Cession de créance à un fonds commun de titrisation et droit transitoire

Lorsqu’une créance est cédée à un organisme de financement, l’assignation en paiement suffit à informer le débiteur du changement d’entité chargée du recouvrement, et ce, même si celle-ci a été délivrée avant l’entrée en vigueur de l’article L. 214-172 du code monétaire et financier tel que modifié en 2019 par la loi PACTE.

La cession de créance est une opération qui connaît une actualité jurisprudentielle dense chaque année et ce en raison de sa très grande mobilisation par la pratique des affaires (v. par ex., sur la cession de créance litigieuse, Com. 21 mai 2025, n° 24-15.006 FS-B, Dalloz actualité, 3 juin 2025, obs. C. Hélaine ; D. 2025. 950  ; RTD civ. 2025. 334, obs. H. Barbier  ; 20 nov. 2024, n° 23-15.735 F-B, Dalloz actualité, 27 nov. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 2007  ; sur le jeu de la compensation légale invoquée par le cessionnaire, Com. 23 oct. 2024, n° 23-17.704, Dalloz actualité, 27 nov. 2024, obs. D. Boustani-Aufan ; D. 2024. 1861  ; RTD com. 2025. 189, obs. A. Martin-Serf  ; sur la production du bordereau en matière de cessions professionnelles, Com. 14 févr. 2024, n° 22-14.784, Dalloz actualité, 28 févr. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 308  ; RCJPP 2024, n° 03, p. 61, chron. S. Piédelièvre et O. Salati  ; RTD com. 2024. 412, obs. D. Legeais ).

Malgré cet afflux de pourvois, la chambre commerciale de la Cour de cassation rend assez peu d’arrêts concernant des cessions marquées par un fort particularisme, celles dont le cessionnaire est un organisme de financement au sens de l’article L. 214-172 du code monétaire et financier. La décision rendue le 10 septembre 2025, laquelle est publiée au Bulletin, suscite donc immédiatement un certain intérêt puisqu’elle traite de cette thématique.

La question posée par l’affaire examinée aujourd’hui peut paraître, au premier abord, technique. Elle intéresse, en effet, l’information du débiteur du changement de l’entité chargée du recouvrement de la créance cédée, thématique dont la rigueur a évolué dans le temps au gré de plusieurs réformes successives codifiées au sein du code monétaire et financier. C’est la mobilisation du droit commun issu du titre préliminaire du code civil qui finira par résoudre l’interrogation d’application de la loi dans le temps relevée par le demandeur au pourvoi.

Les faits à l’origine du litige débutent par plusieurs cessions de créances entre un fonds commun de titrisation, cessionnaire, et une société cédante. Les conditions de ces cessions intervenues entre le 17 mai et le 25 juillet 2016 ont été définies préalablement par un acte conclu le 26 octobre 2015. Nous soulignons à dessein les dates en raison du problème de droit transitoire qui va éclore dans quelques instants.

L’un des débiteurs dont la créance a été cédée ne réglant pas sa dette, le fonds commun de titrisation cessionnaire décide – par l’entremise de sa société de gestion agissant en tant que représentant légal – de l’assigner par acte d’huissier du 7 janvier 2019.

En cause d’appel, les juges du fond déclarent irrecevable le demandeur. Ils précisent, en effet, que le débiteur devait être informé de la modification de l’entité se chargeant du recouvrement, à savoir la société de gestion représentant l’organisme de financement. Or, la cour d’appel considère que ladite information n’a pas été délivrée. Ni le contrat-cadre du 26 octobre 2015, ni les cessions individuelles intervenues en 2016 ne prévoient, en outre, la transmission contractuelle de ladite charge de recouvrement. Par ailleurs, plusieurs lettres envoyées au débiteur n’étaient « pas suffisamment claires » (pt n° 6) pour l’informer de la modification de l’entité chargée dudit recouvrement.

Pour assurer sa défense, la société de gestion expliquait que l’assignation introductive du 7 janvier 2019 informait, en tout état de cause, le débiteur du recouvrement direct dont elle se chargeait. Elle avançait également qu’en tant qu’effet légal de différents textes modifiant le code monétaire et financier, ce recouvrement direct n’avait pas à être contractualisé.

Le fonds commun de titrisation, représenté par la société de gestion, se pourvoit en cassation, en maintenant son argumentation à juste titre. La résolution du problème nécessite que l’on se penche sur les raisons de sa germination.

