Calcul de profit subsistant : la Cour de cassation s’improvise professeure de mathématiques

Juridiquement, lorsque l’amélioration d’un bien propre est due à la fois à des dépenses assumées par la communauté et à l’industrie personnelle d’un époux ou des tiers non rémunérés, la récompense est égale à la part de la plus-value apportée au bien par les travaux réalisés découlant du financement assumé par la communauté.

Mathématiquement, la plus-value d’amélioration (qui correspond à la différence entre la valeur du bien à la liquidation et la valeur qu’aurait eu le bien à la liquidation sans les travaux) doit être multipliée par le quotient du montant des dépenses de la communauté par le coût total des travaux s’ils avaient été réalisés contre rémunération.

 

Les qualités pédagogiques de la Cour de cassation ne sont plus à démontrer. Son souci constant de clarification non-plus. Cet arrêt rendu à propos du calcul d’une récompense complexe en est la parfaite illustration.

Dans les faits, deux époux s’étaient mariés sous le régime légal de la communauté d’acquêts. Pendant le mariage, l’un d’eux avait réalisé lui-même la construction d’un immeuble sur un terrain lui appartenant en propre. Le coût de la main-d’œuvre avait ainsi été évité. Quant aux matériaux, ils furent financés par un emprunt dont une partie fut remboursée par des deniers communs.

Après leur divorce, des difficultés sont apparues pour le calcul de la récompense. La Cour d’appel de Nîmes considéra dans ses motifs que le profit subsistant devait être calculé en appliquant à la plus-value d’amélioration la proportion de remboursement de l’emprunt assumée par la communauté (ne prenant ainsi en compte que le coût des matériaux). Pour autant, le dispositif de l’arrêt retenait une autre méthode de calcul consistant à appliquer à la plus-value d’amélioration la proportion de financement commun dans l’ensemble du coût, main d’œuvre et matériaux compris.

Il y avait là une contradiction évidente entre les motifs et le dispositif de la décision, ce qui équivaut à une absence de motif (§ 10) contraire à l’article 455 du code de procédure civile selon lequel tout jugement doit être motivé (§ 8). Sur pourvoi, l’arrêt est logiquement cassé au visa de ce texte.

La censure était inévitable, certes. Cependant il restait à préciser la bonne méthode de calcul, d’autant que la cassation du chef de dispositif fixant le mode de calcul de la récompense entraînait la cassation de celle déterminant la mission de l’expert (§ 11). La Cour de cassation évoque l’affaire au fond dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice (§ 12) afin de préciser la méthode de calcul que l’expert sera tenu de suivre.

Comme juge du droit, la Cour rappelle d’abord sa jurisprudence selon laquelle la plus-value procurée par l’activité d’un époux ou de tiers non rémunérés ayant réalisé des travaux sur un bien appartenant en propre à cet époux ne donne pas lieu à récompense au profit de la communauté (§§ 15 et 16). Elle précise ensuite que s’agissant d’une dépense d’amélioration, la récompense se détermine d’après le profit subsistant (C. civ., art. 1469) qui représente l’avantage réellement procuré au fonds emprunteur et qui se détermine d’après la proportion dans laquelle les fonds empruntés à la communauté ont contribué à l’amélioration du bien propre (§ 17). Enfin et surtout, elle énonce que « si l’amélioration d’un bien propre est due à la fois à des dépenses assumées au moins partiellement par la communauté et à l’industrie personnelle déployée par un époux ou des tiers non rémunérés, le montant de la récompense due est égal à la part de la plus-value apportée au bien par les travaux réalisés découlant du financement assumé par la communauté, à l’exclusion de la part de cette plus-value découlant de l’industrie déployée et, le cas échéant, de dépenses ne provenant pas de la communauté » (§ 18).

Comme juge du fond, la Cour traduit son raisonnement juridique en termes mathématiques et explique que le calcul du profit subsistant n’est possible que si ces 4 données sont connues (§§ 19 à 21) :

  • la valeur du bien au jour de la liquidation (A) ;
  • la valeur qu’aurait eu le bien au jour de la liquidation sans les travaux réalisés (B) ;
  • le montant des dépenses assumées par la communauté, correspondant, s’agissant du remboursement d’échéances d’emprunts souscrits pour financer des travaux relatifs à un bien propre, au seul capital remboursé par la communauté (C) ;
  • Le coût total qu’auraient eus les travaux à l’époque de leur réalisation, matériaux et main d’œuvre compris, s’ils n’avaient pas été réalisés par l’époux ou des tiers non rémunérés (D).

