Chronique d’arbitrage : avis de retour au calme

La question de la répartition des compétences entre le conseiller de la mise en état et la cour d’appel cause des maux de tête à tous les praticiens depuis le 1er janvier 2020. L’arbitrage n’a pas échappé à l’épidémie, en raison de la multiplicité des irrecevabilités des griefs dans les recours contre les sentences. Un avis du 20 mars 2024 lève la majorité des doutes, dans l’attente de l’entrée en vigueur du décret du 29 décembre 2023 qui viendra clore le chapitre.

La période récente est riche en décisions marquantes. Comment ne pas évoquer l’arrêt Opportunity Fund (Paris, 2 mai 2024, n° 21/08610), qui conduit la Cour d’appel de Paris à annuler une sentence dans un litige à 15 milliards de dollars en raison du manque d’indépendance du président du tribunal arbitral ? C’est seulement la deuxième annulation de ce genre depuis plus de quatre ans et elle ébranle de nombreuses certitudes. L’arrêt SPSE doit également être observé de près (Paris, 30 avr. 2024, n° 21/19729). Il met en lumière les difficultés tenant à l’examen du champ d’application matériel d’une convention d’arbitrage, alors que la cour aboutit à une solution qui paraît discutable. Enfin, cette introduction ne peut passer sous silence l’arrêt Olin (Paris, 14 mai 2024, n° 23/01696) par lequel le recours en annulation contre une sentence formé plus de trois années après sa reddition est déclaré recevable. Voilà de quoi faire douter de la sacro-sainte efficacité du droit français de l’arbitrage.

Dans le cadre de cette introduction, on ne dira qu’un mot, en forme de clin d’œil, sur les répliques de la très fameuse jurisprudence Achmea c/ Komstroy (l’auteur recommande, pour le suivi de ces questions, la lecture des newsletters de Me Ioana Knoll-Tudor). Alors que les juridictions européennes continuent – et c’est logique – de faire une application stricte des exigences de la Cour de justice (Svea Court of Appeal, 27 mars 2024), les juridictions américaines ne voient pas de difficulté à exécuter les sentences déclarées contraires au droit de l’Union, notamment dans l’affaire Micula (US Court of Appeal for the District of Columbia, 14 mai 2024, Micula c/ Roumanie). C’est toutefois au Tribunal fédéral suisse que revient la palme (Trib. féd., 3 avr. 2024). Ce n’est pas seulement un arrêt, c’est une critique doctrinale de la jurisprudence européenne. La décision commence par poser le cadre en soulignant que « depuis plusieurs années, les organes de l’Union européenne mènent, en effet, une croisade contre de tels arbitrages internationaux ». À propos de l’arrêt Komstroy, elle précise que sa « conclusion a été rendue sous la forme d’un obiter dictum, la question principale posée par la juridiction de renvoi étant tout autre ». Elle ajoute, de façon sévère, mais juste, que « pour aboutir à cette solution, la Cour de justice a mis l’accent sur l’exigence de préservation de l’autonomie et du caractère propre du droit de l’Union européenne, sans nullement tenir compte du droit international ni des règles d’interprétation des traités ». La conclusion est tout aussi brutale et permet de justifier d’écarter les décisions de la Cour de justice. Le Tribunal fédéral juge qu’« en présence d’un conflit entre de telles règles [règles européennes et Traité sur la charte de l’énergie], il se peut que l’autorité judiciaire mise en place par ladite communauté d’États soit tentée, comme dans l’affaire Komstroy, d’affirmer la primauté de son droit sur celui issu de cet autre accord international, donnant ainsi à sa décision le caractère d’un plaidoyer pro domo. Par conséquent, la Cour de céans n’accordera pas de valeur particulière à l’arrêt rendu par la Cour de justice dans l’affaire Komstroy mais s’attachera, au contraire, à rechercher elle-même le sens et la portée de l’article 26 du Traité sur la charte de l’énergie et, à déterminer, le cas échéant, si le droit de l’Union européenne peut effectivement remettre en cause la validité du consentement donné par l’État recourant à la mise en œuvre d’un arbitrage pour régler le différend qui l’oppose à l’intimée ». Certains font du droit, d’autres de la politique. Voilà le tribunal fédéral qui perce à jour la principale faiblesse de la jurisprudence Achmea/Komstroy : elle est rendue uniquement en considération des préoccupations du droit européen et en violation évidente du droit international public. Voilà pourquoi des juridictions se trouvant en dehors de l’Union ne peuvent accepter une telle analyse. Reste que ce n’est pas cette décision qui va réchauffer les relations entre l’Union européenne et la Suisse qui, depuis quelques mois, ne se font pas de cadeaux (CJUE 21 déc. 2023, International Skating Union, aff. C-124/21, Dalloz actualité, 12 janv. 2024, obs. J. Jourdan-Marques ; AJDA 2024. 378, chron. P. Bonneville et A. Iljic ; D. 2024. 331, obs. P. le Centre de droit et d’économie du sport (OMIJ-CDES) et U. de Limoges ; Europe 2024, n° 3, p. 4, étude L. Idot ; CCC 2024. 29, note D. Bosco ; JCP 2024. Doctr. 141, obs. C. Nourissat ). En attendant la suite, l’observateur peut sortir le pop-corn.

L’avis du 20 mars 2024

La Cour de cassation a rendu, le 20 mars 2024, un avis qui n’est pas passé inaperçu (Civ. 1re, 20 mars 2024, n° 23-70.019, D. 2024. 798 , note M. Barba  ; JCP 2024. Actu. 589, note P. Casson ; JCP E 2024. 1144, note D. Mainguy ; Procédures 2024. Comm. 118, obs. L. Weiller ; ibid. Comm. 141, obs. R. Laffly ; Gaz. Pal. 2024, n° 16, p. 6, obs. L. Larribère). La double question posée à la Cour de cassation porte, d’une part, sur la qualification de fin de non-recevoir du moyen fondé sur l’article 1466 du code de procédure civile et, d’autre part, sur la compétence pour connaître de ce moyen. Alors que l’hésitation quant à la première question n’est pas nouvelle, la seconde résulte de la consécration par le décret du 11 décembre 2019 d’une compétence nouvelle pour le juge de la mise en état – et par ricochet le conseiller de la mise en état – pour connaître des fins de non-recevoir. Avant d’examiner dans le détail la décision, deux remarques liminaires doivent être faites.

Premièrement, le choix de la première chambre plutôt que de la deuxième pour rendre l’avis doit être souligné. La puissance d’attraction du droit de l’arbitrage conduit à priver la chambre spécialisée en procédure civile d’une question qui aurait pu naturellement retomber dans son escarcelle. Si la solution retenue s’inscrit dans le sillage des avis rendus par la deuxième chambre civile (Civ. 2e, avis, 3 juin 2021, n° 21-70.006, Dalloz actualité, 17 juin 2021, obs. R. Laffly ; ibid., 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 1139 ; ibid. 2272, obs. T. Clay ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero   ; 11 oct. 2022, n° 22-70.010, Dalloz actualité, 18 oct. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 2015 , note M. Barba et T. Le Bars ; ibid. 2023. 915, chron. F. Jollec, C. Bohnert, S. Ittah, X. Pradel, C. Dudit et J. Vigneras ; Rev. prat. rec. 2022. 5, chron. O. Cousin et O. Salati  ; JCP 2022. 1185, note P. Gerbay), ce choix, qui n’est pas isolé (v. déjà, pour une question purement procédurale, un arrêt au destin funeste, Civ. 2e, 26 sept. 2019, n° 18-14.708, Dalloz actualité, 2 oct. 2019, obs. C. Bléry ; ibid., 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 1891 ; ibid. 2435, obs. T. Clay ; JCP 2019. 2072, note L. Weiller ; Gaz. Pal. 2019, n° 40, p. 25, obs. D. Bensaude ; Procédures 2019, n° 12, p. 23, obs. L. Weiller ; JCP E 2019, n° 50, p. 45, note P. Casson), révèle la place particulière du droit de l’arbitrage au sein de l’ordonnancement juridique français. Le droit français de l’arbitrage a ses chambres, tant à la Cour d’appel de Paris qu’à la Cour de cassation, et il prime sur le reste. Ce ne sont pas les spécialistes qui vont s’en plaindre.

Deuxièmement, on peut se réjouir de la saisine pour avis de la Cour de cassation et, en même temps, regretter sa tardiveté. La difficulté, au moins en ce qui concerne la répartition des compétences entre le conseiller de la mise en état et la cour d’appel, date du décret du 11 décembre 2019. Immédiatement, la doctrine, en particulier le professeur Claire Debourg dans son commentaire de l’arrêt Dommo (C. Debourg, Limites de l’obligation de révélation de l’arbitre : premières précisions de la CCIP-CA, Dalloz actualité, 27 avr. 2020), a mis le doigt sur les problématiques spécifiques en droit de l’arbitrage. Cela fait donc quatre ans que la doctrine se débat avec ce « sparadrap du capitaine Haddock », quatre ans que les praticiens prennent soin de systématiquement « doubler » et quatre ans que, finalement, le conseiller de la mise en état renvoie immanquablement (ou presque) à la cour, sous couvert que le moyen implique de répondre à une question de fond. L’incertitude a donc trop duré. Faute à la question d’être susceptible de remonter par le biais du pourvoi, il était nécessaire de prendre l’initiative d’un avis. C’est désormais chose faite. Pour autant, d’autres questions restent en suspens et doivent faire l’objet d’une telle demande d’avis. On pense à l’interprétation de la notion d’exécution « susceptible de léser gravement les droits de l’une des parties », qui résulte de l’article 1526 du code de procédure civile, qui n’a jamais fait l’objet, en treize années d’existence, d’une interprétation par la Cour de cassation. On pense encore à la radiation du recours en annulation en l’absence d’exécution de la sentence, qui reste à ce jour interprétée (et refusée) exclusivement par les conseillers de la mise en état de la 5-16, sans même le moindre arrêt d’appel et encore moins de cassation. Ainsi, les occasions de faire des demandes d’avis sont nombreuses, d’autant que l’on est face à des questions nouvelles, sérieuses et qui se posent dans de nombreux litiges (critères de l’art. L. 144-1 COJ). Il faut donc espérer que cet avis en appelle d’autres.

Venons-en, désormais, aux deux questions posées à la Cour de cassation, avec dans un premier temps la question de la qualification de la renonciation à se prévaloir d’une irrégularité puis, dans un second temps, celle de la compétence pour en connaître.

La qualification de la renonciation à se prévaloir d’une irrégularité

L’article 1466 du code de procédure civile dispose que « la partie qui, en connaissance de cause et sans motif légitime, s’abstient d’invoquer en temps utile une irrégularité devant le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s’en prévaloir ». Depuis treize ans qu’elle a été consacrée, suivant en cela une inspiration doctrinale (L. Cadiet, La renonciation à se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale, Rev. arb. 1996. 21) et une jurisprudence naissante (Civ. 2e, 21 nov. 2002, n° 01-10.047 ; 20 nov. 2003, n° 02-10.101 ; 11 juill. 2002, n° 00-21.823, D. 2002. 2846  ; 26 janv. 1994, n° 92-12.307 ; Civ. 1re, 31 janv. 2006, n° 03-19.054, RTD com. 2006. 310, obs. E. Loquin ; v. égal., Civ. 1re, 6 juill. 2005, n° 01-15.912, D. 2006. 1424 , note E. Agostini ; ibid. 2005. 3050, obs. T. Clay ; Rev. crit. DIP 2006. 602, note H. Muir Watt ; RTD com. 2006. 309, obs. E. Loquin  ; JCP 2005. I. 179, n° 6, obs. J. Ortscheidt ; Rev. arb. 2005. 993, note P. Pinsolle), la renonciation est devenue la bonne à tout faire du droit de l’arbitrage. Alors qu’elle a un temps été concurrencée par l’estoppel (v. sur le sujet, J. Jourdan-Marques, Le contrôle étatique des sentences arbitrales internationales, préf. T. Clay, LGDJ, 2017, nos 185 s.), elle a assis sa suprématie jusqu’à faire disparaître ce dernier du paysage. Plus encore, la renonciation a débordé de son lit, au point de ne plus s’appliquer aux seules irrégularités, de ne pas se limiter au seul tribunal arbitral, de se désintéresser du motif légitime et de pouvoir être caractérisée indépendamment de toute connaissance de cause. Au vrai, la jurisprudence s’est débarrassée de la lettre de l’article 1466 du code procédure civile, pour consacrer une « méta-renonciation ». Seuls résistent à l’envahisseur, d’une part et à juste titre, l’ordre public international de fond (Civ. 1re, 7 sept. 2022, n° 20-22.118, Dalloz actualité, 28 oct. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 1600 ; ibid. 2330, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 8 nov. 2022, p. 11, obs. L. Larribère ; Procédures 2022. 253, obs. L. Weiller ; JDI 2023. 1021, obs. K. Mehtiyeva ; Rev. arb. 2022. 1251, note C. Jarrosson), à l’exclusion de l’ordre public de protection (Paris, 22 févr. 2022, n° 20/05869, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques) et de procédure (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; 12 oct. 2021, n° 20/02301, Tasyapi, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; 19 oct. 2021, n° 19/23071, Heliotrop, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques) et, d’autre part et à tort, les moyens (de droit et de faits) non débattus en matière de compétence, lorsque la compétence a été discutée (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Schooner, Dalloz actualité, 24 déc. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456 ; ibid. 2021. 1832, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux ; ibid. 2272, obs. T. Clay ; Procédures 2021, n° 2, p. 24, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2021. 419, note P. Duprey et M. Le Duc ; JDI 2021. Comm. 30, obs. M. de Fontmichel).

La renonciation est donc partout. Comment faut-il la qualifier ? Depuis très longtemps, la jurisprudence s’accorde pour adosser la renonciation à la sanction de l’irrecevabilité (v. par ex., Civ. 1re, 31 janv. 2006, n° 03-19.054, RTD com. 2006. 310, obs. E. Loquin : « Tout grief invoqué à l’encontre d’une sentence au titre de l’article 1502 doit, pour être recevable devant le juge de l’annulation, avoir été soulevé, chaque fois que cela était possible, devant le tribunal arbitral lui-même »). Reste à savoir si cette sanction de l’irrecevabilité emporte une qualification de fin de non-recevoir. C’est aujourd’hui un débat qui agite la doctrine (L. Jandard, Réflexion sur la relation entre les notions de fin de non-recevoir et d’irrecevabilité, JCP 2023. Doctr. 850). Il est vrai que la prolifération des fins de non-recevoir finit par faire douter : si toutes les fins de non-recevoir sont sanctionnées par une irrecevabilité, toutes les irrecevabilités sont-elles la conséquence d’une fin de non-recevoir ? L’article 122 du code de procédure civile donne à voir une définition restrictive de la fin de non-recevoir, qui est le moyen « qui tend à faire déclarer l’adversaire irrecevable en sa demande, sans examen au fond, pour défaut de droit d’agir, tel le défaut de qualité, le défaut d’intérêt, la prescription, le délai préfix, la chose jugée ». Or la doctrine a bien vu, à la suite de cet avis, que la renonciation tirée de l’article 1466 du code de procédure civile ne fait pas échec à la demande, mais simplement à un grief (v. not., M. Barba, D. 2024. 798 , nos 11 s.).

