Caducité dans les ensembles contractuels interdépendants : l’incompatibilité de la clause de divisibilité confirmée dans le droit nouveau

Dans un arrêt destiné à une publication maximale en date du 10 janvier 2024, la chambre commerciale de la Cour de cassation vient confirmer sa jurisprudence sur les locations financières et les clauses de divisibilité à l’aune du nouvel article 1186 du code civil.

La Cour de cassation commence, depuis environ deux ans, à être saisie de plus en plus de pourvois dans des affaires appliquant les textes issus de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et de sa loi de ratification n° 2018-287 du 20 avril 2018 réformant le droit des obligations. Le constat est important car les nouvelles dispositions ont parfois tendance à faire peser des doutes importants sur leur articulation avec le droit spécial (v. par ex., pour l’art. 1171 c. civ., Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782 F-B, Dalloz actualité, 1er févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 539 , note S. Tisseyre  ; ibid. 725, obs. N. Ferrier  ; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno  ; ibid. 2255, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra (EA n° 4216)  ; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa et M. Mekki  ; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier ) ou sur leur périmètre d’action (v. par ex., Com. 18 oct. 2023, n° 20-21.579 FP-B+R, Dalloz actualité, 24 oct. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 2169 , note S. Tisseyre , sur la mise en demeure en matière de résiliation ; sur l’art. 1165 c. civ., Com. 20 sept. 2023, n° 21-25.386 FS-B, Dalloz actualité, 27 sept. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 1783 , note T. Gérard ). C’est dans ce contexte que l’arrêt du 10 janvier 2024 a été rendu. Il concerne une question délicate, à savoir le sort des clauses de divisibilité dans des contrats de location financière. Comme le relèvent des auteurs, l’état de la jurisprudence à ce titre est au moins complexe, sinon incertain en matière de caducité des ensembles contractuels (G. Chantepie et M. Latina, Le nouveau droit des obligations – Commentaire théorique et pratique dans l’ordre du code civil, Dalloz, 2e éd., 2018, p. 442 et 443, n° 496). Un arrêt de chambre mixte rendu en 2013 (Cass., ch. mixte, 17 mai 2013, n° 11-22.927, Dalloz actualité, 22 mai 2013, obs. X. Delpech ; D. 2013. 1658, note D. Mazeaud  ; ibid. 2487, obs. J. Larrieu, C. Le Stanc et P. Tréfigny  ; ibid. 2014. 630, obs. S. Amrani-Mekki et M. Mekki  ; RTD civ. 2013. 597, obs. H. Barbier  ; RTD com. 2013. 569, obs. D. Legeais  ; v. critique sur la justification de la solution, F. Rouvière, Argumentation juridique, PUF, coll. « Themis droit », 2023, p. 314, n° 318) avait pu énoncer sur le fondement de l’ancien article 1134 du code civil : « Attendu que les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière, sont interdépendants ; que sont réputées non écrites les clauses des contrats inconciliables avec cette interdépendance ».  L’enjeu dépasse, par ailleurs, les seules locations financières car toutes les situations présentant une interdépendance peuvent poser difficulté à ce titre (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, Dalloz, coll. « Précis », p. 686, n° 594). Mais cette jurisprudence devait-elle résister au droit nouveau et à l’article 1186 du code civil tel que résultant de l’ordonnance de 2016 ?

L’arrêt étudié répond très clairement à cette question par la positive.

Reprenons rapidement les faits pour en comprendre la portée. Une société conclut, le 27 octobre 2016, avec une association un contrat de location d’une durée de plusieurs années (21 trimestres pour être exact). La location porte sur des copieurs qui ont été acquis auprès d’une société tierce laquelle s’occupe de leur maintenance par un second contrat conclu le même jour avec ladite association. Toutefois la société de maintenance est placée en redressement puis en liquidation judiciaires le 12 septembre 2018. Le 11 octobre suivant, l’association notifie au liquidateur judiciaire la résiliation du contrat et déclare à la procédure collective une créance de 67 956,72 €. Elle avance que la résiliation repose sur plusieurs dysfonctionnements constatés dans l’exécution du contrat. L’association n’en reste pas là et notifie à la société bailleresse la caducité du contrat de location financière en arguant de l’interdépendance contractuelle en la matière. Le liquidateur judiciaire indique à l’association preneuse que le contrat de maintenance n’était pas poursuivi et que le juge commissaire avait autorisé la cession du fichier de clientèle pour qu’une nouvelle société se présente pour proposer un nouveau contrat de maintenance. Le 22 mars 2019, la société propriétaire des copieurs assigne le preneur en résiliation du contrat de location financière, en restitution du matériel, en paiement des loyers et au paiement d’une indemnité de résiliation. En cause d’appel, les juges du fond décident de résilier le contrat de location aux torts de l’association en précisant que celui-ci ne s’inscrivait pas dans une relation d’interdépendance avec le contrat de maintenance du matériel. L’association est condamnée à régler la somme de 105 648,40 € avec intérêts au taux conventionnel. Celle-ci se pourvoit en cassation en arguant qu’un tel raisonnement viole l’article 1186 du code civil.

L’arrêt rendu le 10 janvier 2024 choisit la voie d’une double cassation. Nous allons examiner pourquoi.

