Chronique d’arbitrage : la Cour de cassation fait (de nouveau) de l’arbitrage sans le savoir
Pour la troisième fois en quelques années, l’arbitragiste ne peut rester indifférent à une décision rendue en assemblée plénière, alors même qu’elle ne concerne pas le droit de l’arbitrage. Cette fois, l’arrêt porte sur la réparation d’une perte de chance et la question concerne les pouvoirs (et des devoirs) d’un juge de l’indemniser alors que les parties ne l’ont saisi que d’une demande de réparation intégrale du préjudice.
Déjà, à propos de l’action délictuelle fondée sur une faute contractuelle, la jurisprudence avait suscité la réflexion sur l’opposabilité des clauses compromissoires dans de telles circonstances (Cass., ass. plén., 13 janv. 2020, QBE Insurance c/ Sucrerie de Bois rouge, n° 17-19.963, Dalloz actualité, 24 janv. 2020, obs. J.-D. Pellier ; D. 2020. 416, et les obs.
, note J.-S. Borghetti
; ibid. 353, obs. M. Mekki
; ibid. 394, point de vue M. Bacache
; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz
; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki
; AJ contrat 2020. 80
, obs. M. Latina
; RFDA 2020. 443, note J. Bousquet
; Rev. crit. DIP 2020. 711, étude D. Sindres
; RTD civ. 2020. 96, obs. H. Barbier
; ibid. 395, obs. P. Jourdain
; Gaz. Pal. 2020, n° 5, p. 15, obs. D. Houtcieff). Plus récemment, c’est à propos de la recevabilité de la preuve déloyale que le droit de l’arbitrage était indirectement concerné (Cass., ass. plén., 22 déc. 2023, nos 20-20.648 et 21-11.330, Dalloz actualité, 9 janv. 2024, obs. N. Hoffschir ; D. 2024. 291
, note G. Lardeux
; ibid. 275, obs. R. Boffa et M. Mekki
; ibid. 296, note T. Pasquier
; ibid. 570, obs. J.-D. Bretzner et A. Aynès
; ibid. 613, obs. N. Fricero
; ibid. 1636, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
; JA 2024, n° 697, p. 39, étude F. Mananga
; AJ fam. 2024. 8, obs. F. Eudier
; AJ pénal 2024. 40, chron.
; AJCT 2024. 315, obs. A. Balossi
; Dr. soc. 2024. 293, obs. C. Radé
; Légipresse 2024. 11 et les obs.
; ibid. 62, obs. G. Loiseau
; RCJPP 2024, n° 01, p. 20, obs. M.-P. Mourre-Schreiber
; ibid., n° 06, p. 36, chron. S. Pierre Maurice
; RTD civ. 2024. 186, obs. J. Klein
; JCP 2024. Doctr. 782, obs. C. Seraglini, P. Giraud et L. Jandard ; ibid. Doctr. 673, obs. L. Mayer, L. Veyre et L. Larribère ; ibid. Act. 120, note G. Vial ; JCP S 2024. 1028, note S. Brissy ; Dr. fam. 2024, chron. 3, obs. V. Egéa ; Procédures 2024. Comm. 37, note A. Bugada ; CCC 2024. Comm. 30, note D. Bosco ; LPA 2024, n° 3, p. 63, obs. L. Bernet ; Gaz. Pal. 2024, n° 7, p. 14, obs. C. Bizet ; ibid. n° 8, p. 65, obs. S. Sereno ; ibid. n° 13, p. 50, obs. L. Mayer ; ibid. n° 15, p. 65, obs. A. Sannier et G. Barbe). C’est désormais, à l’occasion d’arrêts Unipatis Production et S.C.I. Les Baobabs, la question de la réparation du préjudice de perte de chance qui fait l’objet d’une analyse renouvelée (Cass., ass. plén., 27 juin 2025, n° 22-21.812 et n° 22-21.146, Dalloz actualité, 10 juill. 2025, obs. H. Slim ; RCA 2025. Comm. 158, note. L. Bloch ; LPA 2025, n° 9, p. 77, obs. L. Guiseppi ; ibid. 84, obs. A. Dadoun ; Gaz. Pal. 2025, n° 29, p. 6, obs. V. Mazeaud).
Au-delà de ces deux décisions d’assemblée, plusieurs arrêts méritent l’attention. C’est d’abord le cas de l’arrêt de la Cour d’appel de Paris dans l’affaire Oschadbank (Paris, 1er juill. 2025, n° 24/05336). Au-delà de l’intérêt immense de cette affaire et des enjeux économiques et politiques en cause, il s’agit de la première décision rendue après une audience en formation solennelle. Très concrètement, la décision n’est pas seulement rendue par les trois magistrats habituels de la 5-16 ; la formation est complétée par deux juges supplémentaires, y compris le premier président de la Cour d’appel de Paris qui, pour l’occasion, est le président de la formation.
C’est ensuite le cas du nouvel épisode de la saga Hemisphère (Paris, 16 sept. 2025, n° 24/18541). La décision soulève encore des questions procédurales et substantielles atypiques, en particulier en matière d’excès de pouvoir du juge de l’exequatur ou d’applicabilité de la Convention de New York au recours. On évoquera enfin l’arrêt Mercuria (Paris, 16 sept. 2025, n° 23/18252), qui alimente la réflexion à propos de l’extension de la convention d’arbitrage et fait l’objet d’une analyse critique du soussigné.
La perte de chance
Les deux arrêts d’assemblée plénière du 27 juin 2025 (n° 22-21.812 et n° 22-21.146, préc.) ne sont pas simplement d’une importance majeure en procédure civile et en droit de la responsabilité. Ils apportent un éclairage sur les pouvoirs des arbitres.
La situation est relativement courante. Dans les deux affaires, il s’agit de savoir si le juge saisi d’une demande de réparation intégrale du préjudice peut, sans modifier l’objet du litige, rechercher et réparer une perte de chance. Il n’est en effet pas si rare qu’une partie omette de saisir le juge, à titre subsidiaire, d’une telle demande de réparation. Or, l’article 4 du code de procédure civile laisse la détermination du litige aux seules parties.
La Cour de cassation tranche la difficulté. Non seulement elle autorise le juge, mais plus encore, elle lui impose de réparer la perte de chance, quand bien même elle n’en est pas saisie. L’assemblée plénière juge qu’il se déduit de « l’article 4 du code civil que le juge ne peut refuser de réparer un dommage dont il a constaté l’existence en son principe ». Elle ajoute, d’une part, qu’il « peut, sans méconnaître l’objet du litige, rechercher l’existence d’une perte de chance d’éviter le dommage alors que lui était demandée la réparation de l’entier préjudice » et, d’autre part, qu’il « ne peut refuser d’indemniser une perte de chance de ne pas subir un dommage, dont il constate l’existence, en se fondant sur le fait que seule une réparation intégrale de ce dommage lui a été demandée ».
