Bruxelles I bis : incompatibilité d’une réglementation nationale introduisant un critère de nationalité dans la détermination du domicile

La règle générale attribuant compétence aux juridictions du domicile du défendeur s’oppose à la réglementation d’un État au terme de laquelle ses ressortissants sont obligés de disposer d’une adresse permanente dans cet État, indépendamment du lieu où ils résident effectivement.

En dépit de la règle générale de compétence que pose le règlement (UE) n° 1215/2012 dit « Bruxelles I bis », attribuant compétence au juge du domicile du défendeur, il n’est pas exclu que certaines dispositions nationales viennent en paralyser l’esprit, notamment en introduisant certains critères qui tiennent à la nationalité du défendeur lorsqu’il s’agit de déterminer son domicile. Telle était la difficulté qu’a eu à connaître, dans son arrêt du 16 mai 2024, la Cour de justice de l’Union européenne au sujet de la réglementation bulgare applicable en matière d’injonction de payer.

En l’espèce, une société avait saisi une juridiction bulgare d’une demande d’injonction de payer à l’encontre d’un ressortissant bulgare pour le paiement d’une facture énergétique. Or, préalablement à la délivrance de cette injonction, le débiteur bulgare avait déclaré son adresse dans un autre État membre.

Néanmoins, conformément au droit bulgare et à l’interprétation qui en était faite par la Cour suprême nationale, les ressortissants bulgares sont obligés de disposer d’une adresse permanente en Bulgarie, indépendamment du lieu où ces ressortissants résident effectivement, et ce d’autant que les ressortissants bulgares résidant à l’étranger et qui ne peuvent justifier d’une adresse permanente en Bulgarie sont inscrits d’office au registre de la population de la ville de Sofia. C’est dire, en d’autres termes, qu’il n’y aurait aucun moyen pour les ressortissants bulgares vivant à l’étranger de disposer d’un domicile en dehors de la Bulgarie. Par où l’on voit poindre l’enjeu du litige et les questions préjudicielles posées en l’espèce par le juge bulgare à la Cour de justice, lesquelles ont pour fond commun la compatibilité de la règle bulgare avec le règlement Bruxelles I bis.

Dans cette perspective, c’est d’abord à l’aune de l’article 62 dudit règlement que la règle bulgare devait être contrôlée.

On sait que cet article renvoie au droit national des États membres pour la détermination du domicile, de telle manière qu’il appartient au droit du for de dire si le défendeur est domicilié dans cet État ; et s’il est soutenu que le défendeur se trouve domicilié dans un autre État membre, il reviendra au for de consulter le droit de cet État.

Pour autant, même si la détermination du domicile relève des droits nationaux, ils ne peuvent édicter des règles de nature à remettre en cause le système de compétence posé par le législateur européen, lequel a précisément fait le choix de fonder les règles uniformes de compétence sur le critère du domicile et non sur celui de la nationalité du défendeur.

Or, en l’espèce, les juges luxembourgeois relèvent que la règlementation bulgare a pour objet d’opérer une distinction fondée sur la nationalité puisque, précisément, les ressortissants bulgares sont « obligés de disposer d’une adresse permanente en Bulgarie, indépendamment du lieu où ces ressortissants résident effectivement. » (pts 57 et 58).

Dans ces conditions, le droit bulgare « ne permet pas à ces ressortissants d’enregistrer une adresse complète dans un autre État membre même s’ils y résident de manière permanente et sont ainsi susceptibles d’être considérés comme étant domiciliés sur le territoire de ce dernier État membre en vertu de la législation dudit dernier État membre applicable conformément à l’article 62 » du règlement (pt 59).

Partant, l’article 62 du règlement Bruxelles I bis s’oppose à une telle réglementation nationale en vertu de laquelle les ressortissants d’un État membre qui résident dans un autre État membre sont réputés être domiciliés à une adresse qui demeure toujours enregistrées dans le premier État membre (pt 62).

Dans ces circonstances, la réponse apportée à la question qui suit ne surprend pas davantage.

Ainsi, la réglementation bulgare n’est pas plus compatible avec les articles 4, § 1, et 5, § 1, du règlement Bruxelles I bis, qu’elle ne l’était avec l’article 62. Plus concrètement, les juridictions bulgares ne pouvaient connaître de la délivrance d’une injonction de payer à l’encontre d’un débiteur à l’égard duquel il y avait des raisons plausibles de croire qu’il était domicilié dans un autre État membre, sauf à constater, ainsi que le relève la Cour de justice, qu’une règle de compétence spéciale permettait à ces juridictions de connaître de l’affaire, ce qui n’était manifestement pas le cas.

À nouveau, la solution n’étonne guère en ce qu’elle contribue à la protection de la règle générale de compétence posée par le règlement Bruxelles I bis, précisément celle du domicile du défendeur, quelle que soit sa nationalité.

 

CJUE 16 mai 2024, aff. C-222/23

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