Chronique d’arbitrage : effet utile v. volonté des parties
La Cour d’appel de Paris a consacré il y a quelques mois un principe d’effet utile de la convention d’arbitrage. Pourtant, en parallèle, elle adopte une lecture toujours plus stricte de la volonté des parties, privilégiant la volonté exprimée sur la volonté implicite, allant jusqu’à priver la clause de tout effet. Voilà une tendance qui interroge.
Par ces solutions, la cour d’appel semble suivre des logiques contraires. L’effet utile ne doit-il pas permettre d’aller au-delà de la volonté des parties ? C’est en tout cas la question que l’on peut se poser à la lecture des arrêts Sultan de Sulu (Paris, 6 juin 2023, n° 21/21386, JCP 2023. 829, obs. D. Mainguy) et MCB (Paris, 13 juin 2023, n° 21/07296). Il convient de faire le point sur les interactions entre la nécessaire identification de la volonté des parties de recourir à l’arbitrage et le tout aussi nécessaire principe d’effet utile de la convention d’arbitrage.
Par-delà cette problématique, la période récente est marquée par de nombreuses décisions intéressantes. On citera les arrêts CNAN (Civ. 1re, 7 juin 2023, n° 21-24.968, D. 2023. 1125
) et Trasta (Paris, 23 mai 2023, n° 22/05378) sur l’obligation de révélation, l’arrêt Lucas sur l’obtention de l’exequatur (Civ. 1re, 7 juin 2023, n° 22-12.757, D. 2023. 1125
), le très riche arrêt Imagine (Paris, 16 mai 2023, n° 21/21189) et l’importantissime arrêt Prosper River sur la notification des sentences avant l’exécution forcée (Paris, 8 juin 2023, n° 22/12481). Enfin, à titre au moins symbolique, il convient de mentionner l’arrêt Semenya de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH 11 juill. 2023, n° 10934/21, D. 2023. 1360, et les obs.
).
Effet utile v. volonté des parties
Le principe de l’effet utile de la convention d’arbitrage a fait l’objet d’une consécration explicite par la Cour d’appel de Paris il y a peu de temps (Paris, 4 avr. 2023, n° 22/07777, BZ Grains, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques et Paris, 4 avr. 2023, n° 22/00408, Jan de Nul, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; v. égal., Paris, 16 mai 2023, n° 21/21189, Imagine). Inspiré, semble-t-il, pas une décision du Tribunal de commerce de Bayonne du 25 mars 2013 (n° 2012001302), il permet à la cour de « rechercher la commune volonté des parties à la lumière […] du principe d’effet utile, selon lequel lorsque les parties insèrent une clause d’arbitrage dans leur contrat, il y a lieu de présumer que leur intention a été d’établir un mécanisme efficace pour le règlement des litiges visés par la clause compromissoire ».
L’idée d’un effet utile appelé au secours de l’arbitrage n’est pas nouvelle. On la retrouve déjà il y a dix ans sous la plume de la Cour de cassation (Civ. 1re, 13 mars 2013, n° 12-20.573, Dalloz actualité, 25 mars 2013, obs. X. Delpech ; D. 2013. 780
; ibid. 2936, obs. T. Clay
; RTD civ. 2013. 631, obs. P.-Y. Gautier
; JCP 2013. 465, note D. Mouralis ; Procédures 2013. Comm. 150, obs. L. Weiller). On a encore pu l’apercevoir plus récemment, tant sur des questions de compétence (Paris, 20 oct. 2020, n° 18/07943, RTD com. 2022. 471, obs. E. Loquin
; Rev. arb. 2021. 187, note P. Cavalieros ; 5 déc. 2017, n° 15/24961, Accor Afrique, Rev. arb. 2018. 624, note J. Barbet) que sur l’interprétation des règlements d’arbitrage (Paris, 26 janv. 2021, n° 19/10666, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP 2021. 696, obs. P. Giraud).
Nous avons déjà pu qualifier ce principe d’effet utile de « sous-règle matérielle » (J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : variations autour de la compétence, Dalloz actualité, 30 mai 2023). Concrètement, l’arrêt Dalico fixe une règle matérielle principale, laquelle impose de rechercher la volonté des parties (Civ. 1re, 20 déc. 1993, n° 91-16.828, Rev. crit. DIP 1994. 663, note P. Mayer
; RTD com. 1994. 254, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin
; Rev. arb. 1994. 116, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1994. 432, note E. Gaillard ; v. à ce sujet, J. Jourdan-Marques, Faut-il consolider Dalico ? Réflexion sur les règles matérielles relatives à la compétence arbitrale, Rev. arb. 2021. 1049). Reste que cette volonté peut être exprimée de manière maladroite, imprécise, voire contradictoire. C’est là que l’effet utile intervient. En sa qualité de sous-règle matérielle, il sert à éclairer la volonté des parties qui, selon ce principe, n’ont pas pu vouloir une convention privée de tout effet.
Ainsi, en apparence, il ne peut y avoir de contradiction entre la recherche de la volonté des parties et le principe d’effet utile, en particulier en ce que le second n’est utilisé que pour combler les incertitudes de la première. À ce titre, l’effet utile ne doit pas pouvoir entrer en conflit avec la volonté des parties et prétendre être « calife à la place du calife », son asservissement étant un élément constitutif de son rôle. C’est d’ailleurs cette logique que semble suivre la Cour d’appel de Paris dans ses arrêts Sultan de Sulu (Paris, 6 juin 2023, n° 21/21386, préc. ; JCP 2023. 829, obs. D. Mainguy) et MCB (Paris, 13 juin 2023, n° 21/07296, préc.). Comment, dès lors, lui en tenir rigueur ? Assez paradoxalement, en constatant que le rôle donné à la volonté des parties par la jurisprudence récente est disproportionné.
Au vrai, on peut dire que, depuis plusieurs décennies, le droit français est « opportuniste ». S’il porte la volonté des parties au pinacle, c’est dans le but, tantôt avoué tantôt caché, de soutenir l’efficacité de l’arbitrage. À ce titre, la volonté des parties n’est pas seulement celle exprimée ; elle est encore celle qui est implicite, parce que les arbitres et la jurisprudence, qui lisent dans le marc de café, ont su l’identifier. Il y a ainsi un dessein secret au droit de l’arbitrage, qui justifie une vision dynamique de la volonté des parties.
Force est de constater que la jurisprudence récente marque, sur ce point, une forme de coup d’arrêt (v. égal., Paris, 6 déc. 2022, n° 21/11615, Eckes, Dalloz actualité, 14 mars 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2023, n° 16, obs. L. Larribère ; en revanche, de façon beaucoup plus satisfaisante, Paris, 4 avr. 2023, n° 22/07777, BZ Grains, préc. et Paris, 4 avr. 2023, n° 22/00408, Jan de Nul, préc.). Il est d’autant plus marquant qu’il est plus ou moins concomitant avec la consécration explicite du principe d’effet utile. Finalement, ce dernier semble avoir été consacré pour mieux le bâillonner. Examinons successivement les deux solutions, pour se rendre compte comment la recherche de la volonté des parties peut avoir pour conséquence de paralyser l’effet utile.
L’affaire Sultan de Sulu
Rappelons brièvement les faits avant d’en venir à l’examen de la compétence.
Les faits
L’affaire Sultan de Sulu est explosive. Ses enjeux dépassent la sphère juridique et touchent à la sphère diplomatique et économique. La raison est simple : le montant en jeu s’élève à près de 15 milliards de dollars et le litige touche à la souveraineté de la Malaisie.
À l’origine de cette extraordinaire affaire, on trouve un contrat conclu en 1878 entre le Sultan de Sulu de l’époque, Jamalul Alam Kiram (ou Muhammad Jamal Al Alam) et deux personnes privées, M. Alfred Dent et le Baron Gustavus Von Overbeck. Par ce contrat, le premier cédait aux seconds un certain nombre de droits et obligations sur ses territoires de Bornéo du Nord en contrepartie d’une certaine somme d’argent. Naturellement, les parties au contrat sont aujourd’hui décédées. Pour le Sultan de Sulu, huit citoyens philippins se présentent comme ses successeurs. Pour Alfred Dent et le Baron Gustavus Von Overbeck, la Malaisie a succédé aux droits dans ce contrat à la suite de son indépendance.
Pendant des décennies, la Malaisie a continué à verser la somme fixée par le contrat aux héritiers. En 2013, un autoproclamé Sultan de Sulu a tenté d’envahir militairement le Sabah – actuel État de la Malaisie à Bornéo Nord – avec pour objectif de reprendre ce territoire. Depuis, la Malaisie a cessé de payer le prix prévu par l’accord.
Ainsi, les huit citoyens philippins reprochent à la Malaisie de ne plus exécuter l’accord de 1878.
Au fond, l’imbroglio juridique et diplomatique porte sur la nature de l’accord. Pour les huit citoyens philippins, il s’agit d’un « banal » contrat commercial. Pour eux, la cessation des paiements par la Malaisie équivaut à une inexécution contractuelle dont ils peuvent demander réparation. Pour la Malaisie en revanche, l’accord de 1878 était un accord de cession de territoires et de souveraineté. Ce problème de qualification est doublé d’un problème linguistique. Le contrat a été rédigé en malais en écriture jawi (alphabet arabe alors utilisé pour l’écriture du malais), ce qui rend sa compréhension délicate.
Comment résoudre le litige ? Le contrat comporte une clause – qui fait l’objet de traductions divergentes – mais qui prévoit que les « différends résultant de l’accord seront tranchés par le Consul général de Bornéo ».
Sur le fondement de cette clause, les huit citoyens philippins ont tenté d’obtenir la désignation d’un arbitre. Puisque le poste de Consul Général britannique à Bornéo n’existe plus, ils se sont d’abord tournés vers le ministère des Affaires étrangères britannique. Face au refus de désignation, ils ont opté pour les juridictions espagnoles, qui, malgré le défaut de comparution de la Malaisie, ont fait droit à leur demande et ont désigné l’arbitre.
Fort de cette désignation d’un arbitre unique, la procédure arbitrale a pu commencer. Là encore, la Malaisie n’a pas formellement comparu, même s’il elle a adressé quelques courriers de contestation à l’arbitre. Le 25 mai 2020, l’arbitre a rendu une sentence partielle sur la compétence. C’est cette sentence qui est aujourd’hui déférée à la Cour d’appel de Paris, à la suite d’un appel contre l’ordonnance d’exequatur (pour le reste des faits dans cette affaire rocambolesque, v. J. Bouissou, Entre la Malaisie et les descendants d’un sultan de Bornéo, un litige rocambolesque à 15 milliards de dollars, Le Monde, 1er juin 2023 et la note de D. Mainguy).
L’examen de la compétence
La difficulté au cœur de l’arrêt résulte de la rédaction de la convention d’arbitrage, dont les multiples et incertaines traductions rendent l’exercice d’interprétation délicat. Une chose est sûre : le mot arbitrage n’est jamais utilisé. Une autre l’est : la clause mentionne le « consul général de Bornéo ». Il faut donc s’interroger sur la volonté des parties pour interpréter cette clause.
Après avoir repris les solutions des arrêts Plateau des Pyramides (Paris, 12 juill. 1984, Égypte c/ SPP, Rev. arb. 1986. 75 ; JDI 1985. 129, note B. Goldman ; Civ. 1re, 6 janv. 1987, SPP c/ Égypte, Rev. arb. 1987. 469, note P. Leboulanger ; JDI 1987. 638, note B. Goldman) et Abela (Civ. 1re, 6 oct. 2010, n° 08-20.563, Dalloz actualité, 18 oct. 2010, obs. X. Delpech ; D. 2010. 2441, obs. X. Delpech
; ibid. 2933, obs. T. Clay
; Rev. crit. DIP 2011. 85, note F. Jault-Seseke
; Rev. arb. 2010. 813, note F.-X. Train ; JCP 2010. 1028, note P. Chevalier ; ibid. 1286, obs. J. Ortscheidt ; Gaz. Pal. 8 févr. 2011. 14, obs. D. Bensaude), la cour ajoute un attendu inspiré de l’arrêt Dalico (Civ. 1re, 20 déc. 1993, n° 91-16.828, préc.) : « En vertu d’une règle matérielle du droit international de l’arbitrage, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient, directement ou par référence. Son existence et son efficacité s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, qui seule investit l’arbitre de son pouvoir juridictionnel, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique ». Rien que du classique ? Pas tout à fait. La cour ajoute une incise totalement nouvelle selon laquelle la volonté des parties « seule investit l’arbitre de son pouvoir juridictionnel » (v. depuis, Paris, 4 juill. 2023, n° 21/19249, Sogea-Satom).
La formule paraît frappée du coin du bon sens. Oui, l’arbitrage est un mode de résolution fondé sur la volonté des parties. C’est d’ailleurs ce qui conduit la doctrine à refuser une telle qualification, par exemple, à l’arbitrage du bâtonnier (T. Clay, obs. ss décr. n° 2011-1985, 28 déc. 2011, Dalloz actualité, 4 janv. 2012, obs. C. Fleuriot ; D. 2012. Pan. 2991
, spéc. p. 2992). Reste que l’on voit déjà poindre la tension autour de la volonté des parties. L’affirmation est en effet quelque peu excessive et certaines règles matérielles, notamment celle relative à la transmission, sont loin d’avoir la volonté des parties comme première préoccupation. La cour ajoute toutefois que cette volonté des parties doit être recherchée « à la lumière » du principe d’effet utile, ainsi que du principe d’interprétation de bonne foi.
Qu’en est-il, à l’aune de ces principes, du choix des parties ? Malgré l’absence du mot arbitrage, la cour souligne que « les parties ont souhaité désigner un tiers au contrat afin de connaître éventuel litige né de l’accord entre elles ou leurs successeurs ». On trouve les premiers éléments de la notion d’arbitrage : la volonté des parties, le tiers, l’existence d’un différend de nature juridique.
Reste à connaître la mission confiée au tiers. La cour constate la diversité des traductions proposées : le tiers doit-il juger, décider, examiner, rendre un avis ? La cour se laisse convaincre par la traduction historique, qui résulte d’un témoin de l’époque, qui a utilisé le mot « décision ». Elle tranche donc la question en retenant que « la stipulation litigieuse peut être regardée comme une clause compromissoire ». Ainsi, à juste titre, la cour ne se laisse pas impressionner par l’absence de mention du mot arbitrage dans la clause. Ce qui compte, c’est la mission confiée au tiers. Dès lors que l’on entend confier à un tiers la mission de trancher un différend, on fait le choix de l’arbitrage.
Le soin apporté à cet examen, plusieurs paragraphes comparant les différentes traductions et soupesant chaque mot, est pleinement justifié. La cour est fondée à rechercher de façon minutieuse le mode de règlement des différends souhaité par les parties. Sur ce point, le rôle de l’effet utile doit être limité et, à notre estime, l’idée d’un caractère résiduel de l’arbitrage doit être maniée avec prudence (C. Jarrosson, La notion d’arbitrage, préf. B. Oppetit, LGDJ, coll. « Bibliothèque de droit privé », 1987, n° 486).
Cependant, l’analyse ne s’arrête pas là. La question suivante est celle du choix des parties de confier la résolution du litige au « consul général de Bornéo ». Des documents historiques permettent d’établir que ce choix n’est pas dû au hasard. Le consul général de l’époque bénéficiait de la confiance de toutes les parties et avait pris part aux négociations. Il y a l’idée d’un arbitre choisi intuitu personae dès la signature de la clause. Pour la cour, « cette désignation apparaît, au vu de ces circonstances, comme indissociable de la volonté de compromettre, avec laquelle elle forme un tout ». Elle en déduit que la disparition de la fonction rend inapplicable la clause, qui est devenue caduque. Partant, il aurait fallu un nouvel accord de volonté des parties pour accueillir le recours à l’arbitrage.
Autrement dit, au regard de l’importance de ce choix dans la volonté de recourir à l’arbitrage, le décès de l’arbitre et l’absence d’accord ultérieur emportent la caducité de la clause. Or une clause caduque conduit à l’incompétence du tribunal arbitral.
Cette analyse n’emporte aucunement la conviction. C’est à ce stade que la tension entre la volonté des parties et l’effet utile apparaît. La cour constate l’existence d’une convention d’arbitrage, mais la prive de tout effet utile par une interprétation discutable et sévère de la volonté des parties.
Discutable, d’abord, car la clause ne vise pas une personne prise nommément (M. William Treacher, consul général de l’époque, qui avait la confiance des parties), mais sa fonction. En somme, l’idée que les parties ont été attachées au choix d’une personne comme arbitre au point d’en faire une condition centrale de leur engagement ne résiste pas à l’analyse de la clause. La volonté des parties caractérisée par la cour n’est pas celle exprimée par la clause, mais celle révélée par des documents historiques extérieurs au contrat. Que serait-il advenu si le litige était survenu du vivant de M. William Treacher, mais après la cessation de ses fonctions de consul général ? Faut-il faire prévaloir la lettre de la clause ou le prétendu esprit de celle-ci ? Quid de l’hypothèse où l’intéressé perd son indépendance ou son impartialité ? Faut-il anéantir la clause à raison de la perte de ces qualités ? En somme, la Cour d’appel de Paris a réécrit la clause, en ignorant que seule une fonction y est visée plutôt qu’une personne.