Cette solution apporte, d’une part, une réponse et soulève, d’autre part, une interrogation. La réponse apportée est qu’un tribunal arbitral peut, sans modifier l’objet du litige, statuer sur la perte de chance alors même que les demandes des parties portent sur la réparation intégrale du préjudice. Sous l’angle de la violation de sa mission par le tribunal arbitral, le risque d’ultra petita est écarté.
En revanche, la question soulevée est celle du sort d’une sentence où le tribunal arbitral constate l’existence d’une perte de chance, mais refuse de l’indemniser, faute pour les parties de l’avoir saisi d’une demande en ce sens. Ce point est bien plus délicat. D’un côté, la Cour voit dans le refus d’indemniser la perte de chance une « méconnaissance de l’objet du litige », ce qui peut être interprété comme une violation de la mission. D’un autre côté, le contrôle des sentences arbitrales exclut (i) la révision au fond de la sentence, (ii) le contrôle de la motivation et (iii) l’annulation de la sentence lorsque le tribunal arbitral statue infra petita (v. encore sur cette question, Paris, 3 juin 2025, Wingstop, n° 23/17836). À ce stade, il est trop tôt pour anticiper la position de la Cour d’appel de Paris à propos de cette difficulté, qui ne manquera pas de lui être soumise.
Les arrêts Unipatis Production et S.C.I. Les Baobabs apportent un second enseignement décisif. Si le juge, et par ricochet le tribunal arbitral, peut indemniser d’office la perte de chance, c’est à la condition de soumettre la question au débat contradictoire (sur le sujet, C. Chainais, L’arbitre, le droit et la contradiction : l’office du juge arbitral à la recherche de son point d’équilibre, Rev. arb. 2010. 3). Les deux arrêts précisent qu’il incombe au juge « d’inviter les parties à présenter leurs observations quant à l’existence d’une perte de chance ». En matière d’arbitrage, l’omission de soumission au contradictoire entraîne l’annulation de la sentence sur le fondement des articles 1492, 4° et 1520, 4°, du code de procédure civile.
L’arrêt Unimed offre d’ailleurs une illustration de cette problématique (Paris, 27 mai 2025, n° 23/01618). Au cas d’espèce, le différend porte sur une cession d’actions de la société Unimed, au bénéfice d’un acquéreur, la société Premium Holding. Un autre actionnaire d’Unimed estime que la cession d’actions est intervenue en violation de la clause d’inaliénabilité du pacte d’actionnaires.
Premièrement – sans que l’on sache comment on a pu en arriver là – l’actionnaire mécontent initie une procédure d’arbitrage aux fins d’obtenir l’annulation de la cession et la rétrocession des actions par Premium Holding. Toutefois, et c’est décisif, l’action est exercée contre Unimed ; Premium Holding n’est pas partie à l’arbitrage.
Deuxièmement – et là encore, on tombe des nues – l’incompétence du tribunal arbitral pour rendre une décision affectant un tiers au litige n’est pas discutée par les parties. Partant, la cour d’appel considère qu’elles ne peuvent faire grief au tribunal arbitral « d’avoir pris des décisions affectant Premium Holding, tiers à l’arbitrage : s’étant abstenu de le faire valoir devant le tribunal arbitral, alors que la question était au cœur du litige, il est réputé avoir renoncé à s’en prévaloir ». En droit, la solution est conforme à l’article 1466 du code de procédure civile.
Troisièmement – et là, on se dit que rien ne va dans cet arbitrage – on apprend que le tribunal arbitral, sans doute préoccupé par la préservation des droits de la défense d’un tiers au litige, a pris l’initiative de se déclarer incompétent ratione personae pour prononcer la rétrocession. Voilà une bonne initiative, sous réserve de soumettre ce moyen relevé d’office au contradictoire. Ce n’est malheureusement pas le cas et la cour annule sans trembler la sentence : « le tribunal arbitral a relevé d’office son incompétence ratione personae pour statuer sur la rétrocession d’actions sans préalablement inviter les parties à faire valoir leurs positions sur cette question, qui n’était pas dans le débat. Il s’ensuit que le principe de la contradiction n’a pas été respecté, la sentence devant être annulée de ce chef ».
Rares sont les occasions de se satisfaire de l’annulation d’une sentence. C’est pourtant le cas dans cette affaire, tant il est anormal qu’un litige concernant aussi étroitement une personne puisse être tranché en son absence.
Cela dit, une question demeure. Implicitement, la cour admet qu’un tribunal arbitral peut relever d’office son incompétence, sous réserve d’un débat contradictoire. Est-ce si évident ? Statuer ainsi revient à retenir la qualification de moyen pour la compétence, plutôt que celle de demande. Cette qualification – que ne tranche pas véritablement la cour, puisqu’elle parle de « question » – n’emporte pas la conviction. La question ne se pose d’ailleurs pas tout à fait dans les mêmes termes que dans les arrêts Unipatis Production et S.C.I. Les Baobabs. En effet, autant la perte de chance peut être considérée comme une fraction de la demande de réparation du préjudice intégral, autant la question de la compétence est déconnectée des prétentions dont le tribunal est saisi sur le fond.
D’un point de vue procédural, la compétence est une authentique demande qui doit être tranchée par le tribunal arbitral. On en veut pour preuve que la qualification de sentence est accordée aux décisions qui « tranchent de manière définitive, en tout ou en partie, le litige qui leur est soumis […] sur la compétence » (Paris, 25 mars 1994, Sté Sardisud c/ Sté Technip, Rev. arb. 1994. 391, note C. Jarrosson). Il en résulte que, même soumis à un débat contradictoire, le tribunal arbitral ne devrait pas pouvoir statuer sur cette question, faute de quoi il statuerait. Le relevé d’office ne peut conduire à une modification de l’objet du litige. C’est une difficulté qui pourra un jour surgir et qui, en tout état de cause, ne remet pas en question le caractère salutaire de l’annulation.
Quoi qu’il en soit, on voit que ces décisions récentes vont faire émerger un nouveau débat : celui des demandes implicites, incluses dans les prétentions réelles des parties, et qui, par ricochet, peuvent, voire doivent, être tranchées par le tribunal arbitral. La perte de chance et la compétence n’en sont que des illustrations. À terme, on s’interrogera de la même manière à propos d’autres questions. La seule chose certaine à ce jour, c’est qu’un débat contradictoire devra impérativement être proposé aux parties avant toute décision du tribunal arbitral.
Les pouvoirs du juge d’appui
L’affaire BTMR a fait grand bruit dans le milieu de l’arbitrage (TJ Paris, 28 nov. 2024, n° 24/55989, Dalloz actualité, 20 déc. 2024, obs. J. Jourdan-Marques). L’arrêt d’appel est d’un intérêt moindre, puisque la question au cœur du débat en première instance – à savoir la récusation de l’arbitre – n’est pas évoquée (Paris, 8 juill. 2025, n° 25/00102 [le lecteur est informé que le rédacteur de cette chronique n’a pas été impliqué dans le recours, mais est régulièrement consulté par une partie au litige]).
