Cessions de droits litigieux : aspects procéduraux

Dans un arrêt rendu le 20 novembre 2024, la chambre commerciale opère plusieurs précisions procédurales concernant le mécanisme du retrait litigieux de l’article 1699 du code civil tant sur le sens du dispositif du débiteur retrayant que sur l’impossibilité d’exercer un tel retrait à titre subsidiaire.

Le mécanisme du retrait litigieux de l’article 1699 du code civil permet au débiteur retrayant de remplacer le cessionnaire retrayé dans le cadre d’une cession de créance litigieuse, et ce, afin de lutter contre la spéculation qui peut résulter de l’opération (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil – Les obligations, 13e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2022, p. 1801, n° 1644). On pourrait croire que son actualité jurisprudentielle est rare, sinon éteinte, mais ce n’est pas le cas notamment en raison de l’acquisition à des prix avantageux de certains portefeuilles de créances par des fonds communs de titrisation. Plusieurs arrêts publiés au Bulletin rendus ces dernières années ont, ainsi, étayé le sens et la portée des articles 1699 et suivants du code civil. Par exemple, la chambre commerciale de la Cour de cassation a pu rappeler qu’il n’y a pas lieu à retrait litigieux lorsque la cession a été faite à un créancier en paiement de ce qui était dû conformément à l’article 1701, 2°, du code civil (Com. 8 févr. 2023, n° 21-11.415 F-B, Dalloz actualité, 15 févr. 2023, obs. C. Hélaine). Récemment, cette même chambre a rendu une décision prolongeant les acquis jurisprudentiels connus s’agissant de la cession d’un portefeuille de créances (Com. 14 févr. 2024, n° 22-19.801 FS-B, Dalloz actualité, 27 févr. 2024, obs. C. Hélaine ; D. 2024. 805 , note J.-D. Pellier ; RTD civ. 2024. 409, obs. H. Barbier ). Aujourd’hui, une nouvelle décision du 20 novembre 2024 vient statuer sur des enjeux procéduraux intéressant le retrait litigieux.

Les faits à l’origine du pourvoi trouvent leur source dans un contrat de prêt conclu le 19 novembre 2014 entre un établissement bancaire et une société exploitant une boulangerie. L’opération est garantie par les cautionnements solidaires de deux personnes physiques. Le prêt n’est plus réglé par la société en cours d’exécution du contrat de sorte que le créancier assigne son débiteur en paiement. Les deux cautions sont également assignées dans le même temps puisqu’elles sont solidaires. Un jugement du 20 juin 2018 écarte les différentes contestations soulevées par les cautions défenderesses et les condamne à régler la banque. Un appel est interjeté.

Pendant l’instance d’appel, la créance issue du prêt à l’origine du litige est cédée à un fonds commun de titrisation. Le fonds intervient donc volontairement à l’instance. Voici que les cautions assignées en paiement font valoir, à titre subsidiaire, non directement leur droit au retrait litigieux mais une prétention visant à ordonner au fonds cessionnaire de justifier du prix de la cession. Les juges d’appel condamnent les cautions à régler la somme de 25 864,05 € au titre du retrait litigieux de l’article 1699 du code civil.

Le fonds commun de titrisation cessionnaire se pourvoit en cassation en estimant qu’un tel raisonnement entre en contradiction tant avec l’article 954 du code de procédure civile qu’avec l’article 1699 du code civil. La double cassation qui intervient dans l’arrêt du 20 novembre 2024 rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation nécessite que l’on s’y attarde en raison de sa publication tant au Bulletin qu’aux Lettres de chambre.

De l’importance de la formulation du dispositif

Étonnante cassation que celle qui croise un sujet aussi technique du régime général de l’obligation – le droit au retrait litigieux – avec le formalisme des conclusions d’appel. Il est admis sans aucune difficulté que la cour d’appel ne peut, en effet, statuer que sur les prétentions inscrites au dispositif des conclusions, et ce, par respect de la lettre de l’article 954 du code de procédure civile (C. Chainais, F. Ferrand, L. Mayer et S. Guinchard, Procédure civile – Droit commun et spécial du procès civil, Modes amiables de résolution des différends (MARD), 37e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2024, p. 1406, n° 1805). Mais, alors, d’où vient la difficulté suscitée par l’arrêt d’appel ? Nous l’avons déjà mise en lumière dans le résumé des faits de l’introduction du présent commentaire.