Sévère, ensuite, car la conséquence de cette interprétation est la caducité de la clause. L’être humain n’étant pas éternel et le contrat étant déjà vieux de plus d’un siècle, il est normal que celui qui avait la confiance des parties à l’époque soit décédé. D’ailleurs, les parties elles-mêmes le sont et leurs ayants droit n’ont plus grand-chose à voir avec les contractants d’origine (à tel point que, d’un côté, un souverain a succédé à des personnes physiques et, de l’autre, des personnes physiques ont succédé à un souverain…). L’idée d’une confiance dans cette personne n’a donc, avec l’écoulement du temps, plus grand sens. Pire, on en vient à créer des clauses de règlement des différends « avec DLC ». Alors que la convention d’arbitrage est supposée survivre à l’anéantissement du contrat, c’est tout l’inverse qui se produit en l’espèce.
La solution était-elle inéluctable ? C’est ici, à nos yeux, que l’effet utile doit intervenir. La caractérisation de la volonté des parties de recourir à l’arbitre constitue un point de bascule. S’il faut à tout prix s’assurer que telle était la volonté initiale, le franchissement de cet obstacle doit conduire à une analyse toute différente. Le constat de l’existence d’une convention d’arbitrage entraîne un changement de perspective dans lequel la recherche d’efficacité doit désormais primer. Or, pas plus le décès de la personne de confiance que la disparition de la fonction de consul général de Bornéo ne constituent des obstacles à la mise en œuvre de l’arbitrage. Il suffit de prévoir un nouveau mode de désignation de l’arbitre. C’est ce qu’ont fait les demandeurs, en saisissant les juridictions espagnoles. Ce n’est ni plus ni moins que ce que prévoit l’article 1505, 4°, du code de procédure civile, qui permet de saisir le juge d’appui français en l’absence de toute volonté commune des parties !
En réalité, sous couvert de respecter la volonté des parties, la solution de la cour d’appel a pour effet paradoxal de la priver de toute portée. Il y a une forme de « tout ou rien » dans le raisonnement suivi. C’est une volonté pure et parfaite des parties qui doit pouvoir être respectée, faute de quoi la convention d’arbitrage est privée de tout effet. Tout à l’inverse, il nous semble qu’il convient de hiérarchiser. La volonté de recourir à l’arbitrage est principale. La volonté d’un arbitrage selon certaines modalités est accessoire. L’impossibilité de mettre en œuvre les modalités accessoires ne doit pas emporter la volonté principale. À suivre cette logique, toute maladresse de rédaction est susceptible d’emporter l’édifice. L’effet utile est là pour préserver l’essentiel : la volonté de recourir à l’arbitre. On voit ainsi comment la volonté des parties peut se retourner contre un choix manifeste de recourir à l’arbitrage.
L’affaire MCB
L’arrêt MCB offre une perspective très différente, mais révèle des difficultés analogues (Paris, 13 juin 2023, n° 21/07296, préc.).
Les faits sont importants. En allant à l’essentiel, deux contrats sont conclus (que nous appellerons 1 et 2). Une partie (que nous appellerons A) est identique aux deux contrats, l’autre change (que nous appellerons B pour le contrat 1 et C pour le contrat 2). Les deux contrats contiennent une clause compromissoire qui, si elles ne sont pas rédigées à l’identique, sont très proches. Après la naissance du différend, A dépose une unique demande d’arbitrage contre B et C, fondée sur les deux contrats. Autrement dit, A forme des demandes contre B sur le fondement des contrats 1 et 2 et des demandes contre C sur le fondement des contrats 1 et 2. Le tribunal arbitral se déclare compétent pour connaître de l’ensemble. C’est sa sentence qui est attaquée.
Devant la Cour d’appel de Paris, deux arguments successifs sont présentés. D’une part, la consolidation des différends dans un arbitrage unique est contestée ; d’autre part, l’extension des clauses à des non-signataires est discutée.
Pour trancher la difficulté, la cour d’appel commence là aussi par rappeler les principes. D’abord, la règle de l’arrêt Dalico, à nouveau dans une version un peu modifiée : « En vertu d’une règle matérielle du droit international de l’arbitrage, la clause compromissoire s’apprécie, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties au vu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique » (cette formule peut se retrouver dans un arrêt antérieur, Paris, 25 janv. 2022, n° 20/12332, Dalloz actualité, 16 mars 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330
, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 2022, n° 15, obs. L. Larribère). Ensuite, elle reprend les principes d’interprétation de bonne foi et d’effet utile.
Le choix est fait d’examiner, dans un premier temps, la question de la consolidation dans un arbitrage unique de l’intégralité du litige. À notre connaissance, cette problématique récurrente de la pratique arbitrale est nouvelle devant les juridictions françaises. On notera simplement un arrêt ayant refusé de procéder à la désignation d’un seul arbitre dans une procédure d’arbitrage unique en présence de plusieurs clauses (Paris, 6 juin 2019, n° 18/27939, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay
; JDI 2020. 809, note K. Mehtiyeva). Aussi, l’intérêt de la décision est immense. Les clés données par la cour d’appel sont nombreuses. C’est un faisceau d’indices qui est retenu pour retenir la consolidation.
Premièrement, la cour commence par souligner que « le fait que les contrats constituent un ensemble contractuel qualifié “d’unique” ou non est inopérant au regard de l’autonomie des clauses compromissoires » et d’ajouter, dans la foulée, qu’« il est toutefois nécessaire de se référer au contexte dans lequel a été lancée la réalisation du Projet ». Ainsi, un ensemble contractuel n’est pas nécessaire, mais le lien entre les différentes opérations est un critère pertinent. Si la logique se conçoit, on tique tout de même sur le fondement retenu : l’autonomie de la clause compromissoire a toujours été conçue au singulier et vis-à-vis du contrat principal ; elle n’a jamais été envisagée – à notre connaissance – comme une autonomie entre plusieurs conventions d’arbitrage. Spontanément, on peut même penser que c’est le défaut d’autonomie qui doit être le principe : la prolifération des clauses d’arbitrage dans une pluralité de contrats ne révèle-t-elle pas une volonté unique de soumettre les litiges à l’arbitrage ? Il y a en tout cas matière à réflexion sur ce point.
Deuxièmement, il convient de rechercher la volonté des parties. Dès l’entame de son raisonnement, elle énonce qu’il convient de « tenir compte de la construction des contrats et des références contenues dans chaque clause compromissoire pour apprécier quelle était l’intention des parties ». La cour identifie des références croisées entre les différents contrats, tant au sein des conventions d’arbitrage que des autres stipulations contractuelles. Surtout, et c’est essentiel, elle constate que les clauses révèlent directement – par des stipulations relatives à la jonction – ou indirectement – par référence au règlement CCI – une volonté des parties de permettre la consolidation des différends dans un arbitrage unique. Elle en conclut qu’« il résulte des clauses rappelées ci-dessus qu’elles contiennent toutes, soit directement, soit par référence, une clause de consolidation ».
La combinaison de ces deux premiers éléments permet à la cour de proposer une première conclusion : « Ces éléments, combinés au contexte rappelé ci-dessus, conduisent la cour à considérer que la volonté des parties était de pouvoir consolider dans un même arbitrage les différends portant sur les accords conclus dans le cadre de la réalisation du Projet, si les conditions de la consolidation étaient remplies ».
Toutefois, la cour ne s’arrête pas là. Troisièmement, elle examine la compatibilité des clauses. Elle juge qu’il « résulte des clauses d’arbitrage contenues à l’article 23 de l’Accord d’Association et à l’article 2.2 du Protocole sur renvoi de l’article 8 de l’Accord-Cadre qu’elles sont parfaitement compatibles, qu’elles prévoient l’application du même règlement d’arbitrage, le même siège de l’arbitrage, le même nombre d’arbitres, la même méthode de constitution du tribunal arbitral, la même langue de procédure et le même droit applicable au fond du litige, les différences mineures alléguées n’étant pas suffisantes pour ôter tout effet utile à de telles dispositions établissant la volonté des parties de permettre la consolidation en un arbitrage unique ». Enfin, s’ajoute un élément, qualifié de surabondant par la cour, sur le pouvoir confié au tribunal arbitral de juger de la consolidation.
En définitive, si la faculté de procéder à une consolidation est admise en l’espèce, elle semble nécessiter la réunion de trois critères : un contexte commun, une volonté exprimée par les clauses et une compatibilité entre elles. Autant dire que ces conditions, si elles sont cumulatives, sont lourdes et paraissent bien plus exigeantes que celles retenues par le Règlement de la CCI.
L’examen porte, dans un second temps, sur l’extension de la clause. La question est cette fois de savoir si la clause du contrat 1 peut être étendue au litige entre A et C et la clause du contrat 2 au litige entre A et B. La cour rappelle le principe : « La clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propre qui commandent d’en étendre l’application aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et dans les litiges qui peuvent en résulter, dès lors qu’il est établi que leur situation contractuelle, leurs activités et les relations habituelles existant entre les parties font présumer qu’elles ont accepté la clause compromissoire dont elles connaissaient l’existence et la portée bien qu’elles n’aient pas été signataires du contrat qui la stipulait » (v. déjà, Paris, 23 nov. 2021, n° 18/22323, Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. J. Jourdan-Marques).
Cette fois encore, la cour s’intéresse à la volonté des parties exprimée par les clauses. Elle juge que « l’intention des parties à l’Accord d’Association était clairement d’inclure tout tiers qui serait concerné par un différend en lien avec le Projet, et de permettre ainsi l’extension à des tiers de ladite clause compromissoire ». Elle examine ensuite, de façon plus classique, la connaissance de la clause et l’implication des parties dans l’exécution des contrats. Elle conclut à l’extension de l’une et l’autre des clauses aux parties non-signataires.
Aux deux temps du raisonnement, consolidation et extension, la cour d’appel place la recherche de la volonté des parties au cœur de sa motivation. La volonté recherchée est explicite ; le raisonnement laisse entendre que le défaut de volonté exprimée équivaut à une volonté contraire. Cette logique est dangereuse. Elle impose aux parties d’anticiper toutes éventualités en recourant à des clauses bavardes. À l’inverse de cette logique, tout l’intérêt du droit de l’arbitrage est d’aller au-delà de la volonté exprimée. La cour l’exprime d’ailleurs elle-même : « La clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propre qui commandent d’en étendre l’application aux parties directement impliquée ». Ainsi, l’extension et la consolidation n’ont pas à être explicitement prévues par les parties ; il suffit que rien ne l’interdise. Pour illustrer le propos, prenons l’exemple d’une clause contractuelle qui indiquerait seulement « arbitrage ». Faut-il déduire de cette formulation une volonté des parties d’écarter les règles matérielles de transmission et d’extension ou encore d’interdire la consolidation ? La réponse doit être négative.
En définitive, la jurisprudence récente est en train de créer un problème qui n’existe pas. Ce mode de raisonnement n’est ni vertueux ni protecteur de la volonté des parties. Il ouvre la voie aux contestations et à l’insécurité juridique, là où le droit français de l’arbitrage et l’effet utile visent à garantir l’efficacité.
Le problème est donc très similaire à celui identifié dans l’arrêt Sultan de Sulu, même si le destin des clauses est différent. Une fois que la volonté des parties de recourir à l’arbitrage est acquise avec certitude, son régime doit se déployer dans toute sa force. La recherche de la volonté des parties n’est pas requise au soutien de ce régime ; tout au plus, une volonté exprimée – car il ne s’agit pas de la nier – peut être caractérisée pour y faire échec (par ex. dans le cas de la mise à l’écart des règles matérielles au profit d’une loi nationale pour régir la convention d’arbitrage, comme l’envisage l’arrêt Kout Food,Civ. 1re, 28 sept. 2022, n° 20-20.260, Dalloz actualité, 28 oct. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 157
, note D. Mainguy
; ibid. 2022. 2330, obs. T. Clay
; Gaz. Pal. 2022, n° 36, p. 5, obs. L. Larribère ; ibid., n° 36, p. 22, obs. J. Clavel-Thoraval ; Rev. arb. 2022. 1367, note F.-X. Train ; Procédures 2022. Comm. 277, obs. L. Weiller ; JCP 2023. 221, obs. C. Seraglini ; ibid. Doctr. 143, obs. C. Nourissat).
Au-delà de la discussion sur la volonté des parties, signalons deux éléments supplémentaires à propos de cette décision.
Premièrement, on peut se demander si l’examen, dans un premier temps de la consolidation et, dans un second temps, de l’extension, n’est pas redondant. Est-ce qu’entre consolidation et extension, il ne faut pas choisir ? Si l’un des contrats est dépourvu de clause compromissoire, la question se limite à l’extension. Pourquoi en demander plus, alors que la volonté des parties de recourir à l’arbitrage figure dans l’ensemble des contrats ? On peut l’expliquer face à des clauses compromissoires prévues avec un champ d’application très restrictif. Toutefois, dès lors que les deux clauses sont suffisamment larges – ce qui semble être le cas – pour englober tous les litiges, l’extension est dépourvue d’intérêt.
De façon sous-jacente, on voit poindre une confusion entre la compétence et le fond. Expliquons-le simplement, en reprenant les faits d’espèce : A agit contre B sur le fondement des contrats 1 (qu’ils ont conclu ensemble) et 2 (auquel B est étranger). La seule clause compromissoire figurant dans le contrat 1, si elle est suffisamment large (en particulier avec la formule « tous différends découlant du présent contrat ou en relation avec celui-ci »), suffit à donner compétence à l’arbitre pour connaître des deux actions. Reste que, à ce stade, l’action fondée sur le contrat 1 est contractuelle et l’action fondée sur le contrat 2 est extracontractuelle. Le raisonnement est identique pour l’action intentée par A contre C. La clause compromissoire figurant dans le contrat 2, si elle est suffisamment large, fonde la compétence de l’arbitre. L’action fondée sur le contrat 1 reste néanmoins extracontractuelle et celle fondée sur le contrat est bien contractuelle. Ainsi, la consolidation est suffisante. En examinant l’extension, on perçoit que, en creux, c’est la transformation des actions extracontractuelles en actions contractuelles qui est recherchée. Toutefois, cette question relève de la compétence exclusive du tribunal arbitral et repose sur des critères extérieurs au droit de l’arbitrage.
Deuxièmement, on peut se demander si la consolidation est une question de compétence au sens de l’article 1520, 1°, du code de procédure civile. La consolidation est un outil qui se rapproche de la jonction d’instance prévue à l’article 367 du code de procédure civile. Il s’agit d’un mécanisme procédural servant à assurer une bonne administration de la justice en confiant au même tribunal arbitral la résolution de plusieurs litiges. Le préalable à la mise en œuvre de ce mécanisme est la compétence du tribunal arbitral pour connaître de l’un ou l’autre des litiges. C’est d’ailleurs tout l’enjeu de la recherche de clauses compatibles, faute de quoi la volonté des parties risque d’être violée. Il y a un tribunal arbitral qui est compétent pour connaître de l’un ou de l’autre des litiges, et la question posée est celle de lui confier la connaissance de l’un et de l’autre au sein d’une même procédure. Cette question ne touche donc pas à la compétence, puisque celle du tribunal arbitral ne fait aucun doute. Il s’agit d’un choix procédural qui, comme le prévoit l’article 368 du code de procédure civile pour la procédure étatique, doit être qualifié de mesure d’administration arbitrale.
En définitive, l’arrêt MCB, en ce qu’il préserve la compétence arbitrale, ne pose pas de difficultés. Reste que sa motivation et sa construction sont sujettes à discussions et révèlent une tendance, déjà vue auparavant, à faire primer la volonté exprimée par les parties au détriment de la recherche de l’efficacité de l’arbitrage. Or cette démarche nie l’originalité de la civil law sur la common law. La consécration des principes d’interprétation de bonne foi et d’effet utile vont, à cet égard, dans le bon sens. La motivation des décisions gagnerait à plus insister dessus, plutôt qu’à rechercher une quelconque volonté exprimée dans les trois lignes que constitue une convention d’arbitrage.