La difficulté se réduit à la question de savoir si le juge d’appui qui récuse un arbitre peut, dans la foulée, procéder à la nomination de son remplaçant. La réponse est positive, au prix d’un examen de la lettre des clauses compromissoires. La cour juge que cette dernière ne règle « que la désignation initiale des arbitres, sans rien prévoir en cas de demande de récusation de l’un d’eux. Elles n’envisagent pas, a fortiori, les conséquences d’une telle demande ».
À défaut d’une stipulation contractuelle, le code de procédure civile a vocation à jouer et, plus particulièrement, l’article 1456 du code de procédure civile qui confère « au juge d’appui un pouvoir général pour trancher toute difficulté liée à l’existence d’un différend sur le maintien d’un arbitre ». Par conséquent, saisi d’une demande d’une partie en ce sens, le juge d’appui a la possibilité, sans excéder ses pouvoirs, de procéder au remplacement de l’arbitre après avoir récusé celui nommé par une partie.
Les recours contre la sentence
Les aspects procéduraux des recours contre la sentence
L’impact des décrets estivaux sur l’arbitrage
L’été a été chargé pour les spécialistes de procédure civile et il convient d’envisager l’influence des nouveaux textes sur le droit de l’arbitrage.
Le premier texte est le décret (dit « Magicobus II ») n° 2025-619 du 8 juillet 2025 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile. Son article 10 met en œuvre l’article L. 311-16-1 du code de l’organisation judiciaire, créé par la loi n° 2024-537 du 13 juin 2024. Il faut désormais lire l’article 1519 du code de procédure civile ainsi : « Le recours en annulation est porté devant la Cour d’appel de Paris ». Dès lors, en matière internationale, la concentration des recours en annulation devant la Cour d’appel de Paris est finalisée. Cette modification suscite quatre remarques.
Premièrement, la date de son entrée en vigueur est confuse. L’article 14 du décret énonce : « Sous réserve des dispositions d’entrée en vigueur prévues par la loi du 13 juin 2024 susvisée pour l’article 10, le présent décret entre en vigueur le 1er septembre 2025 ». L’entrée en vigueur n’est ainsi pas directement prévue par le décret, mais renvoyée à l’article 29 de la loi du 13 juin 2024. Celui-ci dispose : « L’article 25 entre en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d’État, et au plus tard le premier jour du douzième mois suivant la promulgation de la présente loi. Il n’est applicable qu’aux recours formés après son entrée en vigueur ». Ainsi, l’article L. 311-16-1 du code de l’organisation judiciaire et, par ricochet, la nouvelle mouture de l’article 1519 du code de procédure civile, sont supposés entrer en vigueur le premier jour du douzième mois suivant la promulgation de la loi du 13 juin 2024. Plus précisément, le 1er juin 2025.
Cela signifie deux choses : d’abord, l’article 1519 (nouveau), publié le 9 juillet 2025, aurait dû entrer en vigueur le 1er juin 2025 ; ensuite, l’article 1519 (ancien) était illégal pendant cette même période, faute de respecter la loi du 13 juin 2025.
Ainsi, indépendamment de Magicobus, il nous semble que la concentration devant la Cour d’appel de Paris est effective pour tous les recours formés depuis le 1er juin. C’est bien dès cette date qu’il fallait la saisir d’un recours en annulation contre une sentence arbitrale internationale, alors même que le siège n’est pas fixé à Paris.
Deuxièmement, le décret ne modifie pas le code concernant l’appel de l’ordonnance d’exequatur d’une sentence rendue à l’étranger. L’article L. 311-16-1, alinéa 2, du code de l’organisation judiciaire prévoit là aussi une concentration à Paris. Toutefois, la modification du code de procédure civile est inutile, en raison de l’article 1516, alinéa 1er, qui prévoit déjà que le juge de l’exequatur d’une sentence rendue à l’étranger est le Tribunal judiciaire de Paris. Il en résulte automatiquement une compétence de la Cour d’appel de Paris.
Troisièmement, l’intérêt de cette évolution est marginal. Les arbitrages internationaux avec un siège en dehors de Paris sont rarissimes. Au vrai, le contentieux devrait naître à l’occasion d’arbitrages internes dont la qualification est discutée par une partie. Cela dit, il ne faut pas négliger cette hypothèse, en raison de la rapidité avec laquelle on peut basculer dans le régime de l’arbitrage international.
Quatrièmement, ce « micro-contentieux » soulève la question de la sanction en cas d’erreur de saisine. La réponse vient de nous être donnée par la deuxième chambre civile (Civ. 2e, 3 juill. 2025, n° 22-23.979, Dalloz actualité, 8 juill. 2025, obs. M. Barba ; D. 2025. 1257
; RLDC 2025, n° 239, obs. L. Pinilla), qui confirme un revirement initié par la chambre commerciale : il s’agira d’une exception d’incompétence. Pour les parties, c’est la garantie de ne pas voir une mauvaise saisine conduire immanquablement à l’irrecevabilité du recours. Certes, le juge est incompétent, mais les délais de recours sont interrompus par l’article 2241, alinéa 2, du code civil et rien ne fait obstacle à la saisine de la cour compétente. Voilà qui est heureux.
Au-delà de ces éléments spécifiques à l’arbitrage, l’attention doit être portée sur l’article 2 du décret. Il prévoit la possibilité de signifier par voie papier une décision nativement numérique, en modifiant l’article 653 du code de procédure civile. Il dispose que « le jugement établi numériquement peut être signifié au format papier. Le commissaire de justice édite à cette fin une copie du jugement sur support papier et certifie de la conformité de cette édition au jugement numérique ». Si la rédaction vise explicitement le « jugement », on peut penser que la solution est transposable aux sentences.
On mentionnera également le décret du 18 juillet 2025 portant réforme de l’instruction conventionnelle et recodification des modes amiables de résolution des différends. Il modifie l’article 127 du code de procédure civile et érige l’instruction conventionnelle en principe. Il énonce que « dans le respect des principes directeurs du procès, les affaires sont instruites conventionnellement par les parties. À défaut, elles le sont judiciairement. Les affaires instruites conventionnellement font l’objet d’un audiencement prioritaire ». L’impact de cette réforme est potentiellement considérable (sur le sujet, M. Barba, La réforme de l’instruction et des modes alternatifs en matière civile : un amiable décret, Dalloz actualité, 23 sept. 2025). Ayant vocation à s’appliquer devant les cours d’appel, elle pourrait bouleverser l’instruction des recours contre les sentences. Il est toutefois trop tôt pour savoir si les parties s’en saisiront et quelle sera la position de la cour à son égard. Affaire à suivre !
L’intérêt à exercer un recours
Une partie à la sentence peut-elle être dépourvue d’intérêt à en demander l’annulation ? C’est, sous un angle un peu particulier, la question posée dans l’affaire Unimed (Paris, 27 mai 2025, n° 23/01618, préc.). Le défendeur fait valoir que l’irrégularité invoquée au soutien du moyen d’annulation affecte un tiers. Autrement dit, le recourant ne serait pas touché directement par cet aspect de la décision. La cour écarte l’argument. Elle juge que le recourant « était partie à la procédure arbitrale ayant abouti au prononcé de la sentence objet du présent recours, qui a annulé la cession d’actions Unimed qu’il avait consentie à Premium Holding et l’a condamné à payer diverses sommes au titre des frais de l’arbitrage. Il présente dès lors un intérêt à agir en annulation de cette sentence ». Il en résulte que la seule condition pour qu’une partie à l’arbitrage bénéficie d’un intérêt à agir est la succombance.
