CDD successifs et faute grave du salarié : à chaque contrat suffit sa peine
La faute de nature à justifier la rupture anticipée d'un contrat à durée déterminée doit avoir été commise durant l'exécution de ce contrat. Il en résulte qu'en cas de contrats à durée déterminée successifs, l'employeur ne peut se fonder sur des fautes commises antérieurement à la prise d'effet du dernier contrat conclu pour justifier la rupture de celui-ci.
 
                            Contrats d’exception, en raison de la précarité qu’ils impliquent pour le salarié, les contrats à durée déterminée sont strictement encadrés par le code du travail (C. trav., art. L. 1242-1 s.). Afin d’éviter les abus et fraudes à la loi par l’employeur dans le recours aux CDD, le législateur a limité tant les causes de rupture anticipée (C. trav., art. L. 1243-1) que les hypothèses de contrats successifs conclus avec le même salarié (C. trav., art. L. 1244-1). Au confluent des deux, une question inédite était soumise à la Cour de cassation, celle de la portée de la faute grave commise par le salarié dans la succession de contrats à durée déterminée.
Comme il est désormais très usuel, une salariée avait été employée par une société, dans le secteur pharmaceutique, en qualité d’assistance administrative senior, dans le cadre de trois CDD successifs à partir du 30 janvier 2014. Estimant que la salariée avait commis une faute grave, l’employeur rompit le troisième contrat de manière anticipée, arguant de faits commis au cours de l’exécution du deuxième CDD. Invoquant l’illicéité de la rupture anticipée de son contrat, la salariée saisit le juge prud’homal afin d’obtenir le paiement d’une indemnité légale de rupture anticipée et d’une indemnité spécifique de précarité. La cour d’appel de Versailles déclara abusive la rupture anticipée du CDD et fit droit aux demandes indemnitaires de la salariée, au motif que les faits reprochés n’avaient pas été commis au cours de l’exécution du contrat rompu. L’employeur, au soutien de son pourvoi, tentait de faire admettre à la Cour de cassation une « sorte » de continuité dans la succession des CDD, laquelle permettrait à l’employeur de prononcer la rupture anticipée du contrat en cours, pour des faits commis lors de l’exécution des précédents contrats, dès lors qu’il a découvert ces faits pendant l’exécution du dernier contrat. Au fond, le seul élément décisif serait la date à laquelle l’employeur a connaissance des faits litigieux.
La Cour de cassation devait répondre à une question somme toute pédagogique : l’employeur peut-il rompre de manière anticipée un CDD pour faute grave en raison de faits commis lors de l’exécution d’un précédent CDD dès lors qu’il en a acquis la connaissance qu’au cours de l’exécution du dernier CDD conclu ? Importe-t-il moins le contrat au cours duquel les faits ont été commis que le contrat au cours duquel les faits ont été révélés ?
Fort heureusement, la chambre sociale opte pour la première alternative. Rappelant le contenu de l’article L. 1243-1, alinéa premier, du code du travail énonçant les motifs de rupture anticipée du CDD – soit le commun accord, la faute grave, la force majeure et l’inaptitude constatée par le médecin du travail –, elle inscrit en principe que « la faute de nature à justifier la rupture anticipée d’un contrat à durée indéterminée doit avoir été commise durant l’exécution de ce contrat » (§ 5). Dès lors, l’employeur ne peut se fonder sur des faits commis avant la prise d’effet du CDD en cours pour en justifier la rupture (§ 7). Cette solution nous paraît parfaitement conforme tant à la nature de la faute grave qu’à celle du CDD. En jugeant le contraire, la Cour de cassation aurait très certainement bouleversé la conception juridique des contrats à durée déterminée.
Une solution conforme à la nature de la faute grave
Justifiant la rupture anticipée d’un CDD, après la mise en œuvre de la procédure disciplinaire (C. trav., art. L. 1331-1 s.), la faute grave se conçoit classiquement comme la faute dont la gravité est telle qu’elle rend impossible le maintien du lien contractuel (Soc. 13 févr. 1963, JCP 1963. II. 13183, note Bizière ; 4 juin 1996, RJS 1996. 655, n° 1019) ou le maintien du salarié dans l’entreprise (Soc. 27 sept. 2007, n° 06-43.867 P, Dalloz actualité, 10 oct. 2007, obs. A. Fabre ; D. 2007. 2538  ; ibid. 2008. 442, obs. G. Borenfreund, F. Guiomard, O. Leclerc, E. Peskine, C. Wolmark, A. Fabre et J. Porta
 ; ibid. 2008. 442, obs. G. Borenfreund, F. Guiomard, O. Leclerc, E. Peskine, C. Wolmark, A. Fabre et J. Porta  ; RDT 2007. 650, obs. G. Auzero
 ; RDT 2007. 650, obs. G. Auzero  ). En conséquence, si l’employeur décide de différer de sept jours l’effet de la rupture anticipée, il se prive de la possibilité d’invoquer la faute grave (Soc. 19 nov. 1992, n° 92-40.578 P, RJS 1993. 26, n° 12). Il en est de même lorsque la faute grave est invoquée par le salarié : ayant continué à exécuter sa prestation de travail pendant plusieurs semaines après la décision de rupture, ce dernier ne peut plus se prévaloir de la faute grave de l’employeur (Soc. 23 mai 1995, n° 93-43.403, RJS 1995. 503, n° 760).