Le principe compétence-compétence
On le dit et on le répète depuis des années et les lecteurs de cette chronique le savent, le maniement du principe compétence-compétence est un art délicat. L’observation des décisions d’appel rendue à travers la France révèle les difficultés de compréhension et de mise en œuvre du principe. L’affaire Innova Invest en offre une illustration presque caricaturale. Dans cette affaire, deux pactes d’associés coexistent et seul un d’entre eux contient une clause compromissoire. Trois procédures distinctes ont été intentées devant les juridictions étatiques et ont donné lieu à trois arrêts de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (Aix-en-Provence, 23 sept. 2021, n° 21/01407, Dalloz actualité, 19 nov.. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; 30 juin 2022, n° 21/18443, Dalloz actualité, 28 oct. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; 11 mai 2023, n° 22/10750). Nous avions eu l’occasion de critiquer les deux premiers. Dans le premier arrêt, la cour a considéré que l’action intentée devant le juge étatique relevait du pacte dépourvu de convention d’arbitrage, ce qui lui a permis de retenir sa compétence. Dans le second, la cour a joué d’une distinction entre les actions fondées sur l’un et sur l’autre pacte pour confirmer une incompétence partielle, mais statuer in fine sur la quasi-totalité du litige. Dans un cas comme dans l’autre, les solutions révèlent une mauvaise compréhension de l’article 1448 du code de procédure civile, la seule présence d’une convention d’arbitrage dans un pacte d’associé imposant au juge étatique de se déclarer incompétent dès lors que l’action présente un lien avec cet acte. C’est d’ailleurs ce qu’a jugé la Cour de cassation le 1er février 2023 en cassant le premier arrêt rendu dans cette affaire (Civ. 1re, 1er févr. 2023, n° 21-24.145, Dalloz actualité, 14 mars 2023, obs. J. Jourdan-Marques).
A priori, le message a été entendu par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui rend un troisième arrêt conforme à l’esprit de l’article 1448 du code de procédure civile. Après avoir souligné les liens entre les deux pactes d’associés, la cour souligne que « la clause compromissoire insérée au pacte du 30 septembre 2016 ne peut ainsi être déclarée inapplicable au litige sans un examen plus approfondi des conventions liant les parties et des données du différend, de sorte que son inapplicabilité, si elle est avérée, ne peut être qualifiée de manifeste au sens de l’article 1448 du code de procédure civile ». Cette fois, le renvoi au tribunal arbitral est total par la seule présence d’une clause compromissoire dans un des pactes d’associés.
Pourtant, et c’est là toute la difficulté, un doute surgit à la lecture de l’arrêt. On apprend à la lecture de l’argumentation d’une des parties que le second pacte « comporte une clause d’attribution de compétence aux juridictions compétentes dépendant de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence ». Pour le coup, cet élément, s’il est vérifié, change beaucoup de choses. En effet, les très rares cas où la Cour de cassation accepte de voir une inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage résultent de la présence d’une clause attributive de juridiction dans un contrat (Civ. 1re, 4 juill. 2006, n° 05-11.591, D. 2006. 2127
; ibid. 3026
, obs. T. Clay ; RTD com. 2006. 764, obs. E. Loquin
; Rev. arb. 2006. 959, note F.-X. Train ; 18 mars 2015, n° 14-11.571, RJC 2016. 213, obs. B. Moreau ; 4 déc. 2019, n° 18-23.395, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay
). C’est d’ailleurs en ce sens que statue la Cour d’appel de Paris dans une affaire Welkin & Meraki (Paris, 6 juill. 2023, n° 22/12408), qui fait prévaloir la clause attributive de juridiction figurant dans une transaction sur la clause compromissoire figurant dans le contrat antérieur, pour connaître du litige résultant de l’exécution du protocole transactionnel. Ainsi, la présence d’une clause attributive de juridiction peut justifier – quand bien même la solution est discutable – une immixtion plus forte du juge étatique dans l’examen du litige pour déterminer si l’action est fondée sur le contrat soumis à la clause attributive de juridiction et écarter, par voie de conséquence, l’exception d’incompétence. En tout état de cause, on voit bien à quel point le maniement de ces questions est délicat.
Une affaire Power One Italy (Nîmes, 7 juin 2023, n° 21/00324) offre une illustration supplémentaire de la difficulté. Dans cet arrêt, qui ne résistera pas une seule seconde à un pourvoi, la cour d’appel écarte l’exception d’incompétence. La convention d’arbitrage figure dans les conditions générales de vente, ce qui soulève la question de la clause par référence (X. Boucobza, La clause compromissoire par référence en matière d’arbitrage international, Rev. arb. 1998. 495 ; B. Oppetit, La clause d’arbitrage par référence, Rev. arb. 1990. 551). En cette matière, la jurisprudence est fixée depuis longtemps. Dans l’arrêt Bomar Oil, la Cour de cassation a énoncé qu’« en matière d’arbitrage international, la clause compromissoire par référence écrite à un document qui la contient, par exemple des conditions générales ou un contrat type, est valable, à défaut de mention dans la convention principale, lorsque la partie à laquelle la clause est opposée a eu connaissance de la teneur de ce document au moment de la conclusion du contrat et qu’elle a, fût-ce par son silence, accepté l’incorporation du document au contrat » (Civ. 1re, 9 nov. 1993, n° 91-15.194, Rev. arb. 1994. 108, note C. Kessedjian ; JDI 1994. 690, note E. Loquin). Depuis, l’exigence d’une « référence écrite » a été supprimée (Civ. 1re, 20 déc. 2000, n° 98-21.548, Rev. arb. 2003. 1341, note C. Legros ; 11 mai 2012, n° 10-25.620, JCP 2012. 1354, n° 4, obs. C. Seraglini ; Rev. arb. 2012. 561, note L. Bernheim-Van de Casteele). Deux conditions subsistent : la connaissance et l’acceptation (sur ce point, v. J.-B. Racine, Droit de l’arbitrage, PUF, coll. « Thémis droit », 2016, nos 255 s.). Toutefois, et c’est là l’essentiel, cet examen ne relève aucunement de la juridiction étatique ; il appartient au tribunal arbitral. C’est donc à tort que la cour examine de façon approfondie la connaissance et l’acceptation de ces conditions.
Un arrêt Uber de la Cour d’appel de Paris révèle également une mauvaise compréhension du principe (Paris, 25 mai 2023, n° 22/08429). Il suffit d’ailleurs de lire la première phrase de la motivation pour comprendre que l’analyse ne convient pas. La cour énonce qu’« afin de statuer sur la compétence, il y a lieu de déterminer quel est le contrat applicable entre les parties, chacune d’elle invoquant une convention différente ». Cette présentation conduit à mélanger la compétence et le fond et à faire abstraction de l’indépendance matérielle de la convention d’arbitrage. Le reste de l’analyse est d’ailleurs du même acabit, puisque la cour s’attarde sur la résiliation d’un premier contrat et sur l’acceptation d’un second, alors que ces éléments sont étrangers à la question. Surtout, la seule nécessité de réaliser un tel examen montre qu’il n’y a rien de manifeste dans la validité et l’applicabilité de la clause, ce qui impose un renvoi au tribunal arbitral.
D’autres affaires présentent un intérêt par les problématiques soulevées (pour un exemple d’inopposabilité de la clause en droit du travail, qui ne sera pas commenté, Reims, 28 juin 2023, n° 22/00189). C’est le cas d’une affaire Pali France (Aix-en-Provence, 1er juin 2023, n° 20/01522). D’emblée, on constate que la rédaction de la clause compromissoire, si elle n’est pas pathologique, est à tout le moins maladroite : « Toutes les controverses dérivant de l’exécution du contrat seront résolues à travers des négociations. Si les parties n’arrivent à aucun accord la controverse sera de la compétence exclusive du tribunal arbitral de Cannes ». À cela, une difficulté de droit transitoire s’ajoute, puisque la clause figure dans un contrat daté de 2015.
À la question du droit applicable à la clause, la cour d’appel opte implicitement pour le droit antérieur, en vigueur entre le 16 mai 2001 et le 20 novembre 2016. Dès la promulgation de la loi du 18 novembre 2016, la doctrine a fait part de ses doutes quant à cette question (C. Jarrosson et J.-B. Racine, Les dispositions relatives à l’arbitrage dans la loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, Rev. arb. 2016. 1005, n° 27). La Cour de cassation ne s’est jamais prononcée. Reste que ce n’est pas la première fois qu’une cour d’appel se prononce en faveur de la survie de la loi ancienne (Colmar, 30 oct. 2019, n° 15/02482, Lohr, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques). Au regard des règles de droit commun du droit transitoire, le principe de survie de la loi ancienne est cohérent dès lors que l’on considère que la nature contractuelle de la clause prévaut, à ce stade, sur sa nature processuelle.
L’ancienne rédaction de l’article 2061 du code civil énonçait que « sous réserve des dispositions législatives particulières, la clause compromissoire est valable dans les contrats conclus à raison d’une activité professionnelle ». La formule était malheureuse, en ce qu’elle laissait en suspens une question : fallait-il que la clause soit conclue à raison de deux activités professionnelles, ou suffisait-il qu’une seule partie s’engage à ce titre (T. Clay, Une erreur de codification dans le code civil : les dispositions sur l’arbitrage, in 1804-2004. Le code civil, un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p. 693, spéc. nos 54 s. ; P. Fouchard, La laborieuse réforme de la clause compromissoire par la loi du 15 mai 2001, Rev. arb. 2001. 397) ? Assez logiquement, la Cour de cassation a tranché en faveur de la première solution, à l’occasion d’un litige relatif à la cession d’un fonds de commerce par des retraités (Civ. 1re, 29 févr. 2012, n° 11-12.782, Dalloz actualité, 6 mars 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 1312, note A.-C. Rouaud
; ibid. 2991, obs. T. Clay
; Rev. arb. 2012. 359, note M. de Fontmichel ; JCP 2012. Act. 310, obs. J. Béguin ; JCP E 2012. 1314, note J. Monéger ; ibid. 2012. 1498, obs. J. Ortscheidt ; Procédures 2012, n° 4, p. 21, obs. L. Weiller ; LPA 2012, n° 102, p. 11, note V. Legrand ; ibid. n° 135, p. 7, note A.-S. Courdier-Cuisinier ; ibid. n° 187, p. 14, note E. Faivre). Ce n’est pourtant pas la solution retenue dans l’arrêt en commentaire par la cour d’appel d’Aix-en-Provence, qui énonce que la clause « s’insère dans un contrat conclu à raison de l’activité professionnelle de l’une des parties, la société Pali France et aucune bilatéralité n’est imposée par les dispositions précitées ». Si l’interprétation paraît en décalage avec la jurisprudence de la Cour de cassation, elle ne porte pas à conséquence dès lors que c’est le non-professionnel qui se prévaut de la clause.
La convention d’arbitrage
La convention d’arbitrage par référence
L’arrêt Com.Performances offre une illustration intéressante de l’examen du consentement à une clause par référence en matière interne (Paris, 13 juin 2023, n° 22/15426). La clause figure dans les conditions générales de vente d’une des parties au litige. Pour contrôler la compétence du tribunal arbitral, la cour s’intéresse, dans un premier temps, à la conclusion du contrat. Celui-ci étant signé électroniquement, elle s’assure de la conformité de la signature aux exigences de l’article 1366 du code civil. Une fois cette étape franchie, elle s’arrête, dans un second temps, sur l’opposabilité des conditions générales de vente, sur le fondement de l’article 1119 du code civil. Elle constate alors que le contrat contient une clause indiquant que les parties en ont pris connaissance et les ont acceptées. Par conséquent, la cour juge que le défaut de signature des conditions générales de vente est indifférent et elle considère que la présence d’une clause compromissoire au sein de celles-ci suffit à fonder la compétence du tribunal arbitral.
Si le raisonnement est fluide, on peut formuler une réserve. L’analyse de la cour conduit à confondre formation du contrat et acceptation de la convention d’arbitrage. En l’espèce, il y a une concordance entre l’acceptation du contrat et l’acceptation de la clause. Tel n’est pas toujours le cas ; l’acceptation du contrat peut être contestée, sans pour autant priver le tribunal arbitral de sa compétence. À ce titre, d’un point de vue méthodologique, il est préférable de partir de la clause. La clause figure dans les conditions générales ; ces conditions sont-elles connues et acceptées (v. supra, les remarques sur l’arrêt Power One Italy) ? Or ces conditions peuvent résulter d’autres éléments que l’acceptation du contrat : les conditions ont pu être échangées antérieurement – par exemple par email – sans être contestées ; de même, l’acceptation peut se déduire de la relation d’affaires entre les parties. Certes, il ne sera pas toujours possible de caractériser une acceptation de la clause indépendamment du contrat. Dans une telle hypothèse, il n’y a alors aucun autre choix que l’acceptation de l’un pour caractériser l’acceptation de l’autre. Reste que l’inversion du raisonnement permet de mieux préserver l’indépendance matérielle de la convention d’arbitrage par rapport au contrat.
La convention d’arbitrage figurant dans un règlement de copropriété
Les interactions entre arbitrage et copropriété sont rares, au point (avouons-le !) que l’on ignore à peu près tout du régime applicable à la question. À l’origine, l’article 8 de la loi du 28 juin 1938 a autorisé la clause compromissoire dans les règlements de copropriété (« la clause compromissoire est admise dans le règlement de copropriété en vue des difficultés relatives à son application »). La multiplication des clauses compromissoires fut immédiate, au point de devenir une clause de style (D. Tomasin, La copropriété, Dalloz Action, 2021/2022, n° 521.11). Il fut donc décidé de renverser le principe en ne prévoyant, à l’occasion de la loi du 10 juillet 1965, aucun équivalent à l’ancien article 8.
Pour autant, on trouve encore aujourd’hui des règlements antérieurs à cette loi du 10 juillet 1965, dans lesquels figurent des clauses compromissoires. C’est le cas dans une affaire Sorana (Nancy, 3 juill. 2023, n° 22/00527). La cour écarte la clause. Elle juge qu’il « résulte des dispositions de l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965 relative au statut de la copropriété que “toutes les clauses contraires aux dispositions des articles 6 à 37, 42 et 46 et celles du règlement d’administration publique prises pour leur application sont réputées non écrites, tout copropriétaire peut invoquer l’illicéité de la clause” ; Il est ainsi constant que les clauses antérieures relatives, notamment à l’arbitrage sont réputées non écrites ; incluse dans le règlement de copropriété, cette clause prive le copropriétaire du droit d’accès au juge tel que prévu par la loi d’ordre public du 10 juillet 1965 ».
Au-delà de l’atteinte manifeste au principe compétence-compétence et de la fausseté de l’affirmation selon laquelle l’arbitrage est une privation du droit d’accès au juge, la solution retenue paraît hâtive. Comme le constate une doctrine avisée, l’environnement juridique de la clause compromissoire a changé (D. Tomasin, La copropriété, Dalloz Action, 2021/2022, n° 521.11). D’une interdiction de la clause compromissoire, l’article 2061 du code civil a progressivement évolué vers une validité limitée puis une validité générale, depuis la loi du 20 novembre 2016. Il en résulte que le seul silence de la loi du 10 juillet 1965, par opposition à la solution de la loi du 28 juin 1938, constitue un fondement fragile pour prohiber la clause compromissoire en matière de copropriété (v. égal. G. Rouzet, Clause compromissoire et règlement de copropriété, IRC, 10 juin 2016), avec au surplus les incertitudes sur son application à un règlement antérieur à son entrée en vigueur. Un pourvoi sur ces questions serait donc bienvenu.
La convention d’arbitrage à l’épreuve des procédures collectives
La confrontation entre les procédures collectives et l’arbitrage est une éternelle source de difficultés. Le plus souvent, la question est posée sous l’angle de l’ordre public international, mais il arrive qu’elle survienne sous l’angle de la compétence. La question n’en est pas moins complexe, ce que rappelle une affaire Benoit & Associés (Aix-en-Provence, 15 juin 2023, n° 22/12019). En l’espèce, le litige concerne une société placée en procédure collective. Le créancier déclare la créance à la procédure collective et le juge commissaire constate l’existence d’une contestation sérieuse. Il renvoie donc l’affaire pour que la juridiction compétente statue sur le différend. Le créancier saisit en conséquence un tribunal arbitral qui se déclare compétent pour trancher. Un recours en annulation est formé par le liquidateur, qui conteste l’opposabilité de la clause compromissoire. La cour annule la sentence, au motif que « la clause compromissoire contenue dans les contrats de sous-traitance […], ne s’appliquant qu’entre les parties aux-dits contrats de sous-traitance, n’est pas opposable à la Selarl Benoît & Associés, qui agissant en qualité de mandataire judiciaire […] a demandé l’arrêté des comptes des chantiers en cours, manifestant ainsi sa volonté de ne pas poursuivre les contrats de sous-traitance en cours, avec tous les droits et obligations qui s’y rattachent ».