Qu’en est-il du moyen visant le tiers ? La cour rappelle qu’il ne faut pas opérer « une confusion entre recevabilité du recours et recevabilité du moyen, l’appréciation de la recevabilité du recours en annulation à l’aune de l’intérêt à agir ne commandant pas la démonstration, par le demandeur au recours, du préjudice que lui causerait le grief attaché à un moyen d’annulation invoqué au soutien de celui-ci ». Par conséquent, s’il est imposé un intérêt à exercer le recours – qui se déduit de la succombance –, ce n’est pas le cas d’un intérêt à se prévaloir d’un grief.
L’intérêt à exercer plusieurs recours
(Trigger warning : les prochains développements sont à réserver aux aficionados de la procédure d’appel. La lecture de ces lignes peut causer de nombreux traumatismes aux personnes non averties).
L’affaire Transenergo aurait pu virer au cauchemar pour le recourant (Paris, 30 juin 2025, n° 25/00179). Fort heureusement, le recours est sauvé in extremis. Les dates sont importantes.
Le 17 mars 2023, la société Interprom a saisi la cour d’un premier recours en annulation de la sentence arbitrale du 7 février 2023, dans le cadre duquel la société Transenergo a soulevé un incident tiré de la caducité de la déclaration de recours. Par ordonnance d’incident du 7 mai 2024, le conseiller de la mise en état a déclaré le recours du 17 mars 2023 caduc en application de l’article 911 du code de procédure civile, en raison du défaut de signification en temps utile des conclusions au défendeur au recours qui n’avait pas constitué avocat.
Le 10 janvier 2024, la société Interprom a formé un deuxième recours en annulation de la sentence arbitrale du 7 février 2023, à l’encontre duquel la société Transenergo a soulevé une fin de non-recevoir tirée du défaut d’intérêt à agir de la société Interprom. Par ordonnance du 20 février 2025, le conseiller de la mise en état a déclaré ce deuxième recours en annulation irrecevable au motif que la cour d’appel était encore régulièrement saisie du premier recours en annulation du 17 mars 2023 lorsqu’il avait été formé.
Le 25 juillet 2024, la société Interprom a formé un troisième recours en annulation contre la même sentence à l’encontre duquel la société Transenergo a soulevé une nouvelle fin de non-recevoir pour cause de défaut d’intérêt à agir.
C’est à propos de ce troisième recours que la décision est rendue, après déféré d’une ordonnance du conseiller de la mise en état ayant déclaré le recours recevable (Paris, ord., 20 févr. 2025, nos 24/14702 et 24/01766, Dalloz actualité, 23 juin 2025, obs. J. Jourdan-Marques).
Le premier recours a donc été déclaré caduc. Sous l’empire de l’ancien article 911-1, alinéa 3, du code de procédure civile, il était prévu que « la partie dont la déclaration d’appel a été frappée de caducité en application des articles 902, 905-1, 905-2 ou 908 ou dont l’appel a été déclaré irrecevable n’est plus recevable à former un appel principal contre le même jugement et à l’égard de la même partie ». Ainsi, la caducité constitue en principe un obstacle définitif contre l’exercice d’un recours, à la condition toutefois d’être prononcée sur le fondement des articles visés. Précisément, le recours dans cette affaire a été déclaré irrecevable sur le fondement de l’article 911 du code de procédure civile, qui n’est pas visé par l’alinéa 3 de l’article 911-1. Un deuxième recours est donc possible. Reste à savoir quand il doit être exercé.
Le deuxième recours a été exercé le 10 janvier 2024, soit avant le prononcé de la caducité du premier recours, lequel date du 7 mai 2024. Erreur ! Le recourant est dépourvu d’intérêt à agir pour ce deuxième recours, faute pour la caducité d’avoir été prononcée. Erreur fatale ? Pas tout à fait.
C’est là qu’intervient le troisième recours, exercé le 25 juillet 2024, soit après le prononcé de la caducité. Mais la question est alors de savoir si, cette fois, le recourant n’est pas privé d’intérêt à agir en raison de son deuxième recours, toujours pendant. Pour résoudre la difficulté, la cour s’appuie sur la jurisprudence de la Cour de cassation, qui énonce que « la saisine irrégulière d’une cour d’appel, qui fait encourir une irrecevabilité à l’appel, n’interdit pas à son auteur de former un second appel, même sans désistement préalable de son premier appel, sous réserve de l’absence d’expiration du délai d’appel, tant que le premier appel n’a pas été déclaré irrecevable ». Autrement dit, un recours irrecevable ne fait pas obstacle à l’exercice d’un nouveau recours à la double condition (i) que les délais ne soient pas expirés et (ii) qu’il soit exercé avant la décision prononçant l’irrecevabilité.
Au cas d’espèce, les deux conditions sont réunies. D’une part, la cour note que la sentence n’a pas été signifiée, ce qui a pour conséquence de ne pas faire courir le délai. D’autre part, la troisième déclaration de recours a été déposée avant le prononcé de l’irrecevabilité du deuxième recours, mais après la caducité du premier. La cour précise que « l’introduction de ce troisième recours a permis en effet à la société Interprom de préserver son droit à recours et son droit d’accès au juge qu’elle aurait perdus autrement ». Elle ajoute que « le troisième recours en annulation, qui a pour finalité de régulariser un précédent recours objectivement irrégulier, ne peut donc être déclaré irrecevable pour cause de défaut d’intérêt à recourir sauf à porter une atteinte excessive à ces droits fondamentaux puisque cela sanctionnerait en pratique la prudence procédurale dont a fait preuve la société Interprom en introduisant un deuxième recours en annulation dans une situation présentant encore une issue incertaine dès lors que l’incident de caducité de sa première déclaration de recours avait été formé tant sur le fondement de l’article 902 du code de procédure civile que sur celui de l’article 911 de ce code, soit tant sur un fondement susceptible d’interdire l’exercice de tout recours ultérieur en application de l’article 911-1, alinéa 3, du code de procédure civile que sur un fondement qui ne pouvait pas avoir cet effet ». Tout est bien qui finit bien donc, le troisième recours est recevable.
La première leçon de cette affaire est qu’il existe des voies pour sauver un recours frappé de caducité ou d’irrecevabilité, mais cela nécessite une excellente maîtrise de la procédure d’appel. La deuxième leçon est que rien de cela ne serait arrivé si, à l’origine, les règles du code de procédure civile avaient été respectées à la lettre pour échapper à toute caducité. La troisième leçon est que, décidément, l’application aux recours contre les sentences des règles de l’appel est d’une grande complexité. De ce point de vue, la proposition du groupe de travail de s’en extraire présente un intérêt majeur (Projet, art. 87 s.).