). En conséquence, si l’employeur décide de différer de sept jours l’effet de la rupture anticipée, il se prive de la possibilité d’invoquer la faute grave (Soc. 19 nov. 1992, n° 92-40.578 P, RJS 1993. 26, n° 12). Il en est de même lorsque la faute grave est invoquée par le salarié : ayant continué à exécuter sa prestation de travail pendant plusieurs semaines après la décision de rupture, ce dernier ne peut plus se prévaloir de la faute grave de l’employeur (Soc. 23 mai 1995, n° 93-43.403, RJS 1995. 503, n° 760).
Au regard de la nature de la faute grave, il apparaît parfaitement justifié que les faits commis lors de l’exécution d’un précédent CDD ne puissent justifier la rupture d’un CDD ultérieurement conclu. Faisant obstacle au maintien du lien contractuel, la faute grave doit être invoquée au cours de l’exécution de ce contrat. L’employeur ne saurait attendre pour rompre. Plus encore, la décision de poursuivre les relations contractuelles avec le salarié, par la conclusion d’un nouveau CDD, ôte à la faute tout caractère de gravité.
L’espèce présentait toutefois une particularité : les faits n’avaient été révélés qu’à l’issue d’une enquête interne menée après la conclusion du troisième CDD. C’est sur ce point que l’employeur tentait de faire admettre la licéité de la rupture. En l’absence de connaissance des faits, la question de la rupture ne pouvait se poser lors de l’exécution du deuxième CDD et de la formation du troisième. En revanche, au jour où il en a eu connaissance, la gravité des faits l’empêchait de maintenir le lien contractuel, fût-il relatif à un nouveau contrat. Conditionner le droit d’agir à la connaissance des faits n’est pas inconnu du droit positif. C’est ainsi que l’action portant sur l’exécution du contrat de travail est prescrite par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit (C. trav., art. L. 1471-1), y compris pour le CDD (v. not. G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, Droit du travail, 36e éd., Dalloz, 2023, n° 261). Néanmoins, l’admettre aurait porté une sérieuse atteinte à la nature du contrat à durée déterminée.
Une solution conforme à la nature du contrat à durée déterminée
En droit du travail, il convient de distinguer le renouvellement du CDD de la succession de CDD. Dans la première hypothèse, les parties décident de repousser le terme du contrat : le même contrat se poursuit (C. trav., art. L. 1243-13 s.). Dans la seconde, le premier contrat étant arrivé à son terme, les parties choisissent de contracter à nouveau : un nouveau contrat naît (C. trav., art. L. 1244-1 s.). Les CDD successifs sont ainsi indépendants les uns des autres. C’est notamment sur cette considération que l’indemnité de fin de contrat, destinée à compenser leur précarité, est due à l’échéance du terme, y compris si un autre CDD est conclu avec le même employeur (C. trav., art. L. 1243-8 ; G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, op. cit., n° 270).
