Chronique CEDH : du prétendu laxisme de la Cour européenne des droits de l’homme dans le contentieux des étrangers
Au cours des mois de mai et juin 2023, la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas rendu d’arrêts ou de décisions particulièrement retentissants, mais un bon nombre d’entre eux sont venus faire écho à des questions qui étaient au cœur de l’actualité médiatique et politique : déferlement de la haine sur les réseaux sociaux, droit des étrangers, violences policières et contre la police, violences domestiques, protection de l’environnement… Puisse leur présentation rapide apporter des repères à celles et ceux qui se précipitent devant les micros et les caméras pour les aborder en mettant en cause l’Europe toutes les dix phrases sans même connaître la différence entre la Cour de Luxembourg et la Cour de Strasbourg qui pourtant ne méritent pas, en fonction des sujets, les mêmes reproches ou les mêmes encouragements.
Le devoir de vigilance des utilisateurs de réseaux sociaux
Dans la série, un seul arrêt de grande chambre s’est prononcé sur le fond : l’arrêt Sanchez c/ France du 15 mai (n° 45581/15, Dalloz actualité, 24 mai 2023, obs. F. Merloz), qui approuve les limitations à la liberté d’expression d’un homme politique relativement connu adoptées pour lutter contre la propagation des discours haineux, en l’occurrence, islamophobes, sur les réseaux sociaux. En l’espèce, le responsable de la stratégie internet d’un célèbre parti d’extrême droite, devenu plus tard maire d’une petite ville du Gard, avait été condamné à une amende de 3 000 € pour n’avoir pas supprimé assez vite du mur de son compte Facebook ouvert au public pendant une campagne électorale les commentaires haineux à l’encontre d’un adversaire politique que ses amis avaient laissés sous un billet qu’il y avait publié. La grande chambre a estimé que la sanction pouvait passer pour nécessaire dans une société démocratique en raison de la notoriété du requérant qui donnait une résonance et une autorité particulières aux mots relayés par son compte Facebook et surtout parce que, techniquement, les messages publiés par ses admirateurs constituaient non seulement un fil de discussion, mais bien une forme de dialogue itératif formant un ensemble homogène, que les autorités internes avaient pu raisonnablement appréhender comme tel. L’essentiel, c’est que la formation la plus solennelle de la Cour européenne des droits de l’homme n’ait pas marqué la moindre hésitation, a admettre, dans l’esprit de l’arrêt Delfi AS c/ Estonie du 16 juin 2015 relatif aux commentaires publiés sur un portail d’actualité en ligne, que les utilisateurs de réseaux sociaux qui sont techniquement en mesure de le faire, ont la responsabilité de supprimer promptement les messages illicites et préjudiciables aux droits d’autrui que des tiers y déversent par leur truchement. La Cour souligne par ailleurs, pour les approuver, que les autorités internes avaient uniquement reproché au requérant son manque de vigilance et de réaction concernant certains commentaires publiés par des tiers. On peut donc percevoir dans l’arrêt Sanchez un signe de consécration européenne du devoir de vigilance qui pourrait avoir un retentissement sur l’interprétation à donner à la loi du 27 mars 2017, imposant, dans un tout autre contexte de responsabilités en cascade, un devoir de vigilance aux sociétés mères et aux entreprises donneuses d’ordre.
Du prétendu laxisme de la Cour européenne des droits de l’homme dans le contentieux des étrangers
Dans son commentaire de l’arrêt de grande chambre Üner c/ Pays-Bas du 18 octobre 2006, toujours retenu dans la 10e édition des Grands arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (PUF, 2022, ss. dir. F. Sudre) pour illustrer la question des droits des étrangers au respect de la vie familiale, la professeure Aurélia Schamaneche écrit (p. 678) qu’il apporte « la démonstration du caractère inébranlable de la grande attention accordée à la souveraineté étatique dans le contentieux des étrangers ». Apparemment, l’information n’est pas remontée jusqu’aux responsables d’un parti dit de gouvernement qui viennent de proposer une réforme constitutionnelle pour « restaurer notre souveraineté en matière migratoire ». Certes le texte de la proposition de loi n° 1322 enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 2 juin 2023 vise-t-il plus explicitement à écarter la primauté du droit de l’Union afin d’assurer le respect de l’identité constitutionnelle de la France ou la sauvegarde des intérêts fondamentaux de la Nation, mais dans le discours public il semble bien que Strasbourg soit mis dans le même sac que Bruxelles et Luxembourg. Or les arrêts rendus au cours des deux derniers mois par la Cour européenne des droits de l’homme témoignent toujours de la grande attention qu’elle porte à la souveraineté étatique dans le contentieux des étrangers et offrent pratiquement une nouvelle illustration du proverbe « quand on veut noyer son chien, on dit qu’il a la rage ».
La décision la plus significative à cet égard est la décision d’irrecevabilité X. et autres c/ Irlande du 22 juin (n° 23851/20). Rappelant qu’il est acceptable de soumettre à une condition de résidence la possibilité de demander à bénéficier de l’allocation familiale dans la mesure où les systèmes de sécurité sociale fonctionnent essentiellement au niveau national, la Cour à en effet écarté le grief de discrimination entre les mères titulaires d’un permis de séjour et celles en attente d’une décision sur leur statut au regard du droit des étrangers pour déclarer irrecevable la requête de ces dernières se plaignant de n’avoir pas bénéficié d’allocations familiales pour leurs enfants qui pourtant résidaient déjà régulièrement dans le pays, eux. La solution est d’autant plus remarquable que d’ordinaire l’intérêt des enfants est la principale, sinon la seule raison susceptible de pousser la Cour à se montrer moins attentive à la souveraineté étatique dans le contentieux des étrangers comme vient encore de le démontrer l’arrêt A.C et M.C. c/ France du 4 mai (n° 4249/21) qui a dressé des constats de violation de l’article 3 qui prohibe les traitements inhumains et dégradants et de l’article 5 qui consacre le droit à la liberté et à la sûreté en raison du placement en rétention administrative d’une mère et de son enfant âgé de sept mois en vue de leur transfert vers l’Espagne au titre du règlement dit « Dublin III ». La très médiatique affaire de l’imam Iquioussem a également donné à la Cour l’occasion de démentir par une décision du 15 juin (n° 37550/22) les accusations de laisser-aller xénophile régulièrement portées contre elle, en déclarant irrecevable la requête du conférencier provocateur qui tenait à faire endosser à la France la responsabilité de son expulsion vers le Maroc par la Belgique où il s’était enfui.