La demande d’infirmation de l’ordonnance d’exequatur
L’affaire PNB Banka illustre, à son tour, la diversité des pièges de la procédure d’appel. La décision est une application froide et impitoyable des principes qui la gouvernent (Paris, 8 juill. 2025, n° 22/18712). Au cas d’espèce, un appel – antérieur au 1er septembre 2024 – est formé contre l’ordonnance d’exequatur d’une sentence arbitrale rendue à l’étranger. Jusque-là, tout va bien. La déclaration d’appel précise qu’il est demandé l’annulation ou la réformation de l’ordonnance. Là encore, tout est parfait, l’appelant anticipant sur ce point la réforme du 29 décembre 2023. Les conclusions sollicitent, dans leur dispositif, l’annulation de l’ordonnance d’exequatur et l’annulation… de la sentence arbitrale. Et c’est donc là que le drame intervient. D’une part, mais c’est un détail, l’annulation de la sentence arbitrale n’entre pas dans l’office du juge français lorsque la sentence est rendue à l’étranger. D’autre part, et c’est là l’essentiel, le dispositif des conclusions déposées dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile ne contient aucune demande d’infirmation ni aucune demande complémentaire (sauf art. 700 et dépens).
La décision de la cour d’appel est brutale. Premièrement, il appartient à l’appelant de déposer ses conclusions dans le délai de l’article 908 du code de procédure civile, celles-ci devant contenir, conformément à 910-4 du même code, toutes ses prétentions au fond. Deuxièmement, selon 954, les prétentions doivent figurer au dispositif. Autrement dit, c’est le premier jeu de conclusions qui détermine l’objet du litige et, par ricochet, la saisine de la cour d’appel.
Le problème est le suivant : si le recours en annulation d’une sentence arbitrale constitue bien une demande d’annulation, l’appel de l’ordonnance d’exequatur constitue, sauf exception, une demande d’infirmation. Faute d’en être saisie, la cour d’appel ne peut pas statuer sur les (nombreux) moyens de l’appelant formulés au soutien d’une demande d’infirmation. Le constat est implacable : « Il en résulte que la cour n’est saisie de sa part d’aucune demande d’infirmation de la décision déférée ». Game over.
Il y a toutefois un point dans la motivation de la cour qui n’emporte pas tout à fait l’adhésion. La cour explique que « le fait que l’appel tendant à l’annulation de la décision déférée emporte dévolution pour le tout n’est pas susceptible d’exonérer l’appelant de son obligation de présenter l’ensemble de ses prétentions au fond dans le délai fixé à l’article 908 du code de procédure civile. Il lui incombe de saisir la cour d’une demande d’infirmation de la décision déférée pour le cas où il ne serait pas fait droit à sa demande d’annulation de cette décision car, par nature, l’appel-annulation est exclusif de l’appel tendant à l’infirmation de la décision querellée ». Pour la cour, il semble que la demande d’infirmation soit un passage incontournable pour la saisir de son recours. Une autre voie est possible. Si, dans la présente affaire, la demande d’annulation de l’appelant s’était accompagnée d’une demande de rejet de la demande d’exequatur, la cour aurait dû, à notre estime, statuer sur le recours. En effet, comme le dit la cour elle-même, la demande d’annulation emporte effet dévolutif pour le tout (par ex., Civ. 2e, 19 mars 2020, n° 19-11.387, Dalloz actualité, 24 juin 2020, obs. R. Laffly ; Gaz. Pal. 2020, n° 27, p. 84, obs. N. Hoffschir). Par conséquent, la demande d’annulation suffit à permettre à la cour de statuer sur les prétentions au fond dont elle est saisie, quand bien même aucune demande d’infirmation ne lui est soumise. Cette porte semble pourtant fermée par la cour, ce qui n’apparaît pas convaincant. L’enjeu est toutefois modéré dans la présente affaire, puisque la cour n’était, en tout état de cause, saisie d’aucune demande lui permettant de statuer au fond. C’est bien la rédaction du dispositif qui était irrémédiablement défectueuse et sur laquelle l’ensemble des praticiens doit prendre garde !
L’excès de pouvoir du juge de l’exequatur
La question de l’existence d’un excès de pouvoir du juge de l’exequatur est une question complexe, à laquelle l’arrêt Hemisphère apporte une réponse qui n’est pas pleinement satisfaisante (Paris, 16 sept. 2025, n° 24/18541, préc.).
Selon l’article 1525, alinéa 4, du code de procédure civile, la cour ne peut « refuser la reconnaissance ou l’exequatur de la sentence arbitrale que dans les cas prévus à l’article 1520 ». L’interprétation de cette règle a suscité une jurisprudence abondante, au premier chef dans le cadre de cette même affaire Hemisphère, à propos du retrait litigieux (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-22.112, Dalloz actualité, 20 mars 2018, obs. J.-D. Pellier ; AJ contrat 2018. 187, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2018. 516
; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; ibid. 2448, obs. T. Clay
; AJ contrat 2018. 187, obs. J. Jourdan-Marques
; Rev. crit. DIP 2018. 862, note H. Muir Watt
; RTD civ. 2018. 411, obs. H. Barbier
; ibid. 431, obs. P.-Y. Gautier
; Rev. crit. DIP 2018. 862, note H. Muir Watt
; JCP 2018. Act. 640, note P. Casson ; Procédures 2018. Comm. 148, note L. Weiller ; RDC 2018, n° 3, p. 354, obs. R. Libchaber ; Rev. arb. 2018. 389, note M. Laazouzi ; Paris, 7 déc. 2021, n° 18/10217, Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 1773, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel
; JCP E 2024. 1309, obs. M.-E. Ancel, C. Baker Chiss, M. Laazouzi et F. Mailhé ; Gaz. Pal. 3 mai 2022, p. 4, obs. L. Larribère ; Civ. 1re, 28 févr. 2024, n° 22-16.151, Dalloz actualité, 21 mars 2024, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2024. 482
; ibid. 1735, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel
; ibid. 2207, obs. T. Clay
; RDC 2024, n° 3, p. 28, note M. Julienne ; JCP 2024. Doctr. 782, obs. C. Seraglini, P. Giraud et L. Jandard ; JCP E 2024. 1185, note P. Casson ; Procédures 2024. Comm. 119, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2024, n° 16, p. 11, obs. L. Larribère). C’est aussi la difficulté au cœur de l’affaire Fiorilla, à l’occasion de laquelle la Cour de cassation a admis la recevabilité devant la cour d’appel des fins de non-recevoir relatives à la demande. La cour y a énoncé que l’article 1525 du code de procédure civile « concerne le seul contrôle de la sentence, qu’il limite afin d’écarter toute appréciation du bien ou du mal jugé de l’arbitre, mais ne fait pas obstacle à l’examen des fins de non-recevoir opposées à la demande d’exequatur » (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 21-50.053, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 739
; ibid. 2278, obs. T. Clay
; Procédures 2023, n° 6, p. 19, obs. L. Weiller ; JDI 2024. Comm. 16, note J. Pellerin ; ibid. Chron. 4, obs. K. Mehtiyeva ; Gaz. Pal. 31 oct. 2023, p. 1, obs. L. Larribère ; Rev. arb. 2023. 673, note S. Bollée).
