Captation d’images : définition du lieu privé à l’aune de son accessibilité

Le parking désaffecté d’un ancien magasin, accessible à tous, doit être considéré comme un lieu public, permettant ainsi la prise de photographies de personnes qui s’y trouvent sans autorisation judiciaire. Par ailleurs, la chambre criminelle confirme son exigence d’un grief spécial lorsqu’est alléguée une méconnaissance des formalités relatives à la présence de témoins lors d’une perquisition.

En 2021, une information judiciaire a été ouverte pour des infractions de vols, vols aggravés et recels, en récidive, destructions par un moyen dangereux, association de malfaiteurs, blanchiment aggravé et travail dissimulé. Au cours de l’instruction, différents actes d’investigation ont été réalisés, notamment une perquisition au domicile du mis en examen et de son véhicule, la géolocalisation d’une voiture qu’il conduisait et la prise de photographies lors d’une surveillance. Une requête en annulation de ces différents actes a été déposée. La chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Reims a rejeté les demandes par un arrêt du 19 octobre 2023. Le pourvoi qui a été formé contre cet arrêt et la réponse que lui a apportée la chambre criminelle offrent l’occasion de revenir sur le régime d’actes d’instruction fréquemment réalisés.

La perquisition d’une caravane en l’absence de l’occupant des lieux

Le même jour, une personne a été interpellée et placée en garde à vue, tandis que sa caravane a fait l’objet d’une perquisition. Sur le plan temporel, cinquante minutes séparaient les deux évènements, alors que sur le plan spatial, ils étaient distants de plus de 200 kilomètres. En effet, l’individu a été interpellé dans l’Essonne, tandis que la caravane était installée dans la Marne. Dans ces circonstances particulières, les enquêteurs ont estimé qu’il n’était nécessaire ni de faire venir l’occupant lors de la perquisition ni de l’inviter à désigner un représentant.

La chambre de l’instruction n’a toutefois pas annulé l’acte, pour deux raisons : il était urgent de réaliser la perquisition susceptible de révéler la présence d’objets intéressant l’enquête et aucun grief n’était caractérisé en l’espèce. Sur ces motifs, le pourvoi rétorque que l’urgence de la mesure ne justifie pas l’impossibilité de demander à l’occupant des lieux de désigner un représentant et qu’il invoquait un grief, résultant d’une atteinte à sa vie privée et au respect du domicile. Ce moyen n’a pas suffi à convaincre la Haute juridiction, qui a retenu que les juges du fond avaient bien établi l’impossibilité de faire participer le mis en cause à la perquisition et qu’ils avaient à juste titre caractérisé l’absence de grief, car le requérant ne contestait pas la découverte des objets saisis dans son domicile.

La présence d’une personne qui ne dépend pas des enquêteurs est indispensable lorsqu’il est question de perquisition : c’est la garantie la plus simple pour éviter les « perquisitions mexicaines » et s’assurer que des indices à charge ne soient pas frauduleusement introduits chez un mis en cause. À cet égard, l’article 57 du code de procédure pénale, aussi applicable en phase d’instruction (C. pr. pén., art. 96), prévoit une forme de hiérarchie : le principe est la présence de l’occupant des lieux ; en cas d’impossibilité, d’un représentant qu’il désigne et si aucune de ces solutions ne peut être appliquée, de deux témoins qui ne relèvent pas de l’autorité administrative de l’enquêteur. En dehors de l’exception prévue en matière de la criminalité et délinquance organisée (C. pr. pén., art. 706-94), il n’est donc possible de réaliser la perquisition en présence de deux témoins qu’après avoir caractérisé l’impossibilité de faire intervenir le représentant désigné par l’occupant des lieux (Crim. 7 sept. 2021, n° 20-87.191, Dalloz actualité, 28 sept. 2021, obs. M. Recotillet ; D. 2022. 1487, obs. J.-B. Perrier ; AJ pénal 2021. 527, note G. Candela ; RSC 2022. 94, obs. P.-J. Delage ; ibid. 439, obs. E. Rubi-Cavagna  ; JCP 2021. 949 ; ibid. 1161, obs. H. Matsopoulou ; Procédures 2021. Comm. 299, obs. A.-S. Chavent-Leclère ; Dr. pénal 2022. Chron. 1, obs. V. Georget). En l’espèce, il n’a pas été demandé à l’occupant des lieux de désigner un représentant, sans que l’impossibilité de le faire soit établie ; la perquisition était donc irrégulière.