On relèvera aussi l’arrêt Bijan Balahan c/ Suède du 29 juin (n° 9839/22), qui refuse de considérer que l’extradition vers la Californie d’une personne accusée d’avoir provoqué un préjudice corporel aggravé de torture constituerait une violation de l’article 3 dans la mesure où il n’était pas établi qu’elle l’exposerait à une condamnation à une peine de réclusion perpétuelle.
On pourrait même ajouter la décision Saakashvili c/ Ukraine du 29 juin (n° 8113/18) déclarant irrecevable la requête d’une haute personnalité politique frappée d’une déchéance de nationalité. Bien entendu, et comme on l’a déjà vu, les étrangers n’ont pas vocation à perdre systématiquement devant la Cour de Strasbourg. C’est ce que montrent les arrêts Azzaqui c/ Pays-Bas du 30 mai (n° 8757/20, Dalloz actualité, 8 juin 2023, obs. M. Brillat) qui constatent une violation de l’article 8 parce qu’une décision révoquant un permis de séjour n’avait pas suffisamment pris en compte la maladie mentale de l’intéressé ; Ghadamian c/ Suisse du 9 mai (n° 21768/19) qui dresse le même constat en raison d’un curieux refus d’autorisation de séjour pour rentiers et Poklikayew c/ Pologne du 22 juin (n° 1103/16) qui dénonce l’inobservation des garanties procédurales accordées par l’article 1er du Protocole n° 7 dans le cas d’une procédure d’expulsion d’étrangers, vers la Biélorussie en l’occurrence.
Retentissement des violences policières et contre les policiers
Les émeutes qui ont embrasé la France à la fin du mois de juin 2023 ont été ponctuées par des épisodes dont certains venaient de trouver un écho dans la jurisprudence récente de la Cour de Strasbourg.
C’est ainsi que l’on peut relever un arrêt Yengibarian et Simonyan c/ Arménie du 20 juin (n° 2186/12) dressant un constat de violation des volets substantiel et procédural de l’article 2 protecteur du droit à la vie dans une affaire où un jeune homme avait été tué par balles tirées par un policier au cours d’une course poursuite.
On signalera encore l’intérêt de l’arrêt Kazan c/ Turquie du 6 juin (n° 5821215/11) rendu dans une affaire originale où un tribunal civil, saisi d’une action récursoire par le ministère de l’Intérieur, avait condamné une manifestante, solidairement avec quarante-cinq autres individus, à de dommages-intérêts destinés à rembourser des indemnités versées à des policiers blessés lors d’une manifestation au titre de leurs frais médicaux, alors que l’intéressée avait été acquittée à l’issue d’une procédure pénale. Une telle décision a été jugée contraire à l’article 11 qui consacre le droit, fondamental dans une société démocratique, à la liberté de réunion parce que la loi n’apportait pas de précisions suffisantes pour empêcher une aussi lourde solidarité passive de s’exercer de manière arbitraire sur les participants à la manifestation litigieuse.
Il y a également lieu de méditer, en fonction des récentes tensions survenues en France entre policiers et population, sur la solution retenue par l’arrêt Chkaratishvili c/ Géorgie du 11 mai (n° 31349/20). Estimant non violent quoique perturbateur le comportement d’un manifestant qui, refusant d’obtempérer, avait jeté des haricots sur des policiers en les traitant de « gruau pour esclaves », il a en effet jugé que son arrestation et sa condamnation à huit jours de rétention administrative avaient porté une atteinte disproportionnée à son droit à la liberté de réunion lu à la lumière de son droit à la liberté d’expression…
Intensification de la lutte contre les violences domestiques
Un peu à contre-courant, on trouve un arrêt Germano c/ Italie du 22 juin (n° 10794/12) qui a constaté une violation du droit au respect de la vie privée et familiale d’un mari parce qu’il n’avait pas bénéficié de garanties adéquates contre l’énergique avertissement pour harcèlement que la police lui avait adressé à la demande de son épouse qu’il venait de quitter.