Qu’en est-il d’un éventuel excès de pouvoir du juge de l’exequatur ? La cour énonce qu’« aucune disposition ne pouvant interdire de faire constater selon les voies de recours de droit commun la nullité d’une décision entachée d’excès de pouvoir, le caractère limitatif des cas de refus de reconnaissance ou d’exequatur de la sentence arbitrale encadrant l’exercice du contrôle opéré à ce titre par la cour n’est pas de nature à faire obstacle à la demande d’annulation de l’ordonnance formée par l’appelante. Cette demande relève donc de la compétence de la cour et doit être déclarée recevable ». Ainsi, elle se déclare compétente pour examiner l’excès de pouvoir du juge de l’exequatur, ce qui, dans l’absolu, n’est pas nouveau (Civ. 1re, 6 nov. 2013, n° 11-17.739, Procédures 2014. Comm. 48, obs. L. Weiller ; JCP E 2014. 1075, obs. J. Béguin, J. Ortscheidt et C. Seraglini ; JCP 2013. Doctr. 1391, obs. J. Béguin, J. Ortscheidt et C. Seraglini ; Gaz. Pal. 2014, n° 067, obs. D. Bensaude).
En réalité, si l’on peut discuter des heures sur la volonté exacte des auteurs du décret de 2011 d’ouvrir ou non la contestation de l’excès de pouvoir à l’occasion de l’appel de l’ordonnance d’exequatur, il reste une vérité indépassable : la cour d’appel ne peut pas refuser l’exequatur à la sentence arbitrale au seul prétexte de l’excès de pouvoir du juge l’ayant accordé en premier lieu. Ainsi, quand bien même l’ordonnance d’exequatur est annulée, la cour doit examiner à son tour la demande d’exequatur et ne peut la refuser que sur le fondement des cas d’ouverture prévus à l’article 1520 du code de procédure civile ou d’une éventuelle irrecevabilité de la demande. À défaut, il y aurait là une violation de l’article 1520 et de la Convention de New York.
Au vrai, la recevabilité du moyen tiré de l’excès de pouvoir est d’un faible intérêt, si ce n’est celui d’espérer que l’intimé oublie de saisir la cour, à titre subsidiaire, d’une demande d’exequatur. Reste que, tout de même, on peut y trouver avantage s’il existe un enjeu dans la date de l’octroi de l’exequatur, par exemple pour résoudre une question d’inconciliabilité de décisions (v. infra), ou encore pour faire tomber des mesures d’exécution accordées entre temps.
La signification de l’ordonnance d’exequatur
L’arrêt Hemisphère (Paris, 16 sept. 2025, n° 24/18541, préc.) apporte des précisions en matière de signification de l’ordonnance d’exequatur qui, même si elles sont connues, doivent être rappelées (sur le sujet, J. Jourdan-Marques, Notification et arbitrage, Rev. arb. 2023. 569). La cour juge le que la signification de l’ordonnance d’exequatur est soumise aux exigences de l’article 680 du code de procédure civile, lequel impose notamment d’indiquer « de manière très apparente le délai d’opposition, d’appel ou de pourvoi en cassation dans le cas où l’une de ces voies de recours est ouverte, ainsi que les modalités selon lesquelles le recours peut être exercé ».
Au cas d’espèce, la nullité de la signification est encourue pour deux motifs. D’une part, il est indiqué que la décision peut faire l’objet d’un recours en annulation, là où seul l’appel contre l’ordonnance d’exequatur d’une sentence rendue à l’étranger est ouvert et, d’autre part, que le point de départ du délai court à compter de la remise à parquet, ce qui est inexact puisqu’il s’agit en réalité de la date d’achèvement de la signification (C. pr. civ., art. 687-2).
Néanmoins, la nullité de la signification est, d’après l’article 693 du code de procédure civile, conditionnée à la démonstration d’un grief. Tel n’est pas le cas si, comme le constate la cour, le recours a pu être exercé dans les délais. Ainsi, la nullité est écartée.
La radiation du recours en annulation
Depuis plusieurs années, les spécialistes savent que la Cour d’appel de Paris, par l’intermédiaire de son conseiller de la mise en état, refuse d’utiliser la radiation pour sanctionner le défaut d’exécution d’une sentence. Simplement, jusqu’à aujourd’hui, aucune décision n’avait été officiellement publiée en open data sur ce point. C’est chose faite, avec l’ordonnance rendue dans l’affaire PSP Media (Paris, ord., 5 juin 2025, n° 24/19548). Si la sentence arbitrale a été rendue dans le cas très particulier de la commission arbitrale des journalistes, cela ne change rien, puisque le recours est soumis au droit de l’arbitrage des articles 1442 et suivants du code de procédure civile. La cour juge que « les dispositions de l’article 524 du code de procédure civile précité [ne sont] pas applicables au recours en annulation formé contre la sentence arbitrale ».
La motivation est un peu chiche. Dans certaines ordonnances non publiées, elle est fondée sur le renvoi des articles 1495 et 1527 du code de procédure civile, lequel est limité aux articles 900 à 930-1. Toutefois, cette analyse n’est pas sans susciter de vives critiques en doctrine (v. les commentaires dans l’affaire Antrix, Paris, 10 sept. 2024, n° 24/00151, Dalloz actualité, 10 oct. 2024, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2024. 2207, obs. T. Clay
; JDI 2025. Comm. 11, note L. Larribère ; JCP 2024. Doctr. 1334, obs. C. Seraglini, P. Giraud et L. Jandard ; Gaz. Pal. 2024, n° 34, p. 3, obs. L. Larribère).
Au cas d’espèce, le conseiller de la mise en état semble opérer un léger glissement de motivation. Il souligne qu’en « vertu de l’article L. 7112-4 du code du travail précité, [la sentence] ne peut en revanche être frappée d’appel ». Or, il faut constater que l’article 524 du code de procédure civile vise « la décision frappée d’appel ». Cependant, il ne mentionne pas le recours en annulation d’une sentence. Ainsi, par une interprétation stricte de cet article, il est possible d’en déduire que son inapplicabilité résulte du caractère restrictif des voies de recours qui y sont visées.
Quoi qu’il en soit, il faut noter que le groupe de travail sur la réforme du droit de l’arbitrage s’est posé la question. Il a explicitement écarté toute évolution en faveur de l’utilisation de la radiation à hauteur d’appel (Proposition non retenue n° 6, v. égal., p. 70), mais a proposé l’extension de la radiation à hauteur de cassation, notamment en cas de défaut de paiement de l’amende civile susceptible d’être prononcée après le rejet du recours (art. 127).