La Cour de cassation ne s’en laisse pas compter. Après avoir cité en parallèle les articles 122 et 1466 du code de procédure civile, elle annonce, sans autre cérémonie, que « ce moyen de défense tiré de l’article 1466 du code de procédure, qui tend à faire déclarer irrecevable le moyen d’annulation d’une sentence arbitrale fondé sur l’article 1520 du même code, constitue une fin de non-recevoir du droit de l’arbitrage au sens de l’article 122 susvisé ». Manifestement, la Cour de cassation n’a pas jugé utile de recourir à une motivation enrichie pour asseoir cette qualification. Il est vrai qu’elle n’a jamais été véritablement discutée ou, à tout le moins, aucune alternative n’a été proposée. Ainsi, Loïc Cadiet, dans son article visionnaire, explique déjà que « ce moyen a la nature, me semble-t-il, d’une fin de non-recevoir plutôt que d’une défense au fond ou d’une exception de procédure » (L. Cadiet, La renonciation à se prévaloir des irrégularités de la procédure arbitrale, préc., n° 34). La qualification de fin de non-recevoir de la renonciation est donc consolidée. Toutefois, la motivation suscite deux remarques.

La première concerne la référence par la Cour de cassation à une fin de non-recevoir du droit de l’arbitrage. La précision étonne et on peine à lui donner un sens (v. not., M. Barba, préc., n° 16). La formule semble utilisée en miroir avec la notion de « règle matérielle du droit de l’arbitrage » (on retrouve une occurrence très ancienne, avec un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 19 déc. 1986 ; depuis, elle est utilisée régulièrement en préambule de la règle issue de la jurisprudence Dalico, par ex., Civ. 1re, 30 mars 2004, Uni-kod, n° 01-14.311, RTD com. 2004. 443, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2005. 959, note C. Seraglini ; JCP 2004. II. 10132, note G. Chabot ; S. Bollée, Quelques remarques sur la pérennité [relative] de la jurisprudence Dalico et la portée de l’article IX de la Convention européenne de Genève. À propos de l’arrêt société Uni-kod c/ société Ouralkali, JDI 2006. 126). Dans l’absolu, elle est un insigne distinctif sans grand intérêt et dont on peut se passer, à l’image de la rosette ou du ruban rouge sur la robe d’avocat. Elle est toutefois révélatrice d’une originalité du droit de l’arbitrage, qui concentre en son sein de très nombreuses irrecevabilités spécifiques. En effet, si la renonciation est une fin de non-recevoir du droit de l’arbitrage, il y a, sans aucun doute, d’autres fins de non-recevoir du droit de l’arbitrage. Un exemple nous a été donné par la Cour de cassation à propos du retrait litigieux. Dans la célèbre affaire Hémisphère (dans l’ordre, Paris, 12 avr. 2016, n° 11/20732, Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 24, obs. D. Bensaude ; Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-22.112, Dalloz actualité, 20 mars 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 516 ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée ; ibid. 2448, obs. T. Clay ; AJ contrat 2018. 187, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. crit. DIP 2018. 862, note H. Muir Watt ; RTD civ. 2018. 411, obs. H. Barbier ; ibid. 431, obs. P.-Y. Gautier  ; Rev. arb. 2018. 389, note M. Laazouzi ; Procédures 2018, n° 5, obs. L. Weiller ; JCP 2018. 1111, note P. Casson ; RDC 2018. 354, note R. Libchaber ; JDI 2018. 1202, note P. Pinsolle ; Paris, 7 déc. 2021, nos 18/10217 et 18/10220, Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 1773, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel  ; Gaz. Pal. 3 mai 2022, p. 4, obs. L. Larribère), la Cour de cassation a déclaré irrecevable la demande d’exercice de retrait litigieux, au motif qu’elle n’entre pas dans les cas prévus à l’article 1520 du code de procédure civile (Civ. 1re, 28 févr. 2024, n° 22-16.151, Dalloz actualité, 21 mars 2024, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2024. 482 ; Gaz. Pal. 2024, n° 16, p. 11, obs. L. Larribère). On peut y voir une autre illustration d’une fin de non-recevoir du droit de l’arbitrage.

La deuxième question a trait aux conséquences de la qualification de fin de non-recevoir, indépendamment de celle relative à la compétence pour en connaître. C’est sans doute là que se trouve la véritable difficulté. La jurisprudence juge en effet qu’une partie qui se prévaut d’une fin de non-recevoir doit faire figurer celle-ci dans le dispositif de ses conclusions. Un arrêt de la première chambre civile le dit sans ambiguïté, en énonçant que « dès lors qu’il résulte des productions que la banque s’est bornée, en appel, à invoquer la prescription de la demande indemnitaire au titre d’un manquement à son devoir de mise en garde, sans reprendre cette fin de non-recevoir dans le dispositif de ses conclusions, la cour d’appel n’en était pas saisie » (Civ. 1re, 2 févr. 2022, n° 19-20.640, Dalloz actualité, 8 févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 277 ; ibid. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ; AJDI 2022. 290 ; RDI 2022. 513, obs. J. Bruttin ; RTD com. 2022. 630, obs. D. Legeais ; RTD eur. 2023. 284, obs. A. Jeauneau ). La Cour d’appel de Paris a déjà eu l’occasion de faire application de cette exigence en matière d’arbitrage, en refusant de statuer sur une fin de non-recevoir ne figurant pas au dispositif (Paris, 25 févr. 2020, Dommo, n° 19/07575, n° 19/15816, n° 19/15817, n° 19/15818 et n° 19/15819, Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg ; Dalloz actualité, 4 mai 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ; JCP 2020. 870, note M. de Fontmichel ; v. égal., Paris, 19 oct. 2021, n° 19/23071, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques). Voilà donc, finalement, le plus important de cet arrêt. Ce n’est pas tant la question de la répartition des compétences entre le conseiller de la mise en état ou de la cour qui doit être retenue, mais l’autre conséquence qui découle de cette qualification : l’obligation de faire figurer au dispositif l’argument.

Néanmoins, à y regarder de plus près, l’avis met du plomb dans l’aile à la qualification de demande ou de prétention des fins de non-recevoir. La Cour use à plusieurs reprises de la qualification de « moyen » ou « moyen de défense ». Elle juge par exemple que « ce moyen de défense […] constitue une fin de non-recevoir ». C’est d’ailleurs celle qui est retenue par le code de procédure civile, le titre V étant dédié aux « moyens de défense » par opposition à la « demande en justice » du titre IV. La précision n’est pas anodine, dès lors que l’article 954 du code de procédure civile impose de faire figurer au dispositif des conclusions les seules prétentions, les moyens relevant, quant à eux, uniquement de la discussion. Faut-il pour autant crier victoire et écarter toute référence à la renonciation du dispositif des conclusions ? Absolument pas. On découvre en fait à la lecture de l’avis (et ce qu’avait déjà identifié la Cour d’appel de Paris dans les arrêts précités) que la véritable prétention n’est pas la fin de non-recevoir, mais l’irrecevabilité du grief. Elle le dit explicitement lorsqu’elle précise que « ce moyen de défense tiré de l’article 1466 du code de procédure civile, qui tend à faire déclarer irrecevable le moyen d’annulation d’une sentence arbitrale ». La renonciation, fin de non-recevoir, est donc un moyen et l’irrecevabilité du grief constitue la prétention. En conséquence, le dispositif des conclusions doit mentionner toutes les irrecevabilités (des griefs, des moyens, mais aussi des pièces voire du recours), mais s’abstenir de viser la renonciation, qui n’est rien d’autre que le moyen au soutien de la prétention. De plus, même si la jurisprudence n’est pas fixée, l’irrecevabilité n’est pas une prétention au fond (même si certains commentateurs parlent de « fin de non-recevoir de fond », L. Weiller, obs. préc.), n’est pas soumise à l’exigence de concentration de l’article 910-4 du code de procédure civile (Civ. 2e, 28 mars 2024, n° 22-12.797, Dalloz actualité, 2 mai 2024, obs. M. Barba ; D. 2024. 677  ; contra – et explosif – Civ. 1re, 30 mars 2022, n° 20-20.658).

La compétence pour connaître de l’irrecevabilité

Dès lors que la renonciation issue de l’article 1466 du code de procédure civile a été qualifiée de fin de non-recevoir sanctionnée par une irrecevabilité, la question de la compétence pour en connaître se pose. Le débat résulte, on l’a dit, de la consécration par l’article 789, 6°, du code de procédure civile, d’une compétence pour le juge de la mise en état – et par ricochet, pour le conseiller de la mise en état – pour connaître des fins de non-recevoir. Cette fausse bonne idée (avouons que, comme beaucoup d’autres, nous y avons cru) nécessite de répartir les compétences entre le conseiller de la mise en état et la cour d’appel. La problématique est tellement complexe qu’elle a donné lieu à un échange enflammé (M. Barba, Qui connaît de la recevabilité des demandes nouvelles à hauteur d’appel ?, Dalloz actualité, 13 mai 2022 ; T. Le Bars, La compétence du conseiller de la mise en état pour prononcer l’irrecevabilité des prétentions nouvelles en appel, Dalloz actualité, 7 juill. 2022) et aux avis décisifs du 3 juin 2021 (Civ. 2e, avis, n° 21-70.006, supra) et du 11 octobre 2022 (Civ. 2e, avis, n° 22-70.010, supra). L’avis du 20 mars 2024 poursuit cette œuvre. Simplement, ses jours sont comptés. En effet, le décret du 29 décembre 2023 supprime le renvoi à l’article 789 du code de procédure civile. À l’avenir, les fins de non-recevoir dont le conseiller de la mise en état aura à connaître seront limitativement énumérées à l’article 913-5 du code de procédure civile. Voilà donc un avis qui ne vaut que pour les affaires introduites avant le 1er septembre 2024 et dont l’intérêt se réduira au fur et à mesure de l’épuisement des stocks.

Sur le fond, le raisonnement est limpide. L’avis du 11 octobre 2022 consacre une distinction entre les fins de non-recevoir relevant de l’appel et celles touchant à la procédure d’appel. Partant, la Cour estime que « le moyen de défense fondé sur l’article 1466 du code de procédure civile, tiré de la renonciation à se prévaloir d’une irrégularité non invoquée en temps utile devant le tribunal arbitral, qui constitue une fin de non-recevoir du grief invoqué contre la sentence, ne relève pas de la régularité de la procédure applicable devant la cour d’appel saisie d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale ». Si le moyen ne relève pas de la procédure d’appel, il relève donc de l’appel. Par conséquent, c’est à la cour d’en connaître.

En droit, on peut critiquer l’analyse. Certes, l’irrecevabilité d’un grief touche à l’effet dévolutif, dès lors qu’elle interdit à la cour d’en connaître au fond. Pour autant, c’est tout autant le cas de l’irrecevabilité des conclusions d’intimé, qui continue à incomber au conseiller de la mise en état. Au vrai, la distinction consacrée par la Cour de cassation est friable. D’ailleurs, la Cour d’appel de Paris a jugé l’inverse, déjà à propos de l’argument tiré de la renonciation fondée sur l’article 1466 (Paris, 24 janv. 2023, SOGEA-SATOM, n° 22/00733, Dalloz actualité, 14 mars 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 16 mai 2023, n° 16, p. 7, note L. Larribère ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay ; 19 oct. 2023, AS PNB Banka, n° 22/18712, Dalloz actualité, 12 janv. 2024, obs. J. Jourdan-Marques).

Ceci étant, si la solution retenue par l’avis est contestable en droit, elle est, de loin, la meilleure en opportunité. Premièrement parce qu’elle anticipe la réforme du 29 décembre 2023 et évite aux avocats et magistrats un dédoublement de personnalité, imposant de jongler dans leurs procédures en fonction de la date de la déclaration de recours. Deuxièmement, parce que la solution devrait emporter dans son sillage toutes les autres interrogations relatives à la recevabilité des griefs, lorsqu’elles ne sont pas fondées sur la renonciation. Troisièmement, et bien plus fondamentalement, car l’éclatement des pouvoirs n’est pas compatible avec un examen correct des recours. En effet, la renonciation à un grief est bien souvent une question intimement liée au fond. Il est artificiel de vouloir les dissocier. D’ailleurs, en pratique, il ne nous semble pas avoir vu depuis quatre ans une seule décision du conseiller de la mise en état statuant sur l’irrecevabilité d’un grief. L’unicité de la résolution de la question litigieuse prime ainsi sur une répartition inadéquate des compétences.

Reste une ultime question. La concentration des compétences entre les mains de la cour lui permet de traiter successivement de la question de la recevabilité du grief puis de son bien-fondé. En théorie, une fin de non-recevoir est examinée avant le fond. Cela impose à la cour de respecter cet ordre. C’est d’ailleurs ce qu’elle fait en matière d’obligation de révélation. Sa démarche classique est d’examiner d’abord la renonciation, puis la révélation et enfin le doute raisonnable. Cela conduit à donner un poids considérable à l’exception de notoriété, puisqu’elle est examinée avant même que la cour d’appel ne s’interroge sur l’existence d’une obligation de révéler la circonstance litigieuse. Pourtant, il est intéressant de noter que dans un arrêt MBI, la Cour de cassation a priorisé l’examen de la deuxième condition par rapport à la première (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 18-11.290, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay ). On voit alors poindre un conflit de logique entre la procédure civile et le droit de l’arbitrage. Du point de vue du droit de l’arbitrage, la question doit être résolue dans l’ordre suivant : l’arbitre a-t-il l’obligation de révéler la circonstance (fond) ? La partie aurait-elle dû avoir, en tout état de cause, connaissance de cette circonstance au point de devoir demander immédiatement la récusation de l’arbitre (fin de non-recevoir) ? la circonstance est-elle de nature à créer un doute raisonnable dans l’esprit des parties sur l’indépendance des arbitres (fond) ? Pourtant, la procédure civile impose un autre ordre, qui, à ce jour, prime dans l’esprit de la cour d’appel.

Cela dit, tous les cas d’ouverture ne bénéficient pas du même enthousiasme. Par exemple, en matière d’ordre public international, on ne voit presque jamais la cour d’appel statuer explicitement sur la recevabilité du grief. Pourtant, la question se pose, en particulier lorsque le principe ou la règle mobilisée n’est pas d’ordre public international. Dans cette hypothèse, le grief échappe à tout contrôle du juge du recours, faute d’entrer dans les cas d’ouverture prévus par l’article 1520 du code de procédure civile. À ce titre, il doit être irrecevable. Ce n’est pourtant pas la logique suivie par la cour d’appel. Ainsi, quand bien même elle constate, par exemple, qu’une règle n’est pas d’ordre public international (par ex., dans l’arrêt Guess, Paris, 23 nov. 2021, n° 19/15670, Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 915, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke ; ibid. 1773, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel ; JCP E 2022, 1234, note D. Mainguy ; JDI 2022. 483, note P. Mayer ; Gaz. Pal. 2022, n° 15, obs. L. Larribère ; JCP E 2022, n° 27, p. 39, note M.-E. Ancel) elle le rejette plutôt que de le déclarer irrecevable. Pire, le plus souvent, elle se garde de se prononcer sur l’intégration du principe ou de la règle à l’ordre public international, préférant rejeter pour défaut de contrariété de la sentence à la règle visée (par ex., dans la décision Specter Aviation, où la cour reste très évasive sur l’intégration de la liberté contractuelle dans l’ordre public international, préférant constater l’absence d’atteinte à cette liberté, Paris, 12 sept. 2023, n° 22/05263, Dalloz actualité, 13 nov. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay). En cette matière, on voit que l’articulation entre fin de non-recevoir et fond est moins tranchée, ce qui permet à la cour de bénéficier de plus de liberté dans la résolution de la question litigieuse.