L’annulation de la sentence résulte d’une double confusion de la part de la cour d’appel. D’une part, il est trop catégorique de juger que la clause compromissoire ne s’applique qu’entre les parties et n’est pas opposable au mandataire judiciaire. En la matière, il faut distinguer deux situations : premièrement, celle où le liquidateur agit en qualité de représentant des créanciers (Com. 17 nov. 2015, n° 14-16.012, Dalloz actualité, 30 nov. 2015, obs. A. Lienhard ; AJCA 2016. 43, obs. M. de Fontmichel
; Rev. sociétés 2016. 198, obs. P. Roussel Galle
; RTD com. 2016. 334, obs. A. Martin-Serf
; ibid. 696, obs. E. Loquin
; Cah. arb. 2016. 49, note H. Barbier) ; deuxièmement, celle où il exerce les droits et actions de la société en liquidation (Civ. 1re, 1er avr. 2015, n° 14-14.552, Torelli c/ StévGFC Construction, Dalloz actualité, 21 avr. 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015. 800
; ibid. 2588, obs. T. Clay
; RTD civ. 2015. 614, obs. H. Barbier
; Cah. arb. 2015. 303, note A. Sarah ; Procédures 2015, n° 6, p. 21, obs. L. Weiller ; RLDC 2015, n° 127, p. 17, obs. M. Desolneux ; JCP 2015. 1152, note L. Weiller ; Rev. arb. 2015. 1171, note L. Weiller ; Com. 26 févr. 2020, n° 18-21.810, MJA, Dalloz actualité, 4 mai 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay
; Gaz. Pal. 2020, n° 26, p. 35, obs. D. Bensaude ; ibid., n° 35, p. 68, obs. S. Farhi). Dans ce premier cas, la solution est bien l’inopposabilité de la clause compromissoire au liquidateur pour les actions exercées en qualité de représentant des créanciers. En revanche, dans le second, il convient de renvoyer le liquidateur devant les arbitres. Ainsi formulée, la solution de la cour d’appel n’est donc pas correcte, d’autant que l’action porte, en l’espèce, sur la poursuite d’un contrat en cours entre les parties.
D’autre part, et c’est la suite de ce dernier point, la volonté exprimée par le mandataire de ne pas poursuivre les contrats n’est pas de nature à affecter la compétence arbitrale. Cette solution se déduit du récent arrêt Vacama (Com. 23 nov. 2022, n° 21-10.614, Dalloz actualité, 9 janv. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2158
; RTD civ. 2023. 87, obs. H. Barbier
; ibid. 177, obs. P. Théry
; RPC 2023, n° 1, p. 35, obs. P. Cagnoli ; Procédures 2023, n° 2, p. 22, obs. L. Weiller ; JCP 2023. 334, note T. Lakssimi ; ibid. 221, obs. L. Jandard ; JCP E 2023, n° 20, p. 34, note P. Petel). Dans celui-ci, la Cour de cassation a jugé, sur le fondement de l’indépendance de la clause, que la convention d’arbitrage n’est pas un contrat en cours résiliable avec effet immédiat par le mandataire. Autrement dit, le mandataire ne peut décider de résilier la seule convention d’arbitrage tout en continuant le contrat dans lequel elle figure. Reste que, si la solution fonctionne dans un sens, l’indépendance de la convention d’arbitrage impose qu’elle fonctionne également dans le sens inverse. Ainsi, le choix du mandataire de résilier un contrat n’affecte pas la clause compromissoire qui y figure. C’est d’ailleurs le sens de l’article 1447 du code de procédure civile, qui prévoit de façon générale que la clause « n’est pas affectée par l’inefficacité [du contrat] », ce qui inclut sa résiliation.
En définitive, la solution retenue par la Cour d’appel d’Aix-en-Provence résulte d’une double erreur : la convention d’arbitrage est bel et bien opposable au mandataire, sauf à ce qu’il exerce une action dans l’intérêt des créanciers ; la résiliation avec effet immédiat d’un contrat ne prive pas la convention d’arbitrage de son efficacité et impose de soumettre tout litige portant sur ce contrat à un arbitre.
Les recours contre la sentence
Aspects procéduraux
Le choix de la voie de recours
En matière interne, il existe encore une alternative entre l’appel ou le recours en annulation contre la sentence arbitrale. Le choix de l’une ou l’autre voie se fait dès la convention d’arbitrage, l’article 1491 du code de procédure civile retenant par principe le recours en annulation.
Cette nécessité de trancher entre l’appel et le recours en annulation se manifeste encore au moment du recours. C’est ainsi qu’à l’occasion d’une saisine de la Cour d’appel de Bordeaux (13 juin 2023, n° 21/04453, Aladar), une partie s’est emmêlé les pinceaux dans la rédaction de ses actes. Successivement, le recourant a indiqué à la rubrique Objet/Portée de l’appel la mention « Appel nullité cf Appel en nullité des chefs de la sentence arbitrale attaquée selon pièce jointe faisant corps à la déclaration d’appel ». L’annexe comporte par ailleurs l’entête « déclaration d’appel par devant la Cour d’appel de Bordeaux » et son contenu déclare « Interjeter appel de la sentence rendue le 30 juin 2021 » et enfin que « l’appel tend à l’annulation de la sentence du 30 juin 2021 des chefs de la sentence arbitrale ci-après énoncés ».
Le recours est déclaré irrecevable. La cour juge que « la société Aladar a ainsi, de manière réitérée, et dans un acte séparé lui laissant l’entière liberté de qualifier exactement le recours qu’elle formait, saisi la cour d’un appel et non d’un recours en annulation. Or, le recours en annulation et l’appel nullité n’ont ni la même nature ni le même régime, de sorte que l’acte notifié le 29 juillet 2021 expressément qualifié d’appel en nullité, ne saurait être requalifié de recours en annulation. Il en résulte que l’appel nullité doit être déclaré irrecevable, de même que l’appel ».
On peut faire deux observations à propos de cette solution. Premièrement, l’état de la jurisprudence autour de la correcte qualification du recours n’est pas figé. L’essentiel du débat tourne autour de la case à cocher sur le RPVA. À ce sujet, la Cour de cassation n’a pas encore été appelée à trancher. La jurisprudence des cours d’appel n’est toutefois pas concordante. La Cour d’appel de Nîmes y a vu un motif d’irrecevabilité (Nîmes, 6 janv. 2021, n° 20/02583, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; ibid. 4 févr. 2022, obs. J. Jourdan-Marques) alors que celle de Paris refuse de sanctionner l’erreur (Paris, 8 oct. 2019, n° 19/02239, Dalloz actualité, 29 oct. 2019,, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay
; 22 oct. 2019, n° 19/04575, Zwahlen & Mayr, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay
). Dans l’affaire Aladar, l’erreur va au-delà de la seule case à cocher sur le RPVA. C’est bel et bien la rédaction de la déclaration de recours rédigée par l’avocat qui est défaillante. Reste que ce que l’on peut reprocher à l’auteur du recours, ce n’est pas tant l’exercice du mauvais recours que l’ambiguïté de l’expression de sa volonté d’exercer un recours plutôt qu’un autre. Par conséquent, on peut se demander si la sanction retenue n’est pas trop sévère, d’autant que la jurisprudence la plus récente fait preuve d’une plus grande clémence sur ces questions, comme le révèle un arrêt sur l’objet de l’appel (Civ. 2e, 25 mai 2023, n° 21-15.842, Dalloz actualité, 26 juin 2023, Interview M. Barba et R. Laffly). L’idée, à tout le moins, de réaliser une passerelle entre les recours, si elle a toujours été refusée par la jurisprudence (Paris, 18 févr. 1986, Aïta c/ Ojjeh, Rev. arb. 1986. 583, note G. Flecheux), permet d’atténuer la rigueur de la solution.
Deuxièmement, la question est celle de la faculté de réitérer le recours. Deux obstacles se présentent. D’une part, le délai de recours est susceptible d’être épuisé si la sentence a été correctement notifiée (à ce sujet, J. Jourdan-Marques, Notification et arbitrage, Rev. arb. 2023, à paraître) ; d’autre part, il existe une incertitude sur l’applicabilité de l’article 911-1, alinéa 3, du code de procédure civile à l’exercice d’un recours en annulation postérieur. En effet, ce texte ne vise que la déclaration d’appel. Or, si le recours a été jugé dans un premier temps irrecevable, c’est bien parce qu’il a été qualifié par erreur de déclaration d’appel. Il y aurait un paradoxe à dire, dans un premier temps, que le recours est irrecevable, car une déclaration d’appel a été formée alors qu’il aurait fallu opter pour un recours en annulation puis, dans un second temps, refuser la réitération du recours au motif que le code interdit de commettre deux déclarations d’appel successives. Il faut donc espérer que la jurisprudence fasse passer le droit d’accès au juge avant le formalisme sur cette question.
Le calendrier de procédure
Il est d’usage devant la chambre 5-16 de la Cour d’appel de Paris d’arrêter un calendrier de procédure pour rythmer les échanges entre les parties en vue de la mise en état de l’affaire. Chacune des parties bénéficie d’une date limite pour déposer ses conclusions, à la suite desquelles l’autre profite d’un temps pour y répondre. Le non-respect de ce calendrier offre à la cour une justification pour écarter les conclusions tardives. C’est le cas dans l’affaire Garcia, où le troisième jeu de conclusions du recourant est écarté, alors même qu’il a été communiqué avant la clôture (Paris, 27 juin 2023, n° 22/02752). Ainsi, le respect du contradictoire est jaugé à l’aune de l’ensemble du calendrier et pas de la seule date de clôture.
L’arrêt de l’exécution
L’exercice d’une voie de recours n’est pas incompatible avec l’exécution de la décision. Reste qu’il existe en cette matière une différence de régime importante : en matière interne, le recours est suspensif (C. pr. civ., art. 1496), mais l’exécution est possible si la sentence est assortie de l’exécution provisoire, directement par l’arbitre ou par le conseiller de la mise en état voire le premier président (C. pr. civ., art. 1497) ; en matière internationale, le recours n’est pas suspensif et l’exécution est toujours possible (C. pr. civ., art. 1526). Dans un cas comme dans l’autre, l’exécution (provisoire) peut être aménagée ou suspendue par le juge.
Cette dualité de régime donne lieu à une question tout à fait intéressante, dont a été saisi le premier président de la Cour d’appel de Paris (Paris, ord., 17 mai 2023, n° 22/20320, SOA). Assez simplement, il lui est demandé de trancher la question de savoir si le l’arbitrage est interne ou international. L’enjeu, on le comprend bien, est de faire tomber la sentence dans le régime interne afin de bénéficier de l’effet suspensif.
Le premier président s’y refuse, au motif que la demande est déclaratoire. La motivation est intéressante : « En effet, si l’arbitrage est un arbitrage interne, comme elles le soutiennent, la suspension de l’exécution de la sentence est acquise. À l’inverse, si l’arbitrage est international, c’est l’article 1526 du code de procédure civile qui est applicable et le recours en annulation n’est pas suspensif. En définitive, les demanderesses saisissent la présente juridiction aux fins de qualification de l’arbitrage, ce qui ne relève pas de ses pouvoirs. Leur demande, qui a pour objet d’“obtenir la suspension de l’exécution de la sentence pour solliciter la mainlevée de la saisie pratiquée”, ainsi qu’elles l’exposent dans leurs conclusions, relève des attributions du juge de l’exécution, dont la compétence pour statuer sur les contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée est exclusive en application de l’article L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire ».
Si la justification se conçoit, elle a pour résultat de faire peser une épée de Damoclès au-dessus de la tête du débiteur. Celui-ci est condamné à rester passif et attendre que le créancier joue ses cartes. Ce n’est que si ce dernier décide d’engager des mesures d’exécution forcée qu’il pourra réagir. Dans l’attente, il est impuissant. Finalement, une sentence arbitrale dépourvue de l’exécution provisoire et pour laquelle la qualification interne ou internationale est « débattable » devient la pire situation pour le débiteur.
Toutefois, l’affaire ne s’arrête pas là. Sans doute par sécurité, le requérant a sollicité l’arrêt de l’exécution sur le fondement de l’article 1526 du code de procédure civile. En effet, l’arbitre a pris le soin de qualifier d’internationale sa sentence, ce qui est contesté. Le premier président se refuse à réaliser cet examen. Il juge qu’il « n’entre pas dans les attributions du premier président de remettre en cause cette qualification donnée à la décision par l’arbitre ». À notre estime, il s’agit ici d’une erreur d’appréciation. L’article 12, alinéa 2, du code de procédure civile impose au juge de « donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée ». Or il est classiquement considéré que l’arbitre ne lie pas le juge du recours sur les qualifications retenues.
Faute de requalification, la demande est donc tranchée sur le fondement de l’article 1526 du code de procédure civile, qui retient, pour arrêter ou aménager l’exécution, le critère de la lésion grave des droits. Si ce critère se distingue de celui prévu à l’article 1497 du code de procédure civile, la dizaine d’années de jurisprudence depuis le décret du 13 janvier 2011 ne nous permet pas de dire avec certitude en quoi ce régime est spécifique. Du point de vue de la nature, l’un et l’autre de ces critères s’intéressent avant tout à la situation économique du débiteur – faculté à payer – et du créancier – faculté à rembourser. Ce qui importe – et qui ne doit pas être omis, ce sont les éléments de preuve permettant d’établir cette situation économique. La décision en donne quelques exemples, en regrettant l’absence de production de telles pièces : « Aucun avis d’imposition, aucun relevé de compte, aucun état de leur patrimoine n’est produit, de sorte que leurs revenus, liquidités et capacité d’endettement sont inconnus ». En l’espèce, c’est à la fois l’insuffisance des éléments produits par le débiteur et le caractère suffisants des éléments fournis par le créancier qui justifient le rejet de la demande d’arrêt.
Une affaire EARL des Marais offre, à l’inverse, un exemple où le premier président accepte d’arrêter l’exécution provisoire d’une sentence interne (Paris, ord., 22 juin 2023, n° 23/05045). Cette fois, des éléments comptables ont été produits, en particulier le compte de résultat 2022. Après examen, le premier président juge qu’il est nécessaire d’ordonner l’arrêt de l’exécution provisoire. Ce qui est original, c’est que l’ordonnance, malgré l’accueil de la demande, décide de faire supporter les dépens au demandeur et refuse de faire application de l’article 700 du code de procédure civile.
La soumission au régime interne ou international de l’arbitrage
La question de la qualification interne ou internationale de l’arbitrage ne se pose pas seulement à l’occasion de l’arrêt de l’exécution de la sentence. Le plus souvent, cette question apparaît lorsqu’il s’agit de déterminer si le fondement du recours doit se trouver dans l’article 1492 ou dans l’article 1520 du code de procédure civile. C’est sur ce point que porte l’arrêt Imagine (Paris, 16 mai 2023, n° 21/21189, préc.).
En réalité, l’enjeu ne doit pas être surestimé. Les régimes sont proches, à telle enseigne que, du point de vue du recours, l’enjeu du passage de l’un à l’autre est faible. Il n’est toutefois pas inexistant, que ce soit le 5° qui est apprécié différemment, l’ordre public étant tantôt interne, tantôt international, ou encore le 6°, qui prévoit certaines exigences formelles réservées à la sentence interne.
Néanmoins, il ne faut pas occulter la complexité de la procédure d’appel, qui est susceptible de faire apparaître des pièges là où ils ne sont pas attendus. Dans l’affaire Imagine, la question est posée sous l’angle de la recevabilité des prétentions au fond. Pour mémoire, l’article 910-4 du code de procédure civile impose aux parties de présenter dans leur premier jeu de conclusions l’ensemble de leurs prétentions au fond. Or en l’espèce, le requérant a demandé la requalification de la sentence de l’international vers l’interne seulement dans le troisième jeu de conclusions. Cette tardiveté est-elle de nature à entraîner l’échec du recours ?
Le raisonnement de la cour est un peu sinueux, mais la réponse est globalement négative. Elle remarque que le premier jeu d’écritures « ne contenait aucune prétention sur la qualification de l’arbitrage dans le dispositif, pas plus que dans les motifs. Il en allait de même des conclusions n° 2 du 27 janvier 2023, la “demande” de requalification étant énoncée dans leurs conclusions n° 3 du 17 mars 2023 sans toutefois figurer dans le dispositif de ces écritures ». Par conséquent, faute de prétention, la cour d’appel tranche en considérant qu’« il n’y a pas lieu de déclarer irrecevable une telle “demande”, dont la cour n’est pas saisie ». Pas de demande, pas d’irrecevabilité de la demande. Logique.
Il nous semble néanmoins que le débat n’est pas correctement posé. À notre estime, la question de la qualification interne ou internationale de la sentence n’est jamais une prétention. Comme toute question de qualification, elle est le préalable à l’identification d’un régime applicable. D’un point de vue procédural, la seule prétention formulée par l’auteur du recours est l’annulation de la sentence. La qualification interne ou internationale de la sentence est une question préalable qui permet au juge et aux parties de déterminer si le recours doit être fondé sur le Titre 1er ou le Titre II du Livre IV du code de procédure civile. Il n’est jamais nécessaire de le faire figurer au dispositif des conclusions, de même qu’il est possible de l’invoquer postérieurement au premier jeu de conclusions.