En matière de lutte contre les violences domestiques, les mois de mai et juin ont été marqués par l’arrêt Gaidukevich c/ Géorgie du 15 juin (n° 38650/18) et surtout par l’arrêt A.E c/ Bulgarie du 23 mai (n° 53891/20, Dalloz actualité, 15 juin 2023, obs. A. Lefebvre). Le premier a combiné l’article 2 avec l’article 14 pour stigmatiser des violations de ses deux volets substantiel et procédural en raison du manquement des autorités à protéger une jeune fille contre les violences domestiques exercées si souvent par le compagnon de sa mère qu’elle avait fini par se suicider. Le second a été rendu dans une affaire dans laquelle une jeune fille de tout juste quinze ans avait été battue par l’homme de vingt-trois ans avec lequel elle vivait, sans alarmer outre mesure les autorités, lesquelles avaient estimé que ces brutalités n’avaient pas été assez souvent répétées ou n’avaient pas atteint le seuil de gravité requis par le droit national pour que des poursuites puissent être engagées pour des violences que, d’ailleurs, l’on ne pouvait pas qualifier de domestiques dans la mesure où les jeunes gens ne constituaient pas légalement un couple. Cette attitude a valu à la Bulgarie un constat de violation de l’article 3 parce qu’elle n’avait pas mis en place un système effectif propre à punir toutes les violences domestiques indépendamment de la qualification juridique du couple au sein duquel elles sont administrées. Elle l’a surtout exposée à une mobilisation de l’article 14 qui a conduit à rappeler que les femmes y sont les principales victimes des violences domestiques et à reprocher à son gouvernement de n’avoir pas réfuté les accusations d’inaction institutionnelle que l’ampleur du phénomène avait poussées à porter contre les autorités. En conséquence, elle a estimé que la requérante n’était pas tenue de démontrer avoir été victime à titre individuel d’un préjugé qui, comme on le sait, est souvent le terreau où survivent les discriminations les plus archaïques. Par ailleurs, la Bulgarie s’est mise dans le cas de recevoir un reproche inhabituel et particulièrement intéressant du point de vue de la synergie des sources : le défaut de ratification de la Convention d’Istanbul du 7 avril 2011 sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique. La Cour rappelle, certes, qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur l’opportunité pour un État membre du Conseil de l’Europe de ratifier un traité, mais elle remarque subtilement que n’avoir pas pris la peine de ratifier celui-là était révélateur du faible niveau d’engagement de la Bulgarie dans une lutte efficace contre les violences domestiques.
Les droits de l’homme de la femme face à l’avortement et au délai de viduité
L’expression à la mode de droits humains qui, pour ne pas noyer tous les droits dont les êtres humains peuvent être titulaires dans un inextricable méli-mélo, gagnerait à devenir droits humains fondamentaux, est impuissante à mettre en évidence qu’il existe au regard des droits de l’homme des questions qui ne concernent que les femmes. Une décision et un arrêt récents viennent d’en signaler deux. La première, souvent abordée sous ses différents aspects dans la jurisprudence strasbourgeoise, est celle de l’avortement . Une décision A.M c/ Pologne du 8 juin (n° 4188/21), s’écartant sur ce point du célèbre arrêt Open Door Well Women c/ Irlande du 29 octobre 1992 (n° 14235/88), a déclaré irrecevables les requêtes de plusieurs groupes de femmes se plaignant d’une réforme législative interdisant l’interruption de grossesse en cas d’anomalies fœtales parce que, en l’absence de communication de pièces relatives à leurs situations personnelles, les conséquences de la loi nouvelle étaient pour elles trop hypothétiques, trop lointaines et abstraites pour qu’elles puissent se prétendre victimes au sens de l’article 34 de la Convention. La seconde, inédite dans la mesure où elle ne subsiste plus que dans quelques législations archaïques, est celle du délai de viduité supprimé en France par la loi du 26 mai 2004 entrée en vigueur le 1er janvier 2005. Il convient donc de mettre en évidence l’arrêt Nurcan Bayrakhtar c/ Turquie du 27 juin (n° 27094/20) qui, selon la formule du juge Frédéric Krenc « met en exergue les droits des femmes au regard de la Convention face aux immixtions des autorités dans leur intimité et aux discriminations dont elles sont encore trop souvent les victimes ». Moins timoré que la décision A.M c/ Pologne, il y est parvenu en soulignant fortement, au regard de l’article 8 que « la question de savoir si une femme est enceinte devrait être considérée comme étroitement liée à l’intimité de sa vie privée, et ce que cette femme ait récemment divorcé ou non [en sorte] que subordonner la possibilité qu’une femme divorcée a de se remarier, sans respecter le délai de viduité, à la production d’un certificat médical attestant qu’elle n’est pas enceinte revient à bafouer cette intimité et à placer sa vie privée intime, en ce compris sexuelle, sous le contrôle des autorités » et en affirmant sans la moindre ambiguïté, pour pouvoir établir une violation de l’article 14 en combinaison avec l’article 12 qui consacre le droit de se marier et de fonder une famille, que « l’obligation faite aux femmes divorcées, en raison de la possibilité d’une grossesse, de respecter un délai de viduité de 300 jours à moins qu’elles ne prouvent par un examen médical qu’elles ne sont pas enceintes s’analyse en une discrimination directe fondée sur le sexe, qui ne peut être justifiée par le but de prévenir des incertitudes quant à la filiation d’un éventuel enfant à naître ».