Un régime très spécial de l’obligation cédée à un fonds commun de titrisation

Toute la difficulté du pourvoi se noue autour de la rédaction de l’article L. 214-172 du code monétaire et financier qui a été modifiée à la suite de la loi PACTE n° 2019-486 du 22 mai 2019. Cette loi a, en effet, parachevé le travail d’amoindrissement des contraintes concernant la modification de l’entité chargée du recouvrement de la créance cédée à un organisme de financement en passant d’une acceptation du débiteur à sa simple information. On rencontre ici un entremêlement complexe de textes de droit financier modelant un régime spécial de l’obligation en la matière, à défaut de recourir au régime général de celle-ci (v. sur l’intégralité de la question, A. Couret, H. Le Nabasque, M.-L. Coquelet, T. Granier, D. Poracchia, A. Raynouard, A. Reygrobellet et D. Robine, Droit financier, 4e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2024, p. 847 s., n° 1046).

L’ordonnance n° 2000-1223 du 14 décembre 2000 relative à la partie législative du code monétaire et financier a, en effet, grandement fluidifié cette rigueur en supprimant l’exigence d’une acceptation du débiteur, la possibilité du recouvrement par la société de gestion restant à inclure contractuellement. L’article L. 214-46 ancien du code monétaire et financier exigeait alors simplement une information du débiteur « par lettre simple ». C’est ce texte qui a été renuméroté, quelques années plus tard, à l’article L. 214-172 et qui se trouve au visa de l’arrêt étudié aujourd’hui. Cependant, celui-ci a, une nouvelle fois, évolué avec l’ordonnance n° 2017-1432 du 4 octobre 2017 portant modernisation du cadre juridique de la gestion d’actifs et du financement par la dette.

La comparaison des rédactions de l’article L. 214-172 du code monétaire et financier, grâce à l’outil dédié sur Légifrance, renseignera utilement et rapidement le lecteur. Au moment de l’entrée en vigueur de cette ordonnance, la disposition légale autorisait la société de gestion à se charger directement du recouvrement sans que le contrat ne vienne le prévoir tout en informant le débiteur du transfert de cette charge. En d’autres termes, c’est la loi elle-même qui autorise désormais cette possibilité. Cependant, malgré cette souplesse bienvenue, s’est intercalée une difficulté qui tenait probablement de l’ordre de l’oubli. Le texte ne prévoyait aucune modalité précise d’information du débiteur. Fallait-il, alors, procéder par lettre simple comme dans la mouture précédente ? La loi PACTE a corrigé cette lacune en prévoyant une information par tout moyen, y compris par acte judiciaire ou extrajudiciaire.

Or, la loi PACTE du 22 mai 2019 ne s’est appliquée qu’au 24 mai 2019 et, en l’espèce, le contrat-cadre a été conclu en 2015 tandis que les cessions ont été opérées en 2016.

Nous l’aurons compris, il faut se référer à l’application de la loi nouvelle dans le temps et donc à l’article 2 du code civil. On connaît la position de la Cour de cassation qui estime que « la loi nouvelle régit les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réglées » (v. Cass., avis, 16 févr. 2015, n° 14-70.011, D. 2015. 489  ; ibid. 1178, obs. N. Damas  ; AJDI 2015. 608 , obs. N. Damas  ; RTD civ. 2015. 569, obs. P. Deumier  ; v. égal., Civ. 3e, 19 juin 2025, n° 23-16.653, spéc. pt n° 9, AJDI 2025. 633  ; ibid. 635  ; 16 nov. 2023, n° 22-14.091, spéc. pt n° 10, Dalloz actualité, 29 nov. 2023, obs. J.-D. Barbier et S. Valade ; D. 2023. 2044  ; ibid. 2024. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki  ; ibid. 1144, chron. M.-L. Aldigé, G. Brun, A.-C. Schmitt et B. Djikpa  ; ibid. 1349, obs. M.-P. Dumont  ; AJDI 2024. 124 , obs. J.-P. Blatter  ; Com. 18 janv. 2023, n° 21-12.206, spéc. pt n° 9). Malgré les difficultés posées par les effets légaux des situations juridiques non définitivement réalisées (F. Terré et N. Molfessis, Introduction générale au droit, 17e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2025, spéc. p. 840, n° 601 ; comp. P. Malinvaud et N. Balat, Introduction à l’étude du droit, 24e éd., LexisNexis, coll. « Manuels », 2014, p. 175, n° 175), il faut avouer que la solution posée a le mérite de la simplicité en l’espèce.