D’ailleurs, la cour d’appel ne méconnaît pas ces principes puisqu’elle tranche la question. Elle juge que « les moyens développés sur le fondement des articles 1492 et 1493 du code de procédure civile sont par ailleurs inopérants, la sentence objet du présent recours en annulation étant une sentence internationale, qualifiée comme telle par l’arbitre, dès lors qu’elle met en jeu les intérêts du commerce international pour porter sur une opération qui ne se déroulait pas dans un seul État ». La référence au choix des arbitres ne doit pas induire en erreur ; la cour d’appel n’est pas liée par la qualification retenue par les arbitres.
Faut-il en conclure que l’exercice est sans risque pour les parties ? La réponse est positive… à condition de fonder son recours sur les deux régimes. C’est une précaution élémentaire, qu’il ne faut pas omettre en cas de contestation de la nature de la sentence. A priori, il n’existe aucune exigence particulière sauf à fonder son argumentation cumulativement sur les articles 1492 et 1520 et à maîtriser les subtilités du passage de l’un à l’autre – par exemple l’éviction des règles internes au profit des règles matérielles.
La recevabilité de la demande d’exequatur
Peut-on demander l’irrecevabilité d’une demande d’exequatur ? C’est la question discutée devant la Cour d’appel de Paris à l’occasion de l’affaire Sultan de Sulu (Paris, 6 juin 2023, n° 21/21386, préc. ; JCP 2023. Act. 829, obs. D. Mainguy). La Malaisie soulève l’irrecevabilité des citoyens philippins – demandeurs à l’exequatur – pour requérir l’exequatur de la sentence. En retour, les citoyens philippins invoquent l’irrecevabilité de l’irrecevabilité, en soulignant que l’appel contre l’ordonnance d’exequatur est limité aux cas prévus par l’article 1520 du code de procédure civile, sur renvoi de l’article 1525.
L’argument était pertinent jusqu’au 13 avril dernier (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 21-50.053, Fiorilla, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 739
; Procédures 2023, n° 6, p. 19, obs. L. Weiller). Avant cette date, il y avait un doute très sérieux sur la faculté pour l’appelant de se prévaloir de l’irrecevabilité de la demande d’exequatur (v. l’arrêt d’appel dans l’affaire Fiorilla, Paris, 12 juill. 2021, n° 19/11413, Dalloz actualité, 17 sept. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 2272
, obs. T. Clay ; Cah. arb. 2022. 639, note M. Henry ; JCP E 2022, n° 27, p. 36, obs. C. Baker Chiss ; ibid., n° 6, p. 35, obs. C. Seraglini). Désormais, l’arrêt Fiorilla, énonce que « ce texte concerne le seul contrôle de la sentence, qu’il limite afin d’écarter toute appréciation du bien ou du mal jugé de l’arbitre, mais ne fait pas obstacle à l’examen des fins de non-recevoir opposées à la demande d’exequatur ». La cour d’appel reprend cette solution et énonce que « l’article 1525 du code de procédure civile […] ne dispense toutefois pas la cour d’appel de l’examen des fins de non-recevoir opposées à la demande d’exequatur, le renvoi fait à l’article 1520 du même code ne concernant que le seul contrôle de la sentence arbitrale ».
Cette solution invite à distinguer ce qui relève de la recevabilité de la demande d’exequatur et ce qui relève de son bien-fondé. Sur le bien-fondé, le rôle de la cour d’appel est limité aux cas prévus par l’article 1520 du code de procédure civile, ce que révèle l’article 1525, alinéa 4, qui énonce que « la cour d’appel ne peut refuser la reconnaissance ou l’exequatur de la sentence arbitrale que dans les cas prévus à l’article 1520 ». Toutefois, la formulation restrictive de ce texte ne doit plus induire en erreur ; elle n’interdit donc pas l’examen de la recevabilité de la demande d’exequatur. Sont ainsi distingués les moyens de défense relatifs à l’action en justice et ceux relatifs au droit substantiel. Reste à savoir ce qu’il adviendra des moyens relatifs à l’acte de procédure, en particulier les éventuelles nullités ou exceptions de procédure : faut-il laisser les plaideurs s’en prévaloir devant la cour d’appel ? À notre estime, la réponse doit être positive, mais il appartiendra à la jurisprudence de trancher.
Quoi qu’il en soit, l’irrecevabilité de l’irrecevabilité étant mal-fondée, on passe ensuite à l’examen de la recevabilité de la demande d’exequatur. En synthèse, la Malaisie reproche aux citoyens philippins d’être dépourvus d’intérêt à agir, notamment en ce que l’exequatur a été sollicité dans le seul but de contourner une décision espagnole d’annulation de la désignation de l’arbitre. La cour ne s’en laisse pas compter. La réponse est intéressante. Elle souligne que l’intérêt à agir bénéficie à « la partie au profit de laquelle la sentence a été rendue […] peu important qu’elle soit, en raison du sens de la décision ou du fait de l’absence d’actifs du débiteur, insusceptible d’exécution forcée sur le territoire national ». C’est l’idée d’un exequatur « à toutes fins utiles » qui est retenue. À ce titre, la solution n’est pas nouvelle. On la trouve déjà en germe dans un arrêt antérieur (Paris, 15 janv. 2013, n° 11/08143, D. 2013. 2936, obs. T. Clay
; Cah. arb 2013. 635, note J. Fouret ; JCP 2013. 1349, obs. J . Ortscheidt).
L’exequatur de la sentence arbitrale
On sera bref sur le nouvel épisode de la saga Lucas (le lecteur est autorisé à lire les prochaines lignes en fredonnant le thème musical de Star Wars), non pas pour le manque d’intérêt de la solution, mais en raison de notre implication dans l’affaire (Civ. 1re, 7 juin 2023, n° 22-12.757, préc.).
Pour faire simple, la question est de savoir si l’irrecevabilité du recours emporte, sur le fondement de l’article 1498, alinéa 2, du code de procédure civile (art. 1527, al. 2, en matière internationale), exequatur de la sentence. La réponse est négative, la Cour de cassation jugeant que l’arrêt qui déclare « irrecevable le recours en annulation de la sentence n’emporte pas exequatur de celle-ci et ne dispense pas celui qui entend en poursuivre l’exécution forcée d’obtenir du tribunal judiciaire une ordonnance d’exequatur à l’issue du contrôle de l’existence de la convention d’arbitrage et de l’absence de violation manifeste de l’ordre public, prévu par les articles 1487 et 1488 du code de procédure civile ».
La solution n’était pas évidente. La Cour de cassation fait primer la nécessité de s’assurer qu’aucune sentence contraire à l’ordre public – interne ou international – ne puisse être exequaturée en France. Il faut désormais lire les articles 1498 et 1527, alinéa 2, du code de procédure civile ainsi : « le rejet au fond de l’appel ou du recours en annulation confère l’exequatur à la sentence arbitrale ou à celles de ses dispositions qui ne sont pas atteintes par la censure de la cour ».
Aspects substantiels
Existe-t-il un ordre d’examen des cas d’ouverture du recours contre une sentence ? Si la structuration de l’article 1520, qui les numérote de 1° à 5°, peut sous-entendre une réponse positive, la question ne s’est, à notre connaissance, jamais posée explicitement. L’arrêt Sultan de Sulu donne l’occasion à la cour d’appel de donner son appréciation sur la question (Paris, 6 juin 2023, n° 21/21386, JCP 2023. 829, obs. D. Mainguy). En l’espèce, le requérant a invoqué le 2° préalablement au 1°. La cour renverse l’ordre proposé. Elle énonce que « la compétence de l’arbitre étant à la source de son pouvoir juridictionnel, il y a lieu, avant d’examiner la régularité de la constitution du tribunal arbitral, de rechercher s’il était de la volonté des parties de recourir à l’arbitrage et dans quelles conditions ».
Faut-il tirer des conséquences procédurales d’une telle analyse ? Quand bien même l’époque moderne fait du formalisme une fin plus qu’un moyen, aucune injonction n’est adressée aux parties de suivre cet ordre. C’est donc plutôt un message pédagogique qui est véhiculé pour justifier l’inversion de l’examen des moyens.
D’un point de vue théorique, l’attendu est intéressant et sans doute discutable. Certes, la compétence est la source du pouvoir juridictionnel de l’arbitre. Mais pour qu’un arbitre se prononce valablement sur sa compétence, encore faut-il que le tribunal soit correctement constitué. Par exemple, la constitution irrégulière du tribunal arbitral peut provenir d’une désignation par une institution ou un juge d’appui dépourvu de tout pouvoir d’y procéder. Dans cette hypothèse, l’ordre ne mérite-t-il pas d’être inversé ? En réalité, les questions sont parallèles et il n’est pas certain que l’on puisse affirmer de façon tranchée le caractère préalable de l’un sur l’autre.
En complément, on signalera que, dans l’arrêt MCB, la cour juge que les griefs au sein d’un même cas d’ouverture peuvent « être traités indifféremment dans l’ordre qui sied à la cour » (Paris, 13 juin 2023, n° 21/07296, préc.).
La compétence
Compétence et recevabilité
La solution est entendue et désormais répétée systématiquement : le défaut de respect d’une clause de médiation n’est pas un grief susceptible d’être contrôlé par le juge de l’annulation. L’arrêt Imagine le rappelle une fois de plus (Paris, 16 mai 2023, n° 21/21189, préc.). Il propose néanmoins une formule nouvelle, qu’il convient de reproduire : « Ce contrôle de la compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence. Il ne peut en outre porter sur le non-respect d’une clause de médiation qui est une question de recevabilité de la demande au fond et non une question de compétence du tribunal arbitral ».
Ce n’est pas non plus en passant par le 3° de l’article 1520 du code de procédure civile que les parties peuvent contourner cette interdiction. C’est ce que précise l’arrêt Sogea-Satom (Paris, 4 juill. 2023, n° 21/19249, préc.) qui énonce de manière très générale que « le juge de l’annulation, à qui il n’appartient pas de réviser la sentence, ne saurait contrôler l’appréciation portée par le tribunal arbitral sur la recevabilité des demandes qui lui étaient soumises, le moyen tiré du défaut allégué de mise en œuvre d’un préalable de règlement amiable prévu par une clause compromissoire n’entrant pas dans les cas d’ouverture du recours en annulation énoncés à l’article 1520 du code de procédure civile ».
Il faut espérer que le contentieux se tarisse enfin sur cette question qui ne souffre plus aucune discussion.
Compétence et traités d’investissement
L’affaire Garcia est en train d’épuiser le stock de magistrats disponibles au sein de la CCIP-CA (Paris, 27 juin 2023, n° 22/02752, préc.). C’est le principal enseignement de ce dernier arrêt qui, après deux arrêts d’appel (Paris, 3 juin 2020, n° 19/03588, Garcia, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; Cah. arb. 2021. 551, note M. Frappier ; 25 avr. 2017, n° 15/01040, D. 2017. 2559, obs. T. Clay
; Rev. arb. 2017. 648, obs. M. Laazouzi ; Cah. arb. 2017. 674, note W. Ben Hamida ; RGDIP 2017. 933, note J. Cazala) et deux de cassation (Civ. 1re, 1er déc. 2021, n° 20-16.714, Dalloz actualité, 4 févr. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 2272
, obs. T. Clay ; Cah. arb. 2022. 85, note F. de Bérard ; JCP E 2022, n° 11, p. 41, note P. Casson ; Gaz. Pal. 2022, n° 15, obs. L. Larribère ; 13 févr. 2019, n° 17-25.851, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay
; Cah. arb. 2021. 551, note M. Frappier ; Rev. arb. 2019. 271, note S. Lemaire) rejette le recours contre la sentence. Sur le reste, l’apport de l’arrêt est mesuré. Il énonce que lorsque la compétence « résulte d’un traité bilatéral d’investissements, la compétence du tribunal arbitral et l’étendue de son pouvoir juridictionnel dépendent de ce traité, le consentement de l’État à l’arbitrage procédant de l’offre permanente d’arbitrage adressée à une catégorie d’investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu’il définit » et que le « contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l’annulation n’ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé ».
Pour statuer comme elle le fait, la cour d’appel suit une double logique, impulsée par la Cour de cassation. La première est de ne pas ajouter aux conditions prévues par le traité. À ce titre, elle reprend la solution de la Cour de cassation et juge que le défaut de nationalité de la part des demandeurs à l’arbitrage à la date d’acquisition de l’investissement n’est pas une condition prévue par le traité. Elle décide que « cette circonstance ne saurait toutefois faire conclure à l’incompétence du tribunal arbitral, le traité ne subordonnant pas le bénéfice de sa protection à une condition de nationalité à la date de réalisation des investissements, qui n’y figure pas ».
Le raisonnement est identique – bien que plus détaillé – sur la question de la double nationalité. La cour rappelle qu’« en matière de protection des investissements transnationaux, le consentement de l’État à l’arbitrage procède de l’offre permanente d’arbitrage formulée dans un traité, adressée à une catégorie d’investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu’il définit » et constate ensuite que le « traité n’impose aucune restriction aux doubles nationaux vénézuéliens-espagnols pour le bénéfice de sa protection ».
En somme, la cour d’appel se range ainsi à l’appréciation stricte, encouragée par la Cour de cassation, des exigences prévues par le traité pour fonder la compétence du tribunal arbitral.
La seconde logique est de faire passer un certain nombre de discussions de la compétence vers le fond, afin de faire échapper la sentence au contrôle du juge de l’annulation. En l’espèce, la cour refuse d’examiner l’éventuelle illicéité de l’opération ayant permis les investissements et l’absence de contrepartie financière effectivement versée, cette question portant « sur le fond de l’affaire ». Ici encore, on observe le mouvement consistant à évincer progressivement un certain nombre de stipulations des TBI du champ de la compétence afin de les réserver à la juridiction exclusive du tribunal arbitral (v. déjà, sur les questions de licéité, Paris, 25 mai 2021, n° 18/27648, Cengiz, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 2272
, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2021. 1154 [1re esp.], note G. Bertrou, D. Bayandin et H. Piguet ; JDI 2022. Comm. 4, note S. Manciaux ; JCP E 2022. 1241, obs. M. Laazouzi ; 28 sept. 2021, Nurol, n° 19/19834, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 2272
, obs. T. Clay ; Rev. arb. 2021. 1154 [2e esp.], note G. Bertrou, D. Bayandin et H. Piguet).
La constitution du tribunal arbitral
L’obligation de révélation
Depuis trois ans, le recours fondé sur la violation de l’obligation de révélation est devenu peu efficace et l’annulation est une hypothèse rarissime. Les difficultés sont bien connues, mais la jurisprudence ne cesse d’en révéler les subtilités.
En principe, l’examen se fait en trois temps : d’abord, les parties n’ont-elles pas renoncé à se prévaloir du grief ? Ensuite, l’arbitre a-t-il l’obligation de révéler la circonstance ? Enfin, cette circonstance est-elle de nature à provoquer un doute raisonnable ? Même si l’arrêt MBI a bouleversé cette logique (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 18-11.290, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques), en priorisant l’examen de la deuxième condition par rapport à la première, l’ordre ne semble pour l’instant pas remis en cause. Les arrêts CNAN (Civ. 1re, 7 juin 2023, n° 21-24.968, préc.) et Trasta (Paris, 23 mai 2023, n° 22/05378, préc.) illustrent une nouvelle fois l’état du droit sur ces questions.
La renonciation
Dans la majorité des hypothèses, la renonciation à se prévaloir du grief est le fruit de la notoriété de la circonstance. Dans cette hypothèse, le fait notoire ne donne lieu à aucune demande de récusation devant l’institution ou le juge d’appui, ce qui prive la partie de sa faculté d’exercer un recours en annulation sur ce fondement. À l’inverse, lorsque le fait n’est pas notoire et à défaut de révélation, les parties sont le plus souvent libres d’en faire état pour la première fois devant le juge du recours.
Il existe toutefois des hypothèses rares où ces deux configurations ne se retrouvent pas. Les deux affaires en commentaire nous en offrent chacune un exemple. Dans l’affaire Trasta, la notoriété est avérée, mais ne peut être opposée à la partie, car elle est caractérisée après l’acceptation de la mission. Dans l’affaire CNAN, la situation est différente, puisque l’arbitre a fait l’objet d’une demande de récusation. Reste que cette demande est insuffisante pour établir l’absence de renonciation.
