Cautionnement réel et règles sur la proportionnalité de l'engagement

Dans deux arrêts rendus le 5 avril 2023, la chambre commerciale de la Cour de cassation rappelle sa jurisprudence consistant à énoncer que la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers, n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui, n’est pas un cautionnement de sorte que les règles de disproportion du cautionnement ne s’y appliquent pas.

La sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’autrui (anciennement dénommée cautionnement réel) peut se targuer d’être au cœur d’une jurisprudence assez stable depuis ces dernières années. La Cour de cassation a, en effet, disqualifié le concept de cautionnement réel en précisant qu’une telle sûreté ne pouvait qu’être une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’autrui, impliquant alors l’absence d’un engagement personnel. En pratique, ce type de sûreté continue à être très utilisé de sorte que l’on croise assez régulièrement des créanciers doublant leur cautionnement personnel d’une affectation hypothécaire d’un tiers, la sûreté réelle pour autrui venant alors en addition de la sûreté personnelle déjà consentie (v. par ex., Com. 2 juin 2021, n° 19-20.140 FS-P, Dalloz actualité, 10 juin 2021, obs. J.-D. Pellier ; D. 2021. 1076  ; ibid. 1879, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers ). Aujourd’hui, nous nous intéressons à deux arrêts rendus par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 5 avril 2023 qui permettent d’opérer d’utiles précisions sur l’intersection entre la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’autrui et la proportionnalité du cautionnement. Précisons-le d’emblée : ces arrêts portent bien évidemment sur le droit ancien puisque les sûretés ont été conclues avant le 1er janvier 2022 et donc avant l’entrée en vigueur de l’article 2325 alinéa 2 nouveau du code civil issu de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021. Rappelons-en brièvement les faits pour en comprendre la portée.

Dans l’affaire n° 21-18.531, un établissement bancaire accorde le 7 juillet 2011 à un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC) deux prêts, chacun étant garanti par diverses sûretés, à savoir le cautionnement de deux personnes physiques mais également par des affectations hypothécaires consenties par ces derniers sur des terrains leur appartenant. Voici que le GAEC débiteur est en redressement judiciaire puis en liquidation de sorte que la banque délivre aux garants un commandement de payer valant saisie immobilière. Ces derniers soulèvent que l’engagement est manifestement disproportionné à leurs biens et revenus. La cour d’appel refuse un tel raisonnement en considérant que l’article L. 341-4 du code de la consommation, alors en vigueur, ne peut pas s’appliquer en pareille situation. Les garants se pourvoient en cassation arguant que la sûreté réelle se doublant d’un cautionnement personnel, le texte pouvait s’appliquer ici.

Dans l’affaire n° 21-14.166, un établissement bancaire consent par acte notarié en date du 23 octobre 2006 une ouverture de crédit à une société. Pour garantir cette opération, l’acte comportait un cautionnement solidaire d’une personne physique mais également une affectation hypothécaire de celle-ci. Par acte du 27 mai 2014, le garant réel donne à titre gratuit à ses deux filles la nue-propriété de l’immeuble affecté à la dette de la société. La banque se confronte à des impayés de son débiteur de sorte qu’elle engage une procédure de saisie immobilière. Le garant invoque la nullité de la procédure en soulevant le bénéfice de discussion, le bénéfice de division et le caractère manifestement disproportionné de l’engagement souscrit. La cour d’appel saisie du litige refuse d’appliquer ces textes puisqu’il s’agissait non d’un cautionnement personnel mais d’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’autrui. Le garant et les donataires se pourvoient en cassation arguant de la situation factuelle qui impliquait tout à la fois un cautionnement personnel et une sûreté réelle pour garantir la dette d’autrui.

Dans les deux affaires, les arrêts aboutissent au rejet du pourvoi. On peut y lire l’énoncé maintenant bien connu selon lequel « la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’un tiers n’impliquant aucun engagement personnel à satisfaire à l’obligation d’autrui, elle n’est pas un cautionnement ». Nous étudierons ces solutions sous l’angle d’un rappel toujours utile de la jurisprudence de la Cour de cassation puis sous celui du refus de l’application des règles de proportionnalité propres au cautionnement personnel.

Le rappel d’une jurisprudence désormais bien établie

Le vocabulaire employé dans les deux arrêts n’étonnera guère. On sait que la Cour de cassation ne s’est jamais réellement départie de sa motivation selon laquelle la sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’autrui n’est pas un cautionnement. Celle-ci a pu essaimer de sorte que la Cour a pu préciser que cette sûreté ne pouvait pas se voir appliquer ni le bénéfice de discussion (Civ. 1re, 25 nov. 2015, n° 14-21.332, Dalloz actualité, 15 déc. 2015, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2015. 2500 ), ni le bénéfice de subrogation (Civ. 3e, 12 avr. 2018, n° 17-17.542, Dalloz actualité, 2 mai 2018, obs. N. Le Rudulier ; D. 2018. 1540 , note A. Gouëzel  ; ibid. 1884, obs. P. Crocq  ; RDI 2018. 385, obs. H. Heugas-Darraspen  ; AJ contrat 2018. 241, obs. D. Houtcieff  ; RTD civ. 2018. 461, obs. P. Crocq  ; RTD com. 2018. 773, obs. A. Martin-Serf ), ni l’information annuelle prévue par des textes spéciaux (Civ. 1re, 7 févr. 2006, n° 02-16.010, D. 2006. 1543, obs. V. Avena-Robardet , note V. Bonnet  ; AJDI 2006. 290  ; RTD com. 2006. 465, obs. D. Legeais ), ni le devoir de mise en garde du créancier (Com. 13 janv. 2015, n° 13-16.727). En somme, puisqu’il ne s’agit pas d’un cautionnement, on ne pouvait pas lui rattacher les règles régissant cette sûreté. Cette attache exclusive au droit des sûretés réelles a pu questionner tant elle rendait dangereuse une figure appréciée de la pratique (C. Albigès et M.-P. Dumont-Lefrand, Droit des sûretés, 8e éd., Dalloz, coll. « HyperCours », 2022, p. 39, n° 53). Malgré le temps qui passe, il faut bien avouer que cette construction n’arrive aujourd’hui encore guère à convaincre la doctrine (v. par ex., P. Théry et C. Gijsbers, Droit des sûretés, Lextenso, Domat Droit privé, 2022, p. 468, n° 665).