Le dispositif des conclusions des cautions formalisait une demande tendant à solliciter de la cour qu’elle ordonne au fonds commun de titrisation cessionnaire de justifier le prix de la cession pour exercer un droit au retrait litigieux. Quant au fonds commun de titrisation, celui-ci souhaitait voir cette prétention rejetée (pt n° 7, moyen pris en sa deuxième branche). Les juges du fond ont ainsi opéré un raccourci assez brutal qui tendait à voir dans la demande de justification une prétention déjà formalisée vers la fixation du prix pour l’exercice d’un retrait litigieux. Certains commentateurs pourraient trouver la solution sévère, voire formaliste. Toutefois, elle ne l’est probablement pas car la cour ne peut pas déduire de cette demande l’exercice implicite d’une prétention tendant à la fixation judiciaire du prix du retrait. Ceci résulte plus ou moins directement de la spécificité d’une telle demande (le retrait litigieux étant exceptionnel au sens du code civil) et, surtout, en l’absence d’un débat sur le prix de la cession.

Cette surprenante rencontre entre la procédure civile d’appel et le régime général de l’obligation ne l’est, finalement, pas tant que ça sous ce dernier angle. La première thématique l’emporte ici volontiers sur la seconde. C’est parce que les cautions ne demandaient pas à la cour de fixer le prix du retrait que la cassation était inévitable dans la présente affaire. En d’autres termes, le débat ne portait que sur une prétention préliminaire au retrait litigieux. Avant de pouvoir ordonner l’utilisation du mécanisme de l’article 1699 du code civil, il est indispensable en effet de connaître le prix de l’opération. Une telle décision viendra sans nul doute attirer l’attention des conseils sur la rédaction des dispositifs et sur la réactivité en cause d’appel afin d’adapter les conclusions quand une cession de droits litigieux intervient à ce stade avancé du procès civil.

La seconde cassation de l’arrêt du 20 novembre 2024 recentre le débat sur le régime général de l’obligation.

Retrait litigieux et stratégie procédurale

Par la troisième branche de son moyen, le fonds commun de titrisation faisait valoir que le droit au retrait litigieux ne peut pas être demandé par voie de conclusions subsidiaires (pt n° 11). La chambre commerciale en profite pour poser une affirmation très rarement rencontrée ces dernières années dans un arrêt destiné à ce niveau de publication : « la faculté de retrait prévue par (l’art. 1699 c. civ.), qui a pour objet de mettre fin au litige, ne peut être exercée qu’autant que les droits cédés sont encore litigieux à la date de son exercice. Il en résulte qu’elle ne peut être opposée au créancier à titre subsidiaire » (pt n° 12, nous soulignons).

La solution peut paraître d’apparence complexe. Elle ne l’est pourtant pas. Le raisonnement déployé dépend de ce qu’il reste à juger. Quand les cautions sont déboutées de tous les moyens qu’elles avancent afin de contester la créance acquise par le fonds commun de titrisation, peut-on encore considérer que ladite créance est litigieuse ? La réponse est assurément négative puisque le juge a purgé sa saisine sur la remise en question de l’obligation par le débiteur ou par son tiers solvens. On peut voir, ce faisant, dans l’arrêt du 20 novembre 2024 la confirmation d’une position très ancienne de la Cour de cassation sur l’impossibilité d’avancer le retrait litigieux par voie de conclusions subsidiaires (v. sur ce point, Rép. civ., Cession de droits litigieux, par E. Savaux, n° 110, citant un arrêt de 1868, Req. 3 févr. 1868, DP 1868. 1. 396).

La position choisie dans la décision étudiée est conforme à l’état de la jurisprudence qui exige un caractère litigieux au moment de la formalisation d’une demande visant à mettre en jeu l’article 1699 du code civil. On ne sera donc pas surpris, en l’espèce, par la cassation pour violation de la loi dans la mesure où la demande était formulée à titre subsidiaire par les deux cautions (pt n° 14). Or, entre temps, la créance avait perdu son caractère litigieux au fil des différentes questions tranchées par la cour d’appel sur les arguments élevés en ce sens par les garants personnels. Nul étonnement donc à voir cette position réaffirmée aussi généralement. Mécontent du devenir devant le juge de ses prétentions (par ex., en nullité du cautionnement ou en disproportion de celui-ci), la caution ne peut donc pas invoquer en bout de chaîne procédurale le retrait litigieux faute de droit pouvant encore être qualifié ainsi. Il faut, par conséquent, réfléchir mûrement en amont à la stratégie procédurale la plus adaptée et ce dès le début de l’instance ou du moins de l’apparition d’une cession de droits litigieux.

C’est, sans aucun doute, en raison de l’originalité plurielle de ces différentes thématiques que la décision a été choisie pour une sélection aux Lettres de chambre. Elle invite à une certaine prudence quand le débiteur retrayant (ou sa caution) souhaite mettre en jeu le mécanisme du retrait litigieux de l’article 1699 du code civil. L’avant-projet de réforme du droit des contrats spéciaux, rendu en avril 2022 par la commission présidée par M. le professeur Philippe Stoffel-Munck, ne ferait guère évoluer à ce titre l’esprit du retrait litigieux aux articles 1686 à 1692 du code civil (v. p. 18 de l’avant-projet).

 

Com. 20 nov. 2024, F-B, n° 23-15.735

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