Le délai pour conclure en cas d’appel déclaré irrecevable
L’arrêt Worldwide Manage (Paris, 8 juill. 2025, n° 25/00258) tranche une difficulté assez originale. Dans cette affaire, soumise au droit antérieur au décret du 29 décembre 2023, l’appel de l’ordonnance d’exequatur a été déclaré irrecevable avant l’expiration des délais pour conclure. Pourtant, sur déféré, l’ordonnance du conseiller de la mise en état a été réformée. La question est de savoir si les délais ont continué à courir malgré la décision d’irrecevabilité. La réponse est négative. La cour juge que « l’ordonnance de ce conseiller, revêtue dès son prononcé de l’autorité de la chose jugée, a immédiatement mis fin à l’instance d’appel, de sorte que l’arrêt infirmatif de la cour d’appel, rendu à l’issue d’une procédure de déféré dénuée d’effet suspensif, s’il a anéanti l’ordonnance infirmée, n’a pu, sans porter atteinte au principe de sécurité juridique découlant de l’article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, que faire à nouveau courir le délai pour conclure de l’article 908 du code de procédure civile, qui avait pris fin avec l’ordonnance déférée ». Elle ajoute que toute autre décision « placerait les parties sur un pied d’inégalité et serait source d’insécurité juridique, en imposant à une partie de conclure dans une procédure éteinte ».
Autrement dit, aucune obligation de conclure ne pèse sur la partie une fois l’appel déclaré irrecevable. C’est n’est qu’à compter de la date – et non de la signification ! – de l’arrêt infirmant l’ordonnance qu’un nouveau délai intégral commence à courir.
Au surplus, on notera une motivation intéressante à propos de l’article 700. La cour constate qu’au moment de l’incident, la solution jurisprudentielle n’était pas certaine. En revanche, elle note que « tel n’est plus le cas dans le cadre du présent déféré, la solution dégagée résultant clairement de la jurisprudence précitée de la Cour de cassation, qui avait fait l’objet d’une confirmation moins de deux mois avant que M. [S] exerce son déféré ». Voilà qui justifie tout de même une condamnation à 15 000 € au titre de l’article 700 !
La répartition des compétences entre la cour et le conseiller de la mise en état
Le contentieux relatif à la compétence du conseiller de la mise en état pour connaître des fins de non-recevoir devrait progressivement se tarir, sous la double impulsion du décret du 29 décembre 2023 et de la jurisprudence (Civ. 1re, avis, 20 mars 2024, n° 23-70.019, Dalloz actualité, 14 juin 2024, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2024. 798
, note M. Barba
; ibid. 2207, obs. T. Clay
; JCP 2024. Actu. 589, note P. Casson ; JCP E 2024. 1144, note D. Mainguy ; Procédures 2024. Comm. 118, obs. L. Weiller ; ibid. Comm. 141, obs. R. Laffly ; Gaz. Pal. 2024, n° 16, p. 6, obs. L. Larribère ; Paris, 3 déc. 2024, Giaretta, n° 23/01271, Dalloz actualité, 23 juin 2025, obs. J. Jourdan-Marques). Une ordonnance du 10 juillet 2025 enfonce le clou (Paris, ord., 10 juill. 2025, State Road Agency of Ukraine, n° 23/13141), suivie deux mois après par un arrêt République du Pérou (Paris, 9 sept. 2025, n° 24/00774).
Dans la première affaire, comme à l’accoutumée, l’incident dont est saisi le conseiller de la mise en état porte sur l’irrecevabilité d’un grief, notamment en ce que le moyen invoqué porte, non pas sur la compétence, mais sur l’intérêt et la qualité à agir d’une partie, et donc la recevabilité de la demande d’arbitrage. Pour se déclarer incompétent, le conseiller de la mise en état rappelle qu’il « a seulement compétence pour statuer sur les fins de non-recevoir touchant à la procédure applicable devant la cour d’appel saisie d’un recours en annulation d’une sentence arbitrale ». Il ajoute, à propos de l’incident découlant de l’irrecevabilité d’un grief, qu’il « impose au conseiller de la mise en état de trancher le débat opposant les parties, dans la discussion au fond, sur la qualification, soit d’exception d’incompétence du tribunal arbitral soit de moyen d’irrecevabilité ». Or, il en conclut que « cette qualification relève des pouvoirs exclusifs de la cour d’appel en tant que juge du contrôle de la régularité de la sentence ».
L’arrêt République du Pérou va dans le même sens et a pour lui d’être rendu en formation collégiale. Là encore, la problématique est identique et porte sur la recevabilité du grief soulevé par une partie, en ce qu’il n’entre pas dans les cas d’ouverture du recours. Si le raisonnement est globalement similaire, la cour apporte deux précisions intéressantes.
D’abord, elle juge que l’irrecevabilité « affecte en réalité le pouvoir juridictionnel du juge de l’annulation, en ce qu’elle ne peut recevoir de réponse qu’après une décision au fond du juge de l’annulation sur le mérite d’une requalification du moyen d’incompétence retenu par le tribunal arbitral, sur les conséquences susceptibles d’en résulter et, en l’absence de requalification, sur l’étendue du contrôle à opérer de l’incompétence alléguée du tribunal arbitral ». Elle ajoute que « si l’exception tirée de l’existence d’une convention d’arbitrage prévue à l’article 1448 du code de procédure civile est régie par les dispositions de ce code qui gouvernent les exceptions de procédure, le présent incident ne peut y être assimilé puisqu’il a pour finalité non d’exclure la compétence de la cour d’appel en raison de la règle procédurale de priorité mais de déterminer l’étendue du contrôle opéré par le juge de l’annulation de l’incompétence retenue par un tribunal arbitral pour statuer sur la demande d’arbitrage dont il était saisi ». Elle en conclut que « l’incident est donc bien afférent au pouvoir de contrôle du juge de l’annulation qu’il n’appartient pas au conseiller de la mise en état de définir puisque seul est en cause l’office de la cour d’appel saisie d’un recours en annulation à l’encontre d’une sentence arbitrale rendue sur la compétence ». Le principal apport est, on l’aura compris, de refuser d’assimiler le recours sur la compétence à l’exception d’incompétence qui doit être soulevée devant le juge judiciaire saisi en violation d’une clause compromissoire.
Ensuite, la cour précise que la fin de non-recevoir « n’est pas fondée sur un moyen strictement lié aux règles gouvernant la procédure d’appel applicables au recours en annulation d’une sentence arbitrale en application de l’article 1527, 1er alinéa du code de procédure civile ». Cette précision pourrait être la plus importante, puisqu’elle permet de mieux apprécier le sens exact de la formule selon laquelle « le conseiller de la mise en état a seulement compétence pour statuer sur les fins de non-recevoir touchant à la procédure d’appel ». Dit autrement, les fins de non-recevoir de la compétence du conseiller de la mise en état seraient celles résultant des articles 900 à 930-1 du code de procédure civile. Voilà qui, si c’est vérifié, simplifiera la répartition des compétences et qui, en outre, se rapproche de la nouvelle formule de l’article 913-5 du code de procédure civile.
La qualification d’arbitrage interne ou international
L’affaire Exail est intéressante, en ce qu’elle donne l’opportunité au conseiller de la mise en état de statuer sur la nature interne ou internationale de l’arbitrage (Paris, ord., 10 juill. 2025, n° 24/16717, le lecteur est informé que le rédacteur de cette chronique est impliqué dans l’affaire). Plus précisément, la question est de savoir si l’exercice du recours a un effet suspensif ou non, étant précisé que la sentence est dépourvue de l’exécution provisoire.