Finalement, c’est peut-être là que pourrait émerger la véritable originalité des fins de non-recevoir du droit de l’arbitrage. En ce qu’elles portent sur un contentieux très spécifique et qu’elles sont le plus souvent liées au fond, on peut se demander si elles doivent suivre le même régime que les autres fins de non-recevoir. À ce titre, deux règles spéciales seraient bienvenues : d’une part, la faculté pour la partie de ne pas faire figurer toutes les irrecevabilités des griefs dans le dispositif de ses conclusions ; d’autre part, la faculté pour la cour de ne pas respecter l’ordre de traitement des fins de non-recevoir et du fond, afin de donner à la question litigieuse une réponse construite et directe. En somme, faire primer la bonne administration de la justice et la qualité des décisions sur des exigences artificielles qui se transposent mal au contentieux du recours contre les sentences arbitrales.

Le principe compétence-compétence

Les saisines du juge étatique en présence d’une clause compromissoire sont toujours aussi nombreuses. De cette masse, on voit émerger tout un champ de questions qui échappent purement et simplement à l’effet négatif du principe compétence-compétence. Théoriquement, la solution peut se justifier ; elle n’en doit pas moins être mobilisée avec prudence, sous peine d’ouvrir une brèche définitive dans le principe.

Les clauses alternatives

Il n’est pas rare de trouver dans les contrats des clauses dont la rédaction flirte avec le pathologique. C’est le cas d’une clause figurant dans une charte-partie, qui stipule, dans sa traduction française, que « Tout litige concernant la présente charte-partie sera tranché par arbitrage à Paris, en la forme ordinaire, et en cas de désaccord, par le "Tribunal de commerce de la Seine", Paris ». La question est de savoir si une telle clause impose le renvoi aux arbitres, en application de l’effet négatif, pour statuer sur l’éventuel désaccord. Ce n’est pas l’avis de la Cour d’appel de Paris, dans sa formation internationale de la 5-16 (Paris, 21 mai 2024, Spanaco Five, n° 23/16776), ce qui interdit d’en faire un petit arrêt d’espèce. La cour juge que « la lecture de ces stipulations révèle que la clause dont il s’agit, rédigée en deux parties, présente un caractère mixte : elle prévoit le recours à l’arbitrage pour le règlement des litiges nés de la Charte tout en réservant aux parties la faculté de soumettre leur différend au juge étatique en cas de désaccord, en désignant alors le Tribunal de commerce de Paris comme juridiction compétente ». Partant, elle vérifie l’existence d’un désaccord – ou plutôt l’absence d’accord – sur le recours à l’arbitrage pour retenir la compétence du juge étatique. Pour se justifier, elle précise qu’« il ne s’agit pas en effet de trancher un conflit de compétence entre la juridiction arbitrale et la juridiction étatique sur le fondement de l’article 1448 du code de procédure civile mais de vérifier si le litige relève de la compétence du tribunal de commerce en vertu de la deuxième partie de la clause sur le fondement de laquelle il a été saisi ». La solution est donc une illustration du cantonnement de l’effet négatif. Pour être mise en œuvre, la clause doit être qualifiée : s’agit-il d’une clause compromissoire ou d’autre chose ? L’arbitre bénéficie-t-il d’une priorité pour réaliser cette qualification ? Pas selon la cour. Cela s’entend : la qualification précède le régime et non l’inverse. Pour autant, la cour retarde encore un peu plus la mise en œuvre du régime : elle s’autorise, après avoir qualifié la clause, à rechercher un accord ou un désaccord sur la volonté de recourir à l’arbitrage. Elle pose ainsi la question – à laquelle on ne répondra pas de façon tranchée – de la limite au déclenchement de l’effet négatif, qui semble en tout cas de plus en plus repoussée.

L’opposabilité de la clause compromissoire au professionnel

Tel est pris qui croyait prendre. Voilà la morale de l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Douai dans une toute petite affaire (Douai, 14 mars 2024, n° 23/00919). Dans celle-ci, une personne physique confie à un professionnel des lots de gros œuvre, couverture, étanchéité, menuiseries et peintures, dans le cadre d’un projet immobilier de réhabilitation et d’extension d’une ancienne ferme. En présence de plusieurs factures impayées, pour un montant total d’à peine plus de 10 000 €, le professionnel saisit le tribunal judiciaire d’une demande en paiement. Pourtant, surprise (!), le contrat contient ce qui s’apparente à une clause compromissoire (âme sensible, s’abstenir) : « En cas de difficulté pour l’exécution du présent marché, les parties conviennent de recourir à l’arbitrage avant toute action en justice. Les litiges seront portés devant les tribunaux du lieu d’exécution des travaux ».

Alors que l’on peut penser que c’est le professionnel, qui a rédigé le contrat, qui se serait retranché derrière la clause, c’est la personne physique qui s’en prévaut. Voilà qui n’est pas banal. Ce qui l’est encore moins, c’est que le professionnel tente d’échapper à sa propre clause en mobilisant l’article 2061 du code civil (alors que le contrat est, à première vue, international). L’argument est logiquement rejeté, l’inopposabilité de la clause compromissoire consacrée par l’alinéa 2 de cet article ne bénéficiant qu’à celui qui n’a pas contracté dans le cadre de son activité professionnelle. Par conséquent, le professionnel est invité à se tourner vers l’arbitrage.

Les litiges économiques dans le milieu sportif

Une affaire soumise à la Cour d’appel de Rouen ravira les fans de football. Elle porte sur un litige opposant le club du Havre à ceux de Watford et Udinese, à propos de la signature (avortée) d’un jeune joueur (Rouen, 17 avr. 2024, n° 22/04071). L’action est de nature extracontractuelle et le Havre tente d’échapper à la compétence du Tribunal arbitral du sport (TAS). La cour d’appel n’y fait pas droit et renvoie, sur le fondement de l’article 1448 du code de procédure civile, les parties à l’arbitrage. Elle juge que : « Ces litiges peuvent porter sur des questions de principe relatives au sport ou sur des questions pécuniaires ou autres relatives à la pratique ou au développement du sport et peut inclure plus généralement toute activité ou affaire relative au sport. À défaut de définition restrictive des compétences du TAS, les contentieux susceptibles d’être traités par cette instance comprennent le champ de la responsabilité extracontractuelle au titre des questions pécuniaires et plus généralement de l’activité sportive. Ce champ ne peut dès lors justifier l’exclusion de sa compétence de façon manifeste ».

La renonciation à la convention d’arbitrage postérieure au renvoi à l’arbitrage

Une affaire Nest offre un cas de figure intéressant. Dans une première procédure, les juridictions françaises ont renvoyé les parties à l’arbitrage, au nom de l’effet négatif du principe compétence-compétence (Civ. 1re, 12 mai 2010, n° 09-11.872, D. 2010. 2933, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2011. 191. Chron. Y. Strickler). Par la suite, un arbitrage a été engagé, mais le défendeur a refusé de verser une partie de la consignation exigée par l’institution d’arbitrage. En conséquence, la partie a « résilié » (« terminate » en anglais) la convention d’arbitrage et les juridictions danoises ont été saisies. Par la suite, les juridictions françaises ont été saisies de nouveau. Le défendeur tente de faire échec à cette saisine par deux moyens : l’autorité de chose jugée des décisions françaises dans la procédure datant d’il y a dix ans et, à titre subsidiaire, l’effet négatif du principe compétence-compétence. En appel, la cour écarte l’exception d’incompétence (Paris, 17 nov. 2022, n° 20/14672, Dalloz actualité, 9 janv. 2023, obs. J. Jourdan-Marques). Le pourvoi est rejeté (Civ. 1re, 15 mai 2024, nos 22-23.832 et 23-10.778). La Cour de cassation juge que « la société Nest A/S avait adressé au centre d’arbitrage le 12 août 2013 une lettre qui refusait le délai sollicité par M. [S] pour réunir la provision complémentaire de 80 000 € et prononçait la résiliation de la convention d’arbitrage, et qu’elle avait, le même jour, puis de nouveau, en janvier 2014, saisi du litige une juridiction étatique danoise, c’est dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation que la cour d’appel en a déduit une volonté non équivoque de la société Nest A/S de renonciation à la convention d’arbitrage, constitutif d’un événement nouveau modifiant la situation antérieurement reconnue en justice ». Deux enseignements donc : premièrement, le refus de payer une provision et la saisine consécutive des juridictions étatiques caractérisent une renonciation à la convention d’arbitrage, dans la droite ligne de l’arrêt Tagli’apau (Civ. 1re, 9 févr. 2022, n° 21-11.253, Dalloz actualité, 16 mars 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 358 ; ibid. 2330, obs. T. Clay ; RTD com. 2022. 487, obs. E. Loquin  ; JCP 2022. 553, note M. de Fontmichel ; Gaz. Pal. 2022, n° 11, p. 23, note J. Clavel-Thoraval ; ibid., n° 15, p. 1, obs. L. Larribère ; Procédures 2022. Comm. 100, obs. L. Weiller ; JCP 2022. Doctr. 724, obs. L. Jandard ; JCP E 2022. 1307, note P. Casson) ; deuxièmement, la renonciation est un fait nouveau qui permet d’échapper à l’autorité de la chose jugée d’une décision d’incompétence antérieure.

La saisine du juge étatique postérieurement à une sentence d’incompétence

L’hypothèse d’un juge étatique saisi après une sentence d’incompétence est rare. D’ailleurs, la singularité de cette situation conforte le droit français dans son choix de renvoyer les parties à l’arbitrage en présence d’une clause compromissoire. La solution se justifie par la probabilité très élevée que le tribunal arbitral soit compétent pour trancher le litige et, par ricochet, le faible risque que les parties aient à revenir devant les juridictions étatiques.

Reste que des contre-exemples peuvent survenir, ce que révèlent deux affaires successives soumises à la Cour d’appel de Paris. La première donne lieu à un arrêt Feldsaaten (Paris, 2 avr. 2024, n° 23/10896). L’affaire est intéressante, car complexe. Le litige porte sur le paiement de certaines factures à une société d’affacturage. Les contrats à l’origine des créances contiennent deux clauses compromissoires distinctes. La première prévoit un arbitrage de la Chambre arbitrale internationale de Paris (CAIP) suivant les règles de l’International Seed Federation (ISF). La seconde précise simplement « Arbitration : Bonn », avec encore un renvoi aux règles ISF.

Dans un premier temps, le factor (la société d’affacturage) saisit le Tribunal de commerce de Paris. Après un jugement de compétence, la cour d’appel infirme et renvoie les parties à mieux se pourvoir. Le factor saisit alors, dans un deuxième temps, la CAIP de demandes en paiement de ses factures. Le tribunal arbitral scinde les demandes en deux et retient sa compétence à l’égard de celles fondées sur la première clause compromissoire. En revanche, à propos des demandes fondées sur la seconde, il se dit incompétent au profit de « la chambre arbitrale de l’Union française des semences (UFS) ». À la suite de cette sentence, dans un troisième temps, le factor saisit l’UFS pour connaître de ses demandes subsistantes. Surprise, le tribunal arbitral UFS se déclare incompétent, au motif que les règles ISF ne s’appliquent pas aux factures litigieuses. Dans ce contexte, le factor, dans un quatrième temps, saisit à nouveau le Tribunal de commerce de Paris. Logique ? Pas pour le débiteur, qui soulève une exception d’incompétence, sollicitant le renvoi du demandeur devant la chambre arbitrale de l’Union allemande des semenciers à Bonn.

Au vrai, cette affaire ressemble à s’y méprendre à la scène culte du laissez-passer A38 dans le célèbre album La Zizanie d’Astérix et Obélix. Fort heureusement, la cour d’appel y met un terme, en écartant la clause compromissoire et l’exception d’incompétence au profit des juridictions… allemandes.

Le raisonnement suivi par la cour d’appel est assez convaincant, même si l’absence d’un élément – qui n’a sans doute pas été invoqué par les parties – interroge. Pour le défendeur, la question de l’applicabilité de la seconde clause compromissoire a été tranchée par la première sentence, qui, quand bien même elle n’a pas retenu sa propre compétence, a désigné l’arbitre compétent pour connaître de cette fraction du litige. À l’inverse, pour le demandeur, le second tribunal arbitral a également statué sur cette question et a écarté sa compétence, notamment en raison de l’inapplicabilité matérielle des règles ISF au litige. Il y a une incompatibilité entre ces deux sentences. Toutefois, ce n’est pas sous cet angle que l’analyse est menée. Pour la Cour d’appel de Paris, dès lors que la question de l’applicabilité matérielle des règles ISF a été tranchée par la seconde sentence, celle-ci dispose de l’autorité de la chose jugée. Elle en déduit que « L’UFS ayant déjà statué sur cette question, l’exception d’incompétence au profit de la juridiction arbitrale de Bonn formée par la société Freudenberger se heurte à l’autorité de la chose jugée de la sentence rendue le 6 novembre 2020 ». Dit autrement, la prétention du défendeur selon laquelle la clause compromissoire est applicable au litige se heurte à l’autorité de chose jugée de la seconde sentence. Partant, l’exception d’incompétence est – conséquence logique de l’autorité de chose jugée – irrecevable.

Si le raisonnement est habile, il manque sans doute une étape. La question est de savoir pourquoi il convient de faire prévaloir l’autorité de chose jugée de la seconde sentence, plutôt que celle de la première ? En effet, si l’une écarte la compétence, l’autre, à l’inverse, la retient. D’ailleurs, dans un cas comme dans l’autre, le tribunal arbitral se prononce sur une compétence qui n’est pas la sienne, mais celle d’un troisième tribunal arbitral. Or dans un cas comme dans l’autre, si l’article 1484 du code de procédure civile offre à la sentence arbitrale l’autorité de chose jugée dès qu’elle est rendue, c’est sans compter la nécessité d’une reconnaissance en France de la décision. Cette reconnaissance, qu’elle se fasse à titre principal ou à titre incident, peut donner lieu à un examen de la compétence. À ce titre, l’ordre juridique français ne doit pas pouvoir reconnaître ensemble ces deux sentences. En effet, si le juge français examine à son tour la compétence, il devra statuer en faveur de l’une (les règles ISF s’appliquent) ou de l’autre (les règles ISF ne s’appliquent pas) des solutions. Ainsi, on peut se demander si, plutôt que de se limiter à mobiliser l’autorité de chose jugée de la seconde sentence, il n’est pas préférable d’envisager la reconnaissance incidente des deux sentences pour faire prévaloir celle qui, au sens du droit français de l’arbitrage, a correctement statué sur la compétence pour connaître des demandes fondées sur le second contrat. Encore fallait-il que ce soit dans le débat, faute de quoi on peut penser que la solution de la cour d’appel, en ce qu’elle met fin à neuf années de recherche du juge compétent, emporte la conviction.