Consolidation et affinement de la jurisprudence relative aux procréations médicalement assistées
Par deux décisions d’irrecevabilité du 30 mai rendues dans les affaires Mondanese et autres c/ Italie (n° 59054/19) et Bonzano c/ Italie (n° 10910/20), la Cour de Strasbourg a appliqué à la lettre les principes résultant de la combinaison de son arrêt Mennesson c/ France du 26 juin 2014 et de son avis consultatif P 16-2008-001 du 10 avril 2019 répondant à une demande de la Cour de cassation française, pour remontrer aux requérants qu’aucune atteinte au droit au respect de la vie privée ne pouvait être invoquée puisque la possibilité d’établir le lien de filiation entre enfant conçu à l’étranger par GPA et parent d’intention par adoption avait été négligée et que le droit au respect de la vie familiale des parents d’intention parfaitement conscients d’avoir enfreint la loi nationale n’avait pas subi d’atteinte démesurée en raison du refus de reconnaître les actes de naissance établis à l’étranger. Quant à l’arrêt A et B c/ France du 8 juin 2023 (n° 12482/21, Dalloz actualité, 15 juin 2023, obs. J.-J. Lemouland) il précise la portée de la solution retenue par l’arrêt C.E c/ France du 24 mars 2022 (n° 29775/18, Dalloz actualité, 21 avr. 2022, obs. J.-J. Lemouland) suivant laquelle la mère d’un enfant conçu « via un donneur amical » pouvait se dire victime d’une violation de l’article 8 en raison de l’impossibilité d’obtenir la reconnaissance d’un lien de filiation entre son enfant et son ex-compagne qui avait vécu avec eux pendant quatre ans. Dans l’affaire de juin 2023, une femme se plaignait au regard de l’article 8 de l’annulation, à la demande de son ex-conjoint, de la reconnaissance de paternité d’une enfant conçue en Espagne par assistance médicale à la procréation avec don anonyme de gamètes. Le même constat de violation n’a pas été dressé parce qu’aucune communauté d’intérêts résultant d’une relation familiale durablement construite n’existait en l’espèce, le transfert d’embryon ayant été réalisé après la cessation de la communauté de vie des époux et le dépôt de leur requête en divorce ; ce qui avait rendu caduc le consentement initial du mari à la PMA.
Vitalité de l’article 8
Comme presque toujours, l’article 8 est, avec l’article 6, § 1er, et l’article 10, celui qui en mai et juin a donné lieu au plus grand nombre d’applications. Certaines n’ont fait que répliquer des solutions désormais bien assises. Ainsi, les arrêts Buhuceanu c/ Roumanie du 23 mai (n° 20081/19), Maymulakhin et Markiv c/ Ukraine du 1er juin (n° 75135/14) d’une part ; R.K. c/ Hongrie du 22 juin (n° 54006/20) d’autre part ont-ils dénoncé des violations du droit au respect de la vie privée et familiale désormais courues d’avance, en cas respectivement, d’absence de toute reconnaissance légale des relations entre personnes de même sexe au nom de la protection de la famille traditionnelle et de lacunes législatives empêchant la modification du sexe sur l’acte de naissance. On est encore moins surpris par l’arrêt I.S. c/ Grèce du 23 mai (n° 19165/20) qui a constaté une fois encore une violation en raison d’obstacles à l’exécution d’une décision de justice accordant un droit de visite ; par l’arrêt P.N. c/ République tchèque du 8 juin 2023 (n° 44684/14), qui, une fois de plus, a considéré qu’il n’y en avait pas eu dans une affaire d’enlèvement international d’enfant, par l’arrêt Nepomnyashchiy c/ Russie du 30 mai (n° 39954/09), qui, en le combinant avec l’article, l’a fait participer au renforcement de la lutte contre la haine homophobe, ou même par l’arrêt Alif Ahmadov c/Azerbaïdjan du 4 mai (n° 22619/14) qui, au nom du principe de proportionnalité, vient allonger la liste déjà significative des condamnations pour expulsion et destruction d’une maison d’habitation en vue de faciliter les activités d’une compagnie pétrolière.
Trois arrêts du 15 mai, Burando Holding B.V et Port Invest (n° 3124/16) ; Janssen De Jong Groep B.V (n° 2800/16) et Ships Waste Oil Collector B.V. (n° 2799/16) ont conclu à des non-violations par les Pays-Bas dans des affaires plus originales de transmission à une autorité chargée de surveiller les pratiques de fixation des prix de données régulièrement obtenues au cours d’une procédure pénale. Une autre conclusion de non-violation a été tirée par l’arrêt Mesic c/ Croatie n° 2 du 30 mai (n° 45066/17) dans une affaire atypique de publication en ligne accusant l’ancien président de la République d’avoir été mêlé à une affaire de pots-de-vin. On peut aussi faire état ici d’un arrêt Association les Témoins de Jéhovah c/ Finlande du 9 mai (n° 31172/19, Dalloz actualité, 25 mai 2023, obs. M. Brillat) relatif à l’obligation pour les communautés religieuses d’obtenir le consentement des personnes dont elles collectent les données personnelles, même si l’article à la non-violation duquel il conclut n’est pas l’article 8 mais l’article 9 qui consacre le droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion. La plus grande originalité se trouve sans doute dans des constats de violation dressés par l’arrêt Margari c/ Grèce du 20 juin 2020 (n° 36705/16, Dalloz actualité, 3 juill. 2023, obs. M. Brillat) parce que le Procureur avait donné l’autorisation de publier les photos et les données personnelles d’inculpés pendant six mois à compter de l’inculpation et par l’arrêt Negru c/ Moldavie du 27 juin (n° 7336/11) parce qu’une personne avait été placée sur la liste des personnes recherchées après un dépôt de plainte de son père.
La promotion des effets environnementaux des forages pétroliers au rang de matière « d’intérêt social significatif »
Un nouvel arrêt rendu contre la Russie pour des faits antérieurs au 16 septembre 2022, date à partir de laquelle elle a cessé d’être partie à la Convention, aura peut-être permis une discrète avancée pour la protection européenne du droit de l’environnement, plus précisément pour la protection de la liberté d’expression des défenseurs de l’environnement. Il s’agit de l’arrêt Bryan du 27 juin (n° 22515/14), qui a constaté une violation de l’article 5, § 1er, consacrant le droit à la liberté et à la sûreté et surtout une violation de l’article 10 garantissant le droit à la liberté d’expression parce que les autorités russes avaient arraisonné le navire de militants de Greenpeace qui avaient escaladé une plateforme de forage pétrolier en mer pour convaincre son exploitant d’abandonner son projet de forages pétroliers en Arctique. Au regard de l’article 5, § 1er, l’arrêt ne fait que reprendre le célèbre arrêt de grande chambre Medvedyev c/ France du 29 mars 2010 (n° 3394/03, Dalloz actualité, 31 mars 2010, obs. S. Lavric) qui s’était déjà prononcé sur les restrictions de liberté des passagers d’un navire arraisonné remorqué pendant des jours. L’arrêt Bryan est, à première vue, plus novateur du point de vue de l’article 10.