Une confirmation de l’application de la solution antérieure au nouvel article 1186 du code civil pour les ensembles contractuels interdépendants

L’article 1186, alinéa 2, nouveau du code civil semble, à première lecture au moins, muet sur la question au cœur du pourvoi. Il aurait été pourtant intéressant que le législateur se saisisse de la question des clauses de divisibilité pour éviter de nouvelles hésitations de la pratique à ce titre. Le contentieux des locations financières est, en effet, très abondant devant les juges du fond. Afin d’aboutir à la cassation, la chambre commerciale choisit la voie de l’affirmation pour préciser que « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière (sont) interdépendants » (pt n° 6). Il n’y a guère de place au doute puisque l’on retrouve la même formulation que dans l’arrêt de chambre mixte mais également dans des arrêts postérieurs appliquant le droit antérieur au 1er février 2016 (v. not., un arrêt publié au Rapport annuel de la Cour de cassation, Com. 12 juill. 2017, n° 15-27.703, Dalloz actualité, 26 juill. 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 1468  ; ibid. 2176, obs. D. R. Martin et H. Synvet  ; ibid. 2328, chron. A.-C. Le Bras, F. Jollec, T. Gauthier, S. Barbot et S. Tréard  ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki  ; AJ contrat 2017. 429 , obs. S. Bros  ; RTD civ. 2017. 846, obs. H. Barbier  ; RTD com. 2017. 671, obs. D. Legeais . Celui-ci précise : « les contrats concomitants ou successifs qui s’inscrivent dans une opération incluant une location financière sont interdépendants et que la résiliation de l’un quelconque d’entre eux entraîne la caducité, par voie de conséquence, des autres », nous soulignons ).

La conclusion en est simple, les clauses inconciliables avec cette interdépendance doivent être réputées non écrites (pt n° 7 de l’arrêt). Il pourrait exister à ce titre un certain flottement théorique entre la généralité de cet énoncé et le raisonnement tenu au paragraphe n° 6 de la décision. Mais, en tout état de cause, il faut simplement considérer que dans toutes les opérations qui intègrent une location financière, les clauses de divisibilité doivent être réputées non écrites sur le fondement du nouvel article 1186 du code civil puisqu’il existe une opération comportant des contrats interdépendants.

La publication maximale de l’arrêt du 10 janvier 2024, notamment au Rapport annuel, n’est pas choisie au hasard puisqu’il était légitime de pouvoir s’interroger sur le maintien de cette jurisprudence au droit nouveau. On ne peut que louer cet alignement de la jurisprudence du droit ancien et de celle du droit nouveau. Reste à savoir l’étendue exacte de la solution. Doit-elle s’appliquer à tous les cas d’interdépendance contractuelle ? La réponse n’est toujours pas donnée car l’arrêt étudié n’entend limiter sa solution qu’au champ des locations financières pour le moment (pts n° 6 et 7 limitant l’interprétation). On sait qu’au lendemain du projet d’ordonnance, certains auteurs avaient proposé une lecture plus large du nouveau texte allant bien au-delà du seul contexte des locations financières (S. Bros, L’interdépendance contractuelle, la Cour de cassation et la réforme du droit des contrats, D. 2016. 29, v. spéc., II-B-1, sur les clauses de divisibilité ; v. égal., F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, op. cit., p. 686, n° 594). Il ne serait guère étonnant que la jurisprudence se prononce prochainement en allant encore plus loin et en étendant une telle orientation à toutes les situations d’interdépendance.

Une seconde difficulté était suscitée par le pourvoi concernant l’alinéa 3 de l’article 1186 du code civil.

Sur la question de la connaissance de l’existence de l’opération d’ensemble

Une seconde cassation intervient aux points nos 11 à 13 de l’arrêt. Sur ce point, il faut noter l’absence totale de marge de manœuvre de la cour d’appel de renvoi puisque la chambre commerciale n’hésite pas à préciser que « la société L… avait nécessairement connaissance de l’existence de l’opération d’ensemble lorsqu’elle avait donné son consentement » (nous soulignons) puisque ledit contrat était inclus dans une opération qui comportait une location financière. Autant dire que l’alinéa 3 de l’article 1186 est ici réduit à peu de choses, avec un automatisme assez important dans le contexte factuel de l’affaire.

Quoiqu’il en soit, il résultait très clairement des faits rappelés que la société propriétaire des copieurs ne pouvait pas ignorer l’opération d’ensemble puisqu’au moment de la conclusion du contrat de location, un contrat de maintenance était obligatoire à souscrire pour le locataire. Ici, l’argumentation des juges du fond était critiquable car ces derniers avaient fait entrer une circonstance complètement étrangère dans l’analyse, à savoir l’absence de sollicitation du bailleur quand la maintenance a été signée. Une telle donnée est, effectivement extérieure au problème dans la mesure où ce que vise l’article 1186, alinéa 3, n’est que la connaissance de l’ensemble contractuel au moment du consentement donné.

Et ce, même si les deux contrats en question ont été conclus le même jour. La cour d’appel de renvoi n’aura donc pas de réelle liberté sur la connaissance de l’existence de l’opération d’ensemble eu égard aux termes choisi par la chambre commerciale.

Voici donc un arrêt important en ce qu’il vient très clairement prolonger l’interprétation jurisprudentielle de la caducité des ensembles contractuels et, plus précisément, de l’incompatibilité des clauses de divisibilité dans ceux comportant une location financière. Gageons que, prochainement, la Cour de cassation se prononce clairement sur la question générale sous-tendue par le pourvoi et non seulement à l’égard desdites locations. Le droit positif s’en retrouverait clarifié eu égard à l’abondance du contentieux à ce sujet.

 

© Lefebvre Dalloz