La deuxième affaire est plus simple (Paris, 26 mars 2024, Campus ESG, n° 23/09968). Le litige porte sur un contrat de prêt consenti par une société à une autre société qu’elle contrôle. Ce contrat de prêt ne contient pas une clause compromissoire. À l’inverse, un avenant au contrat de prêt stipule que « les parties conviennent que dans la perspective de la cession du Campus ESG à un tiers, considérant que les parties ne sont plus dans le même contexte d’associés, estime que la clause d’arbitrage à l’amiable telel quelle a été prévu dans la convention ne se justifie plus et qu’en cas de litige, seuls les Tribunaux de Paris seront compétents ». Pour autant, dans le cadre d’une cession de parts sociales, une clause compromissoire figure dans le contrat. On se trouve face, d’une part, à un contrat de prêt contenant une clause attributive de juridiction et, d’autre part, un contrat de cession d’actions avec une clause compromissoire.

La spécificité de l’affaire réside dans la décision antérieure du tribunal de commerce de sursoir à statuer. Par la suite, le tribunal arbitral s’est déclaré incompétent pour connaître du litige, quand bien même la motivation retenue paraît confuse. C’est en tout cas à la suite de cette décision que le tribunal de commerce a repris la procédure et s’est déclaré compétent. La Cour d’appel de Paris confirme le jugement. Elle juge que « le contrat de prêt liant les parties à la présente procédure comporte en revanche, dans son dernier état, une clause attributive de juridiction au profit du tribunal de commerce de Paris et exclut de façon expresse le recours à l’arbitrage, manifestant ainsi, sans ambiguïté, leur volonté de soumettre leur différend au juge étatique ». Surtout, elle précise qu’il « ne saurait à cet égard être fait grief au tribunal de commerce d’avoir méconnu le principe dit de compétence-compétence, selon lequel il appartient à l’arbitre de statuer par priorité sur sa propre compétence, les juges consulaires ayant au contraire pris soin d’attendre que le tribunal arbitral se prononce avant de statuer sur leur compétence pour connaître du litige ». La priorité n’a donc pas été violée et le tribunal de commerce a pu retenir sa compétence sur le fondement de la clause attributive de juridiction.

Au final, la solution est logique. On peut même penser que, dans la présente espèce, le sursis à statuer était inutile. En effet, la présence d’une clause attributive de juridiction dans le contrat fondant l’action dont le juge étatique est saisi est à inscrire au rang des rares situations où la jurisprudence accepte de retenir une inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage (Civ. 1re, 4 juill. 2006, n° 05-11.591, Champion supermarché France (Sté) c/ Recape (Sté), D. 2006. 2127 ; RTD com. 2006. 764, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 2006. 959, note F.-X. Train ; 18 mars 2015, n° 14-11.571 ; 4 déc. 2019, n° 18-23.395, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay ). Dès lors, la compétence en faveur des juridictions françaises aurait sans doute pu être tranchée plus rapidement dans un sens identique.

Les mesures provisoires et conservatoires

La Cour d’appel de Paris a eu à statuer dans l’affaire Doosan (Paris, 28 mai 2024, n° 23/05603), à la suite d’un arrêt de la Cour de cassation rendu il y a quelques mois (Civ. 1re, 1er mars 2023, n° 22-15.445, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2023, n° 16, obs. L. Larribère ; JCP E 2023, n° 26, p. 32, note P. Casson ; JDI 2023. 1000, obs. K. Mehtiyeva ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay). Dans cette affaire, la Cour de cassation s’est prononcée sur le point de savoir si la condition d’urgence doit être appréciée à la date à laquelle le juge est saisi ou à la date à laquelle il statue. La solution a été rendue en faveur de la seconde branche de l’alternative : c’est à la date à laquelle le juge statue. Partant, c’est au 28 mai 2024 que la cour d’appel vérifie la condition de l’urgence. Elle rappelle ainsi que « la compétence du juge des référés est dès lors subordonnée à la double condition que les mesures sollicitées présentent un caractère provisoire ou conservatoire et qu’elles se trouvent justifiées par une situation d’urgence qu’il convient d’apprécier à la date à laquelle le juge statue et dont il appartient à Acierinox de rapporter la preuve ». Or, en l’espèce, elle constate que le contrat a pris fin le 31 décembre 2022, ce qui conduit à constater que l’urgence de la mesure est inexistante. C’est alors que l’on se rend compte que ce critère posé par la Cour de cassation aura sans doute pour conséquence d’inciter les défendeurs à user de manœuvres dilatoires et des voies de recours pour tenter de retarder la décision, afin de faire disparaître l’urgence de la situation.

Les recours contre la sentence

Les aspects procéduraux

Le délai d’exercice du recours en annulation

L’article 1519 du code de procédure civile prévoit que le recours en annulation cesse d’être recevable s’il n’a pas été exercé dans le mois de la notification de la sentence. Ce bel énoncé, qui visait, suivant l’intention des rédacteurs du décret, à réduire le délai d’exercice du recours, est un mirage. L’affaire Olin le révèle, de façon caricaturale (Paris, 14 mai 2024, n° 23/01696). Deux sentences ont été rendues, l’une partielle, le 28 juin 2016 et l’autre finale, le 25 mai 2018. La Libye, défenderesse à l’arbitrage, a comparu à la procédure. Les deux recours en annulation sont introduits le 9 décembre 2022. Plus de cinq ans après la première sentence ; plus de trois ans après la seconde. Dans aucun monde un recours aussi tardif, plus encore en présence d’une partie ayant comparu, ne devrait être jugé recevable. Dans aucun monde, sauf en droit de l’arbitrage, en dépit de la volonté du pouvoir réglementaire de faire passer le délai de recours à un mois à compter de la notification de la sentence. Car le problème n’est pas le délai ; le problème réside dans la notification (sur le sujet, J. Jourdan-Marques, Notification et arbitrage, Rev. arb. 2023. 569).

Il est vrai que la notification de la sentence a un peu tardé. Ce n’est que le 4 avril 2019 que la sentence finale a été remise au parquet pour signification. Que s’est-il passé ensuite ? La sentence a été transmise au ministère français des Affaires étrangères le 6 mai 2019, puis le 31 octobre 2019 au ministère libyen des Affaires étrangères par l’intermédiaire de l’ambassade de France. Le 20 août 2020, l’ambassade de France a demandé au ministère libyen des Affaires étrangères d’accuser réception de la note verbale du 31 octobre 2019. Ce fut chose faite le 31 août 2020. Seize mois après le début de la procédure de signification. Qui va piano va sano.

Suffisant pour faire partir le délai ? Pas pour la Cour d’appel de Paris. Le motif ? Quand bien même la Libye est le destinataire de la signification, c’est au ministère de la Justice, et non au ministère des Affaires étrangères, qu’il appartient de recevoir la décision. Par conséquent, la signification n’est pas achevée. La justification se trouve dans la circulaire CIV/20/05 du 1er février 2006 (NOR : JUS C O5 20 961 C), modifiée par la circulaire CIV/11/08 du 10 novembre 2008 (NOR : JUS C O8 23 97 C), qui décrit un processus en trois étapes : (i) remise à parquet ; (ii) transmission par l’intermédiaire des ministères des Affaires étrangères ; (iii) remise au destinataire. Or, pour la cour, le destinataire, selon la loi libyenne, se trouve être le département du contentieux rattaché au ministère de la Justice, seul habilité à recevoir l’acte. À tout le moins, deux aspects de la motivation sont discutables : d’une part, la normativité d’une circulaire est douteuse, d’autant qu’elle vient ici ajouter au code de procédure civile des conditions qui n’y figurent pas ; d’autre part, la référence à la loi libyenne est, à tout le moins, désarmante en droit de l’arbitrage, qui fait tout pour écarter la règle de conflit au profit de règles matérielles qui viennent précisément lutter contre ce type de subtilités.

La solution est d’autant plus mal avisée qu’elle met le plaideur dans une situation intenable. Premièrement, l’État étranger, qui est à la fois responsable et destinataire de la signification, est mis en mesure de paralyser l’accomplissement de cette formalité. Pire, la cour ajoute même que « la courtoisie internationale n’autorise pas, en outre, une société à saisir directement un ministre ou une autorité étrangère d’une demande personnelle ». Il faut alors se tourner vers les autorités françaises. Malheureusement, il est possible – c’est le cas en l’espèce – qu’elles considèrent que toutes les diligences nécessaires ont été accomplies et qu’il n’est pas nécessaire de les renouveler. Autrement dit, la signification peut être achevée aux yeux des autorités françaises, mais pas aux yeux de la cour. Cerise sur le sundae – pour rendre hommage à nos amis canadiens – le recourant est à la fois libéré de toute contrainte de délai pour exercer son recours et reste, en prime, à l’abri de toute mesure d’exécution, faute pour la signification d’être achevée. Voilà donc un système que même Kafka n’aurait pas pu imaginer, où le destinataire d’une signification dispose d’un pouvoir arbitraire pour en empêcher l’achèvement, se préservant ainsi une voie de recours sans aucune limite de temps, tout en évitant de faire l’objet d’une exécution forcée. Une réforme est urgente.

L’arrêt de l’exécution d’une sentence internationale

L’article 1526 du code de procédure civile permet à une partie de demander au premier président ou, une fois saisi, au conseiller de la mise en état, d’arrêter l’exécution d’une sentence. La procédure est contradictoire. Peut-on contourner cette procédure au profit de celle prévue par l’article 958 du code de procédure civile, afin de se ménager une saisine non-contradictoire du premier président ? S’il faut être affûté pour imaginer cette voie, la Cour de cassation ferme la porte (Civ. 1re, 15 mai 2024, Sultan de Sulu, n° 22-21.854). Elle juge que « la suppression du caractère suspensif des voies de recours par le décret n° 2011-48 du 13 janvier 2011 était une exception qui avait pour but de renforcer l’efficacité et la célérité de l’arbitrage international, [la cour d’appel] en a déduit à bon droit que cet aménagement particulier à l’arbitrage international ne permettait pas de contourner la compétence du premier président résultant de l’article 1526 du code de procédure civile, en introduisant, sur le fondement de l’article 958 du même code, une requête aux fins de suspension des effets, non de la sentence, mais de l’ordonnance lui ayant accordé l’exequatur ». Par conséquent, l’existence d’une procédure spécifique prévue à l’article 1526 du code de procédure civile exclut la possibilité de mobiliser un autre fondement pour échapper au débat contradictoire.

La qualification de sentence

Un « procedural order » par lequel le tribunal arbitral statue sur la régularité de la procédure ayant conduit à la nomination de son président est-il une sentence arbitrale ? La réponse apportée par le conseiller de la mise en état de la Cour d’appel de Paris est négative (Paris, ord., 21 mai 2024, Investio, n° 23/06872). Après avoir rappelé la définition de la sentence arbitrale issue de la jurisprudence Sardisud (Paris, 25 mars 1994, Rev. arb. 1994. 391, note C. Jarrosson), il souligne que l’ordonnance « ne se prononce pas davantage sur la compétence du tribunal arbitral, cette dernière, qui met en cause la nature ou l’objet du litige et l’aptitude des arbitres à connaître des questions qui leur sont soumises en vertu de la convention d’arbitrage, devant être distinguée des conditions et modalités régissant leur investiture, qui était seule en débat en l’espèce. Elle ne peut dès lors être qualifiée de sentence arbitrale pouvant faire l’objet d’un recours en annulation ». Le conseiller précise, à toutes fins utiles, que « la régularité de la constitution du tribunal arbitral, sur laquelle se prononce cette ordonnance, est d’ores et déjà soumise à la cour dans le cadre du recours en annulation formé contre la sentence ». La solution est conforme à la définition classique de la sentence. Elle rappelle implicitement que le juge du recours n’est pas tenu par la qualification des arbitres, qu’elle soit d’ordonnance de procédure ou de sentence.

La rédaction du dispositif des conclusions dans un recours contre une sentence interne

Le recours en annulation contre la sentence interne vise à son annulation. Cette tautologie est peu éclairante, si ce n’est qu’elle révèle que le dispositif des conclusions du recourant doit contenir une prétention relative à l’annulation de la sentence. Néanmoins, l’article 1493 du code de procédure civile ajoute que « lorsque la juridiction annule la sentence arbitrale, elle statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire des parties ». Faut-il en conclure que les conclusions du recourant doivent contenir, en plus d’une prétention relative à l’annulation de la sentence, des prétentions au fond ? Si l’opinion positive a été exprimée par une doctrine avisée (M. Boccon-Gibod et C. Nourissat, De quelques éléments d’actualité en matière de recours en annulation des sentences arbitrales), notamment en raison de l’article 910-4 du code de procédure civile qui impose de concentrer ses prétentions au fond dès le premier jeu de conclusions, le conseiller de la mise en état de la 5-16 livre implicitement une appréciation différente (Paris, ord., 30 mai 2024, Bouygues Bâtiment, n° 19/01051). Sans qu’il se prononce sur la question de la concentration des prétentions, puisqu’il renvoie à la cour d’appel pour cette question, il précise néanmoins que « s’il ne peut être fait grief aux parties d’avoir soutenu et défendu le recours en annulation sans évoquer le fond, au stade dudit recours, il résulte toutefois de l’article 1493 du code de procédure civile que lorsque la juridiction annule la sentence arbitrale, elle statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire des parties ». Implicitement, on pressent que pour le conseiller de la mise en état, le recours en annulation et la résolution du fond par la cour d’appel constituent deux recours distincts, qui font échec à l’obligation de faire figurer dans les premières conclusions les prétentions au fond. Si la solution doit être éprouvée, il convient de souligner qu’en dépit d’une appréciation audacieuse de l’article 910-4 du code de procédure civile, cette solution est sans doute la plus appropriée en termes d’économie procédurale. En effet, contrairement à un appel classique, la cour connaît du fond à la double condition que la sentence soit annulée et que les parties n’en décident pas autrement. Partant, il est préférable de différer le débat sur le fond après la décision sur la validité de la sentence.

Le délai pour signifier les conclusions

Le recours en annulation est soumis, par renvoi de l’article 1527, alinéa 1er, du code de procédure civile aux règles relatives à la procédure contentieuse prévues aux articles 900 à 930-1. Il n’en faut pas plus pour terroriser le praticien, au point que l’on ne voit presque jamais, lors des recours contre la sentence, l’avocat plaidant ne pas être associé à un avocat postulant chargé de la procédure d’appel. Reste que, même pour le plus méticuleux des professionnels, les pièges sont nombreux et certaines situations inédites peuvent donner lieu à des difficultés. Dans cette catégorie, on se rappelle la malheureuse affaire du calcul du délai pour former un déféré (Paris, 13 déc. 2022, Siba Plast, n° 22/00384, Dalloz actualité, 9 janv. 2023, obs. J. Jourdan-Marques). Cette fois, c’est la question de l’application du délai de distance à l’obligation de signification des conclusions d’appelant qui se pose (Paris, ord., 7 mai 2024, Transenergo, n° 23/05506). Deux conditions doivent être réunies pour que la question se pose : d’une part, le défaut de constitution du défendeur au recours au stade de la transmission des conclusions ; d’autre part, le domicile du demandeur au recours, qui doit se situer à l’étranger. Si la configuration n’est pas fréquente, elle est susceptible de se rencontrer en matière de recours contre les sentences internationales.