- La notoriété postérieure à l’acceptation de la mission
La jurisprudence est à l’origine d’une distinction de régime selon que le fait soit apparu avant ou après l’acceptation de sa mission par l’arbitre. Il pèse en effet sur les parties une obligation de curiosité. La jurisprudence s’accorde pour dire que cette obligation de curiosité ne perdure pas après l’acceptation de la mission (Paris, 14 oct. 2014, n° 13/14076, D. 2014. 2541, obs. T. Clay
; Newsletter du CMAP, nov. 2014. 10, obs. L. Jandard ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen ; ibid. 2015. 151, note M. Henry ; confirmé par Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay
; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude ; plus récemment, Civ. 1re, 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; ibid. 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; RTD com. 2020. 297, obs. E. Loquin
; JCP 2019. 2329, § 3, obs. C. Seraglini ; Paris, 11 janv. 2022, n° 19/19201, Dalloz actualité, 4 févr. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330, obs. T. Clay
; Gaz. Pal. 2022, n° 15, obs. L. Larribère ; JCP 2022. 724, obs. P. Giraud). En conséquence, si un fait survient postérieurement au début de l’instance, il appartient à l’arbitre de le révéler, indépendamment de la notoriété du fait.
L’arrêt Trasta rappelle cette solution. Il est reproché au président du tribunal arbitral de ne pas avoir révélé qu’un barrister de sa « chambers » a représenté l’État Libyen devant la Cour suprême anglaise, à l’occasion d’une affaire qui a fait l’objet d’une forte publicité. La cour note qu’« il est par ailleurs acquis que la décision en question a fait l’objet d’une diffusion sur le site internet de la Cour suprême d’Angleterre, comme sur les sites de plusieurs cabinets d’avocats spécialisés dans le domaine de l’arbitrage. Elle a en outre donné lieu à des articles de presse consultables en ligne, ainsi qu’à un compte-rendu publié trois jours après son prononcé dans la Global Arbitration Review, revue spécialisée connue du monde de l’arbitrage, cet article mentionnant le nom du barrister concerné ainsi que son appartenance à Birck Court Chambers, qui est aussi celle de la présidente du tribunal arbitral ». Par conséquent, au regard des critères habituels – et souvent critiqués – de la jurisprudence française, la notoriété est indiscutable.
Reste l’élément temporel, qui fait défaut dans la présente affaire. La cour souligne que « cette publicité n’en est pas moins intervenue en cours d’arbitrage, après que la présidente du tribunal, qui à aucun moment n’a fait mention de cette circonstance, eut communiqué aux parties sa déclaration d’indépendance, en un temps où la société Trasta n’était plus tenue de se livrer à des recherches sur l’indépendance de l’arbitre ». Dès lors, c’est une sorte de renversement de la charge de la preuve qui s’opère. C’est au défendeur d’établir que le requérant avait connaissance des circonstances et n’a pas réagi. Là encore, la cour souligne que cette publicité « ne saurait être utilement opposée à l’appelante dès lors qu’il n’est pas établi, au vu des pièces versées aux débats, que cette société avait une connaissance effective de la circonstance dont elle se prévaut, connaissance que la publicité invoquée est insuffisante à démontrer ».
Ainsi, la solution est conforme à la jurisprudence antérieure et applique fermement la dissociation temporelle à propos de la notoriété : l’obligation de curiosité existe avant l’acceptation de la mission, mais ne perdure pas au-delà. Mieux, on a pu regretter la perte de vue de ce critère à l’occasion de certaines affaires (par ex. dans l’affaire Vidatel, Paris, 26 janv. 2021, n° 19/10666, préc). Partant, on peut se satisfaire de la solution rendue, tant sur le principe que dans son application.
Pour autant, on ne peut s’empêcher de voir une forme d’arbitraire dans cette distinction jurisprudentielle qui utilise l’acceptation de la mission comme pivot pour départager ce qui relève de l’obligation de curiosité et ce qui n’en relève pas. Cette obligation de curiosité, comme l’exception de notoriété, ne repose sur aucun fondement textuel. Pourquoi, dans ces circonstances, la limiter dans le temps ? Certes, on dira qu’il est normal d’attendre des parties certaines investigations avant le début de l’instance, une fois le nom de l’arbitre connu. Reste que, tant avant le début de l’instance qu’après, le code prévoit que les parties peuvent se reposer sur l’arbitre qui doit révéler, tant avant d’accepter sa mission qu’après, « toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité ». L’argument moral est donc de faible portée face à l’obligation juridique. Dès lors, quitte à consacrer un mauvais critère, pourquoi ne pas l’étendre aux deux périodes pour garantir la cohérence de l’ensemble ?
Les faits de l’arrêt Trasta invitent à tout le moins à se poser la question. La notoriété ne souffre apparemment aucune discussion, la publicité donnée à la décision étatique étant très large. Or celle-ci est antérieure de huit mois par rapport à la sentence ! Autrement dit, la partie prétend être restée dans l’ignorance de cette circonstance pendant toute cette période, mais être tombée dessus dans l’intervalle de trois semaines qui sépare la sentence de la date du recours. Pire, une demande de récusation de la présidente du tribunal arbitral a eu lieu pendant cet intervalle. Pourtant, cette circonstance n’a pas été alléguée à cette occasion. La cour d’appel pouvait en profiter pour ressusciter l’obligation de curiosité, comme elle l’a fait dans l’affaire Tecnimont (Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 16-18.349, Dalloz actualité, 1er févr. 2019, obs. C. Debourg ; ibid. 29 janv. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 24
; ibid. 2435, obs. T. Clay
; JCP E 2019, n° 15, p. 20, note A. Constans ; Procédures, n° 4, p. 14, obs. L. Weiller), en consacrant une forme de concentration des griefs de récusation.
En somme, l’affaire Trasta met en lumière ce qui pose difficulté dans l’état du droit positif : les notions de notoriété et de curiosité sont incompatibles. Il y a quelque chose d’absurde à énoncer qu’un fait est notoire, mais peut ne pas être connu d’une partie au point de ne pas déclencher son obligation de réaction. Soit une circonstance est notoire ; dans ce cas, elle est connue et il est inutile de se « livrer à des recherches » (selon les termes de la cour) pour la connaître. Soit une circonstance n’est pas notoire ; dans ce cas, des investigations poussées sont indispensables pour accéder à l’information. Dans cette logique, l’exception de notoriété, si elle existe, n’a pas à être limitée à la période antérieure à l’acceptation de la mission. La notoriété de l’information suffit à déclencher l’obligation de réaction à tout moment, indépendamment d’une quelconque obligation de curiosité. À l’inverse, il faut admettre que si une obligation de curiosité existe, elle vise à rechercher des faits qui ne sont pas notoires ; il s’agit de faits dissimulés, certes accessibles sur internet, mais qu’il n’y a pas lieu de connaître à défaut. La confusion entre notoriété et obligation de curiosité est très certainement à l’origine de la dérive de la jurisprudence française en cette matière. À mieux dissocier l’une et l’autre, on pourra éventuellement trouver une solution plus acceptable.
- La renonciation malgré la récusation
L’affaire CNAN, qui a donné lieu à un arrêt de la cour d’appel qui n’est pas passé inaperçu (Paris, 15 juin 2021, n° 20/07999, Pharaon, Dalloz actualité, 4 févr. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 2272
, obs. T. Clay ; Cah. arb. 2022. 639, note M. Henry ; JCP E 2022, n° 27, p. 37, obs. C. Baker Chiss), propose une configuration différente. L’arbitre a fait l’objet d’une demande de récusation devant l’institution, laquelle a été rejetée. On peut y voir un défaut de renonciation par le recourant. Ce n’est pourtant pas la solution suivie par la Cour d’appel de Paris et le pourvoi est rejeté. Après avoir rappelé l’article 1466 du code de procédure civile, la Cour de cassation énonce que « le fait d’avoir demandé, en vain, à l’institution en charge de l’organisation de l’arbitrage, la récusation d’un arbitre en raison d’un prétendu défaut d’indépendance ou d’impartialité, ne constitue pas un motif légitime de ne pas invoquer, devant le tribunal arbitral, l’irrégularité de sa constitution pour la même raison ».
Si la solution est identique à celle retenue devant la cour d’appel, elle n’est reste pas moins choquante. Certes, une lecture stricte de l’article 1466 du code de procédure civile, qui impose de se prévaloir de l’irrégularité devant le tribunal arbitral, laisse entendre que la solution est rigoureuse. Ainsi lue, la demande de récusation devant l’institution est insuffisante au regard des exigences de l’article qui vise bien le tribunal arbitral. Néanmoins, cette interprétation littérale du code de procédure civile n’est acceptable que si elle est systématiquement suivie. Or force est de constater qu’elle ne l’est jamais. Il faut rappeler que l’article 1466 du code de procédure civile pose cinq conditions qui ne sont jamais observées avec rigueur : (i) en connaissance de cause ; (ii) sans motif légitime ; (iii) temps utile ; (iv) irrégularité ; (v) devant le tribunal arbitral. Aucune de ces conditions n’a fait l’objet d’une définition rigoureuse en douze ans d’existence du texte. La connaissance de cause est balayée par la notoriété ; le motif légitime est ostensiblement ignoré par la jurisprudence depuis cette date ; le temps utile n’est même pas envisagé ; l’irrégularité est grossie pour y englober à peu près n’importe quel cas d’ouverture ; la notion de tribunal arbitral n’est utilisée que de façon opportuniste.
En résumé, l’article 1466 du code de procédure civile fait l’objet d’une lecture téléologique depuis une décennie, selon laquelle « la partie qui s’abstient d’invoquer un grief pendant la procédure arbitrale renonce à s’en prévaloir devant le juge du recours ». Entendons-nous : cette analyse est acceptable. Toutefois, le cumul de l’analyse téléologique et de l’analyse littérale ne l’est pas. Si la partie a exercé une demande de récusation devant l’institution, elle n’a pas renoncé à se prévaloir du grief, car l’esprit de la règle a été respecté. Il l’a d’autant plus été que chacun sait que formuler une telle demande a posteriori devant le tribunal arbitral n’a aucun intérêt. Pire, elle peut mettre en difficulté tant la partie que le tribunal arbitral.
En définitive, la solution de la Cour est inutilement rigoureuse et en décalage avec l’interprétation donnée à l’article 1466 du code de procédure civile depuis dix ans. Entre analyse littérale et analyse téléologique, il faut choisir, sauf à faire tomber la procédure arbitrale dans l’excès de formalisme.
La révélation
Dans l’affaire Trasta, l’absence de renonciation étant établie, la cour revient sur le respect de son obligation de révélation par l’arbitre. Après avoir rappelé l’article 1456, alinéa 2, du code de procédure civile, elle énonce que « cette obligation [de révélation] doit être regardée comme déterminante de la régularité de la constitution de la juridiction arbitrale, son accomplissement conditionnant l’acceptation de la nomination de l’arbitre par les parties ». La formule est nouvelle. Du point de vue du recours en annulation, sa portée semble limitée. Elle n’est en revanche pas dépourvue d’intérêt, tant sur la question théorique du contrat d’arbitre que sur celle de sa responsabilité civile en cas de défaillance dans la révélation.
Quoi qu’il en soit, l’obligation de révélation suit désormais une logique de contractualisation, consacrée pour la première fois par l’arrêt Vidatel (Paris, 26 janv. 2021, n° 19/10666, préc.) et systématiquement reprise. Cette contractualisation signifie que le règlement d’arbitrage est la première source mobilisée pour identifier les circonstances à révéler. C’est là aussi ce que rappelle l’arrêt Trasta. La cour énonce que les parties « ayant en l’espèce fait choix de placer leur arbitrage sous l’égide de la CCI, la mise en œuvre de ces exigences doit être appréciée en contemplation des principes et modalités énoncés par le Règlement de procédure de cette instance et sa Note aux parties et aux tribunaux arbitraux sur la conduite de l’arbitrage selon le règlement d’arbitrage de la CCI ».
C’est donc à l’aune des règles de la CCI que l’obligation de révélation de l’arbitre est examinée. Pour rappel, il est reproché au président du tribunal arbitral de ne pas avoir révélé qu’un barrister de sa « chambers » représente l’État Libyen – qui a un fort lien avec une partie au litige – dans le cadre d’une procédure étatique. La cour rappelle successivement les paragraphes 27 et 32 de la Note aux Parties de la CCI. Le premier impose de révéler la circonstance ou « l’arbitre ou l’arbitre pressenti, ou le cabinet d’avocats auquel il ou elle appartient, représente ou conseille, ou a représenté ou conseillé, l’une des parties ou l’un de ses affiliés ». Le second précise que « dans le cadre des divulgations, un arbitre est considéré comme endossant l’identité de son cabinet juridique, et une personne morale inclut ses affiliés. Lors du traitement d’éventuelles objections à la confirmation ou de récusations, la Cour examinera les activités du cabinet juridique de l’arbitre et la relation de ce cabinet avec l’arbitre dans chaque affaire individuelle. Dans chaque cas, les arbitres doivent envisager de divulguer leurs relations avec un autre arbitre ou un conseil qui est un membre des mêmes “barristers’ chambers”. Les arbitres doivent également envisager de divulguer les relations entre arbitres, ainsi que celles avec une entité ayant un intérêt économique direct au litige ou une obligation de dédommager une partie pour la sentence ». Ce dernier paragraphe de la Note ne brille pas par son intelligibilité. La cour y voit une distinction entre la situation des cabinets d’avocats et celle des chambers de barristers. Elle énonce que « ces dispositions opèrent une distinction dans les obligations de déclaration pesant sur l’arbitre selon que les circonstances envisagées mettent en cause un membre du cabinet d’avocat auquel il appartient ou un membre de la barristers’ chambers à laquelle il se rattache. La divulgation requise ne concerne, dans ce dernier cas, que les relations de l’arbitre avec un autre arbitre ou le conseil de l’une des parties à la procédure d’arbitrage, l’obligation étant plus large s’agissant des membres appartenant à un même cabinet d’avocat, qui concerne alors les liens avec l’une des parties ou “l’un de ses affiliés” ».
On sait que la question du lien entre barristers membres d’une même chambers est discutée (v. par ex., A.H. Merjian, Caveat Arbitor: Laker Airways and the Appointment of Barristers as Arbitrators in Cases Involving Barrister-Advocates from the Same Chambers, J. Int. Arb. 2000, Vol. 17, Issue 1, p. 31 ; J. Kendall, Barristers, Independence and Disclosure Revisited, Arb. Int. 2000, Vol. 16, Issue 3, p. 343). La Note aux Parties vise précisément les circonstances qui font l’objet des plus grandes discussions, à savoir le lien entre deux arbitres et le lien entre un arbitre et un conseil. Reste que la lecture qui vise à distinguer la situation entre les cabinets d’avocats et les chambers ne nous paraît pas résulter de façon flagrante du paragraphe 32 de la Note. Cela dit, c’est plutôt la rédaction sibylline qui pose difficultés que l’interprétation de la cour qui, de ce point de vue, doit pencher d’un côté ou de l’autre.
Pour appuyer son analyse, la cour se fonde d’ailleurs sur les Lignes directrices de l’International Bar Association sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage international. Sur ce point, elles sont bien plus claires en ce qu’elles distinguent explicitement la situation de la « law firm » et celle des « barristers’ chambers » (la traduction française retenue étant celle de « bureau d’avocats »). L’éclairage apporté par cette source est sans doute décisif. Ce qui est intéressant, c’est que la cour souligne que « les parties invoquent dans leurs écritures » l’utilisation de ces IBA rules. En principe, les IBA rules ne constituent que du droit souple. S’il arrive à la jurisprudence de s’y référer (par ex., Paris, 23 févr. 2021, n° 18/03068, LERCO, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 2272, obs. T. Clay
; JCP 2021. 696, obs. P. Giraud ; JCP E 2022, n° 27, p. 36, obs C. Baker Chiss), c’est systématiquement à la condition que les parties s’y réfèrent. C’est le cas en l’espèce, ce qui justifie la faculté pour la cour de s’en prévaloir. Ainsi, une partie qui n’a aucun intérêt à l’application des IBA rules doit prendre garde à refuser dans ses conclusions toute référence à ce corpus de règles, faute de quoi la cour est susceptible de s’en emparer.
Forte de la combinaison de ces deux sources, Note aux Parties et IBA rules, la cour conclut que « la société Trasta invoque l’intervention d’un barrister appartenant à la même chambers que la présidente du tribunal arbitral, non dans la procédure d’arbitrage litigieuse, mais dans une procédure distincte, conduite devant la Cour suprême d’Angleterre, procédure dans laquelle la société NOC n’est pas partie, le barrister en question intervenant pour l’État de Libye. Une telle circonstance ne relève pas de l’obligation de déclaration imposée à l’arbitre par les dispositions précitées ».
Par ce raisonnement, on voit que le tournant vers la contractualisation de l’obligation de révélation est achevé de la part de la juridiction parisienne. L’examen des circonstances à révéler se fait uniquement à l’aune des règles fixées par le règlement d’arbitrage et, si elles s’y réfèrent, des IBA rules. Les intérêts à une telle solution sont multiples et participent de la vision délocalisatrice du droit français de l’arbitrage. Reste que la principale difficulté, à laquelle la jurisprudence n’a pas encore été confrontée, est celle du maniement d’un règlement silencieux ou lacunaire sur les circonstances à révéler.