Même si la loi nouvelle de 2019 ne s’applique pas au premier regard dans la mesure où, au moment de l’assignation, celle-ci n’était pas encore promulguée, la possibilité d’un recouvrement direct par la société de gestion n’est qu’un effet légal de la loi PACTE. Et à dire vrai, surtout, de l’ordonnance précitée de 2017, elle-même postérieure au contrat-cadre du 26 octobre 2015 et aux actes de cession de 2016. On pourrait, légèrement au moins, regretter l’absence d’une motivation davantage enrichie qui aurait pu être déployée par la Cour de cassation car il n’est pas simple de démêler tous les fils qui ne sont pas exclusivement liés à la loi PACTE. C’est, en effet, la succession des dispositions entre 2000 et 2019 qui est au cœur du problème et qui a régi la situation juridique et ce au moins en première instance où l’ordonnance de 2017 s’appliquait en la matière pendant au moins quelques mois avant la promulgation de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019.

Si tout ceci peut paraître complexe, la solution dégagée par la chambre commerciale remet l’ensemble dans un ordre cohérent.

L’article 2 au secours de la cession de créance à un fonds commun de titrisation

La référence à l’article 2 du code civil apparaît comme un phare dans l’obscurité au sein de cet enchevêtrement complexe de textes lesquels ont conduit à des rédactions successives de l’article L. 214-172 du code monétaire et financier. À dire vrai, la solution doit être calquée sur le texte le plus récent, à savoir la loi PACTE qui reprend à son compte utilement, d’une part, la possibilité d’assurer directement par la société de gestion le recouvrement des créances transférées et, d’autre part, l’information par tout moyen au débiteur du transfert dudit recouvrement. C’est d’ailleurs toute l’économie d’une partie de la motivation de l’arrêt étudié (pt n° 5). On ne peut que se réjouir d’une telle simplicité respectueuse des principes de l’application de la loi dans le temps.

Le titre préliminaire du code civil démontre, en l’espèce, toute la difficulté du raisonnement des juges du fond. Ces derniers avaient noté que le contrat-cadre de 2015 ou les actes de cession de 2016 « ne révèlent une volonté non équivoque de transférer à la société G… la charge du recouvrement des créances détenues à l’encontre » du débiteur. Or, cette mention n’est plus adaptée à l’ordonnance de 2017 puis à la loi PACTE de 2019. Désormais, le recouvrement direct par la société de gestion est un simple effet légal. En d’autres termes, il ne dépend plus d’une stipulation insérée au sein d’un contrat.

En tant que simple effet de l’ordonnance de 2017 puis de la loi de 2019, ce recouvrement direct s’applique donc aux situations antérieures qui ne sont pas encore pleinement réalisées dont ce contrat de cession de 2016. La simple information du débiteur suffit, par conséquent, et on sait depuis 2019 que celle-ci peut être réalisée par tout moyen. Or, il faut se rappeler que – malgré quelques remous jurisprudentiels – la chambre commerciale de la Cour de cassation considère depuis 2022 que « la société de gestion d’un fonds commun de titrisation qui assure tout ou partie du recouvrement des créances cédées à ce fonds, doit en informer chaque débiteur, cette information pouvant résulter de l’assignation délivrée au débiteur aux fins de recouvrement » (Com. 15 juin 2022, n° 20-17.154, spéc. pt n° 11, nous soulignons, D. 2022. 2353 , note A. Gailliard  ; Rev. prat. rec. 2022. 19, chron. S. Piedelièvre ).

Cette affirmation concernait une affaire régie par l’ordonnance de 2017. Cependant, elle devait nécessairement s’appliquer en l’espèce puisque la Cour considère que la loi de 2019 régit la situation juridique ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisée s’agissant de simples effets légaux. D’où la cassation qui intervient comme une conséquence logique en définitive. Il était constant que l’assignation du 7 janvier 2019 avait, en effet, informé le débiteur du recouvrement des créances par la société de gestion qui représentait le fonds commun de titrisation. La modalité d’information était donc pleinement respectée et l’irrecevabilité ne pouvait qu’être écartée sur ce fondement précis.

Cet éclairage par le droit commun d’un droit – fort – spécial des cessions de créances à destination d’un fonds commun de titrisation est particulièrement intéressant tant pour le droit des obligations que pour le droit transitoire. Les fonds communs de titrisation, comme leurs sociétés de gestion représentant ceux-ci, apprécieront la souplesse qui gouverne ces situations piégées entre plusieurs textes successifs ayant modifié l’article L. 214-172 du code monétaire et financier.

 

Com. 10 sept. 2025, F-B, n° 24-15.885

par Cédric Hélaine, Docteur en droit, Chargé d'enseignement à l'Université d'Aix-Marseille

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