La question est simple : le demandeur au recours bénéficie-t-il du délai de distance (un mois ou deux mois en fonction du lieu où il demeure) lorsqu’il lui appartient de signifier ses conclusions ? La réponse est négative. À première vue, elle peut surprendre : le délai de distance est accordé à l’appelant tant pour signifier la déclaration de recours que pour notifier ses conclusions. Pourquoi en exclure la signification des conclusions ? Il s’agit là d’une application rigoureuse du code. Les délais de distance sont prévus par l’article 911-2 du code de procédure civile. Celui-ci renvoie à l’article 902, alinéa 3, du code (signification de la déclaration de recours) et à l’article 908 du code (notification des conclusions). En revanche, il ne renvoie pas à l’article 911 du code de procédure civile, qui impose la signification des conclusions. Par conséquent, le délai d’un mois prévu par ce dernier n’est pas augmenté par le jeu de l’article 911-2 du code de procédure civile. Le raisonnement est implacable. Il n’est d’ailleurs pas illogique : permettre au demandeur au recours de signifier ses conclusions à un défendeur non constitué jusqu’à trois mois après l’expiration de son propre délai pour conclure a pour conséquence de priver ce dernier de tout délai pour organiser sa défense. En effet, l’article 909 prévoit pour le défendeur un délai de trois mois pour conclure à compter de la notification des conclusions. Laisser un temps identique pour signifier prive l’exigence de son intérêt, à tout le moins pour un défendeur résidant en France, qui sera hors délai le même jour que le dies ad quem de la signification. Reste que la conséquence, en l’espèce, est terrible pour le demandeur, puisque son recours est caduc.

Le sursis à statuer

La publicité de plus en plus large donnée aux ordonnances du conseiller de la mise en état permet de constater que les demandes de sursis à statuer sont fréquentes. Le plus souvent, elles concernent des procédures menées à l’étranger (Paris, 23 janv. 2024, n° 23/01526, Dalloz actualité, 21 mars 2024, obs. J. Jourdan-Marques ; v. égal., Paris, 9 janv. 2024, n° 22/04007, Dalloz actualité, 21 mars 2024, obs. J. Jourdan-Marques). Dans cette configuration, l’autonomie de l’arbitrage international constitue un obstacle majeur au sursis à statuer. Pourquoi, en effet, attendre le résultat d’une procédure à l’étranger si, dès l’origine, on sait qu’elle sera tenue pour indifférente en France ? La situation est toutefois légèrement différente dans l’affaire PVDSA Servicios (Paris, ord., 30 avr. 2024, n° 20/10169), puisque c’est une procédure pénale en cours à l’étranger qui est au cœur de la demande. Reste que la procédure est ancienne et connue et, à ce titre, le conseiller de la mise en état considère que la partie est irrecevable à demander tardivement un sursis à statuer. La solution est à approuver à deux titres. D’une part, le contrôle de la conformité de la sentence à l’ordre public international n’est pas tributaire, même en matière de corruption, de procédures pénales menées à l’étranger, que ce soit pour retenir ou écarter les allégations. D’autre part, l’ancienneté de la procédure devant les juridictions françaises, saisies plus de quatre années auparavant, justifie à elle seule de ne pas retarder un recours déjà pendant depuis longtemps.

L’audition des parties devant la Cour d’appel de Paris

Voilà ce qui est, à notre connaissance, une grande première. Alors que des experts – notamment des professeurs de droit – sont déjà auditionnés devant la cour, c’est cette fois une comparution personnelle d’une partie qui est fixée (Paris, ord., 4 avr. 2024, Koweït, n° 22/19221). Si la comparution personnelle des parties est prévue par le code de procédure civile (art. 184 s.), par le Protocole de procédure (art. 4.2 et 5.2) et le guide pratique de procédure devant la CCIP-CA (G.3), cette faculté reste peu usitée. En l’espèce, la demande de comparution personnelle est accueillie. La motivation du conseiller de la mise en état permet de prendre la mesure des enjeux. Ainsi, la partie « indique qu’elle était emprisonnée au Koweït au moment du dépôt de la requête d’arbitrage et pendant une période couvrant en partie la procédure arbitrale jusqu’à sa libération sous caution en 2019, et qu’une partie de ses moyens devant la cour porte sur son accès limité aux preuves et à ses conseils durant son incarcération, ce qui aurait impacté la procédure devant le tribunal arbitral et violé son droit à un procès équitable ».

Les modalités de cette comparution sont également intéressantes. L’intéressé étant, d’après l’ordonnance, réfugié dans une ambassade, le conseiller de la mise en état fait droit à une demande d’audition par visioconférence depuis le local diplomatique. Il précise que l’audition aura lieu en anglais, sans possibilité de lire un projet, mais avec l’assistance d’un avocat. Enfin, la partie pourra faire l’objet d’une « cross-examination » par l’autre partie. Voilà qui rapproche cette audition de ce qui se fait habituellement en matière d’arbitrage et met la CCIP-CA à la hauteur des standards étrangers.

La radiation du pourvoi

Il faudra sans doute mettre un peu d’ordre sur la question de la radiation du pourvoi formé contre un arrêt se prononçant sur le recours contre une sentence arbitrale, car on peine à y voir clair. À ce jour, les décisions des délégués du premier président oscillent entre, d’une part, la faculté de radier faute de paiement de l’article 700 prononcé par la cour d’appel (Cass., ord., 17 oct. 2022, Cengiz, n° 21-22.978, D. 2022. 2330, obs. T. Clay ; 12 janv. 2023, iXblue, n° 22-12.198, Dalloz actualité, 14 mars 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; 19 oct. 2023, Eckes, n° 23-10.305, Dalloz actualité, 13 nov. 2023, obs. J. Jourdan-Marques) et, d’autre part, le refus d’une telle solution (Cass., ord., 5 oct. 2023, République de Chypre, n° 22-19.229, Dalloz actualité, 13 nov. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; 5 oct. 2023, Groupement Santullo, n° 22-18.383, Dalloz actualité, 13 nov. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay ). Dans une ordonnance du 14 mars 2024, c’est en faveur de la première analyse qu’il est statué. Le délégué du premier président juge que « si la seule inexécution de la condamnation prononcée sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile ne peut justifier la radiation du pourvoi lorsque celle-ci constituerait une entrave disproportionnée au droit d’accès au juge de cassation, tel n’est pas le cas lorsque la seule condamnation susceptible d’exécution l’est à ce titre et que son défaut d’exécution, sans preuve rapportée des conséquences manifestement excessives qui s’y attacheraient, traduit un refus délibéré de se conformer aux causes de l’arrêt ». En conséquence, il prononce la radiation. Dans l’absolu, peu importe la solution. En revanche, ce qui n’est pas acceptable, c’est que la règle dépende du délégué appelé à statuer sur la demande. Il est temps que la Cour règle le problème en interne et donne aux parties une réponse nette à cette question.

Les aspects substantiels

La compétence

Le consentement à la convention d’arbitrage

L’affaire Lentilles vertes du Val-de-Loire revient devant la Cour d’appel de Paris (Paris, 26 mars 2024, n° 23/08940), après une cassation méritée (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 22-14.708, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay ; JCP 2023. Doctr. 1254, obs. P. Giraud ; pour le premier appel, Paris, 11 janv. 2022, n° 19/17131, Dalloz actualité, 16 mars 2022, obs. J. Jourdan-Marques). La difficulté réside dans l’acceptation de la clause compromissoire par les parties, en présence d’un litige portant lui-même sur l’acceptation du contrat. La cassation a été prononcée au motif que la cour d’appel, dans sa première décision, a fait dépendre l’acceptation de la clause compromissoire de la conclusion du contrat, en violation flagrante du principe d’indépendance matérielle de la convention d’arbitrage. En effet, l’existence d’un accord des parties de recourir à l’arbitrage ne découle pas nécessairement du seul contrat objet du litige, mais peut être établie par d’autres éléments, en particulier un usage entre les parties. C’est précisément l’analyse qui est retenue par la cour, qui juge qu’« il résulte en l’espèce des débats et des pièces versées au dossier que les sociétés Établissement [J] et [V] & Cie ont entretenu des relations commerciales régulières entre 2011 et 2018, qui se sont notamment concrétisées par la conclusion de dix-sept contrats-types passés par l’intermédiaire du courtier Comptoir grainier de l’Ouest et du Centre, pour la vente de lentilles. Chacune de ces conventions prévoit l’application des RULEGS et comporte une clause compromissoire en faveur de la CAIP, formulée en termes identiques ». Partant, l’usage de prévoir un règlement arbitral des différends a vocation à s’appliquer de nouveau à une relation identique, quand bien même le consentement à cette nouvelle convention est discuté. Partant, la cour juge que « la référence qu’elle contient à un “contrat classique” renvoie sans ambiguïté aux formes passées des relations commerciales entre les deux sociétés, soit la rédaction de contrats-types comportant tous une référence au RULEGS et une clause compromissoire en faveur de la CAIP, […]. Il apparaît ainsi qu’indépendamment du contrat dont la formation est contestée, l’échange intervenu entre les parties comporte une référence à la clause compromissoire, faite à l’initiative de la société Établissement [J], qui ne démontre pas avoir envisagé une autre forme de convention qu’un "contrat classique", cette formule, dont elle ne pouvait méconnaître le sens et la portée, impliquant le recours à une clause compromissoire en faveur de la CAIP. En quoi, le consentement de cette société à l’arbitrage est établi ».

La solution est logique et conforme au principe d’indépendance matérielle de la convention d’arbitrage. Elle rappelle surtout que l’examen du consentement à la convention d’arbitrage est déconnecté de celui du contrat principal. Par une forme de gymnastique intellectuelle, il est indispensable de se forcer à penser le consentement à l’un sans aucun regard pour le consentement à l’autre. À ce titre, deux mécanismes bien connus du droit français peuvent être mobilisés pour établir le consentement à une convention d’arbitrage : d’une part, comme en l’espèce, l’usage établi entre les parties d’y recourir ; d’autre part, comme on le trouve souvent, le silence, qui peut valoir acceptation. C’est ainsi qu’il est tout à fait possible qu’un accord au recours à l’arbitrage se trouve caractérisé, alors même que l’accord sur le contrat est inexistant.

Le champ d’application de la convention d’arbitrage

Si l’arrêt de la Cour d’appel de Paris rendu dans l’affaire des Lentilles Vertes du Val-de-Loire emporte la conviction, il en va tout autrement d’un arrêt SPSE rendu quelques jours plus tard (Paris, 30 avr. 2024, n° 21/19729). L’affaire est complexe et il convient d’y revenir de façon approfondie, tant certains enseignements de la cour sont précieux, alors même que la décision finale est sujette à discussion.

SPSE est une société française créée par plusieurs grandes compagnies pétrolières du monde, afin d’acquérir, de construire et d’exploiter des pipelines destinés au transport et au stockage d’hydrocarbures. Le litige l’oppose à trois compagnies pétrolières qui étaient, au moment des faits litigieux, ses administratrices, actionnaires et clientes.

Trois contrats parallèles existent. Premièrement, les statuts de SPSE, qui contiennent une clause compromissoire rédigée de la façon suivante : « Sous réserve de l’application des dispositions légales de l’article 2060 du code civil, toutes les contestations qui peuvent s’élever pendant le cours de la société ou sa liquidation, soit entre la société d’une part, et les actionnaires ou administrateurs d’autre part, soit entre les actionnaires eux-mêmes au sujet des affaires sociales, sont tranchées définitivement par l’arbitrage ». Deuxièmement, un protocole d’accord conclu entre les sociétés actionnaires, qui contient également une convention d’arbitrage qui prévoit que tous différend découlant du présent protocole sont réglés définitivement par l’arbitrage (la clause ne faisant l’objet d’aucune reproduction, la formulation est celle énoncée par la cour d’appel sans que l’on puisse savoir s’il s’agit d’une citation). Troisièmement, des conditions générales régissant la fourniture par SPSE de ses services, qui contiennent elles aussi une clause compromissoire, laquelle n’est pas reproduite.

Dans le cadre du différend qui oppose SPSE à ses anciens administrateurs et actionnaires, un tribunal arbitral est saisi sur le fondement de la clause compromissoire figurant dans les statuts. Deux sentences successives sont rendues. Dans la première, le tribunal se déclare compétent pour se prononcer sur les demandes de SPSE contre les défendeurs sur la base des Statuts, mais retient toutefois son incompétence en vertu du protocole d’accord et des conditions générales. Dans la seconde sentence, le tribunal arbitral tranche un certain nombre de demandes au fond, mais, surtout, se déclare incompétent à propos d’une demande nouvelle relative aux pertes d’exploitation de SPSE. C’est à propos de cette dernière que la Cour d’appel de Paris est saisie en qualité de juge de l’annulation, sur le fondement de l’article 1520, 1°, du code de procédure civile.

Le débat s’arrête, tout d’abord, sur la question de l’autorité de la chose jugée. Tant l’argumentation des parties que la motivation de la cour sont déroutantes. La société SPSE tente (si l’on comprend correctement l’arrêt), dans un premier temps, de faire valoir l’autorité de chose jugée de deux paragraphes issus de la motivation de la sentence finale. Autrement dit, la sentence finale viole l’autorité de chose jugée de la sentence finale (!), en ce que certains paragraphes de la décision ne sont pas conformes à d’autres paragraphes de la même décision. Le moyen était voué à l’échec. Reste que, pour le rejeter, la cour emprunte un chemin (très) détourné. Elle retient qu’« il ressort clairement de la lecture de la sentence que le tribunal arbitral n’a pas attaché aux paragraphes visés par SPSE les effets de la chose jugée ». Sans recopier la motivation de la cour d’appel, elle juge que le tribunal arbitral a raisonné en deux temps, autour d’un principe et d’une exception. Elle en conclut qu’« il résulte de ce qui précède que les paragraphes 259-260 ne correspondent pas à des motifs décisoires ayant autorité de chose jugée de sorte qu’il y a lieu de rejeter la demande de SPSE de voir rejeter le moyen des défenderesses tendant à faire juger que la demande n° 3 n’entrait pas dans la clause compromissoire statutaire ». L’idée qu’une partie de la sentence puisse avoir autorité de chose jugée sur une autre partie de la même sentence est difficilement admissible. L’article 1484 du code de procédure civile énonce que « la sentence arbitrale a, dès qu’elle est rendue, l’autorité de la chose jugée relativement à la contestation qu’elle tranche ». C’est donc une fois qu’elle est rendue, et d’un seul tenant, que l’autorité de chose jugée est accordée à la sentence. L’ordre du raisonnement tenu par les arbitres ne peut pas – et ne doit pas – conduire à créer un chaînage des paragraphes faisant dépendre la validité de la fin de la sentence d’un quelconque respect de l’autorité de chose jugée du début de la sentence. Suivre cette voie, ce n’est ni plus ni moins que réintroduire le contrôle de la contradiction de motifs (sur le sujet, Civ. 1re, 11 mai 1999, n° 95-18.190, RTD com. 2000. 336, obs. E. Loquin ; Rev. arb. 1999. 811, note E. Gaillard ; RTD com. 2000. 336, obs. E. Loquin ; H. Lécuyer, L’abandon du contrôle de la contradiction de motifs des sentences arbitrales, Rev. arb. 2001. 741).

