Certification du kilométrage et responsabilité contractuelle
Dans un arrêt rendu le 26 février 2025, la première chambre civile précise que le professionnel qui certifie le kilométrage d’un véhicule d’occasion engage sa responsabilité contractuelle en cas d’inexactitude ou d’incertitude de celui-ci.
La responsabilité contractuelle du garagiste est pourvoyeuse de quelques décisions de la Cour de cassation publiées au Bulletin chaque année. À la fin de l’année 2024, la première chambre civile avait pu préciser que ni l’incertitude sur l’origine d’une panne ni la difficulté à déceler cette origine ne suffisent à écarter les présomptions pesant sur le garagiste quand celui-ci est assigné en responsabilité contractuelle (Civ. 1re, 16 oct. 2024, n° 23-11.712 FS-B, Dalloz actualité, 12 nov. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 1822
; RTD com. 2024. 992, obs. B. Bouloc
). Quelques mois plus tôt, la même formation avait pu traiter d’une question connexe sur l’état de saleté du véhicule lors du contrôle technique (Com. 4 sept. 2024, n° 23-13.917 F-B, Dalloz actualité, 24 sept. 2024, obs. C. Hélaine).
Un arrêt rendu le 26 février 2025 est l’occasion de résoudre une interrogation proche non sur le contrat de garage en lui-même mais sur la certification d’un compteur kilométrique lors d’une vente d’un véhicule d’occasion. Quelle est, dans cette optique, l’intensité de l’obligation promise ? La question, pourtant importante lors d’un litige en cas d’inexactitude ou d’incertitude de ladite certification, n’est pas évidente à résoudre tant la jurisprudence paraît peu loquace sur ce point précis.
À l’origine du pourvoi, on retrouve l’acquisition le 10 mai 2016 d’un véhicule d’occasion par une personne physique. Le vendeur de la voiture a expertisé lui-même cette dernière pour certifier son kilométrage en amont de la conclusion du contrat. Une année plus tard, le véhicule doit subir des travaux. À cette occasion, le garagiste sollicité détecte une sous-évaluation du kilométrage expertisé en 2016 et ce « à la suite d’une manipulation frauduleuse » (pt n° 3 de l’arrêt étudié). Le propriétaire du véhicule sollicite une mesure d’expertise en référé. Le 11 mars 2019, il fait assigner la société venderesse ayant également certifié le kilométrage en responsabilité contractuelle. En cause d’appel, la demande est rejetée en raison de l’absence de preuve d’une faute de cette société.
Le propriétaire du véhicule se pourvoit en cassation en reprochant à cette argumentation de méconnaître l’intensité de l’obligation de celui qui certifie le kilométrage d’un véhicule. Pour le demandeur, il ne peut, en effet, s’agir que d’une obligation de résultat (pt n° 5).
L’arrêt rendu le 26 février 2025 par la première chambre civile de la Cour de cassation aboutit à une cassation pour violation de la loi. Nous allons examiner pourquoi.
Quel régime de responsabilité pour la certification de kilométrage ?
Un point important de la décision du 26 février 2025 réside, sans doute, dans les silences qu’elle laisse apparaître. Contrairement à certains arrêts rendus ces derniers mois, il faut noter une relative simplicité de l’appareil de motivation choisi par la première chambre civile. La solution se dégage en quelques mots sans rappeler le cheminement intellectuel pour y aboutir.
Disons-le d’emblée : la Cour de cassation n’a pas fait le choix d’opérer un parallèle explicite avec sa jurisprudence sur la responsabilité contractuelle du garagiste. Assez récemment encore, elle avait pu rappeler sur cette dernière thématique que « si la responsabilité du garagiste au titre des prestations qui lui sont confiées n’est engagée qu’en cas de faute, dès lors que des désordres surviennent ou persistent après son intervention, l’existence d’une faute et celle d’un lien causal entre la faute et ces désordres sont présumées » (Civ. 1re, 16 oct. 2024, n° 23-11.712 FS-B, préc., spéc. pt n° 9). La jurisprudence portant sur cette responsabilité commence, en effet, à devenir assez stable et celle-ci peut désormais être qualifiée de constante à la suite d’importants arrêts commentés dans ces colonnes en 2022 au sujet de l’intensité de l’obligation du garagiste (Civ. 1re, 11 mai 2022, n° 20-19.732 et n° 20-18.867 FS-B, Dalloz actualité, 17 mai 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1789
, note P. Gaiardo
; ibid. 2023. 34, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz
; RTD civ. 2022. 631, obs. P. Jourdain
).
