Caractère manifestement délibéré de la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité : l’intransigeance de la chambre criminelle

Pour pouvoir entrer en voie de condamnation du chef de violences involontaires par agression d’un chien, les juges du fond doivent établir le caractère manifestement délibéré de la méconnaissance par le prévenu de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité résultant de l’interdiction de laisser divaguer un chien, prévue aux articles L. 211-19-1 et L. 211-23 du code rural et de la pêche maritime.

En l’espèce, trois chiens croisés molossoïdes se sont échappés de leur enclos, ont pénétré dans la cour d’une habitation voisine et ont attaqué la chienne de la propriétaire des lieux qui a dû être euthanasiée. La propriétaire de l’animal victime a quant à elle été mordue à la main par l’un des trois chiens.

En première instance, le propriétaire des croisés molossoïdes a été relaxé des chefs de blessures involontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail de moins de trois mois par agression d’un chien, détention d’un chien non identifié et circulation sur la route d’un animal sans conducteur. Sur appel de la partie civile et du ministère public, les seconds juges l’ont ensuite déclaré coupable en le condamnant à quatre mois d’emprisonnement avec sursis et à une peine d’amende pour blessures involontaires, détention de chien non identifié et circulation sur la route d’animal sans conducteur. Selon eux, si les trois chiens ont pu s’échapper de leur enclos et se retrouver en état de divagation, c’est en raison de la vétusté de l’enclos, dont la porte ne fermait pas correctement. Or, le propriétaire était parfaitement informé du manque de sécurisation de l’enclos, connaissait l’origine génétique de ses trois chiens croisés molossoïdes et avait déjà été confronté, quelques années plus tôt, à la divagation de l’un d’entre eux. En raison de ces éléments, les juges du fond considèrent qu’en s’abstenant de sécuriser l’enclos, le propriétaire des chiens savait que son imprudence pouvait entraîner un risque pour les personnes en cas de fuite de ses animaux.

Dans son pourvoi en cassation, l’intéressé fait grief aux juges du fond d’avoir retenu qu’il avait violé de façon manifestement délibérée une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ayant involontairement causé à la partie civile une ITT de moins de trois mois. Selon lui, la divagation de ses chiens ne pouvait pas être caractérisée par le seul fait de les avoir laissés dans un chenil non suffisamment sécurisé ayant permis leur fuite. En outre, le lien de causalité étant indirect, il reproche à la cour d’appel de ne pas avoir mis en évidence le caractère manifestement délibéré de la violation de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité alléguée.

Lien de causalité indirect et faute qualifiée

Ce dernier argument est particulièrement intéressant. Nul doute qu’en l’espèce, le lien de causalité était indirect. En effet, la causalité n’est pas directe entre les blessures de la partie civile, mordue à la main gauche par l’un des chiens, et la fuite des trois chiens de leur chenil (C. Gayet, Blessures par agression d’un chien : faute simple et causalité directe, obs. ss. Crim. 29 mai 2013, n° 12-85.427, Dalloz actualité, 18 juin 2013 ; D. 2013. 2016 , note F. Desprez ; AJ pénal 2013. 678, obs. J. Lasserre Capdeville ). Ce faisant, la preuve d’une faute qualifiée s’imposait. S’il n’y a pas lieu, in casu, de discuter la nature de la faute requise, il est en revanche pertinent de se demander si la méconnaissance, par le prévenu, de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité résultant de l’interdiction de laisser divaguer ses chiens était manifestement délibérée.

Sur ce point, la chambre criminelle partage l’analyse juridique du requérant et casse l’arrêt rendu par la cour d’appel, mais en ses seules dispositions l’ayant déclaré coupable du chef de blessures involontaires ayant entraîné une ITT de moins de trois mois par agression d’un chien. Sans surprise, cette cassation est notamment fondée sur les articles 222-20-2 et 222-20 du code pénal selon lesquels est constitutif d’un délit le fait de causer à autrui, par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement, une ITT de moins de trois mois, avec cette circonstance que les faits résultent de l’agression commise par un chien.

L’appréciation du caractère manifestement délibéré de la faute

Les Hauts magistrats reprochent aux juges du fond de ne pas avoir suffisamment établi le caractère manifestement délibéré de la méconnaissance, par le prévenu, de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité résultant de l’interdiction de laisser divaguer un chien, prévue aux articles L. 211-19-1 et L. 211-23 du code rural et de la pêche maritime.

Cette cassation confirme l’intransigeance de la chambre criminelle dans l’approche du caractère manifestement délibéré de la violation d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement (Crim. 21 juin 2022, n° 21-85.691 FS-B, Dalloz actualité, 7 juill. 2022, obs. M. Recotillet ; D. 2022. 1211 ; AJ pénal 2022. 375 et les obs. ; Dr. soc. 2022. 748, étude R. Salomon ; RSC 2022. 591, obs. Y. Mayaud ; ibid. 865, obs. A. Cerf-Hollender ). En effet – et c’est bien là toute la difficulté –, l’obligation doit être délibérément transgressée, ce qui signifie que si la faute est commise par simple inattention, cette condition n’est pas remplie. Cette nuance emporte d’importantes conséquences. Par exemple, la situation d’un conducteur d’une voiture qui ne s’arrête pas à un feu rouge parce qu’il n’a pas fait attention au changement de couleur du feu n’est pas comparable à celle d’un conducteur qui appuie sur l’accélérateur alors qu’il voit le feu passer au rouge. Dans ces deux situations, le degré de dangerosité de l’agent n’est pas identique. Le raisonnement est similaire, dans cet arrêt, à propos de l’enclos insuffisamment sécurisé, ce qui explique que les Hauts magistrats font grief aux juges du fond de ne pas avoir établi le caractère manifestement délibéré de la méconnaissance par le prévenu de l’obligation particulière de prudence ou de sécurité résultant de l’interdiction de laisser divaguer ses chiens. En d’autres termes, en l’espèce, la responsabilité pénale du propriétaire des chiens ne peut pas résulter d’une approche subjective de la situation. Elle doit résulter de sa connaissance, non pas du danger effectivement manifesté – en l’espèce les blessures occasionnées à la partie civile –, mais des normes de prudence et de sécurité destinées à l’éviter.

Si la solution répond à une logique juridique implacable, elle laisse cependant deviner les difficultés pratiques auxquelles sont confrontés les juges du fond dans l’appréciation de la différence de degré – voire de nature – entre un comportement de mise en danger et de simples négligences (A. Sériaux, L’appréciation de la faute pénale d’imprudence en droit français contemporain, RSC 2017. 231 ).

 

Crim. 1er oct. 2024, F-B, n° 23-83.421

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