On sait depuis longtemps que la protection de l’environnement est une question d’intérêt général ou d’intérêt public certains (v. par ex., l’arrêt de grande chambre Verein Gegen Tierfabriken Schweiz n° 2 c/ Suisse du 30 juin 2009, § 92) ne laissant guère de place à des restrictions au droit à la liberté d’expression des journalistes et des militants qui l’abordent. Or l’arrêt Bryan qualifie de manière inédite la matière des effets environnementaux des forages pétroliers de matière d’intérêt social significatif. Cette dénomination rarissime sinon inédite ne semble pas destinée à rendre encore plus exceptionnelles les restrictions au droit à la liberté d’expression des militants de la défense de l’environnement mais à arrimer dans le champ d’application de l’article 10 leurs initiatives non violentes les plus insolites et les plus disruptives qui n’attirent pas spécialement l’attention par des mots ou des paroles sans lesquels certains font mine de croire qu’il n’ y aurait pas vraiment d’expression relevant d’un droit fondamental.
Dynamisme de l’article 10
On relève là aussi des constats de violation du droit à la liberté d’expression qui n’ont rien de surprenant dans l’arrêt Pricope c/ Roumanie du 30 mai 2023 (n° 60183/17) relatif à la condamnation pour diffamation d’un économiste qui avait publié des articles alléguant la corruption d’un homme d’affaires ou dans l’arrêt Sarisu Pehlivan c/ Turquie du 6 juin (n° 63029/19) qui se rapporte à la sanction infligée après la publication d’une interview à un juge syndiqué. Certains sont plus inattendus comme dans les arrêts Mestan c/ Bulgarie du 2 mai (n° 24108/15) qui consacre une sorte de droit de mener sa campagne électorale dans sa langue maternelle ; Fragoso Dacosta c/ Espagne du 8 juin 2023 (n° 27926/21) qui lave l’affront d’une condamnation pénale infligée à un syndicaliste pour avoir insulté le drapeau national en faisant régulièrement coïncider des manifestations d’agents de nettoyage d’un arsenal militaire avec la solennelle et quotidienne levée des couleurs ou l’arrêt Baydemir c/ Turquie du 13 juin (n° 23445/18) qui dénonce l’exclusion pendant deux sessions et une retenue des deux tiers des indemnités mensuelles d’un député en raison des déclarations faites à la tribune.
Les décisions d’irrecevabilité et les arrêts débouchant sur une non-violation donnent aussi, à leur manière, une idée de la vitalité de l’article 10 dans un rôle de défenseur de l’ordre et d’une certaine forme de décence. Tel est le cas de la décision Gaponenko c/ Lettonie du 15 juin (n° 30237/18) qui considère que la requête d’un détenu russophone se plaignant d’une restriction de l’usage des réseaux sociaux était irrecevable eu égard notamment aux tensions annonciatrices dans l’État défendeur de la guerre d’Ukraine et dans l’arrêt Zhablyanov c/ Bulgarie du 27 juin (n° 36658/18) apportant une onction conventionnelle à la révocation du vice-président du Parlement pour avoir interrompu une minute de silence.
Somnolence relative des articles 2 et 3
Même s’il n’y a pas véritablement de hiérarchie des droits de l’homme, le droit à la vie garanti par l’article 2 et le droit à ne pas être soumis à la torture ou à des peines et à des traitements inhumains ou dégradants énoncé par l’article 3, qui sont les principaux droits auxquels il ne peut être dérogé même en cas d’état d’urgence suivant l’article 15 de la Cour européenne des droits de l’homme, occupent néanmoins une place à part. Ces articles ne sont pourtant pas toujours les plus sollicités. Au cours des mois de mai et de juin, ils ne sont pas restés tout à fait dans l’ombre comme on l’a vu ci-dessus aux numéros 2 et 3, mais il n’ont pas donné lieu à beaucoup d’applications spectaculaires si l’on met à part l’arrêt Navalnyy n° 3 c/ Russie du 6 juin (n° 36418/20) qui constate une violation du volet procédural de l’article 2 en raison de l ’absence d’enquête effective sur l’empoisonnement allégué du principal opposant russe. S’agissant de l’article 2, à peine peut-on faire état de l’arrêt Staveni c/ Bulgarie du 30 mai 2023 (n° 56532/14) qui en constate une violation au nom d’une obligation procédurale de mettre en place un système permettant une réparation appropriée des dommages subis par les proches de la victime d’un accident de la route mortel provoqué par une personne qui n’est pas responsable en raison de son état mental et de l’arrêt Pitsiladi et Vasillessis c/ Grèce du 6 juin 2023 (n° 5049/14, Dalloz actualité, 21 juin 2023, obs. M. Brillat) qui conclut, lui, à une non-violation dans une curieuse et dramatique affaire d’impossibilité d’accès à une collecte financière pour faire soigner un enfant à l’étranger. Du côté de l’article 3, la quête n’est pas guère meilleure puisque, en dehors de l’arrêt Horion c/ Belgique du 9 mai (n° 37928/20) qui en dresse un constat de violation des plus classiques depuis le célèbre arrêt de grande chambre Vinter et autres c/ Royaume-Uni du 9 juillet 2013 (n° 66069/09, Dalloz actualité, 12 juill. 2013, obs. M. Léna) en raison de l’absence de perspective réaliste d’élargissement d’un détenu depuis 44 ans, on ne relève que l’arrêt S.P. c/ Russie du 2 mai n° 36463/11 qui dénonce la pratique très particulière de placer dans une sous-catégorie informelle de détenus les « parias » également privés de droit de recours effectif au regard de l’article 13 de la Convention.