La cour donne peut-être un indice dans sa décision. Elle relève que « les membres d’une même chambers sont indépendants et exercent leur profession de manière autonome, sans partage d’informations sur les cas qui les occupent ». Partant, elle ratifie la solution retenue tant par la Note aux parties que par les IBA rules, jugeant qu’une obligation de révélation est, en la matière, injustifiée. Est-ce à dire qu’une appréciation différente de la nature des chambers aurait pu la conduire à invalider la solution retenue par le règlement ? C’est bel et bien la question qui devra être tranchée dans le futur.
L’indépendance et l’impartialité
Les arrêts Trasta (Paris, 23 mai 2023, n° 22/05378, préc.) et CNAN (Civ. 1re, 7 juin 2023, n° 21-24.968, préc.) peuvent encore se lire en miroir à propos de l’indépendance et l’impartialité. Dans l’un et l’autre, l’attendu est identique. Les cours énoncent qu’« il appartient au juge de la régularité de la sentence arbitrale d’apprécier l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre en relevant toute circonstance de nature à affecter son jugement et à provoquer dans l’esprit des parties un doute raisonnable sur ces qualités, qui sont l’essence même de la fonction arbitrale ». Cette formule n’est pas nouvelle (Civ. 1re, 16 mars 1999, n° 96-12.748, D. 1999. 497
, note P. Courbe
; RTD com. 1999. 850, obs. E. Loquin
; Gaz. Pal. 2001, n° 52, p. 10, obs. E. du Rusquec).
Néanmoins, une différence majeure existe entre les deux arrêts. Dans le premier, le grief est contrôlé sur le fondement du 2° de l’article 1520, alors qu’il l’est au visa du 5° dans le second. Quelle différence ? L’enjeu réside dans la renonciation. Dans l’arrêt CNAN, on l’a vu précédemment, le fondement tiré de la violation de l’obligation de révélation est écarté sur le fondement de la renonciation. Ce sont toutefois les mêmes faits qui sont invoqués sous l’angle de l’ordre public international. Cette fois, la renonciation disparaît. Le comportement des parties est passé à l’éponge de l’ordre public international. Pourtant, cette conséquence n’a rien d’évident. L’inclusion d’un grief au sein de l’ordre public international n’exclut pas une éventuelle renonciation. La solution se déduit aisément du recours systématique par la jurisprudence à la notion « d’ordre public de fond » (Paris, 22 févr. 2022, n° 20/05869, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques). On en déduit, par un raisonnement a contrario, que l’ordre public procédural peut faire l’objet d’une renonciation, ce que la jurisprudence a déjà eu l’occasion d’affirmer clairement (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; 4 mai 2019, n° 16/16502, Dalloz actualité, 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP E 2020, n° 4, p. 37, obs. J. Ortscheidt ; 12 oct. 2021, n° 20/02301, Tasyapi, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; 19 oct. 2021, n° 19/23071, Heliotrop, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; Procédures 2022, n° 4, p. 35, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2022, n° 15, obs. L. Larribère). Or il s’agit bien d’ordre public procédural ici, d’autant que la Cour de cassation précise que « l’exécution d’une sentence en France peut être refusée dès lors que celle-ci, rendue par un arbitre dont le défaut d’indépendance ou d’impartialité serait établi, porterait atteinte au principe d’égalité entre les parties et aux droits de la défense et heurterait l’ordre public international ». Partant, on peut penser qu’un examen de la renonciation s’impose.
De plus, les arrêts CNAN et Trasta révèlent que la question peut être prise sous deux angles. Dans le premier, les circonstances invoquées sont externes à l’arbitrage, puisqu’elles portent sur les relations entre l’arbitre et un dirigeant d’une partie – à qui il est reproché de vivre dans le même immeuble – et sur les relations entre l’arbitre et le cabinet d’une partie. Les deux griefs sont rejetés. Ils révèlent néanmoins que les circonstances contestées sont identiques à celles examinées à la suite d’un défaut de révélation. Dans l’arrêt Trasta en revanche, les circonstances sont étrangères à la révélation. Il s’agit de critiques formulées à l’encontre de l’arbitre à l’occasion de la procédure, notamment le rejet d’une demande de production de documents, le choix de clôturer la procédure ou encore une violation du secret des délibérations. Là encore, les allégations sont rejetées, le défaut d’impartialité n’étant pas établi. On soulignera simplement que la cour juge que « la non-motivation par la Cour d’arbitrage de sa décision de rejet de la demande de récusation de la présidente par la société Trasta, comme la non-communication aux parties des observations des arbitres ne sauraient quant à elles être imputées à faute à l’intéressée et ne caractérisent en rien un défaut d’impartialité de sa part ». Si le processus de récusation prévu par le règlement d’arbitrage peut être discuté, il est inapproprié d’en tirer des conséquences sur l’impartialité de l’arbitre, qui reste étranger aux choix de l’institution.
La mission de l’arbitre
La faculté de retarder l’examen d’une question de compétence
L’arrêt MCB soulève une question intéressante et offre une réponse rassurante de la cour d’appel (Paris, 13 juin 2023, n° 21/07296, préc.). Le tribunal arbitral doit juger, à l’occasion d’une sentence partielle, de sa compétence. Il lui est reproché d’avoir « réservé » une partie de sa réponse dans la sentence partielle et de l’avoir reportée pour la sentence finale. La cour d’appel valide cette démarche. Elle énonce qu’il « n’appartient pas au juge de l’annulation de remettre en cause l’opinion de l’arbitre qui a considéré qu’une des demandes ne pouvait être traitée au stade de la sentence partielle sur la compétence, mais qu’il fallait aborder les questions de fond pour pouvoir trancher cette question ». La cour ajoute ensuite que « bien qu’ayant réservé sa décision concernant sa compétence pour se prononcer sur le bien fondé de la résiliation du CVAE, le tribunal arbitral, en répondant à cette question, a usé de la liberté d’appréciation dont il dispose dans le cadre de sa fonction de juger, sans qu’il puisse lui être reproché d’avoir violé sa mission, une telle décision relevant en outre de choix procéduraux qui ne ressortissent pas au contrôle de cour ». Ce qui est intéressant, c’est que la cour ne nie pas la démarche du tribunal arbitral. Elle admet, tout en convenant qu’il appartient au tribunal arbitral de trancher la compétence dans une sentence partielle, qu’il a sciemment reporté sa décision sur ce point. Pourtant, elle n’y voit aucune violation de la mission. Par conséquent, la cour fait prévaloir la mission juridictionnelle du tribunal arbitral sur sa mission contractuelle. Les exigences de la première permettent de passer outre certaines contraintes de la seconde. Voilà qui est heureux.
La renonciation au délai d’arbitrage
La question du délai de l’arbitrage est classique et sa soumission à l’article 1466 du code de procédure civile l’est tout autant. Dans l’affaire Imagine, le requérant soutient ne pas avoir eu connaissance du point de départ du délai avant la reddition de la sentence (Paris, 16 mai 2023, n° 21/21189, préc.), malgré la soumission de l’arbitrage au Règlement AFA. La manœuvre est grossière et la cour ne s’y laisse pas prendre. Elle juge que les parties sont « présumés avoir renoncé à invoquer toute irrégularité à ce titre, par application de l’article 1466 du code de procédure civile, que ce soit sur la contestation du point de départ du délai ou sur sa computation ainsi que sur les conséquences à en tirer sur le délai dans lequel la sentence devait être rendue ».
Le respect de la mission d’amiable compositeur
Il n’est pas rare que l’arbitre se voie confier des pouvoirs d’amiable compositeur. L’affaire Imagine donne l’occasion à la cour d’appel de rappeler certains principes et de les compléter (Paris, 16 mai 2023, n° 21/21189, préc.). Dans un attendu à la fois clair et pédagogique, elle juge que « s’agissant enfin du non-respect de la mission d’amiable composition allégué, il convient de rappeler que l’amiable composition est une renonciation conventionnelle aux effets et au bénéfice de la règle de droit, les parties perdant la prérogative d’en exiger la stricte application et les arbitres recevant corrélativement le pouvoir de modifier ou de modérer les conséquences des stipulations contractuelles dès lors que l’équité ou l’intérêt commun bien compris des parties l’exige. L’arbitre ne s’écarte toutefois pas de sa mission s’il use de la liberté qui lui est accordée par la référence à son pouvoir de statuer en amiable compositeur de faire le choix d’appliquer le droit pour statuer sur une demande, l’arbitre n’ayant pas l’obligation de statuer uniquement en équité. Il n’appartient pas au juge de l’annulation de vérifier le bien ou le mal fondé de la sentence au regard du choix fait par l’arbitre d’appliquer un raisonnement en droit plutôt qu’en équité pour arriver à la conclusion retenue au fond, dès lors que l’arbitre s’est expliqué sur les motifs retenus et a invité les parties à s’expliquer sur les différentes options possibles ». Cette solution, qui ne nécessite pas un long commentaire, assure à la fois une grande liberté aux arbitres et restreint considérablement le contrôle opéré par la cour d’appel.
L’ultra petita
Un arbitre qui vise dans le dispositif de sa sentence une entité qui n’est pas partie au litige viole-t-il sa mission ? Telle est la question posée à la Cour d’appel de Paris dans l’affaire Sogea-Satom (Paris, 4 juill. 2023, n° 21/19249, préc.). Alors que spontanément on peut donner une réponse positive, la solution retenue est plus mesurée. La cour constate que, d’une part, le tribunal arbitral s’est borné à répondre à une demande soumise par une partie et, d’autre part, qu’il n’a prononcé aucune condamnation à l’encontre du tiers. Pour ces raisons, la sentence n’encourt pas l’annulation.
Le respect du contradictoire
À propos du contradictoire, l’arrêt Imagine apporte encore des précisions intéressantes et pédagogiques (Paris, 16 mai 2023, n° 21/21189, préc.). Il commence par énoncer que « principe de la contradiction permet d’assurer la loyauté des débats et le caractère équitable du procès, et notamment le respect de l’égalité des armes ». La formule est intéressante, même s’il n’est pas rare de voir la jurisprudence examiner l’égalité des armes sur le fondement de l’ordre public (Paris, 8 nov. 2016, n° 13/12002, Rev. arb. 2016. Somm. 1213 ; Cah. arb. 2017. 487, note P. Giraud ; 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques). Dans cet arrêt, la cour n’hésite pas à se fonder sur le 4° pour réaliser cet examen.
Au-delà, la cour apporte des précisions sécurisantes pour les arbitres à propos de l’appréciation des moyens factuels et probatoires. Elle énonce qu’il « est toutefois constant que l’arbitre peut tirer des conséquences d’un fait dans les débats ou procéder à une interprétation des éléments qui sont dans les débats, quand bien même les parties n’ont pas insisté sur ce point, sans que cela signifie qu’il a soulevé un moyen d’office. De même, l’appréciation des modes de preuve pertinents relève du pouvoir souverain de l’arbitre, dès lors que les pièces ont été régulièrement échangées et débattues devant l’arbitre, notamment le choix fait par celui-ci d’ordonner une contre-expertise ou de considérer le caractère pertinent ou non d’une pièce. Il n’y a enfin aucune violation du principe de la contradiction à ne pas soumettre préalablement au prononcé de la sentence la motivation de celle-ci au débat contradictoire, sauf à empêcher les arbitres de jamais statuer et d’avoir leur liberté de rédaction s’il leur fallait provoquer les explications des parties sur le raisonnement à tenir ». On sait qu’il n’est pas toujours facile pour un arbitre de déterminer ce qu’il peut librement inclure dans sa motivation et ce qui, faute d’avoir été discuté par les parties, constitue un relevé d’office susceptible d’être sanctionné. Par cette solution, la cour sécurise les arbitres et leur offrant une importante marge de manœuvre pour fonder la solution sans craindre le couperet de l’annulation chaque fois qu’ils s’écartent des éléments avancés par les parties.
L’arrêt Trasta (Paris, 23 mai 2023, n° 22/05378, préc.) suit une logique identique, à propos cette fois des moyens de droit. On sait que la question est toujours délicate pour le tribunal arbitral qui ne souhaite pas suivre religieusement l’argumentation de l’une ou l’autre des parties. La cour rappelle à cet égard que « le tribunal arbitral n’est pas tenu de soumettre aux parties l’argumentation juridique qui étaye la motivation de sa sentence avant son prononcé. Il ne peut toutefois fonder sa décision sur des moyens de droit ou de fait non invoqués » (v. égal., Paris, 27 juin 2023, n° 22/02752, Garcia, préc.). L’enjeu réside dans le passage de l’un à l’autre, de la « liberté de motivation » au relevé d’office d’un moyen de droit. Dans la décision, deux éléments permettent à la cour de rejeter le recours : d’une part, que la « référence à cette faute n’a pas été déterminante de la décision prise par les arbitres sur ce point » et, d’autre part, que « le comportement fautif de Trasta et ses conséquences sur l’évolution de la situation étaient dans le débat ». Aucun cumul n’est indispensable et il suffit, en principe, que l’une ou l’autre de ces conditions soit remplie.
L’ordre public international
L’arrêt Belokon (Civ. 1re, 23 mars 2022, n° 17-17.981, Dalloz actualité, 10 mai 2022, obs. V. Chantebout ; ibid., 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 660
; ibid. 1773, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel
; ibid. 2330, obs. T. Clay
; RTD civ. 2022. 701, obs. P. Théry
; Gaz. Pal. 2022, n° 15, p. 11, obs. L. Larribère ; RDC 2022, n° 3, p. 43, note Y.-M. Serinet et X. Boucobza ; JDI 2022. 681, obs. K. Mehtiyeva ; JCP 2022. 1072, note B. Rémy ; ibid. 2022. Doctr. 724, obs. C. Seraglini ; Procédures 2022. Comm. 173, obs. L. Weiller) a opéré un basculement – anticipé depuis très longtemps par la Cour d’appel de Paris – dans l’intensité du contrôle de l’ordre public international. La portée de ce revirement est toutefois restée – un temps au moins – incertaine : fallait-il limiter la solution nouvelle aux hypothèses tirées du blanchiment ou encore de la corruption ou l’étendre à tous les griefs relevant de l’ordre public international ?
Les arrêts Trasta (Paris, 23 mai 2023, n° 22/05378, préc.), Sogea-Satom (Paris, 4 juill. 2023, n° 21/19249, préc.) et Garcia (Paris, 27 juin 2023, n° 22/02752, préc.) permettent de clore la discussion. Ils reprennent une formule déjà aperçue dans des arrêts du 18 avril 2023 (Paris, 18 avr. 2023, n° 20/15087, CNIM et n° 22/00415, Transgourmet, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques) selon laquelle le contrôle de l’ordre public international « s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international ». La formule est générale et utilisée dans des hypothèses variées, y compris en matière de défaut de délibéré dans l’arrêt Trasta, grief qui relève de l’ordre public procédural. Ces solutions confirment l’idée que le contrôle opéré de l’ordre public international est identique, quelle que soit la nature du grief invoqué.
La solution retenue à propos du défaut de délibéré par l’arrêt Trasta est d’ailleurs intéressante. La cour précise que « si, à cet égard, la violation du secret des délibérations ne constitue pas en elle-même une cause d’annulation de la sentence, l’exigence du délibéré est une règle fondamentale de la procédure arbitrale, qui garantit la nature juridictionnelle de la décision à laquelle parvient le tribunal arbitral, le principe de collégialité supposant que chaque arbitre ait la faculté de débattre de toute décision avec ses collègues, de sorte que la méconnaissance de cette exigence caractérise une violation de l’ordre public international de procédure ». Le défaut de délibéré est ainsi de nature à emporter l’annulation de la sentence. Tel n’est pas le cas, et la solution est logique, du retard pris dans la reddition de la sentence, justifié par l’attente de l’expression d’une opinion dissidente. Tout à l’inverse, la cour remarque « la volonté de la majorité [du tribunal] de différer le prononcé de la sentence afin de prendre connaissance de sa formulation [de l’opinion dissidente] démontrant au contraire l’existence d’une délibération collégiale de la part des arbitres ».
