Cessation d’activité de l’employeur et impossibilité de maintenir le contrat de travail

« Dès lors que la cessation d’activité est réelle et qu’elle rend impossible la poursuite du contrat de travail, la résiliation de ce contrat n’est pas contraire aux dispositions de l’article L. 1226-9 du code du travail relatives au licenciement d’un salarié pendant une période de suspension consécutive à un accident du travail ».

L’article L. 1233-3 du code du travail dispose « que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d’une suppression ou transformation d’emploi ou d’une modification, refusée par le salarié, d’un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment : 1° à des difficultés économiques caractérisées soit par l’évolution significative d’au moins un indicateur économique soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés ; 2° à des mutations technologiques ; 3° à une réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité ; 4° à la cessation d’activité de l’entreprise ». 


Cette dernière hypothèse, tenant à une cessation d’activité, a été précisée par la Cour de cassation (sur l’ensemble, B. Teyssié [dir.], Guide de la rupture du contrat de travail 24/25, LexisNexis, nos 1288 s.). Elle a ainsi énoncé que seule une cessation complète de l’activité de l’employeur peut constituer en elle-même une cause économique de licenciement, quand elle n’est pas due à une faute ou à une légèreté blâmable de l’employeur (Soc. 20 mai 2015, n° 14-11.996), dans la mesure où cette cessation d’activité est en outre définitive (Soc. 6 avr. 2022, n° 20-23.234, RJS 6/2022, n° 289). Le fait que la cessation d’activité de l’entreprise résulte de sa liquidation judiciaire ne prive pas le salarié de la possibilité d’invoquer l’existence d’une faute de l’employeur à l’origine de la cessation d’activité, de nature à priver le licenciement de cause réelle et sérieuse (Soc. 19 avr. 2023, n° 21-10.133). Une cessation partielle d’activité ne saurait en revanche suffire (Soc. 9 nov. 2022, n° 21-16.041), sauf cas de difficultés économiques, de mutation technologique ou de réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité (Soc. 11 avr. 2018, n° 16-27.891).

L’affaire jugée par la Cour de cassation, le 11 septembre 2024, fournit une application de ces principes dans une hypothèse où l’employeur avait cessé complètement et définitivement son activité mais où le salarié se trouvait dans une situation particulière : le salarié concerné avait, en effet, accepté un contrat de sécurisation professionnelle, alors qu’il bénéficiait d’un arrêt de travail à la suite d’un accident du travail et que son contrat de travail était donc suspendu.

Dans ce cadre, pouvait-on admettre le licenciement du salarié pour cessation d’activité de l’employeur, bien que son contrat fût suspendu ?

Le code du travail ne fournit pas de réponse à cette difficulté, même si l’article L. 1226-9 pose qu’au cours des périodes de suspension du contrat de travail, l’employeur ne peut rompre ce dernier que s’il justifie soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie, et que l’article L. 1226-13 ajoute que toute rupture du contrat de travail prononcée en méconnaissance des dispositions de cet article L. 1226-9 est nulle.

Les juges du fond avaient retenu que le licenciement était nul, faute pour l’employeur de démontrer l’impossibilité de maintenir le contrat pour un motif non lié à l’accident du travail.

La décision d’appel est toutefois cassée sur le fondement du principe reproduit en tête de ces observations, car dans la mesure où la cessation totale et définitive d’activité de l’employeur n’était pas contestée, il existait pour celui-ci une impossibilité de maintenir le contrat de travail.

Une telle solution s’impose, car la réalité économique ne peut qu’être prise en considération en cas de cessation d’activité.

Cette solution se situe dans la ligne de quelques arrêts récents (sur ce, Lamy Droit du travail au quotidien, n° 155-50). La Cour de cassation a ainsi cassé une décision d’appel qui avait jugé le licenciement pour motif économique d’un salarié déclaré inapte à son poste dépourvu de cause réelle et sérieuse alors pourtant qu’il y avait une cessation totale de l’activité de la société, ce dont il fallait déduire une impossibilité de reclassement de ce salarié (Soc. 15 sept. 2021, n° 19-25.613, D. 2021. 1677 ). Elle a, à l’opposé, rejeté un pourvoi formé contre une décision ayant retenu que l’employeur, qui avait effectivement et totalement cessé son activité, ne pouvait proposer aucun autre poste de travail au salarié victime d’un accident de travail, alors que tous les emplois avaient été supprimés (Soc. 26 sept. 2007, n° 06-43.156, RJS 12/07, n° 1274).

Encore faut-il toutefois que le courrier de licenciement soit suffisamment précis. Par exemple, un employeur ne peut pas se borner, pour licencier un salarié en arrêt de travail, à viser dans ce courrier un licenciement pour motif économique sans se référer à l’existence de circonstances rendant impossible le maintien du contrat de travail (Soc. 28 oct. 2009, n° 08-42.803, RJS 1/10 n° 31 ; v. égal., Soc. 23 mai 2017, n° 16-12.232, RJS 8-9/17, n° 553). Dans la même perspective, il a été jugé que l’employeur, tenu d’énoncer le ou les motifs de licenciement, doit préciser, dans la lettre de licenciement d’un salarié dont le contrat est suspendu à la suite d’un arrêt de travail provoqué par un accident du travail ou une maladie professionnelle, le ou les motifs visés par l’article L. 1226-9 du code du travail, la référence à un motif économique ne caractérisant pas une impossibilité de maintenir le contrat pour un motif non lié à cet accident ou à cette maladie (Soc. 27 mai 2020, n° 18-20.142, FRS 12/20, inf. 4, p. 18 ; RJS 7/20, n° 347).

 

Soc. 11 sept. 2024, F-B, n° 22-18.409

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