Cependant, le caractère irrégulier d’un acte d’enquête ou d’instruction n’est pas suffisant pour que sa nullité soit prononcée : le requérant doit aussi rapporter la preuve d’un grief (C. pr. pén., art. 171 et 802). Depuis plusieurs arrêts du 7 septembre 2021, on considère que l’existence d’un grief « est établie lorsque l’irrégularité elle-même a occasionné un préjudice au requérant, lequel ne peut résulter de la seule mise en cause de celui-ci par l’acte critiqué » (Crim. 7 sept. 2021, n° 20-87.191, préc.). Ce que ne précise pas cette phrase, c’est qu’un grief spécial est parfois exigé. Ainsi, en matière de réquisitions des données de trafic et de géolocalisation, l’absence d’autorisation par un juge ou une autorité administrative indépendante n’est susceptible de causer un grief que lorsque l’accès à ces données n’a pas été circonscrit à une procédure relevant de la lutte contre la criminalité grave ou a excédé les limites du strict nécessaire (Crim. 27 févr. 2024, n° 23-81.061, Dalloz actualité, 6 mars 2024, obs. T. Scherer ; D. 2024. 425 ; AJ pénal 2024. 208, note E. Vergès ; Dalloz IP/IT 2024. 122, obs. S. Prévost-Boyard ). Il en va de même pour les perquisitions, lorsque l’irrégularité alléguée est liée à la présence de l’occupant ou de témoins. Dans cette situation, la chambre criminelle impose au requérant de contester la présence à son domicile des objets qui ont été saisis au cours de la mesure litigieuse pour établir un grief (Crim. 7 sept. 2021, n° 20-87.191, préc. ; 19 déc. 2023, n° 23-81.286, Dalloz actualité, 15 janv. 2024, obs. B. Durieu ; D. 2024. 10 ; ibid. 384, chron. L. Ascensi, S. Gillis, B. Joly, O. Violeau, P. Mallard et L. Guerrini ; AJ pénal 2024. 159, obs. J. Leborne ; Légipresse 2024. 16 et les obs. ; ibid. 95, comm. T. Besse ; ibid. 190, obs. O. Lévy, E. Tordjman et J. Sennelier  ; Dr. pénal 2024. Comm. 34, obs. A. Maron et M. Haas ; Procédures 2024. Comm. 40, obs. J. Buisson). Elle justifie cette solution par la finalité de la présence de l’occupant des lieux ou des témoins : authentifier la présence effective sur les lieux des objets découverts et saisis au cours de la perquisition. Au regard de cette exigence d’un grief spécial, le moyen qui faisait seulement état d’une atteinte à la vie privée ne pouvait pas prospérer.

Pour ce qui est de la fouille du véhicule, le résultat est le même. La cour d’appel a refusé de la qualifier de perquisition, et a retenu que la commission rogatoire délivrée par le juge d’instruction suffisait à établir sa régularité. La Cour de cassation n’a pas approuvé ces motifs, puisqu’elle a affirmé que la fouille d’un véhicule était assimilable à une perquisition. Même s’il ne s’agit que d’une assimilation, et que les règles relatives aux heures de réalisation des opérations ne sont pas applicables dans ce cas (Crim. 28 mai 2024, n° 23-86.828, Dalloz actualité, 19 juin 2024, obs. J. Pidoux ; D. 2024. 1021 ), la fouille d’un véhicule qui n’est pas réalisée en application de dispositions spéciales (C. pr. pén., art. 78-2-2 s.) doit être conforme aux dispositions de l’article 57 du code de procédure pénale, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. Toutefois, en l’absence de grief, l’annulation ne pouvait pas être prononcée.

Prises de photographies sur un parking privé

Au cours de la phase préparatoire, plusieurs photographies du lieu de vie d’un groupe de personnes issues de la communauté du voyage ont été prises. Le groupe s’était installé sur le parking désaffecté d’un ancien magasin d’articles de sport. Pour le pourvoi, que l’occupation soit licite ou non, elle avait fait du parking un lieu privé, et par conséquent, les photographies auraient dû être prises dans le cadre d’une captation d’images (C. pr. pén., art. 706-96), qui est réservée à la criminalité et délinquance organisée (C. pr. pén., art. 706-95-11) et qui suppose une autorisation judiciaire (C. pr. pén., art. 706-95-12). Toute la question reposait sur la qualification de l’espace photographié en lieu public ou lieu privé. Pour les juges du fond, il s’agissait d’un lieu public, car c’était le parking d’un magasin qui avait vocation à servir à la clientèle et que le requérant n’avait aucun droit sur l’espace en cause. La Cour de cassation a aussi retenu la qualification de lieu public, mais pour d’autres raisons : elle a relevé que le parking était accessible à tous et que la circonstance qu’il serve d’aire de campement n’avait pas pour effet de changer la nature du lieu.