L’apathie des droits consacrés par des protocoles additionnels
Si l’on met à part le droit de nature procédurale prévu par l’article 1er du protocole n° 7 qui a donné lieu à un constat de violation par l’arrêt Poklikayew c/ Pologne du 22 juin (v. préc.), tous les droits reconnus par des protocoles additionnels dont les requérants s’étaient prévalus se sont heurtés, pendant la période étudiée, à des décisions d’irrecevabilité ou à des constats de non-violation. C’est ainsi que l’arrêt Fanouni c/ France du 15 juin (n° 31185/18) a décidé, dans le prolongement du récent arrêt Pagerie c/ France du 19 janvier 2023 (n° 24203/16, Dalloz actualité, 30 janv. 2023, obs. E. Maupin), que les conditions dans lesquelles avait été organisé l’état d’urgence pour faire face à la vague de terrorisme qui a déferlé sur la France en 2015 n’avait pas porté atteinte au droit à la liberté de circulation résultant de l’article 2 du Protocole n° 4. C’est surtout l’apathie du droit au respect des biens consacré par l’article 1er du Protocole n° 1 qui a été remarquable au point que, si la tendance se maintenait, les justiciables pourraient en venir à se demander si ce n’est pas perdre son temps que d’aller l’invoquer devant la Cour de Strasbourg. Plusieurs arrêts ont en effet conclu qu’il n’avait pas été violé: dans un cas de confiscation de 2 millions d’euros au titre de la lutte contre le blanchiment d’argent (Zaghini c/ Saint-Marin du 11 mai, n° 3405/21) ; dans une affaire où les autorités avaient renoncé à la vente d’un terrain agricole pour les besoins de l’intérêt public (Aktürk c/ Turquie du 13 juin 2023, n° 16757/21) ; dans un très complexe dossier de refus de verser rétroactivement la différence de rémunération des juges réduite par une loi déclarée inconstitutionnelle mais sans effet rétroactif (Kubat et autres c/ République tchèque du 22 juin, n° 61721/19) et dans l’hypothèse de condamnation à une amende pour avoir vendu un bien sans établir de reçu (SC Zorina International S.R.L.c/ Roumanie du 27 juin, n° 15553/15). Enfin, pour couronner le tout, un arrêt de grande chambre Fu Quan s.r.o. c/ République tchèque du 1er juin (n° 24847/14) a déclaré irrecevable pour non-épuisement des voies de recours internes la requête d’une société se plaignant de la saisie de ses biens au cours des poursuites pour fraude fiscale, finalement injustifiées, engagées contre son directeur général.
Précisions jurisprudentielles à destination de la profession d’avocat
Avant les avocats, quelques mots à destination des huissiers de justice et des notaires. Le 1er juin, un autre arrêt de la grande chambre Grosam c/ République tchèque (n° 19750/13) a également déclaré irrecevable, pour non-épuisement des voies de recours internes et pour dépassement du délai qui était encore de six mois à partir de la date de la décision interne définitive, la requête d’un huissier de justice qui critiquait la procédure disciplinaire ayant abouti à sa condamnation à une amende. L’arrêt qui concerne les notaires est l’arrêt Kitanowska et Barbulowski c/ Macédoine du Nord du 9 mai (n° 53030/19) qui a constaté une violation du droit à un procès équitable garanti par l’article 6, § 1er, de la Convention parce que les oppositions à des injonctions de payer signifiées par l’un d’entre eux avaient été rejetées sans discussion.
Quant aux avocats, quatre arrêts ou décisions les concernent directement. L’un d’entre ne les étonnera pas puisqu’il se rapporte à nouveau à une question déjà tranchée par la Cour de Strasbourg. Il s’agit de l’arrêt Demirtas et Yuksekdag Senoglu c/ Turquie du 6 juin (n° 10207/21) qui a stigmatisé, sur le fondement de l’article 5, § 4 de la Convention, une atteinte à la confidentialité des entretiens d’un détenu avec ses avocats attentivement protégés par la Cour depuis l’arrêt de grande chambre Öcalan c/ Turquie du 12 mai 2005 (n° 46221/99, AJDA 2006. 466, chron. J.-F. Flauss
; RFDA 2006. 308, étude H. Labayle
; RSC 2006. 431, obs. F. Massias
).
Ils seront peut-être davantage intrigués par l’arrêt Roccella c/Italie du 15 juin (n° 44764/16) qui a refusé de constater une violation de l’article 6, § 1er, à la requête de l’un de leurs confrères qui se plaignait d’avoir été civilement condamné sans avoir pu faire entendre les témoins dont les déclarations avaient été déterminantes pour lui permettre d’échapper à une condamnation pénale pour injure proférée au cours d’une saisie judiciaire et surtout par la décision Ferrara et autres c/ Italie du 8 juin (n° 2394/22). Il s’agit d’une décision cinglante parce la Cour a déclaré irrecevables les requêtes d’une vingtaine d’avocats italiens pour un motif admis par l’article 35, § 3 a, de la Cour européenne des droits de l’homme mais très rarement utilisé : elles ont été jugées constitutives d’un abus du droit de recours individuels. L’abus venait, en quelque sorte, de ce que les avocats avaient eu le front de demander à la Cour de les aider à mettre en place devant les juridictions italiennes un abus de procédure caractérisé consistant à fragmenter les procédures à seule fin de multiplier les honoraires qui leur sont versés au titre de la célèbre loi Pinto de 2001 destinée à lutter contre la lenteur légendaire de la justice italienne. Ainsi la Cour sait-elle se montrer intransigeante à l’égard de quelques membres de la profession qui, dans un contexte culturel donné, sont peut-être un peu trop âpres au gain.