L’exécution de la sentence
L’obtention d’une sentence favorable n’a aucun intérêt pour le créancier s’il ne peut en obtenir l’exécution. Si le chemin jusqu’à l’obtention de l’ordonnance d’exequatur est connu, qu’en est-il de la suite ? Une fois l’exequatur obtenu, il faut que l’ordonnance – ou la sentence exequaturée – soit notifiée (J. Jourdan-Marques, Notification et arbitrage, Rev. arb. 2023, à paraître). C’est ce qui résulte de l’article 503 du code de procédure civile qui énonce que « les jugements ne peuvent être exécutés contre ceux auxquels ils sont opposés qu’après leur avoir été notifiés, à moins que l’exécution n’en soit volontaire ». Lorsque le débiteur réside en France, la formalité ne soulève que très peu de difficultés – ou à tout le moins des difficultés qui n’ont rien de spécifique à l’arbitrage. En revanche, si le débiteur est à l’étranger, l’obstacle est autrement plus important. La Cour de cassation vient d’ailleurs de le rappeler fermement, dans un arrêt qui ne concerne pas l’arbitrage, mais par lequel la responsabilité d’un huissier de justice est engagée pour avoir mis à exécution une décision avant que le débiteur n’ait été correctement notifié (Civ. 1re, 17 mai 2023, n° 21-23.773, Dalloz actualité, 6 juin 2023, obs. N. Hoffschir). Il est fondamental pour le créancier d’attendre jusqu’à l’achèvement de la notification de la décision.
Néanmoins, chacun sait que l’une des difficultés en la matière réside dans le silence gardé par les autorités étrangères, particulièrement dans le champ de la Convention de La Haye de 1965, dans celui des conventions bilatérales voire en dehors de toute convention internationale. Le risque est donc que la notification tombe dans une faille spatio-temporelle de laquelle elle peut ne jamais sortir… laissant ainsi le créancier démuni.
À ce titre, le décret n° 2019-402 du 3 mai 2019 a permis une avancée fondamentale, en créant l’article 687-2 du code de procédure civile. Constitué de trois alinéas, ce texte fixe la date à prendre en compte lorsque le destinataire a été touché, lorsqu’il n’a pas pu l’être et, enfin, lorsque les autorités étrangères restent silencieuses. Sur ce dernier aspect, l’alinéa 3 retient que « lorsqu’aucune attestation décrivant l’exécution de la demande n’a pu être obtenue des autorités étrangères compétentes, nonobstant les démarches effectuées auprès de celles-ci, la notification est réputée avoir été effectuée à la date à laquelle l’acte leur a été envoyé ».
Toutefois, la faible ancienneté de ce texte laisse un certain nombre de questions en suspens. On peut au moins en citer trois : premièrement, cette disposition a-t-elle vocation à s’appliquer dans le champ des conventions internationales ou doit-elle être limitée aux notifications réalisées conformément au code de procédure civile ? Deuxièmement, quelles sont les « démarches » nécessaires pour bénéficier du texte ? Troisièmement, et de façon beaucoup plus essentielle, cette disposition ne vise-t-elle que les problèmes de « double date » (lorsque les points de départ des délais sont dissociés entre l’émetteur et le destinataire) ou a-t-elle vocation à s’appliquer au-delà, en particulier pour permettre l’exécution forcée d’une décision ?
La Cour d’appel de Paris vient de répondre – au moins implicitement – à ces trois questions de façon très favorable pour le créancier (Paris, 8 juin 2023, n° 22/12481, Prosper River). Premièrement, elle accepte la mise en œuvre de l’article 687-2 du code de procédure civile dans le champ d’application de la Convention de La Haye de 1965. Deuxièmement, la cour se contente d’une relance par l’huissier de justice de l’autorité centrale étrangère, à peine quatre mois après avoir adressé la demande de notification. Troisièmement, elle fait application de l’article 687-2, alinéa 3, du code de procédure civile pour réputer la notification effectuée et autorisée les mesures d’exécution.
C’est donc une solution sécurisante pour les créanciers que retient la Cour d’appel de Paris. Elle doit être saluée. Il n’est pas acceptable que les mesures d’exécution d’une décision de justice – sentence ou jugement – soient paralysées en raison des carences des autorités étrangères. La solution est encore moins acceptable lorsque le débiteur est l’État et qu’il dispose ainsi d’une liberté de retarder indéfiniment les mesures d’exécution contre lui. Il faut désormais émettre le vœu que la Cour de cassation, si elle venait à être saisie de la question, consacre les solutions retenues par la Cour d’appel de Paris.
La reconnaissance des jugements étrangers et l’arbitrage
Que fait un arrêt sur la reconnaissance d’un jugement albanais dans une chronique sur l’arbitrage ? En réalité, l’arrêt est d’un immense intérêt et fera probablement l’objet d’analyses approfondies, tant par les arbitragistes que par les DIPistes (Civ. 1re, 17 mai 2023, n° 21-18.406, Albania BEG, D. 2023. 1017
). Cette affaire est une ramification de l’affaire BEG c/ Italie (CEDH 20 mai 2021, n° 5312/11, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 2272
, obs. T. Clay). Pour contourner une sentence arbitrale, une partie a eu recours à une de ses filiales qui a saisi les juridictions étatiques albanaises. La reconnaissance de ce dernier jugement est demandée en France.
L’exequatur est rejeté. La Cour rappelle que, en vertu du droit international privé commun, « l’accueil d’un jugement étranger dans l’ordre juridique français exige le contrôle, outre de la compétence internationale indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, de sa conformité à l’ordre public international de fond et de procédure, celui de l’absence de fraude ». Elle valide ensuite le raisonnement de la cour d’appel, selon lequel « si la société BEG n’était pas directement partie à l’instance devant le tribunal judiciaire du district de Tirana, elle avait agi devant celui-ci en interposant artificiellement sa filiale albanaise, dont l’actionnariat avait fait l’objet dans les trois mois précédant l’introduction de l’action, de modifications apparentes destinées à induire en erreur sur l’autonomie de cette société qui restait, en réalité sous l’entier contrôle de la société BEG, laquelle était, en outre, à cette date, seule titulaire de la concession d’exploitation de l’énergie hydraulique. Elle a retenu qu’au regard de la chronologie des procédures, de la similarité des faits et des moyens invoqués, des fautes alléguées et des préjudices dont la réparation avait été sollicitée dans les deux instances, l’action engagée devant le tribunal du district judiciaire de Tirana avait en réalité le même objet que celle initiée devant le tribunal arbitral, à savoir faire constater que la société Enelpower avait violé l’accord de coopération et qu’elle tendait à obtenir indirectement ce que la société BEG avait échoué à obtenir directement du tribunal arbitral ». Partant, elle considère que « le jugement avait été obtenu par fraude et en a exactement déduit que l’exequatur devait être refusé ».
Ainsi, la saisine des juridictions étatiques dans le but d’échapper à l’arbitrage est constitutive d’une fraude susceptible d’interdire l’exequatur en France du jugement étranger. Voilà qui est nouveau, voilà qui n’est pas anodin. Si la solution s’applique en droit international privé commun, qu’en est-il du droit européen ? On peut se demander si cette solution n’est pas une réponse du « berger » Cour de cassation à la « bergère » CJUE, à la suite de l’arrêt London Steamship (CJUE 20 juin 2022, aff. C-700/20, Dalloz actualité, 13 juill. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; AJDA 2022. 1675, chron. P. Bonneville, C. Gänser et A. Iljic
; D. 2022. 2330, obs. T. Clay
; ibid. 2023. 925, obs. S. Clavel et F. Jault-Seseke
; RTD eur. 2022. 751, note M.-E. Ancel
; Europe 2022, n° 8-9, p. 48, obs. L. Idot ; JCP 2022. 1574, note J. Heymann ; Gaz. Pal. 2022, n° 29, p. 18, note J. Clavel-Thoraval ; RLDA 2022, n° 186, p. 27, note M. Barba ; JDI 2023. 208, note D. Hascher ; JCP 2023. 221, obs. C. Seraglini). À tout le moins, il s’agit d’un défi : cette dernière acceptera-t-elle d’examiner le caractère frauduleux de la saisine d’un juge étatique visant à échapper à l’arbitrage ? Ou feindra-t-elle d’ignorer la difficulté, sous prétexte de préserver l’autonomie de l’ordre juridique européen et la confiance mutuelle ?
En soulevant ces questions, l’arrêt présente un immense intérêt et ne devra pas être oublié à l’occasion des futurs débats sur ces questions.
Arbitrage et Cour européenne des droits de l’homme
L’arrêt Semenya de la Cour européenne des droits de l’homme était attendu (CEDH 11 juill. 2023, n° 10934/21, D. 2023. 1360, et les obs.
). Son apport se situe avant tout sur les questions substantielles. Du point de vue du droit de l’arbitrage, l’affaire mérite tout de même un examen. Elle révèle à nouveau que l’arbitrage est perméable aux enjeux substantiels et procéduraux de la Convention européenne des droits de l’homme et que la Cour européenne des droits de l’homme est susceptible de connaître de ces questions (T. Clay, La Cour européenne des droits de l’homme, nouveau juge de l’arbitrage ?, in Arbitrage et procès équitable, ss la dir. de M. Nicolas-Greciano et J. Jourdan-Marques, IFJD, à paraître).
Sur le fond, disons simplement que le litige concerne une athlète de niveau international spécialiste des courses de demi-fond, qui se plaint d’un règlement de l’International Association of Athletics Federations (« l’IAAF », désormais World Athletics) l’obligeant à réduire son taux naturel de testostérone par des traitements hormonaux pour pouvoir participer aux compétitions internationales dans la catégorie féminine. L’athlète ayant refusé de se soumettre à un traitement hormonal, elle n’a pas pu participer aux compétitions internationales. La question de fond est donc celle de compatibilité de cette réglementation avec un certain nombre de droits fondamentaux garantis par la Convention européenne. Ce qui nous intéresse particulièrement, c’est que son cas a été examiné et son recours rejeté par le Tribunal arbitral du sport puis par le Tribunal fédéral suisse.
Le nœud de la difficulté réside dans l’appréciation faite par le Tribunal fédéral suisse de la conformité de la sentence à ces droits fondamentaux. Le droit suisse est connu pour réaliser une appréciation plutôt superficielle de la sentence au regard de son ordre public international (S. Besson, Le contrôle des sentences arbitrales par le juge suisse : aperçu de quelques traits caractéristiques et confrontation avec le droit français, Rev. arb. 2023. 867, spéc. p. 875). À l’occasion du recours contre la sentence du TAS, le Tribunal fédéral l’a d’ailleurs réaffirmé, jugeant que « pour qu’il y ait incompatibilité avec l’ordre public, il ne suffit pas que les preuves aient été mal appréciées, qu’une constatation de fait soit manifestement fausse ou encore qu’une règle de droit ait été clairement violée (…). L’annulation d’une sentence arbitrale internationale pour ce motif de recours est chose rarissime (ATF 132 III 389 consid. 2.1). Pour juger si la sentence est compatible avec l’ordre public, le Tribunal fédéral ne revoit pas à sa guise l’appréciation juridique à laquelle le tribunal arbitral s’est livré sur la base des faits constatés dans sa sentence. Seul importe, en effet, pour la décision à rendre sous l’angle de l’article 190, alinéa 2 let. e LDIP, le point de savoir si le résultat de cette appréciation juridique faite souverainement par les arbitres est compatible ou non avec la définition jurisprudentielle de l’ordre public matériel » (cité par l’arrêt de la CEDH, § 33). Ainsi, le Tribunal fédéral suisse a procédé à l’analyse du recours dans les limites que la jurisprudence impose à son pouvoir d’examen et a conclu à l’absence d’incompatibilité de la sentence avec l’ordre public matériel.
En creux, c’est une double question qui est posée à la Cour européenne dans cette affaire. La première est de savoir si elle peut s’immiscer dans la résolution du litige, alors que c’est la conformité d’une règlementation privée et son contrôle par un juge privé qui sont en cause. La Cour est consciente de la difficulté, mais n’hésite pas à la surmonter. Elle énonce : « La Cour est consciente que la requérante met en cause, devant elle, la conformité à la Convention d’un règlement édicté par l’IAAF et entériné par le TAS, deux acteurs non étatiques. Mais, dans la mesure où les conclusions du TAS ont fait l’objet d’un examen par le Tribunal fédéral quant aux griefs soulevés par la requérante, elle conclut qu’à la lumière de sa jurisprudence précitée, la cause de la requérante relève de la “juridiction” de la Suisse au sens de l’article 1 de la Convention, et ce même si la haute juridiction suisse ne s’est pas explicitement référée aux dispositions de la Convention et n’a bénéficié que d’un pouvoir de contrôle restreint, à savoir limité à la question de la compatibilité de la sentence attaquée avec l’ordre public suisse ». On voit ainsi que c’est par le truchement du juge de l’annulation que la Cour européenne étend son emprise sur l’arbitrage. La solution n’est d’ailleurs pas nouvelle (v. égal., J. Jourdan-Marques, Chronique d’arbitrage : CJUE versus CEDH, la bataille pour l’arbitrage a commencé, Dalloz actualité, 13 juill. 2022) et s’est déjà retrouvée tant en matière sportive qu’en matière commerciale ou en matière d’investissement. Il n’est pas exclu qu’elle suscite une certaine réticence du milieu sportif, qui se voit contraint de respecter les principes d’une convention régionale pour le déroulement des compétitions internationales.
La deuxième question est celle de l’intensité du contrôle réalisé par le juge de l’annulation sur les droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme. Un passage décisif doit être souligné. La Cour décide que « si le contrôle très limité exercé par le Tribunal fédéral peut se justifier dans le domaine de l’arbitrage commercial, où des entreprises qui se trouvent généralement sur un pied d’égalité s’accordent sur une base volontaire pour régler leurs litiges de cette manière, il peut s’avérer plus problématique en matière d’arbitrage dans le sport, où les individus se voient confrontés à des organisations sportives souvent très puissantes ». La Cour en conclut que « dans le cadre d’un arbitrage forcé qui privait la requérante de la possibilité de saisir les juridictions ordinaires, la seule voie qui était ouverte à l’intéressée était le TAS qui, en dépit d’un raisonnement très détaillé, n’a pas appliqué la Convention et a laissé planer des doutes considérables quant à la validité du Règlement DSD […]. Par ailleurs, le contrôle exercé par le Tribunal fédéral, saisi d’un recours contre la sentence du TAS, était très restreint, à savoir limité à la conformité de la sentence arbitrale avec l’ordre public, et n’a en l’espèce pas permis de répondre aux préoccupations sérieuses exprimées par le TAS d’une manière conforme aux exigences de l’article 14 de la Convention » et ajoute que « l’enjeu significatif de l’affaire pour la requérante et la marge d’appréciation réduite de l’État défendeur auraient dû se traduire par un contrôle institutionnel et procédural approfondi, dont la requérante n’a pas bénéficié en l’espèce ».
On voit ainsi que la raison de la condamnation de la Suisse réside dans le contrôle trop superficiel de la sentence réalisé par le juge de l’annulation. Il ne fait aucun doute que le TAS et le Tribunal fédéral suisse ne pourront pas rester indifférents à cette solution. Est-elle pour autant susceptible d’avoir un impact au-delà ? Plusieurs raisons incitent à la mesure. Les spécificités de l’affaire sont multiples : d’abord, il s’agit – la Cour européenne le souligne – d’un cas d’arbitrage forcé ; ensuite, la cour mentionne explicitement l’arbitrage commercial pour l’exclure de son analyse ; de plus, le Tribunal fédéral suisse est réputé pour son contrôle frileux de l’ordre public international ; enfin, les droits fondamentaux en cause, en particulier l’interdiction des discriminations ou encore le respect de la vie privée, sont rarement mis en jeu à l’occasion des arbitrages plus conventionnels. Reste que cette affaire constitue une nouvelle illustration de l’immixtion de la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arbitrage. Il faudra donc s’y faire, pour le meilleur… et en espérant éviter le pire !
Civ. 1re, 7 juin 2023, F-B, n° 21-24.968
Civ. 1re, 7 juin 2023, FS-B, n° 22-12.757
Civ. 1re, 17 mai 2023, FS-B, n° 21-18.406
CEDH 11 juill. 2023, n° 10934/21
Paris, 16 mai 2023, n° 21/21189
Paris, ord., 17 mai 2023, n° 22/20320
Paris, 23 mai 2023, n° 22/05378
Paris, 25 mai 2023, n° 22/08429
Paris, 6 juin 2023, n° 21/21386
Paris, 8 juin 2023, n° 22/12481
Paris, 13 juin 2023, n° 21/07296
Paris, 13 juin 2023, n° 22/15426
Paris, ord., 22 juin 2023, n° 23/05045
Paris, 27 juin 2023, n° 22/02752
Paris, 4 juill. 2023, n° 21/19249
Paris, 6 juill. 2023, n° 22/12408
Aix-en-Provence, 11 mai 2023, n° 22/10750
Aix-en-Provence, 1er juin 2023, n° 20/01522
Aix-en-Provence, 15 juin 2023, n° 22/12019
Bordeaux, 13 juin 2023, n° 21/04453
Nancy, 3 juill. 2023, n° 22/00527
Nîmes, 7 juin 2023, n° 21/00324
Reims, 28 juin 2023, n° 22/00189
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