Par cet arrêt, la Cour de cassation précise la notion de lieu privé en matière de captation d’images. Il était déjà acquis que le caractère privé ou public ne dépendait pas de l’exposition du lieu : la prise de photographies de personnes dans un parking privé extérieur et pour partie visible depuis la voie publique suppose une autorisation judiciaire (Crim. 11 oct. 2022, n° 22-81.383). Par ailleurs, dans un précédent arrêt relatif à des prises de vues sur une aire d’accueil de gens du voyage, la Cour de cassation avait retenu que le requérant n’était titulaire d’aucun droit sur l’espace en cause pour rejeter son pourvoi (Crim. 13 oct. 2020, n° 19-87.959). Dans le présent arrêt, la chambre criminelle retient comme critère déterminant l’accessibilité à tous du lieu. Ce faisant, elle s’aligne sur la définition du lieu public qui prévaut en droit pénal spécial pour l’appréciation des éléments constitutifs du délit d’atteinte à la vie privée (C. pén., art. 226-1). Dans ce cadre, est qualifié de public le lieu « accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l’accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions », selon les termes d’une décision fréquemment citée (TGI Paris, 23 oct. 1986, Gaz. Pal. 1987. 1. 21).

Qualifier le parking de lieu public rendait inopérante l’invocation des exigences de la captation d’images dans un lieu privé. Pour autant, le contrôle de la Cour de cassation ne s’est pas arrêté là. En effet, il existe différents régimes de captation d’images dans un lieu public. Ainsi, lorsque la prise de photographie ou de vidéo a un caractère permanent ou systématique, elle doit être autorisée par un magistrat (Crim. 28 mars 2023, n° 22-83.874, Dalloz actualité, 18 avr. 2023, obs. T. Scherer ; D. 2023. 646 ; AJ pénal 2023. 296, obs. T. Lebreton ). En l’espèce, tel n’était pas le cas : il s’agissait donc de simples photographies prises dans le cadre d’une surveillance, qui ne sont soumises à aucune autre condition que d’être cantonnées aux lieux publics. Cependant, il est important de relever que la chambre criminelle n’a pas exactement fait référence au critère de distinction habituel, qui repose sur le caractère « permanent ou systématique » (Crim. 10 mai 2023, n° 22-86.186, Dalloz actualité, 2 juin 2023, obs. M. Pirrotta ; D. 2023. 955 ; AJ pénal 2023. 296 ), puisqu’elle indique que la prise de photographies était « dépourvue de caractère permanent et systématique ». Le changement de conjonction de coordination pourrait ne pas être anodin, puisqu’il ferait d’un critère alternatif des conditions cumulatives, restreignant le domaine des captations d’images sur la voie publique devant être autorisées par un magistrat.

Géolocalisation en urgence d’un véhicule

Le troisième moyen du pourvoi offre l’occasion de revenir sur le régime de géolocalisation en cas d’urgence. Le principe est que les opérations de géolocalisation doivent être préalablement autorisées par un magistrat (C. pr. pén., art. 230-33). Toutefois, en cas d’urgence résultant d’un risque imminent de dépérissement des preuves ou d’atteinte grave aux personnes ou aux biens, les enquêteurs peuvent procéder de leur propre initiative à la pose d’une balise. Le cas échéant, ils doivent immédiatement informer le procureur de la République ou le juge d’instruction (C. pr. pén., art. 230-35).

En l’espèce, le dispositif de géolocalisation a été posé à 9 heures 20, le procès-verbal rapportant le déroulement des opérations a été rédigé à partir de 9 heures 45 et envoyé au procureur de la République à 10 heures 35. Pour le pourvoi, ce délai ne répondait pas à la condition d’immédiateté posée par le texte. La Cour de cassation n’a pas retenu le moyen, car elle a estimé que ce délai d’environ une heure satisfaisait aux exigences légales. 

 

Crim. 25 juin 2024, FS-B, n° 23-86.048

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