Une leçon plus générale peut sans doute être dégagée de l’important arrêt Sarl Gator c/ Monaco du 11 mai 2023 (n° 18287/18, Dalloz actualité, 2 juin 2023, obs. M. Brillat). En l’espèce, une société commerciale hurlait à l’atteinte à son droit à la liberté d’expression parce que les juges du fond avaient supprimé quatre lignes des écritures rédigées en appel par son avocat en raison de leur caractère diffamatoire envers son adversaire. La Cour a estimé que, eu égard à la marge d’appréciation dont disposaient les autorités nationales, la suppression des propos litigieux n’était pas disproportionnée au but légitime de protection de la réputation d’autrui poursuivi et que par conséquent, il n’ y avait pas eu de violation de l’article 10. Cette solution n’est peut-être qu’une application des principes bien connus issus des arrêts Nikula c/ Finlande du 21 mars 2002 (n° 31611/96) et Morice c/ France du 23 avril 2015 (n° 29369/10, Dalloz actualité, 13 mai 2015, obs. O. Bachelet ; D. 2015. 974
; ibid. 2016. 225, obs. J.-F. Renucci
; AJ pénal 2015. 428, obs. C. Porteron
; Constitutions 2016. 312, chron. D. de Bellescize
; RSC 2015. 740, obs. D. Roets
) d’où il résulte que si l’égalité des armes et d’autres considérations d’équité militent en faveur d’un échange de vues libre, voire énergique entre les parties, il n’en demeure pas moins que les avocats ne peuvent pas tenir des propos d’une gravité dépassant le commentaire admissible sans solide base factuelle. On peut y deviner aussi une volonté de commencer à tempérer l’immunité judiciaire dont bénéficient les avocats et leurs clients pour leurs écrits et plaidoiries où se répandent tant de propos qui servent davantage à faire mal à l’adversaire qu’à étayer une démonstration juridique et qui mis ensemble composent une grande mais peu reluisante chronique de la haine ordinaire.
On remarque, en effet, que la Cour rappelle avec insistance que le droit monégasque vise précisément à tempérer l’immunité judiciaire ; fait observer que les propos litigieux puisés dans les écritures d’un avocat concernent généralement un différend privé et ne s’inscrivent pas dans un débat d’intérêt général appelant, lui, un renforcement de la liberté d’expression ; puis en vient à avertir que la liberté de la parole ou de l’écrit porté devant les tribunaux ne doit pas être absolue et que le juge est investi par la loi d’une mission de contrôle de l’expression judiciaire. Il ne s’agit sans doute pas d’une nouvelle approche mais peut-être d’ un changement de ton annonçant que l’immunité judiciaire dont bénéficient les avocats est désormais dans le collimateur européen.
Éléments de droit social
Deux arrêts méritent ici de retenir trop brièvement l’attention : l’arrêt Yspyrian c/ Lituanie du 27 juin (n° 11643/20) qui considère que le licenciement pour perte de confiance d’une salariée pénalement poursuivie ne porte pas atteinte à son droit à la présomption d’innocence consacré par l’article 6, § 2, de la Cour et l’arrêt Kaymak et autres c/ Turquie du 20 juin (n° 62239/12) qui constate une violation de l’article 11 consacrant le droit à la liberté syndicale parce que des agents de la fonction publique avait reçu un avertissement sans caractère punitif pour avoir installé dans une université un stand de promotion de leur syndicat.
Importance du contentieux de la détention provisoire
Le greffe de la Cour européenne des droits a consacré plus d’une douzaine de ses précieuses fiches thématiques à la plupart des aspects souvent sordides de la détention, mais alors qu’il en a été réservé une à la détention à perpétuité, la détention provisoire n’a pas encore eu cet honneur. Le nombre des arrêts et décisions qu’elle provoque régulièrement pourrait conduire à s’étonner de cette absence. En tout cas, on en compte encore beaucoup pour la période printanière de l’année 2023. Certains ont déjà été signalés (v. préc.). Il convient d’ajouter les arrêts Khokhlov c/ Chypre du 13 juin (n° 53114/20) qui constate une violation de plusieurs paragraphes de l’article 5 consacrant le droit à la liberté et à la sûreté en raison de la durée d’une détention en vue d’une extradition ; Karaca c/ Turquie du 20 juin (n° 25285/15) qui adopte la même solution dans le cas du placement en détention provisoire d’un journaliste qui avait diffusé une série télévisée faisant ressortir les tensions entre deux groupes islamistes ; Panju c/ Belgique du 23 mai (n° 49072/21) qui considère qu’il n’ y avait pas eu violation de l’article 13 combiné avec l’article 6, § 1er, dans une affaire d’absence d’indemnisation du préjudice matériel et moral provoqué par une détention provisoire d’une durée excessive et Badalyan c/ Arménie du 13 juin (n° 28215/11) qui constate une violation du volet procédural de l’article 3 dans une affaire où le requérant alléguait des torture répétées pendant sa détention provisoire.