Toutefois, la question de la certification du compteur kilométrique se distingue assez nettement de la responsabilité du garagiste. La société n’avait, selon les faits rapportés, pas réalisé sa prestation à des fins de prestations de réparation ou d’entretien sur le véhicule mais seulement dans le cadre de la revente de celui-ci. On peut ainsi regretter que la justification apportée à la décision n’ait pas été davantage développée car il n’est pas évident de déterminer si la solution a été inspirée du régime contractuel du garagiste ou, par exemple, d’autres corps de métiers. Des difficultés similaires peuvent, en effet, apparaître pour les professions qui ont à authentifier une œuvre d’art dans le cadre de leur mission, un arrêt récent à propos d’une œuvre de Géricault étant aussi remarqué que remarquable à ce sujet au titre des opérateurs de ventes volontaires (Civ. 1re, 4 déc. 2024, n° 23-17.569 FS-B, spéc. nos 13 et 14 sur la responsabilité de la société ; Dalloz actualité, 9 déc. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 2109
; RTD com. 2024. 899, obs. F. Pollaud-Dulian
).
Examinons maintenant le fond de l’orientation dessinée par la première chambre civile.
Une obligation à l’intensité sévère
La solution donnée au problème tient en ces quelques mots aussi lapidaires qu’efficaces : « le professionnel qui certifie le kilométrage d’un véhicule d’occasion engage sa responsabilité contractuelle en cas d’inexactitude ou d’incertitude de celui-ci » (pt n° 6, nous soulignons). Par conséquent, le raisonnement consistant à exiger la démonstration d’une faute commise par la société ayant certifié le compteur est purement et simplement rejeté et la cassation intervient pour cette raison. L’intensité de l’obligation fleure bon celle de résultat eu égard à une telle sévérité dans la formulation. Il n’y a guère de place pour la nuance : soit le résultat est atteint (le kilométrage est le bon) soit il ne l’est pas (il est inexact ou il est incertain comme dans l’espèce ayant provoqué le pourvoi). Dans ce dernier cas, la responsabilité contractuelle de celui qui a certifié le compteur est engagée.
En faveur de cette orientation, il n’est pas sérieusement contestable que celui qui demande à voir le kilométrage certifié s’attend à ce que la prestation aboutisse à un compte exact. Il existe bien un problème dans l’exécution de la prestation quand le compteur ne correspond pas à la réalité, lequel aurait d’ailleurs pu conduire à remettre en cause la formation même de la vente d’occasion. La manipulation frauduleuse qui a conduit à sous-évaluer le kilométrage aurait dû, en tout état de cause, être repérée par la société au moment de la certification de 2016. On perçoit une certaine correspondance avec la responsabilité du garagiste, de manière peut-être encore plus sévère. La décision rendue par la cour d’appel ne pouvait qu’encourir la cassation puisqu’elle exigeait la démonstration par le propriétaire du véhicule d’une faute commise par la société de concession ayant certifié le compteur. L’obligation de résultat ainsi consacrée simplifie très grandement la tâche du créancier qui ne doit plus fournir que la preuve que ledit résultat est absent (v. sur cette thématique, F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 944 et 945, n° 850).
Voici donc un arrêt qui présente l’originalité de trancher une question qui n’était pas encore très clairement apparue en jurisprudence. Celle-ci s’est concentrée, ces dernières années, plutôt sur la responsabilité contractuelle du garagiste et non sur la certification de kilométrage. Désormais, le doute n’est plus permis. Une telle position pourrait conduire à une certaine frilosité des entreprises spécialisées en la matière. En tout état de cause, le meilleur réflexe reste très probablement de faire sous-traiter la question à un garagiste apte à détecter une éventuelle sous-évaluation du kilométrage à l’aide d’une manœuvre frauduleuse entreprise, le cas échéant, par l’un des propriétaires précédents du véhicule.
Civ. 1re, 26 févr. 2025, F-B, n° 23-22.201
par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseille
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