsi, l’article L. 642-14, alinéa 4, du code de commerce autorise le juge-commissaire à ordonner le paiement immédiat du créancier réservataire de propriété. Ce faisant, la restitution du bien qui découle en principe de l’acquiescement à la demande en revendication se trouve évincée par le règlement immédiat du prix. La règle obéit à la même logique que celle du retrait contre paiement autorisé par le juge-commissaire lorsque le bien retenu par un créancier est utile à l’activité professionnelle du débiteur.

L’autorisation de paiement immédiat du créancier réservataire entraîne ainsi, pour reprendre les mots d’éminents auteurs, le « blocage de la revendication » (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 13e éd., Dalloz Action, 2025-2026, n° 816.72 ; J.-Cl. Procédures collectives, Sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires – Revendication et restitution de biens meubles, par J. Vallansan, § 67). Cela se déduit des termes de l’article L. 624-16, alinéa 4, du code de commerce qui prévoit que « dans tous les cas, il n’y a pas lieu à revendication si, sur décision du juge-commissaire, le prix est payé immédiatement […] ». La formulation du texte peut néanmoins semer le trouble dans l’esprit des mandataires de justice parfois peu enclins à procéder au paiement des créanciers, même si celui-ci est autorisé par le juge-commissaire. Le présent arrêt illustre le contentieux qui peut naître à la lecture du texte.

« Il n’y a pas lieu à revendication » en cas de paiement immédiat autorisé par le juge-commissaire : quel sens faut-il donner à la règle énoncée à l’article L. 624-16, alinéa 4, du code de commerce ?

En l’espèce, une société spécialisée dans la fabrication de pâte à papier est placée en procédure de redressement judiciaire. Saisis par des fournisseurs de demandes en revendication de bois qu’ils prétendaient avoir vendus sous réserve de propriété, les administrateurs judiciaires ont acquiescé à ces demandes, puis ont demandé au juge-commissaire, conjointement avec ces fournisseurs, l’autorisation de payer immédiatement le prix de ces bois sur le fondement de l’article L. 624-16, alinéa 4, du code de commerce. À la suite de la conversion de la procédure en liquidation judiciaire, les liquidateurs sont intervenus volontairement à l’instance d’appel formée par les mandataires judiciaires contre le jugement ayant autorisé le paiement immédiat des fournisseurs. La cour d’appel a confirmé la décision du juge-commissaire. Un pourvoi en cassation est alors formé par les liquidateurs qui ont soutenu que le juge-commissaire aurait dû, avant de statuer sur l’opportunité d’autoriser le paiement des fournisseurs, vérifier l’opposabilité de la clause de réserve de propriété à la procédure. À suivre l’analyse des liquidateurs, dès lors que le juge-commissaire est saisi d’une demande en paiement du créancier réservataire de propriété, la phase amiable de la procédure de revendication, qui s’étend de la demande en acquiescement de revendication jusqu’à l’acquiescement lui-même, devrait être écartée. La reconnaissance du droit de propriété du fournisseur serait alors exclusivement subordonnée à la décision du juge-commissaire, lequel serait le seul habilité à rendre la clause de réserve de propriété opposable à la procédure collective. C’est cette interprétation de l’article L. 624-16, alinéa 4, du code de commerce que les liquidateurs ont défendue dans la présente affaire.

Sans surprise, le pourvoi est rejeté par la Haute juridiction qui refuse d’étendre l’office du juge-commissaire, au-delà de la décision sur l’opportunité du paiement immédiat du créancier réservataire. Elle juge ainsi que l’article L. 624-16, alinéa 4, du code de commerce n’a ni pour objet ni pour effet de dispenser le propriétaire de biens vendus avec une clause de réserve de propriété de faire reconnaître son droit dans les conditions prévues aux articles L. 624-9 et L. 624-17 de ce code. Il permet uniquement à l’administrateur judiciaire de ne pas restituer les biens en payant immédiatement leur prix sur autorisation du juge-commissaire. En l’espèce, dans leurs requêtes saisissant le juge-commissaire, les administrateurs judiciaires avaient indiqué qu’ils considéraient que les clauses de réserve de propriété étaient valables et opposables à la procédure collective. La Cour en a déduit fort logiquement que le juge-commissaire n’avait pas à se prononcer sur l’opposabilité de ces clauses mais devait uniquement rechercher si le paiement des fournisseurs était nécessaire pour la poursuite de l’activité.

« Il n’y a pas lieu à restitution » en cas de paiement immédiat autorisé par le juge-commissaire : le seul sens à donner à l’article L. 624-16, alinéa 4, du code de commerce

La décision de la Cour de cassation est cohérente au regard des règles qui gouvernent la procédure de revendication. Tout d’abord, la formulation de l’article L. 624-16, alinéa 4, du code de commerce ne doit pas prêter à confusion. Le paiement du prix autorisé par le juge-commissaire ne revient pas à annihiler la procédure de revendication à laquelle le créancier réservataire de propriété est tenu de se conformer s’il veut faire valoir son droit de propriété dans la procédure collective. Seul l’effet normal de l’acquiescement, à savoir la restitution du bien à son propriétaire, est évincé dès lors que ce bien présente une utilité pour la poursuite de l’activité. Ainsi, le texte gagnerait en lisibilité s’il précisait qu’il n’y a pas lieu à restitution – et non à revendication – lorsque le juge-commissaire se prononce en faveur du paiement immédiat du prix.

Ensuite, conformément aux dispositions de l’article L. 624-17 du code de commerce, le juge-commissaire n’est amené à statuer sur l’opposabilité du droit de propriété du créancier revendiquant que si la phase préliminaire de la procédure de revendication a échoué. En effet, ce n’est qu’à défaut d’accord ou en cas de contestation que la procédure de revendication prend un tournant judiciaire. Le revendiquant doit alors saisir le juge-commissaire en cas de refus d’acquiescer ou à défaut de réponse dans le délai d’un mois. Aussi, le juge-commissaire peut être saisi par le débiteur ou le mandataire judiciaire en cas d’acquiescement ou d’acquiescement partiel. Nous n’étions dans aucun de ces cas de figure en l’espèce. Les administrateurs judiciaires avaient acquiescé à la demande en revendication, sans que le débiteur ou le mandataire judiciaire ait saisi le juge-commissaire en contestation de cet acquiescement.

Enfin, l’ordonnance du juge-commissaire autorisant le paiement immédiat du créancier réservataire est rendue sur requête du destinataire de la demande en acquiescement de revendication, donc sur requête de l’administrateur judiciaire ou, à défaut, du débiteur. Il paraît alors difficile de comprendre comment l’administrateur judiciaire ou le débiteur pourrait saisir le juge-commissaire d’une demande en paiement du créancier réservataire sans avoir reconnu préalablement son droit de propriété dans la procédure collective. Les arguments des liquidateurs n’avaient par conséquent aucune chance de prospérer au regard des règles bien précises qui encadrent la procédure de revendication.

 

Com. 11 déc. 2024, F-B, n° 23-13.554

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