En réalité, dans ce débat, l’autorité de chose jugée n’a pas sa place. Soit, d’une part, la contrariété touche au fond. Dans cette hypothèse, elle échappe à tout contrôle du juge de l’annulation, en ce qu’elle emporte révision de la sentence. Soit, d’autre part, la contrariété touche à la compétence. Dès lors, peu importe l’autorité de chose jugée, puisque, comme le souligne la cour, à juste titre, il « appartient en conséquence à la cour, qui n’est pas tenue par l’appréciation des arbitres sur leur compétence, de vérifier si le litige entre dans le champ d’application de la convention d’arbitrage des statuts ». Partant, l’analyse se fait sur la convention d’arbitrage, indépendamment des éventuelles contradictions du tribunal dans son analyse.

Reste que la démonstration de la cour d’appel présente un intérêt. Sa référence aux « motifs décisoires ayant autorité de chose jugée » offre une piste précieuse pour localiser l’autorité de chose jugée dans les sentences arbitrales. On sait en effet qu’en matière judiciaire, l’autorité de chose jugée est localisée dans le dispositif, à l’exclusion des motifs décisifs et décisoires. En arbitrage, cette voie est difficilement tenable, faute d’une formalisation imposée de la décision sous forme de dispositif. La précision est d’autant plus intéressante que la violation de l’autorité de chose jugée par l’arbitre d’une sentence rendue dans la même instance est constitutive d’une violation de l’ordre public international (Paris, 14 mars 2017, n° 15/19525, Rev. arb. 2017. 1213, note B. Zadjela ; Paris, 29 mai 2018, n° 15/23187, Rev. arb. 2018. Somm. 478). Par conséquent, il est primordial de savoir où elle se cache.

C’est d’ailleurs sur cet aspect que la cour d’appel s’arrête dans un second temps. La question est, cette fois, celle de la conformité de la décision sur la compétence figurant dans la sentence finale par rapport à celle retenue dans la sentence partielle. La cour écarte la difficulté du revers de la main. Elle juge qu’« il convient de relever en effet qu’ayant été formulée après la sentence partielle, la demande n° 3 ne peut pas être atteinte par l’autorité de la chose jugée du dispositif de cette sentence partielle ». Primo, on est surpris de retrouver ici une référence au dispositif de la sentence, qui vient d’être écarté au profit des motifs décisoires quelques paragraphes plus tôt. Deuxio, il n’est pas interdit de se poser la question de la consécration d’une forme d’autorité positive de la chose jugée en matière d’arbitrage. Si la procédure civile y est réservée, le droit de l’arbitrage peut permettre d’avoir une analyse plus nuancée. La solution permet d’éviter qu’à l’occasion d’une seconde sentence, le tribunal arbitral modifie considérablement les analyses retenues dans une première sentence. C’est une voie qui ne doit pas être écartée trop rapidement.

Vient ensuite l’analyse proprement dite de la compétence. La cour rappelle quelques formules classiques qui permettent de poser les bornes de son contrôle. D’une part, on retrouve l’attendu de l’arrêt Dalico, désormais classiquement « augmenté » de la référence à l’investiture de l’arbitre de son pouvoir juridictionnel : « En vertu d’une règle matérielle du droit de l’arbitrage international, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient, directement ou par référence. Son existence et son efficacité s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, qui investit l’arbitre de son pouvoir juridictionnel, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique » (v. déjà, Paris, 5 mars 2024, n° 22/05167, Dalloz actualité, 21 mars 2024, obs. J. Jourdan-Marques). Ce qui est intéressant, c’est que cette formule a déjà subi une évolution. En effet, dans sa première mouture (par ex., Paris, 4 juill. 2023, n° 21/19249, Dalloz actualité, 11 sept. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; 6 juin 2023, n° 21/21386, Dalloz actualité, 11 sept. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay ; JCP 2023. 829, obs. D. Mainguy ;  Rev. arb. 2023. 1070, note F.-X. Train ; JCP 2023. Doctr. 1254, obs. P. Giraud ; Gaz. Pal. 31 oct. 2023, p. 6, obs. L. Larribère ; 5 sept. 2023, n° 21/16899, Dalloz actualité, 13 nov. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay ; 20 févr. 2024, n° 23/01702, Dalloz actualité, 21 mars 2024, obs. J. Jourdan-Marques), la volonté des parties investissait « seule » l’arbitre de son pouvoir juridictionnel. La suppression de cet adjectif présente l’intérêt, à notre estime, de révéler que certaines règles matérielles prennent leurs aises avec la volonté des parties, au point, notamment en matière de transmission de la convention d’arbitrage, d’en faire abstraction (sur le sujet, en matière d’extension, C. Debourg, La clause d’arbitrage et les non-signataires : retour sur l’extension ratione personae de la clause d’arbitrage en droit français, Rev. arb. 2024. 11).

Au titre des principes, la cour ajoute encore, de façon classique, que « le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l’annulation n’ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé ». Elle souligne encore qu’il « appartient en conséquence à la cour, qui n’est pas tenue par l’appréciation des arbitres sur leur compétence, de vérifier si le litige entre dans le champ d’application de la convention d’arbitrage des statuts ». Cette formule s’accompagne d’une seconde, qui en est la suite logique, selon laquelle « il n’appartient pas à la cour d’apprécier la pertinence de leur raisonnement dans l’appréciation de leur propre compétence, mais d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage ».

Surtout, la cour d’appel ajoute une phrase très intéressante. Elle précise que sa mission n’est pas de « de trancher un conflit de compétence entre deux clauses prétendument concurrentes, mais de vérifier si le différend qui oppose les parties entre dans le champ de compétence de l’article 45 des statuts sur la base duquel le tribunal arbitral se trouve constitué ». Il n’est en effet pas rare qu’un litige mette en concurrence plusieurs clauses. La mission de la cour d’appel n’est pas de définir le champ d’application de chacune d’elles, mais de vérifier que l’arbitre est compétent, sur le fondement de l’une d’elles, pour trancher le litige qui lui est soumis.

Fort de ces principes, la cour d’appel passe à l’analyse de compétence. Pour rappel, la clause prévue par les statuts stipule que « sous réserve de l’application des dispositions légales de l’article 2060 du code civil, toutes les contestations qui peuvent s’élever pendant le cours de la société ou sa liquidation, soit entre la société d’une part, et les actionnaires ou administrateurs d’autre part, soit entre les actionnaires eux-mêmes au sujet des affaires sociales, sont tranchées définitivement par l’arbitrage ». La question de la compétence ratione personae ne soulève aucune difficulté. La cour constate que le litige oppose SPSE et ses actionnaires, qui sont tous visés par la clause. Le critère est rempli. C’est sur le critère ratione materiae que la discussion se fait. Cette fois, la cour considère que la demande faite aux arbitres se situe en dehors du champ de la convention d’arbitrage. Pour cela, la cour retient que l’action est fondée sur une violation du protocole d’accord et non des statuts. Par conséquent, au regard de la nature respective de chacun de ces contrats, elle considère que l’action de SPSE n’entre pas dans le champ d’application matériel de la convention d’arbitrage figurant aux statuts. Cette analyse est discutable à trois titres.

Premièrement, la cour d’appel fait abstraction de l’indépendance matérielle de la convention d’arbitrage. Un passage de l’arrêt est très révélateur. La cour y énonce que « l’inverse reviendrait à contrevenir au principe selon lequel le tribunal arbitral est compétent pour connaître des litiges liés au contrat contenant la clause compromissoire, dont l’application ne peut être étendue à des rapports d’obligations qui n’entrent pas dans son objet ». Ce principe, totalement inédit sous la plume de la cour, n’existe tout simplement pas. Il est en conflit avec trente années de jurisprudence qui, tout à l’inverse, conduisent la convention d’arbitrage à rayonner au-delà du contrat dans lequel elle figure. Surtout, il porte atteinte à l’indépendance matérielle de la convention d’arbitrage, puisqu’il vient asservir le champ d’application de celle-ci au contrat dans lequel elle figure. Il faut d’ailleurs remarquer que, au sein de sa motivation, la cour vise l’article 1442, alinéa 2, du code de procédure civile. Il est vrai que, a posteriori, sa rédaction est maladroite et semble aller dans le sens de la cour d’appel. Il dispose en effet que « la clause compromissoire comme la convention par laquelle les parties à un ou plusieurs contrats s’engagent à soumettre à l’arbitrage les litiges qui pourraient naître relativement à ce ou à ces contrats ». Il n’en demeure pas moins que ce fondement ne peut pas être mobilisé, dès lors que l’article 1442 du code de procédure civile n’est pas applicable en matière internationale, faute de renvoi de l’article 1506.

L’erreur d’analyse est renforcée par la préoccupation systématique de la cour d’appel, dans sa motivation, à rechercher le fondement juridique de l’action intentée par SPSE. C’est là encore une méconnaissance de l’indépendance matérielle. En réalité, cela revient à faire dépendre la compétence arbitrale non pas de la demande, mais des moyens invoqués au soutien de celle-ci. La demande, en l’espèce, est relative à une perte d’exploitation. Cette demande existe car un lien contractuel unit SPSE à ses anciens administrateurs ou actionnaires. Ce lien contractuel résulte des statuts. En revanche, le fondement juridique mobilisé au soutien de cette demande se trouve, il est vrai, dans le protocole d’accord. Reste que cette circonstance doit être tenue pour indifférente pour statuer sur la compétence. Pour s’en convaincre, il faut se rappeler qu’une même demande peut être fondée sur une multitude de moyens. On ne peut admettre que pour une même demande, une partie soit contrainte de saisir plusieurs tribunaux, au prétexte que les moyens qu’elle mobilise sont distincts. Cela conduit à des risques de double condamnation, de contradiction de décisions ou encore de violation de l’autorité de la chose jugée.

En somme, l’indépendance matérielle doit conduire tant l’arbitre que le juge à ne pas regarder le contrat. Celui-ci n’a aucun effet sur le champ d’application de la convention d’arbitrage ; il n’est pas non plus pertinent de vérifier si la demande est formée sur son fondement.

Est-ce à dire qu’une convention d’arbitrage a un champ d’application illimité ? La réponse est négative. C’est là le deuxième désaccord dans l’analyse. La convention d’arbitrage peut avoir un champ d’application plus large que le contrat, comme elle peut avoir un champ d’application moins large que le contrat. La réponse à la question figure dans la clause compromissoire et uniquement en son sein. Rappelons, pour la troisième fois, la clause compromissoire figurant aux statuts. Celle-ci énonce que « toutes les contestations qui peuvent s’élever pendant le cours de la société ou sa liquidation, soit entre la Société d’une part, et les actionnaires ou administrateurs d’autre part, soit entre les actionnaires eux-mêmes au sujet des affaires sociales, sont tranchées définitivement par l’arbitrage ». La cour d’appel s’arrête longuement sur la notion « d’affaires sociales ». C’est toutefois méconnaître la lettre de la convention d’arbitrage. La mention des « affaires sociales » ne vise en effet que les litiges entre les actionnaires eux-mêmes. En revanche, les litiges entre la société et les actionnaires ou administrateurs ne sont aucunement concernés par cette restriction du champ d’application matériel. Pour que ce soit le cas, il faut une virgule supplémentaire, avant le groupe nominal « au sujet des affaires sociales ». Autrement dit, la clause aurait été ainsi rédigée : « toutes les contestations qui peuvent s’élever pendant le cours de la société ou sa liquidation, soit entre la société d’une part, et les actionnaires ou administrateurs d’autre part, soit entre les actionnaires eux-mêmes, au sujet des affaires sociales, sont tranchées définitivement par l’arbitrage ». Dans le premier cas, la réduction du champ d’application matériel a vocation à s’appliquer aux seuls litiges entre actionnaires, alors que dans le second, elle concerne aussi les litiges avec la société.

Au vrai, la convention d’arbitrage, tel qu’elle est rédigée, a un champ d’application extrêmement large. Elle vise « toutes les contestations » entre la société et ses actionnaires ou administrateurs. Il n’y a pas de limite particulière et la demande relative à une perte d’exploitation formée par la société contre ses actionnaires ou administrateurs entre sans aucune difficulté dans le champ de celle-ci. Faut-il s’en émouvoir ? La cour le pense, puisqu’elle souligne que « l’interprétation proposée par SPSE revient à donner une compétence générale à la clause compromissoire et à donner au tribunal arbitral, dans les litiges opposant la société à ses actionnaires, une plénitude de juridiction ». Il faut bien avouer que l’on peine à voir où se situe le problème. S’il peut arriver que les parties soient saisies d’une envie irrépressible (et souvent maladroite) de morceler les litiges par la multiplication des clauses contradictoires et au champ d’application bigarré, ce n’est pas le rôle du juge d’imposer cet éclatement. Si la clause est large, il n’y a pas lieu de chercher à réduire son champ d’application.

Par ce type de raisonnement, la cour d’appel en vient à ajouter à la convention d’arbitrage une condition qu’elle ne prévoit pas. C’est la tentation qui, pendant quelques années, a conduit la Cour d’appel de Paris à rendre des solutions très restrictives en matière d’arbitrage d’investissement. Il a fallu l’intervention de la Cour de cassation pour rappeler, à plusieurs reprises, qu’il n’est pas permis d’« ajout[er] au traité une condition qu’il ne prévoit pas » (par ex., Civ. 1re, 1er déc. 2021, n° 20-16.714, Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 2272, obs. T. Clay ; Cah. arb. 2022. 85, note F. de Bérard ; JCP E 2022, n° 11, p. 41, note P. Casson ; Gaz. Pal. 2022, n° 15, obs. L. Larribère ; 13 févr. 2019, n° 17-25.851, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; Cah. arb. 2021. 551, note M. Frappier ; Rev. arb. 2019. 271, note S. Lemaire). C’est à la même critique que s’expose la cour d’appel en enfermant le champ d’application d’une convention d’arbitrage dans un contrat, sans que celle-ci ne le prévoit.

