Brevet européen à effet unitaire : « des débuts très prometteurs », selon l’OEB
L’Office européen des brevets enregistre les premiers brevets européens à effet unitaire depuis le 1er juin 2023, date de l’entrée en vigueur du « paquet brevet ». Retour sur les premiers pas de cette réforme, qui a mis des décennies à voir le jour.
C’est la réforme la plus importante de l’histoire du système du brevet européen depuis la signature, en octobre 1973, de la Convention sur la délivrance de brevets européens et la création de l’Office européen des brevets (OEB). Le « paquet brevet » entré en vigueur le 1er juin 2023 institue une Juridiction unifiée du brevet (JUB) et un brevet européen à effet unitaire. Ce dernier permet d’obtenir une protection des inventions uniforme dans les États membres de l’UE participants – soit dix-spet pays à ce jour – au moyen du dépôt d’une seule demande auprès de l’OEB.
Environ 100 demandes de brevets unitaires par jour
Pour suivre l’évolution du nombre de demandes de brevets à effet unitaire, l’OEB publie sur son site un tableau de bord qui fournit des statistiques très régulièrement mises à jour. On peut y constater que la courbe des demandes est montée en flèche entre début juin et fin juillet 2023. Pour favoriser le recours au nouveau système à un stade précoce, l’OEB a introduit des mesures transitoires entre le 1er janvier et le 1er juin 2023. Au cours de cette période, l’Office a reçu environ 1 000 dépôts anticipés pour des brevets unitaires et environ 4 500 demandes visant à retarder la publication de la mention de délivrance après le 1er juin. Après le 1er juin, « il y a eu un très fort taux de conversion de ces 5 000 demandes anticipées » et, début août, « nous avons atteint un total de 6 000 demandes de brevets unitaires et un rythme de croisière d’environ 100 demandes de brevets unitaires par jour », se félicite Gilles Requena, directeur de la recherche et de la politique en matière de brevet de l’OEB, qui a suivi toutes les étapes de ce projet depuis une vingtaine d’années. « Ces débuts sont très prometteurs », ajoute-t-il. Fin août, le compteur des demandes de brevets unitaires de l’OEB avoisinait 7 800.
Un bon démarrage en dépit d’un contexte difficile
Un démarrage d’autant plus encourageant que le contexte actuel n’est pas des plus favorables. « Les entreprises évoluent dans un contexte économique et géopolitique assez difficile », et « si le dépôt d’un brevet européen assure la protection d’années d’investissement en R&D, sa couverture géographique a eu tendance à se réduire ces dernières années », poursuit le représentant de l’OEB. Quant aux professions juridiques, « elles ont généralement une approche assez prudente à l’égard d’un nouveau système ». Or, au final, « il n’y a pas de réticences à l’égard de cette nouvelle forme de protection, ce n’est pas ce que l’on observe pour ces premiers mois. Mais il faudra attendre la fin de l’année pour pouvoir dégager des tendances. »
Petites et grandes entités sont au rendez-vous
Autre sujet de satisfaction : alors qu’un des objectifs du brevet unitaire était de rendre la protection des inventions plus accessible aux petites entités, « on peut observer une surreprésentation des PME et des universités », souligne-t-il. « Cette catégorie représente autour de 50 % des déposants de brevets unitaires contre moins de 30 % habituellement pour les brevets européens classiques. Bien sûr, c’est une proportion qui peut évoluer très vite – il suffit pour cela que plusieurs grands groupes décident d’y recourir –, mais on peut dire que les petites entités sont au rendez-vous au démarrage du brevet unitaire. » De même que les grands groupes, dont certains des plus gros déposants. Début août, le plus gros déposant de brevets unitaires était le groupe suédois Volvo AB, suivi de l’Allemand Siemens et de Vestas, entreprise danoise spécialisée dans les énergies renouvelables. Et du côté des plus gros déposants de brevets unitaires originaires de France, l’Oréal arrivait en tête, suivi par Thales et le groupe Seb.