En l’espèce, seule la valeur C est connue, la Cour demande donc à l’expert de déterminer A, B et D. Elle précise que la récompense sera égale à la part de la plus-value apportée au bien par les travaux réalisés découlant du financement assumé par la communauté, soit : (A-B) x C/D

Malgré les efforts déployés par la Cour pour expliquer cette solution juridiquement convaincante, la lecture de l’arrêt est quelque peu ardue. Pour en faciliter la compréhension, commençons par rappeler deux évidences. D’une part, lorsque des travaux sont réalisés sur un bien, le coût total comprend le prix des matériaux et celui de la main d’œuvre. D’autre part, les améliorations du bien augmentent sa valeur : c’est la plus-value d’amélioration.

Lorsque la main d’œuvre est effectuée par l’époux directement ou par un tiers non-rémunéré (coût évité) la communauté n’a pas droit à récompense. Il en va autrement si elle finance le coût des matériaux (coût acquitté). Cette récompense correspond alors à la partie de la plus-value liée au financement des matériaux. Pour la déterminer, il faut pouvoir la distinguer de la partie de la plus-value liée à la main d’œuvre. Cette ventilation n’est possible qu’en prenant en compte le coût total des travaux, donc le coût évité et le coût acquitté.

La méthode de calcul peut être exprimée de diverses manières. Celle retenue ici par la Cour de cassation est claire et correcte mais elle n’est peut-être pas la plus facile à appréhender. Il est possible d’adopter un énoncé plus simple tout en respectant l’approche pédagogique des juges du droit. Par exemple, la méthode pourrait être découpée en trois étapes :

  • étape 1 : calculer la plus-value d’amélioration : (A-B) ;
  • étape 2 : diviser le montant des dépenses assumées par la communauté par le coût total fictif des travaux : (C/D) ;
  • étape 3 : multiplier les deux résultats [(A-B) x (C/D)].

Prenons un exemple chiffré des plus simples.

Un immeuble propre a fait l’objet de travaux réalisés directement par l’époux propriétaire. Si les travaux avaient été réalisés par une entreprise, le coût de la main d’œuvre aurait été de 2 000 € (coût évité).

La communauté a financé les matériaux à hauteur de 8 000 € (coût acquitté ou « dépense faite »), ce qui lui donne droit à une récompense, laquelle ne peut être inférieure au profit subsistant (C. civ. art. 1469, al. 3).

Au jour du divorce, l’immeuble vaut 320 000 € mais n’aurait valu que 300 000 € si les travaux n’avaient pas été réalisés.

Pour déterminer le profit subsistant, suivons trois étapes simples.

Étape 1 : calculer la plus-value d’amélioration (A-B)

Pour calculer la plus-value d’amélioration, il convient de déterminer valeur effective du bien au jour de la liquidation (A) et la valeur fictive de ce bien à la même date (B), c’est-à-dire la valeur qu’il aurait eue si aucun travaux d’amélioration n’avait été réalisé.

En l’espèce, la valeur effective A est de 320 000 € et la valeur fictive B est de 300 000 €.

La plus-value d’amélioration est donc de : 320 000 - 300 000 = 20 000 €.

Autrement dit, grâce aux travaux, la valeur du bien a augmenté de 20 000 €.

Étape 2 : diviser le montant des dépenses assumées par la communauté par le coût total fictif des travaux (C/D)

Le montant des dépenses assumées par la communauté est ici de 8 000 € (correspondant au coût des matériaux). Il s’agit de la valeur C.

Le coût total des travaux s’ils avaient été réalisés contre rémunération aurait été de 8 000 € (matériaux) + 2 000 € (main d’œuvre), soit un coût total fictif de 10 000 €. Il s’agit de la valeur D.

Le quotient est de : 8 000/10 000. Il peut être exprimé de diverses manières : 8/10e, 80 % ou encore 0,8.

Étape 3 : multiplier les deux résultats [(A-B) x (C/D)]

Les résultats des deux étapes précédentes doivent être multipliés pour obtenir le profit subsistant.

En l’espèce, le profit subsistant est égal à 20 000 x 0,8 = 16 000 €.

En d’autres termes, puisque la communauté a financé 80 % du coût total fictif des travaux, elle a droit à 80 % de la plus-value d’amélioration.

On perçoit ainsi toute l’importance de tenir compte du coût fictif des travaux. En ne comptant que le coût effectif des travaux, le quotient aurait été de 8 000/8 000 (autrement exprimé, 100 % ou 1). Le profit subsistant aurait alors été égal à 20.000 x 1 = 20 000 €. Autrement dit, la communauté aurait eu droit à la totalité de la plus-value d’amélioration alors qu’elle n’a pas supporté le coût de la main d’œuvre qui a contribué à cette plus-value. Une telle solution aurait abouti à octroyer un droit à récompense à la communauté pour l’industrie déployée sur le bien propre, ce qui aurait été contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière.

 

Civ. 1re, 23 mai 2024, F-D, n° 22-18.911

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