Actualité des droits procéduraux
L’arrêt Yilmaz Aydemir c/ Turquie du 23 mai (n° 61808/19) a précisé, au regard de l’article 5, § 3, que l’absence de transmission au détenu de la copie des observations écrites communiquées à son sujet du procureur au juge enfreignait le principe d’égalité des armes. Comme d’habitude, c’est cependant l’article 6, § 1er, qui a principalement nourri l’actualité des droits procéduraux au cours de la période étudiée. Ainsi a-t-il été jugé que l’article 6, § 1er, n’avait pas été violé : dans une affaire où le requérant se plaignait de n’avoir pas été informé de son droit à un avocat et de n’avoir pas pu faire interroger son co-accusé (Strassenmeyer c/ Allemagne, 2 mai, n° 57818/18) ; dans un cas d’impossibilité de faire appel d’un jugement fixant le montant des indemnités d’expropriation (Dieudonné c/ France, 4 mai, n° 59832/19, Dalloz actualité, 23 mai 2023, obs. M. Brillat) ; lorsque l’on se trouve dans une des circonstances où il est possible de se dispenser d’une audience publique (Association les Témoins de Jéhovah c/ Finlande, 9 mai préc.) et dans une affaire où était reprochée l’insuffisance de la motivation de la nomination d’un Président de tribunal (Alonso Saura c/ Espagne, 8 juin, n° 18326/19).Il faut également remarquer deux conclusions de non-violation dans le cadre très spécifique de rejet de projets commerciaux avec la Russie et la Biélorussie pour des raisons de sécurité (UAB Ambercore DC et UAB Arcus Norus c/ Lituanie, 13 juin, n° 56574/18 ; UAB Britain c/ Lituanie, 13 juin, n° 13863/19).
Des violations de l’article 6, § 1er, ont été constatées, de manière presque routinière, en raison de l’inexécution d’une décision de justice (Stoyanov et Tabakov c/ Bulgarie, 2 mai, n° 64397/14) ; de l’insuffisance de la motivation d’une décision de justice (Korkut et Amnesty International Turquie c/ Turquie, 9 mai 2023, n° 61177/09 stigmatisant aussi au regard de l’article 11 de la Convention l’imprévisibilité de l’amende qui avait frappé l’association ; Aykhan Akhundov c/ Azerbaïdjan, 1er juin, n° 43467/06) ; de l’insuffisance des garanties prévues pour avoir recours à des témoins oculaires (Erik Adamco c/ Slovaquie, 1er juin n° 19990/20) ; de la durée excessive d’une procédure pénale (Irodotou c/ Chypre, 23 mai n° 16783/20 qui constate aussi une violation de l’art. 13) ; de défaut d’impartialité d’un juge (Urgesi et autres c/ Italie, 8 juin, n° 46530/09 ; Sperisen c/ Suisse, 13 juin, n° 22060/20). Dans les arrêts Ben Amanou c/ Italie du 29 juin (n° 49058/20) qui portait sur l’absence de débats contradictoires dans un procès relatif à l’indemnisation de la victime d’un accident de la circulation ; Supergrav Albania SHPK c/ Albanie du 9 mai (n° 20702/18) relatif à la brièveté du délai imparti pour agir devant la Cour constitutionnelle ; Alkan c/ Turquie du 20 juin (n° 24492/21) se rapportant au refus de nommer un juge à l’issue de sa période de formation et Lorenzo Bragado et autres c/ Espagne du 22 juin (n° 53193/21) rendu dans une configuration très atypique où des juges se plaignaient d’un violation de leur droit d’accès à un tribunal pour pouvoir critiquer le processus de nomination à la gouvernance de la magistrature, les constants de violation de l’article 6, § 1er, éveillent davantage la curiosité.
L’article 6, § 3, qui parfois en concurrence avec l’article 5, décline les droits de caractère procédural des personnes accusées d’une infraction, a lui aussi donné lieu à des constats de violation dans les arrêts Lalik c/ Pologne du 11 mai (n° 47834/19, Dalloz actualité, 13 juin 2023, obs. M. Slimani) parce que des preuves obtenues en violation des droits fondamentaux avaient abouti à une condamnation pour meurtre et dans Khavshabova c/ Géorgie du 29 juin (n° 26134/19) relatif à l’assistance d’un avocat et à l’audition des témoins.
Éléments de procédure européenne
Les mois de mai et juin 2023 ont permis de vérifier l’existence de figures procédurales auxquelles on n’a pas pris l’habitude de s’intéresser : révision d’un arrêt antérieur (Wyszynski c/ Pologne du 11 mai, n° 66/12) et radiation en raison du défaut de présentation d’observations sur la demande de satisfaction équitable (Vod Baur Impex S.R.L c/ Roumanie, 6 juin, n° 17060/15). À propos de satisfaction équitable, on ne peut pas passer sous silence que l’arrêt Sakskoburggotski et Chrobok c/ Bulgarie du 2 mai (n° 38948/10) en alloué une, à titre provisionnel, de 1,6 millions d’euros aux membres de l’ancienne famille royale bulgare en raison d’un injuste moratoire empêchant l’utilisation de leurs terres. Ils auront aussi permis de s’assurer que le Protocole n° 16 allait poursuivre son petit bonhomme de chemin puisque, le 10 mai, la Cour a accepté une demande d’avis consultatif du Conseil d’État de Belgique sur le retrait de l’habilitation d’un agent de sécurité en contact avec des salafistes.
Ces deux mois ont surtout offert une illustration inédite de l’article 37 grâce à la décision Stassart c/ France du 4 mai (n° 79356/17). Il s’agit d’une décision importante qui approfondit remarquablement le dialogue des juges en s’appuyant sur l’évolution de la jurisprudence de la Cour de révision et de réexamen de la Cour de cassation pour pouvoir rayer l’affaire du rôle à la suite d’une déclaration unilatérale du gouvernement reconnaissant une violation de la Convention, s’engageant à verser une réparation adéquate et admettant que la radiation ne préjugerait en rien de la possibilité pour le requérant d’exercer le cas échéant un recours interne pour obtenir, en fonction de l’évolution jurisprudentielle mise en évidence, le réexamen de la procédure pénale.
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