Les Européens déjà bien présents dans le nouveau système
En 2022, près de 53 % des demandes de brevets européens ont été déposées par des non Européens, dont un quart était des entreprises américaines. Depuis le 1er juin 2023, « on observe pour l’instant une surreprésentation des Européens dans les demandes de brevet unitaire – près de 70 % du total –, avec une forte présence des entreprises allemandes et scandinaves, mais aussi françaises, suisses ou anglaises », relève-t-il.
Mais l’origine des demandes de brevet unitaire reste néanmoins très diversifiée et « il est probable que les entreprises non européennes montent en puissance dans un deuxième temps : nous avons beaucoup communiqué à l’international à propos du nouveau système mais il faut toujours un peu plus de temps pour que l’information circule ». En ce qui concerne les secteurs d’activité, l’industrie mécanique, le secteur des matériaux et celui de la santé forment le trio de tête, pratiquement à parts égales (chacun autour de 20 % du total).
Trop tôt pour mesurer l’impact sur l’attractivité du système européen
En 2022, l’OEB a reçu un nombre record de demandes de brevets (193 460), en hausse de 2,5 % par rapport à l’année précédente, après une hausse de 4,7 % en 2021 et une très légère baisse en 2020 (- 0,6 %). Au premier semestre 2023, la demande de brevets a de nouveau enregistré « une bonne progression », sur « la même tendance que celle observée en 2022 », précise-t-il. Et il est, selon lui, encore trop tôt pour pouvoir mesurer l’impact du brevet unitaire sur le niveau de demande globale. « Cela se fera dans la durée. Il va falloir attendre deux ou trois ans pour tirer des conclusions, pour savoir si le système est globalement plus attractif, en particulier pour les petites entités, grâce au brevet à effet unitaire. » De son côté, l’OEB est prêt à faire face à une éventuelle hausse des demandes. Lors de la bascule, le 1er juin, « tout a parfaitement fonctionné, en particulier sur le plan IT et la gestion des procédures ». Et le brusque afflux n’a pas eu d’impact sur les délais d’instruction des demandes.
Entre effet d’entrainement et temporisation
Plusieurs facteurs vont influer sur la demande. À commencer par « l’effet d’entrainement » : « les entreprises observent les stratégies de protection dans leur secteur, et si votre principal compétiteur utilise le brevet unitaire dans son arsenal juridique, il devient difficile de rester complètement hors du système, en tout cas pour une partie du portefeuille de brevets », estime-t-il. Dans le même temps, « certains vont attendre les premières décisions de la Juridiction unifiée du brevet », seule juridiction compétente pour les litiges concernant les brevets unitaires, « de sorte qu’une nouvelle vague de croissance du système peut être attendue d’ici un an ou deux ».
Les effets économiques attendus de la valorisation des actifs immatériels
« On parle beaucoup de l’innovation juridique que constitue la JUB, mais l’aspect économique de la protection simplifiée offerte par le brevet unitaire est fondamental », rappelle Gilles Requena. « Il y a aujourd’hui environ 900 000 brevets européens en vigueur, qui désignent chacun 3,7 pays membres de l’OEB en moyenne, et le taux de litige est extrêmement faible. Le volet judiciaire ne constitue d’ailleurs qu’un aspect du contentieux des brevets, lequel se règle aussi de façon contractuelle. » Avec ce nouveau brevet européen à effet unitaire, « les effets économiques de la valorisation des actifs immatériels seront perceptibles dans les années à venir ». Cette protection simplifiée des inventions sur un large territoire va offrir de nouvelles perspectives, « y compris pour lever des fonds auprès des institutions financières », et « c’est ce dont nous avons besoin en Europe pour nos start-up, en manque de capitaux ». Un nouvel élan pour l’OEB aussi, qui fête cette année ses cinquante ans.
© Lefebvre Dalloz