Pour finir, on peut faire une troisième remarque. La clause compromissoire figurant dans le protocole d’accord n’est pas reproduite. Toutefois, la cour d’appel semble indiquer qu’elle prévoit simplement le recours à l’arbitrage, sans autre précision, de façon identique à ce qui est prévu par les statuts. Autrement dit, dans un cas comme dans l’autre, il y a une volonté, réduite à son épure, de recourir à l’arbitrage. Faut-il en tirer comme conséquence que les tribunaux arbitraux visés par ces clauses sont différents ? À notre sens, c’est l’inverse. S’il existe un principe d’indépendance de la convention d’arbitrage vis-à-vis du contrat principal, il n’existe aucun équivalent entre plusieurs conventions d’arbitrage. La multiplication de clauses rédigées à l’identique ne révèle pas une volonté de multiplier les arbitres et de disperser la résolution des litiges, mais au contraire celle de concentrer entre les mains d’un même tribunal la résolution de tous les litiges. Il est indispensable d’encourager les parties à mettre des conventions d’arbitrage dans l’intégralité de leurs instruments, sans craindre que cette multiplication soit à l’origine d’un éclatement du contentieux.

La constitution du tribunal arbitral

L’arrêt Opportunity Fund est de ceux qui font parler dans le monde entier (Paris, 2 mai 2024, n° 21/08610). La raison tient tant au montant du litige – 15 milliards de dollars –, à la décision de la Cour d’appel de Paris d’annuler la sentence et au fondement retenu pour fonder la solution. Il en résulte une publicité immédiate dans les meilleures feuilles de chou de l’arbitrage (S. Moody, Private equity group revives US$15 billion claim against Telecom Italia, Global Arbitration Review, 8 mai 2024 ; L. Bohmer, Paris Court of Appeal sets aside telecommunications award based on reasonable doubts regarding independence of tribunal chair, IA Reporter, 7 mai 2024).

Les faits sont importants. Dans le cadre d’un arbitrage entre Opportunity Fund et Telecom Italia, un tribunal arbitral a été constitué. Une première sentence a été rendue le 1er septembre 2016. C’est elle qui fait l’objet du recours en annulation. Néanmoins, le 22 octobre 2017, Opportunity engage un recours en révision contre la sentence du 1er septembre 2016 (pour le recours contre la sentence se prononçant sur le recours en révision, avec une réouverture des débats à la suite de l’annulation, Paris, 2 mai 2024, n° 20/17575). À l’occasion de ce recours en révision, Telecom Italia révèle dans ses écritures être soumise à la direction et à la coordination de Vivendi. Partant de cette information, Opportunity invite les membres du tribunal arbitral à prendre en considération cette circonstance pour déterminer si une mise à jour de leurs déclarations d’indépendance et d’impartialité est nécessaire. Le président du tribunal arbitral révèle alors que son cabinet représente régulièrement le groupe Vivendi. Dans la foulée, une demande de récusation est formée et la CCI y fait droit par une décision du 5 mars 2018.

La motivation de la Cour internationale d’arbitrage de la CCI est d’ailleurs communiquée en pièce à la cour. Il est possible de la reproduire intégralement : « l’association de Vivendi avec Telecom Italia est d’une importance suffisante pour provoquer objectivement une situation de conflit empêchant [la présidente] de continuer à présider le tribunal arbitral. Toutefois, la Cour estime qu’il n’est pas pertinent de qualifier les intimés de filiales de Vivendi ou non. Il n’en demeure pas moins que Vivendi exerçait un contrôle pertinent sur Telecom Italia. C’est ce qui ressort clairement des faits suivants (considérés collectivement) : (i) Telecom Italia est soumise à la gestion et à la coordination de Vivendi conformément à l’article 2497 du code civil italien ; (ii) Vivendi est le premier actionnaire unique avec une participation de 23,943 % dans le capital de Telecom Italia ; (iii) La Commission nationale pour la Societa e la Borsa (Commissione Nazionale per le Societa e la Borsa) italienne, un organisme indépendant et officiel, a constaté en septembre 2017 que Vivendi exerçait un contrôle de facto sur Telecom Italia. À cet égard, la Cour a également noté que, selon les intimés, la décision a fait l’objet d’un appel ; et (iv) Vivendi a nommé dix des quinze membres du conseil d’administration de Telecom Italia en mai 2017 ». La motivation avancée par la Cour internationale d’arbitrage ajoute que : « si l’importance (ou l’insignifiance) des revenus générés par un client pour un cabinet n’est pas, en soi, un facteur déterminant de la matérialité d’une relation entre Vivendi et les défenderesses, les faits pertinents sont les suivants : (i) entre 2013 et 2017, le cabinet d’avocats de [la présidente] (Gide) a régulièrement travaillé pour Vivendi ; et (ii) Gide s’est clairement réservé le droit de continuer à agir pour le compte de Vivendi et de ses sociétés affiliées (même pendant la procédure de révision et pendant la durée de la procédure), ce qui, indépendamment des revenus générés par Gide, montre que cette dernière considère que sa relation avec Vivendi est d’une importance et d’une valeur significatives. […] l’ensemble de ce qui précède apparaît comme un lien suffisamment étroit entre Vivendi et les défendeurs, et de tels faits soulèvent un doute "raisonnable" quant à l’indépendance et à l’impartialité de [la présidente] au sens de l’article 14 du règlement, qui n’exige pas de constater que le président serait partial ou dépourvu d’indépendance, d’autant plus que Gide s’est réservé le droit de continuer à agir pour le compte de Vivendi et de ses sociétés affiliées dans le cadre de la demande de révision et à l’avenir ».

La récusation du président laisse toutefois intacte la question du sort de la sentence préalablement rendue. C’est là que la cour d’appel intervient et décide de l’annuler, sur le fondement du défaut d’indépendance du président du tribunal.

Voilà une décision qui met dans l’embarras ceux qui, comme l’auteur de ces lignes, militent depuis des années avec ardeur pour un contrôle plus exigeant des sentences en matière d’indépendance avec, au besoin, des annulations plus fréquentes. D’autant que, il faut le dire, la nature des circonstances au cœur du débat paraissent suffisamment problématique pour mettre tant la décision de récusation que d’annulation au-dessus de toute discussion. Pourtant, il y a un petit quelque chose qui chagrine et qui laisse penser que la décision pouvait être différente.

Commençons par le droit. La chose remarquable dans l’arrêt est que le débat n’est aucunement placé sur le terrain de la révélation. Le mot ne figure nulle part dans la décision et l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile n’est pas convoqué. À la place, c’est sur le terrain de l’indépendance et de l’impartialité que la partie se joue. La cour énonce qu’il « appartient au juge de la régularité de la sentence arbitrale d’apprécier à ce titre l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre, en relevant toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur ces qualités, qui sont de l’essence même de la fonction arbitrale ». Elle ajoute, à propos de l’indépendance : « L’appréciation de l’indépendance procède d’une approche objective consistant à caractériser des faits précis et vérifiables, extérieurs à l’arbitre et susceptibles d’affecter sa liberté de jugement, tels que des liens personnels, professionnels ou économiques avec l’une des parties ». Enfin, à propos de l’impartialité, elle précise que « l’impartialité de l’arbitre suppose quant à elle l’absence de préjugés ou de partis pris susceptibles d’affecter son jugement, lesquels peuvent résulter de multiples facteurs tels que la nationalité de l’arbitre, son environnement social, culturel ou juridique » (v. égal., Paris, 23 avr. 2024, Eurecom, n° 22/20058 ; plus ancien, Paris, 8 juin 2021, Aurier, n° 19/02245, Dalloz actualité, 17 sept. 2021, obs. J. Jourdan-Marques).

Dans l’esprit de la cour d’appel – sans que l’on puisse savoir si ce sont les parties qui lui ont imposé cette voie – il semble y avoir deux situations distinctes : celle du défaut de révélation de la circonstance ; celle de l’existence d’une révélation de la circonstance. Dans l’absolu, ce choix est logique : alors qu’à défaut de révélation, il convient de se demander si la circonstance doit être révélée, cette étape de l’analyse n’est pas nécessaire en présence d’une circonstance révélée. Pour le reste, tout semble cependant être identique : d’une part, la nécessité de caractériser un doute raisonnable, condition indispensable à l’annulation de la sentence ; d’autre part, le respect de son obligation de réaction par le recourant, condition de recevabilité de son grief.

Dans l’arrêt de la cour d’appel, le débat se focalise sur le doute raisonnable. Et il faut dire que le raisonnement est convaincant : premièrement, la prise de participation de Vivendi dans Telecom Italia atteint les 24,9 % pendant l’instance arbitrale, ce qui fait du premier l’actionnaire « de référence » du second ; deuxièmement, de nombreux membres du conseil d’administration de Telecom Italia ont été désignés par Vivendi. Dès lors, l’importance de la prise de participation combinée à l’implication directe de Vivendi dans la gouvernance de Telecom Italia est mise en lumière, révélant ainsi un intérêt manifeste au résultat d’un arbitrage qui se chiffre en milliards. Aux yeux de la cour d’appel, Vivendi devient un « tiers intéressé à la procédure arbitrale ». Reste à établir le lien entre le président et ce tiers. Ceux-ci résultent de la seule analyse de la révélation opérée par l’arbitre, qui mettait en lumière le caractère récurrent et significatif de la relation entre son cabinet et Vivendi, au point, pour le premier, de « privilégier la poursuite de ce courant d’affaires nonobstant la procédure arbitrale » (pour un critère similaire, v. l’aff. Volkswagen, Paris, 27 mars 2018, n° 16/09386, D. 2018. 2448, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2018. Somm. 472 ; Gaz. Pal. 2018, n° 27, p. 19, obs. D. Bensaude ; confirmé par Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; ibid. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; RTD com. 2020. 297, obs. E. Loquin ; JCP 2019. 2329, § 3, obs. C. Seraglini).

Face à ces circonstances, la cour d’appel ne peut que conclure que « l’existence de tels liens entre un tiers intéressé à la procédure arbitrale et le cabinet d’avocats au sein duquel l’arbitre exerce en qualité d’associé est de nature à porter atteinte à son indépendance » et d’ajouter, en miroir avec la fameuse affaire PAD (Paris, 10 janv. 2023, n° 20/18330, Dalloz actualité, 14 mars 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP E 2023. 1061, note D. Mainguy ; JCP 2023. Doctr. 221, obs. P. Giraud ; Rev. arb. 2023. 423, note F.-X. Train) que « si l’intégrité de la présidente du tribunal arbitral ne saurait en l’espèce être mise en cause, ces liens n’en caractérisent pas moins une situation objective de conflit d’intérêts propre à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable quant à l’indépendance de l’arbitre ».

On peine à formuler la moindre critique à l’égard de cette partie du raisonnement. L’exigence dans la caractérisation du doute raisonnable a, pendant longtemps, été au cœur de nos préoccupations. Ici, elle ne souffre pas la contestation et, de ce point de vue, l’annulation est justifiée. Il n’en demeure pas moins que l’arrêt a de quoi faire réagir, au moins à trois titres.

Premièrement, la question de la notoriété de l’information est évincée. D’ailleurs, une lecture minutieuse des faits permet de le comprendre : la participation de Vivendi à l’actionnariat de Telecom Italia est postérieure au début de l’arbitrage. Partant, selon la jurisprudence classique de la Cour d’appel de Paris, l’obligation de curiosité qui pèse sur une partie en début d’arbitrage s’éteint une fois l’instance commencée (Paris, 14 oct. 2014, n° 13/14076, D. 2014. 2541, obs. T. Clay ; Newsletter du CMAP, nov. 2014. 10, obs. L. Jandard ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen ; ibid. 2015. 151, note M. Henry ; confirmé par Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude ; plus réc., Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg; ibid. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ; JCP 2019. 2329, § 3, obs. C. Seraglini ; Paris, 11 janv. 2022, n° 19/19201, Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330, obs. T. Clay ; RTD com. 2023. 582, obs. E. Loquin ). Il est dès lors logique qu’elle n’apparaisse pas dans l’arrêt. Faut-il sans plaindre, alors que, une fois de plus, nous n’avons de cesse de vilipender cette exception à l’obligation de révélation ? En réalité, ce qui interroge, c’est l’articulation de la décision avec des arrêts antérieurs. Il y a quelques mois, à l’occasion d’arrêts ESISCO (Paris, 5 déc. 2023, n° 22/20051, Dalloz actualité, 12 janv. 2024, obs. J. Jourdan-Marques) et IASC (Paris, 12 déc. 2023, n° 22/15255, Dalloz actualité, 12 janv. 2024, obs. J. Jourdan-Marques ; Procédures 2024. Comm. 39, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2024, n° 16, p. 8, obs. L. Larribère), nous avions cru pouvoir déceler dans la jurisprudence l’émergence d’une nouvelle obligation de « vigilance, de veille ou de monitorage ». Dans ces décisions, le grief est jugé recevable au motif que le défendeur n’apporte aucun élément probant pour établir son caractère notoire, en particulier en termes de publicité faite sur les réseaux sociaux. En l’espèce, on peut penser que l’information est notoire : l’entrée de Vivendi au capital d’Italia Telecom a fait l’objet d’une très large publicité dans la presse dès 2015. Pour le coup, il ne s’agit pas d’une information de niche destinée aux seuls lecteurs abonnés à une presse payante ; c’est au contraire une information notable du monde économique de ces dernières années. Finalement, il en devient presque déroutant d’être confronté, d’une part, à une notoriété débridée en amont de la révélation et, d’autre part, à une notoriété étouffée en aval. En tout cas, l’obligation de monitorage esquissée il y a quelques mois a fait long feu.

Deuxièmement, l’arrêt pose de façon frontale la question du suivi par les arbitres de leurs conflits d’intérêts. C’est un défi qui se présente à eux et il n’est pas sûr que, en l’état actuel, beaucoup soient en mesure de le relever. Il faut en effet bien noter que la circonstance problématique est doublement indirecte, puisque son cabinet et un tiers s’interposent entre l’arbitre et la partie à l’arbitrage. Partant, selon un standard de « personne raisonnable », il n’est pas certain que l’on puisse lui reprocher son ignorance dans l’évolution de l’actionnariat de Telecom Italia. L’exigence est donc ailleurs et ne repose pas tant sur l’arbitre que sur son cabinet. La qualité et la réactivité des systèmes de conflict check devient un enjeu majeur et une discrimination pourrait, à terme, naître entre les arbitres dont le cabinet en est doté et ceux qui ont un fonctionnement plus artisanal. À ce jour, si la jurisprudence a déjà eu à se saisir de cette problématique des systèmes de conflict check (v. not., Paris, 11 janv. 2022, Rio Tinto, n° 19/19201, Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330, obs. T. Clay ; RTD com. 2023. 582, obs. E. Loquin ; Gaz. Pal. 2022, n° 15, obs. L. Larribère ; JCP 2022. 724, obs. P. Giraud), on peut néanmoins penser que la doctrine ne s’est pas encore suffisamment saisie de la question pour faire mûrir la réflexion en la matière.

Troisièmement, l’affaire PAD et le présent arrêt ont pour point commun de donner lieu à une annulation qui s’appuie sur ce qui a été dit par les arbitres. C’est un problème. Le sentiment qui prédomine est celui selon lequel plus les arbitres en disent, plus grand est le risque d’annulation. S’il est logique pour les parties et le juge du recours de se prévaloir des propos tenus par l’arbitre, il est regrettable que cette situation conduise à favoriser, a contrario, ceux qui dissimulent tout ce qui ne doit pas l’être. L’enjeu, aujourd’hui, est d’inciter les arbitres à révéler (v. not., J. Jourdan-Marques, L’arbitre-cigale et l’arbitre-fourmi, in Mélanges Delebecque, à paraître). Comment le faire alors que, chaque fois qu’ils le font, ils augmentent considérablement le risque d’annulation là où, en ne le faisant pas, le risque diminue ? C’est là un sujet de réflexion qu’il faut prendre au sérieux, sous peine de récompenser les mauvaises pratiques et de sanctionner uniquement les bonnes.