L’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 a refusé de suivre intégralement la position de l’association Henri Capitant qui militait pour un retour de la dénomination de cautionnement réel. Sans pour autant intégrer dans le code civil cette désignation, le nouvel article 2325 alinéa 2 dispose désormais que « lorsqu’elle (la sûreté réelle) est constituée par un tiers, le créancier n’a d’action que sur le bien affecté en garantie. Les dispositions des articles 2299, 2302 à 2305-1, 2308 à 2312 et 2314 sont alors applicables ». En somme, c’est le devoir de mise en garde, celui d’information, le bénéfice de discussion, les questions de recours subrogatoires ainsi que le bénéfice de subrogation que peut utiliser le constituant de la sûreté réelle pour garantir la dette d’autrui pour une sûreté consentie au 1er janvier 2022 (J.-B. Seube, Droit des sûretés, 11e éd., Dalloz, coll. « Cours », 2022, p. 33, n° 46).

Mais reste dans l’ombre de ce nouvel article une question que celui-ci n’embrasse pas, celle de la proportionnalité de l’engagement. Sur ce point, le droit ancien concordera probablement avec le droit nouveau.

L’application de la ligne jurisprudentielle à la disproportion du cautionnement

Étaient en cause dans les deux pourvois l’épineuse question de l’article L. 341-4 du code de la consommation lequel était l’un des textes de référence de la disproportion du cautionnement avant l’ordonnance du 14 mars 2016 et avant le rapatriement par l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 de l’institution dans le code civil. Si la question peut paraître délicate eu égard aux observations déjà formulées, c’est en raison de la situation précise des cas d’espèce où aux affectations hypothécaires s’ajoutaient des cautionnements personnels. Les différents demandeurs au pourvoi profitaient de cet enchevêtrement de sûretés pour mener leur argumentation.

Dans les deux cas, la chambre commerciale refuse de faire application de ce mécanisme au profit du constituant de la sûreté réelle pour garantir la dette d’autrui. La solution est, sur ce pan de l’interrogation autour des règles applicables, empreinte de logique. En refusant de voir un cautionnement dans cette sûreté réelle, la position se comprend tout autant que sur les précédentes orientations refusant l’admission d’autres règles propres au cautionnement. Ajoutons que le nouvel article 2325 ne prévoit pas que le garant d’une sûreté réelle consentie pour garantir la dette d’autrui puisse bénéficier des dispositions du nouvel article 2300 du code civil sur la disproportion du cautionnement.

Par conséquent, le droit ancien est en conformité avec le droit nouveau, surtout à l’heure où certaines chambres de la Cour de cassation n’hésitent pas à appliquer ce même droit nouveau aux contrats régis par la loi ancienne (v. en droit des sûretés sur les exceptions opposables, Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-22.866 FS-B, Dalloz actualité, 2 mai 2022, obs. C. Hélaine ; en droit des contrats, v. pour la dernière décision sur la promesse unilatérale de vente, Com. 15 mars 2023, n° 21-20.399 F-B, Dalloz actualité, 21 mars 2023, obs. C. Hélaine). Dans l’affaire n° 21-14.166, les demandeurs au pourvoi sollicitaient l’utilisation du bénéfice de discussion que la Cour de cassation refuse d’appliquer à ces sûretés alors que le nouvel article 2325 alinéa 2 permet aux constituants de telles garanties consenties après le 1er janvier 2022 d’utiliser ledit bénéfice. On peut louer cette absence d’application anticipée dans le temps mais une réflexion d’ensemble sur les altérations des principes du droit transitoire devra un jour être menée car cette discordance peut être le vecteur de difficultés. Comment expliquer que l’on applique pour les exceptions opposables par la caution (Civ. 1re, 20 avr. 2022, n° 20-22.866 FS-B, préc.) la solution nouvelle là où on conserve l’orientation ancienne pour le bénéfice de discussion quant au cautionnement réel ? L’harmonisation devient nécessaire.

Voici donc deux belles décisions qui viennent confirmer une position jurisprudentielle sévère, quoique cohérente dans la lignée de la Cour de cassation. Le bris de jurisprudence issu de l’ordonnance n° 2021-1192 du 15 septembre 2021 fera disparaître une partie de contentieux même si certains plaideurs essaieront d’étendre la liste du nouvel article 2325, alinéa 2, liste qui pourtant ne peut être que limitative (v. en ce sens, P. Théry et C. Gijsbers, Droit des sûretésop. cit., p. 470, n° 667).

 

© Lefebvre Dalloz