Si la Cour de cassation avait admis la possibilité pour l’employeur d’invoquer des faits commis au cours d’un premier CDD, pour prononcer la rupture anticipée d’un deuxième CDD, elle aurait remis en cause le régime des CDD successifs, en créant un lien entre ces différents contrats successifs. Au-delà du droit du travail, cette solution aurait été un pied de nez à la théorie générale du contrat et l’on se souvient que la chambre sociale s’est montrée soucieuse de respecter le droit commun des contrats après la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations, opérée par l’ordonnance du 10 février 2016 (en matière de promesse de contrat de travail, v. Soc. 21 sept. 2017, n° 16-20.103 P, Dalloz actualité, 11 oct. 2017, obs. J. Siro ; D. 2017. 2289, note explicative de la Cour de cassation  , note B. Bauduin et J. Dubarry
, note B. Bauduin et J. Dubarry  ; ibid. 2007, note D. Mazeaud
 ; ibid. 2007, note D. Mazeaud  ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki
 ; ibid. 2018. 371, obs. M. Mekki  ; ibid. 435, obs. Centre de droit et d’économie du sport (OMIJ-CDES)
 ; ibid. 435, obs. Centre de droit et d’économie du sport (OMIJ-CDES)  ; JA 2017, n° 570, p. 41, étude J. Marfisi
 ; JA 2017, n° 570, p. 41, étude J. Marfisi  ; ibid. 2018, n° 572, p. 39, étude J.-F. Paulin et M. Julien
 ; ibid. 2018, n° 572, p. 39, étude J.-F. Paulin et M. Julien  ; AJ contrat 2017. 480, obs. C.-E. Bucher
 ; AJ contrat 2017. 480, obs. C.-E. Bucher  ; Dr. soc. 2018. 170, étude R. Vatinet
 ; Dr. soc. 2018. 170, étude R. Vatinet  ; ibid. 175, étude Y. Pagnerre
 ; ibid. 175, étude Y. Pagnerre  ; RDT 2017. 715, obs. L. Bento de Carvalho
 ; RDT 2017. 715, obs. L. Bento de Carvalho  ; RTD civ. 2017. 837, obs. H. Barbier
 ; RTD civ. 2017. 837, obs. H. Barbier  ). Cette réforme a spécialement inscrit dans le code civil que le contrat à durée déterminée prend automatiquement fin à l’échéance de son terme (art. 1212) et que son renouvellement fait naître un nouveau contrat (art. 1214). Cela n’est pas « sans conséquences » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénédé, Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, n° 665), le nouveau contrat étant par exemple soumis à la loi nouvelle.
). Cette réforme a spécialement inscrit dans le code civil que le contrat à durée déterminée prend automatiquement fin à l’échéance de son terme (art. 1212) et que son renouvellement fait naître un nouveau contrat (art. 1214). Cela n’est pas « sans conséquences » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénédé, Les obligations, 12e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2018, n° 665), le nouveau contrat étant par exemple soumis à la loi nouvelle.
Préservant la nature juridique du contrat à durée déterminée, la chambre sociale érige finalement en principe qu’une faute commise antérieurement à la conclusion d’un contrat à durée déterminée ne peut être sanctionnée dans le cadre de celui-ci. La faute ne peut faire l’objet d’une sanction qu’au titre du contrat au cours duquel elle a été commise et disparaît avec l’extinction de ce dernier. Le salarié retrouve le bénéfice de l’indemnité de précarité dont il avait été privé par sa faute (C. trav., art. L. 1243-10, 4°) et, en raison de la rupture anticipée non justifiée, a droit à une indemnité au moins égale aux rémunérations qu’il aurait perçues jusqu’au terme du contrat (C. trav., art. L. 1243-4).
La solution serait toutefois différente si, après l’échéance du terme du contrat à durée déterminée, la relation de travail se poursuivait. En ce cas, le contrat devient à durée indéterminée (Soc. 5 oct. 2016, n° 15-17.458 P, Dalloz actualité, 4 nov. 2016, obs. J. Siro ; D. 2016. 2070  ; ibid. 2017. 840, obs. P. Lokiec et J. Porta
 ; ibid. 2017. 840, obs. P. Lokiec et J. Porta  ; Dr. soc. 2017. 136, étude S. Tournaux
 ; Dr. soc. 2017. 136, étude S. Tournaux  ) et le salarié est réputé avoir occupé cet emploi à durée indéterminée depuis le début de la relation contractuelle (Soc. 6 nov. 2013, n° 12-15.953 P, Dalloz actualité, 26 nov. 2013, obs. M. Peyronnet ; D. 2013. 2648
) et le salarié est réputé avoir occupé cet emploi à durée indéterminée depuis le début de la relation contractuelle (Soc. 6 nov. 2013, n° 12-15.953 P, Dalloz actualité, 26 nov. 2013, obs. M. Peyronnet ; D. 2013. 2648  ; Dr. soc. 2014. 11, chron. S. Tournaux
 ; Dr. soc. 2014. 11, chron. S. Tournaux  ; RDT 2014. 35, obs. B. Reynès
 ; RDT 2014. 35, obs. B. Reynès  ). Dans ce cas, la faute grave commise au cours de cet unique contrat à durée indéterminée pourrait justifier un licenciement disciplinaire, sous réserve de la prescription des fautes disciplinaires, soit deux mois à compter du jour où l’employeur a eu connaissance des faits fautifs (C. trav., art. L. 1332-4).
). Dans ce cas, la faute grave commise au cours de cet unique contrat à durée indéterminée pourrait justifier un licenciement disciplinaire, sous réserve de la prescription des fautes disciplinaires, soit deux mois à compter du jour où l’employeur a eu connaissance des faits fautifs (C. trav., art. L. 1332-4).
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