La mission du tribunal arbitral

Lorsque les parties confient à l’arbitre la mission de statuer en amiable composition, celui-ci n’a d’autre choix que de faire usage des pouvoirs qui lui sont ainsi confiés. À défaut, sa sentence encourt l’annulation (Civ. 2e, 15 févr. 2001, n° 98-21.324, Rev. arb. 2001. 135 [1re espèce], note E. Loquin ; D. 2001. 2780, note N. Rontchevsky ; JCP 2002. 10038, note G. Chabot). Au-delà du principe, la difficulté réside aujourd’hui dans les modalités du contrôle du respect par l’arbitre de cette mission par le juge du recours. La Cour de cassation énonce que « le tribunal arbitral […] devait faire ressortir dans sa sentence qu’il avait pris en compte l’équité » (Civ. 1re, 1er févr. 2012, n° 11-11.084, Rev. arb. 2012. 91 [2e espèce], note E. Loquin). Elle ne se contente pas d’un examen simplement formel, la recherche des termes équité ou amiable composition, mais recherche l’intention du tribunal. Cette jurisprudence implique que le contrôle porte non pas « sur la solution donnée par les arbitres au litige, mais sur la manière de parvenir à cette solution » (E. Loquin, obs. ss. Civ. 1re, 28 nov. 2007, RTD com. 2008. 521, spéc. 525).

Reste que l’analyse de la sentence, même tournée vers la recherche de l’intention du tribunal, est loin de conduire à une révision au fond. La lecture de l’arrêt Eurecom (Paris, 23 avr. 2024, n° 22/20058) révèle d’ailleurs que l’examen reste très formel. Après avoir rappelé que « le tribunal arbitral, auquel les parties ont conféré la mission de statuer comme amiable compositeur, doit faire ressortir dans sa sentence qu’il a pris en compte l’équité », elle procède principalement à la recherche des mentions de l’équité dans la sentence. Elle note que « la sentence est motivée (pt VI "discussion") sur 4 pages et l’arbitre a statué en équité comme en attestent notamment la formule utilisée à deux reprises par l’arbitre page 7 et 9 de la sentence "L’arbitre statuant en amiable composition et en équité, au vu des pièces en sa possession" et la prise en compte de considérations d’équité ». Plus intéressant, elle considère que la mission d’amiable compositeur est respectée dès lors que la motivation renvoie à des « considérations d’équité », ce qui semble pouvoir être caractérisé par l’adverbe « raisonnablement » (« De même, [M. [D]] ne pouvait raisonnablement espérer devoir recouvrer les heures refacturées au titre de la prise de connaissance, voire de rectifications a posteriori sur les dossiers requis ») ou « légitimement » (« de même qu’Eurecom a pu légitimement engager des frais de procédure, il n’est pas illogique qu’ECC soit dans une situation d’avoir dû faire de même, avec des frais de l’article 700 du code de procédure civile que le cabinet cédant chiffre à 30 900 €. Cette longue procédure qui aurait probablement pu être évitée si M. [D] et ses associés dans la société Eurecom avait pris le temps d’une analyse des méthodes us et coutumes de Mme [R] pour créer le climat de confiance qui n’aurait pas dû disparaître dans la migration paisible de client entre un cabinet et son successeur »).

L’arrêt est donc doublement intéressant, en ce qu’il met en lumière, d’une part, qu’une simple mention dans la sentence de l’équité ou de l’amiable composition établit le respect de la mission, mais encore, d’autre part, que l’absence de ces termes ne suffit pas à obtenir l’annulation, en ce qu’elle peut être révélée par le reste de la motivation.

Le contradictoire

La partie non-comparante pendant la procédure arbitrale peut-elle prétendre, sous couvert de respect du contradictoire, à une réouverture des débats en formulant une telle demande au-delà de la clôture ? Telle est la question posée à la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (9 avr. 2023, CDS Groupe, n° 20/05737), saisie d’un recours en annulation contre une sentence. L’arbitrage a eu lieu dans le contexte du covid, ce qui rend la solution retenue encore plus marquante. En synthèse, la demande d’arbitrage date du 30 septembre 2019. Elle est suivie par l’acceptation de sa mission par l’arbitre le 27 novembre 2019, un calendrier de procédure le 7 janvier 2020, des conclusions de la partie demanderesse le 15 janvier 2020 et un nouveau calendrier de procédure le 4 mars 2020. Toutes ces pièces sont transmises par lettre recommandée au défendeur non-comparant. Au surplus, les conclusions de la partie demanderesse font l’objet d’une signification le 10 avril 2020. Finalement, la clôture est prononcée le 11 mai 2020, sans que le défendeur n’ait jamais comparu. Le 20 mai 2020, deux jours avant le prononcé de la sentence, l’arbitre reçoit une demande de réouverture des débats. Cette demande est rejetée et la sentence rendue le 22 mai 2020.

L’arrêt soulève deux questions intéressantes. La première est celle de l’applicabilité à l’arbitrage de l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020, à propos de la prolongation des délais échus entre le 12 mars 2020 et le 23 juin 2020. Comme cela a pu être anticipé, l’ordonnance n’inclut pas dans son champ les procédures arbitrales. C’est la conclusion à laquelle aboutit la cour, qui énonce que « l’arbitrage est un dispositif de règlement conventionnel du litige. Il ne constitue pas une procédure judiciaire. Dans ces conditions, l’article 2 de l’ordonnance, qui porte adaptation des règles applicables aux juridictions de l’ordre judiciaire, statuant en matière non pénale, ne lui est pas applicable ». La solution était prévisible et il est simplement malheureux que certaines parties aient cru pouvoir se fonder sur ce texte pour échapper au calendrier fixé pour une procédure arbitrale.

La seconde question porte sur la compatibilité du refus de réouverture des débats avec l’exigence de respect du principe du contradictoire. La situation est rendue d’autant plus délicate par le contexte de confinement durant lequel la clôture est prononcée. Pourtant, la cour d’appel reste ferme. Après avoir rappelé l’ensemble des courriers dont le défendeur était destinataire, elle juge qu’« il résulte de ces éléments que la SAS CDS Groupe a été régulièrement avisée par l’arbitre de sa saisine, du calendrier de procédure comportant la date de clôture et de l’ordonnance de clôture. Elle a bénéficié d’un délai d’un mois, dont elle connaissait la sanction en cas de non comparution, sans faire diligence dans le délai imparti. Au regard de ces éléments, elle ne peut utilement soutenir que le rejet par l’arbitre de sa demande de prorogation des délais consacre une violation du principe du contradictoire ». Elle ajoute, pour enfoncer le clou, que « le devoir [de l’arbitre], aux termes de l’article 1464 du code de procédure civile, [est] de contrôler le cours de la procédure et de s’assurer que celui-ci n’est pas entravé par des manœuvres dilatoires » et encore que « l’arbitre est comptable de la célérité de la procédure d’arbitrage que les parties ont choisie afin, notamment, d’échapper aux délais contraints des procédures judiciaires ». Partant, elle conclut que la partie a bénéficié d’un délai effectif pour exercer ses droits, en particulier avant la période sanitaire. Par conséquent, elle rejette le recours, précisant que « la SAS CDS Groupe, qui n’a effectué aucune formalité démontrant son intention de faire diligence afin que la procédure d’arbitrage suive son cours avec célérité, traduit un comportement dilatoire que l’arbitre était légitime à contourner en refusant le report demandé deux jours seulement avant la date fixée pour le prononcé de la sentence ».

La solution doit être approuvée. En réalité, juger l’inverse revient à offrir au défendeur un boulevard pour retarder la procédure arbitrale. Il ne suffit pas d’arriver en bout de course, quelques jours avant la reddition de la sentence, pour solliciter une réouverture des débats, en se prévalant du totem du respect de la contradiction. Comme le souligne la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, cette exigence n’est pas absolue et ne doit pas faire le lit des manœuvres dilatoires. Dès lors que la partie défenderesse a été informée de la procédure, la non-comparution est une faute qui se résout par la perte de la faculté de présenter sa défense.

L’ordre public international 

L’articulation entre arbitrage et procédure collective est un cauchemar auquel la plupart des praticiens espèrent ne jamais être confrontés. Les vœux étant rarement exaucés, il n’est pas exceptionnel pour les conseils ou les arbitres de devoir gérer la situation d’une partie en procédure collective. Parmi les règles à respecter, celle de l’interdiction de la condamnation de la société frappée par la procédure est la plus marquante (Civ. 1re, 6 mai 2009, n° 08-10.281 P, Mandataires judiciaires associés (Sté) c/ International Company For Commercial Exchanges Income (Sté), D. 2009. 1422, obs. X. Delpech ; ibid. 2959, obs. T. Clay ; RTD com. 2009. 546, obs. E. Loquin  ; Dr. et proc. sept.-oct. 2009. 270, obs. G. Cuniberti ; JCP 2009. I. 462, § 7, obs. J. Beguin ; ibid. II. 534, note G. Bolard ; LPA 2009, n° 144, p. 17, obs. D. Mouralis ; Procédures 2009. Comm. 236, obs. B. Rolland ; Cah. arb. 2011. 59, note A. Goldsmith ; Rev. arb. 2010. 299, note D. Cohen ; D. 2009. 2959, obs. T. Clay ; RJC 2010, n° 1, p. 47, note B. Moreau ; Cah. arb. 2010. 889, note E. Loquin ; Gaz. Pal. 2009, n° 207-209, p. 9, obs. F. Mélin).

Malheureusement, les erreurs sont fréquentes, et la faute en incombe parfois exclusivement aux arbitres. Faut-il laisser les parties en souffrir, au point de considérer que la sentence ne vaut rien, la condamnation du débiteur emportant une contrariété à l’ordre public ? C’est, pendant longtemps, la situation à laquelle le créancier était confronté. Ce n’est plus le cas avec un important arrêt Hydro Construction (Civ. 1re, 15 mai 2024, n° 23-11.012). La Cour propose, de façon heureuse, de distinguer reconnaissance et exequatur. Selon elle, aucune violation de l’ordre public international n’est caractérisée dès lors que « l’exequatur n’était demandé qu’en vue d’une reconnaissance du montant de la créance établie par la sentence pour permettre de faire reconnaître ce droit de créance dans la procédure collective ». Autrement dit, en présence d’une sentence condamnant le débiteur frappé par la procédure collective, le créancier doit demander l’exequatur avec comme seule et unique prétention de faire « déclare[r] la sentence exécutoire uniquement en ce qu’elle consacre la créance ». La solution est salutaire. On peut simplement regretter la confusion entre reconnaissance de l’efficacité substantielle de la sentence et force exécutoire de celle-ci. D’ailleurs, l’article 1514 du code de procédure civile distingue, en matière internationale (le droit interne étant lacunaire sur ce point), la reconnaissance et l’exequatur. On peut donc penser que la voie exclusive de la reconnaissance est plus conforme à la rigueur juridique, que celle d’un exequatur limité. Cela reste un détail, qui ne doit pas faire perdre de vue que l’essentiel est préservé par l’arrêt.

L’exequatur d’un jugement étranger

Ce n’est pas la première fois que la question de l’exequatur d’un jugement étranger en France en présence d’une sentence arbitrale est examinée par les juridictions françaises. On se rappelle du très important arrêt Albania Beg (Civ. 1re, 17 mai 2023, n° 21-18.406, Albania BEG, Dalloz actualité, 11 sept. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 1017 ; ibid. 2278, obs. T. Clay ; RTD civ. 2024. 202, obs. P. Théry  ; JCP 2023. Actu. 696, obs. F. Mailhé ; JDI 2024. Comm. 11, note P. Blajan ; JCP E 2023. 1345, note P. Casson ; D. 2024. 937, obs. F. Jault-Seseke), qui juge que l’exequatur du jugement obtenu en fraude d’une procédure arbitrale doit être refusé. C’est une problématique similaire qui est soumise au Tribunal judiciaire de Paris dans une affaire Ustay (TJ Paris, 24 avr. 2024, n° 23/10389. Le lecteur est informé que le rédacteur de cette chronique a été impliqué dans la procédure). La motivation est éclairante. Le tribunal décide que « l’action en exequatur engagée par l’État de Libye n’a d’autre but que de faire échec à l’exécution de la sentence arbitrale à intervenir en empêchant sa reconnaissance ou l’exécution au motif qu’elle serait inconciliable avec le jugement libyen revêtu en France de l’exequatur alors que ce jugement est intervenu dans une instance engagée postérieurement à la saisine du tribunal arbitral, alors même que la question de la validité et l’exécution du protocole lui étaient soumises. Par suite, l’État de Libye poursuit un intérêt qui n’est pas légitime de sorte qu’il convient de déclarer irrecevable l’action en exequatur de l’État de Libye ». Si cette solution venait à être validée par les juridictions supérieures, elle deviendrait précieuse. En l’état, l’inconciliabilité des décisions constitue un risque majeur pour l’arbitrage. Il suffit en effet d’obtenir une décision étatique dans un autre État, moins regardant sur la présence d’une clause compromissoire, pour tenter de faire échec à la reconnaissance d’une sentence en procédant le premier à l’insertion de la décision dans l’ordre juridique français. Dans le sillage de l’arrêt Albania Beg, ce jugement Ustay permet de faire échec à cette stratégie, ce dont on peut se réjouir.

 

Aix-en-Provence, 9 avr. 2024, n° 20/05737

Douai, 14 mars 2024, n° 23/00919

Rouen, 17 avr. 2024, n° 22/04071

Civ. 1re, ord., 14 mars 2024, n° 22-22.715

Civ. 1re, 20 mars 2024, P+B, n° 23-70.019

Civ. 1re, 15 mai 2024, F-D, n° 22-21.854

Civ. 1re, 15 mai 2024, F-D, n° 22-23.832

Civ. 1re, 15 mai 2024, F-D, n° 23-11.012

TJ Paris, 24 avr. 2024, n° 23/10389

Paris, 26 mars 2024, n° 23/08940

Paris, 26 mars 2024, n° 23/09968

Paris, 2 avr. 2024, n° 23/10896

Paris, 4 avr. 2024, n° 22/19221

Paris, 23 avr. 2024, n° 22/20058

Paris, 30 avr. 2024, n° 20/10169

Paris, 30 avr. 2024, n° 21/19729

Paris, 2 mai 2024, n° 20/17575

Paris, 2 mai 2024, n° 21/08610

Paris, 7 mai 2024, n° 23/05506

Paris, 14 mai 2024, n° 23/01696

Paris, 21 mai 2024, n° 23/06872

Paris, 21 mai 2024, n° 23/16776

Paris, 28 mai 2024, n° 23/05603

Paris, 30 mai 2024, n° 19/01051

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