Pour trancher, le conseiller de la mise en état se fonde sur l’article 1504 du code de procédure civile et précise qu’« il résulte de cette définition économique que l’arbitrage revêt un caractère international lorsque le différend soumis à l’arbitre porte sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul État, peu important la qualité ou la nationalité des parties, la loi applicable au fond du litige ou à la procédure ou le siège du tribunal arbitral » (pour une formule proche, Paris, 8 juin 2021, Aurier, n° 19/02245, Dalloz actualité, 17 sept. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; Paris, 7 févr. 2023, HSO 31, n° 20/08604, Dalloz actualité, 14 mars 2023, obs. J. Jourdan-Marques). Pour retenir la qualification d’arbitrage international, l’ordonnance retient que « le litige porte sur les conditions de mise en œuvre et le respect par les parties de leurs obligations au titre d’un contrat de licence ayant pour objet de concéder des droits sur les produits Exail à l’international, et de transférer le savoir-faire technologique sur ces produits à SED, la licence s’appliquant aux filiales à 100 % de SED, dont SED se portait garant, étant souligné que le litige porte plus particulièrement sur les conditions de vente des produits par la filiale allemande de SED et sur la résiliation de la licence ». Elle en déduit que « le litige porte sur une opération qui se dénoue économiquement dans plusieurs États, de sorte que l’arbitrage ayant donné lieu à la sentence partielle est un arbitrage international au sens de l’article 1504 du code de procédure civile précité ». Comme seule remarque, on soulignera que, en dépit de la référence au litige, c’est bien le contenu du contrat qui est exploité pour convaincre de la nature internationale de l’arbitrage. On voit qu’en réalité, la distinction entre les deux est épineuse et en partie artificielle.
L’exequatur à titre incident d’un jugement étranger
Il n’est pas interdit pour une partie de tenter de se prévaloir d’un jugement étranger pour solliciter l’annulation ou le refus d’exequatur d’une sentence, en se fondant sur l’inconciliabilité de décisions (Paris, 17 janv. 2012, n° 10/21349, Planor Afrique, D. 2012. 2991, obs. T. Clay
; Rev. arb. 2012. 569, note M.-L. Niboyet ; Gaz. Pal. 6-8 mai 2012. 16, obs. D. Bensaude ; Int’l Arb. L. Rev. 2012, n° 15-2, p. 11, note B. Grange ; 4 déc. 2012, Planor Afrique, n° 11/07800, D. 2012. 2991, obs. T. Clay
; Rev. arb. 2013. 411 [2e esp.], note C. Debourg). Si, pour les jugements européens, l’exequatur préalable n’est pas requis, il en va autrement pour un jugement rendu en dehors de l’Union. En conséquence, l’une des voies procédurales envisageables est celle de la demande de reconnaissance incidente à l’occasion du recours contre la sentence.
C’est ce qui est fait dans l’affaire Hemisphère (Paris, 16 sept. 2025, n° 24/18541, préc.). La cour ne voit aucun obstacle théorique au traitement d’une telle demande. Elle juge qu’« il est admis que l’exequatur aux fins de reconnaissance ou d’exécution d’un jugement étranger peut être demandé par voie incidente dans une instance qui n’a pas pour objet principal ce jugement, y compris pour la première fois en appel lorsque la partie défenderesse n’a pas été constituée en première instance ». Simplement, l’exequatur ne peut être accordé que conformément aux exigences posées par la jurisprudence Cornelissen (Civ. 1re, 20 févr. 2007, n° 05-14.082, D. 2007. 1115, obs. I. Gallmeister
, note L. d’Avout et S. Bollée
; ibid. 891, chron. P. Chauvin
; ibid. 1751, obs. P. Courbe et F. Jault-Seseke
; AJ fam. 2007. 324
; Rev. crit. DIP 2007. 420, note B. Ancel et H. Muir Watt
; JDI 2007. 1195, note F.-X. Train).
L’immense difficulté mise en lumière par l’arrêt réside dans l’impossibilité, selon la cour, de faire échec à la demande d’exequatur du jugement au seul prétexte de la présence d’une clause compromissoire. La cour juge que « le moyen tiré de l’incompétence du juge congolais pour statuer sur le différend dont il était saisi, à raison de l’existence d’une clause compromissoire dans les accords de crédit litigieux, est de même sans emport, le juge requis devant procéder à la vérification de la compétence indirecte du juge étranger sans égard pour la clause d’arbitrage qui lui est opposée ». Cette solution, qui se fonde sur la jurisprudence de la Cour de cassation (Civ. 1re, 28 mars 2013, nos 11-23.801 et 11-25.123, Dalloz actualité, 15 avr. 2013, obs. X. Delpech ; D. 2013. 929
; Rev. sociétés 2014. 117, note B. Le Bars
; Rev. arb. 2013. 411, note C. Debourg ; Procédures 2013. Comm. 188, note L. Weiller), laisse une voie béante pour faire échec aux clauses compromissoires. Il suffit en réalité d’établir l’existence d’un rattachement caractérisé du litige avec le pays où se situe la juridiction qui a rendu la décision pour valider le critère. Certes, il existe toujours la réserve de la fraude à la convention d’arbitrage, consacrée par la jurisprudence Albania BEG (Civ. 1re, 17 mai 2023, n° 21-18.406, Dalloz actualité, 11 sept. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 1017
; ibid. 2278, obs. T. Clay
; Rev. crit. DIP 2024. 85, note F.-X. Train
; RTD civ. 2024. 202, obs. P. Théry
; JCP 2023. Actu. 696, obs. F. Mailhé ; JDI 2024. Comm. 11, note P. Blajan ; JCP E 2023. 1345, note P. Casson). Reste que les conditions pour la caractériser sont plus exigeantes que le seul constat de la violation d’une clause compromissoire.
Il y a donc, pour la jurisprudence, une véritable urgence à trouver une solution pour faire échec à de telles demandes, lorsque l’action intentée devant une juridiction étatique complaisante a pour seul objectif de contourner la clause compromissoire. À cet égard, l’affaire Ustay peut servir de source d’inspiration, où le Tribunal judiciaire de Paris a jugé que « l’action en exequatur engagée par l’État de Libye n’a d’autre but que de faire échec à l’exécution de la sentence arbitrale à intervenir en empêchant sa reconnaissance ou l’exécution au motif qu’elle serait inconciliable avec le jugement libyen revêtu en France de l’exequatur alors que ce jugement est intervenu dans une instance engagée postérieurement à la saisine du tribunal arbitral, alors même que la question de la validité et l’exécution du protocole lui étaient soumises. Par suite, l’État de Libye poursuit un intérêt qui n’est pas légitime de sorte qu’il convient de déclarer irrecevable l’action en exequatur de l’État de Libye » (TJ Paris, 24 avr. 2024, n° 23/10389, Dalloz actualité, 14 juin 2024, obs. J. Jourdan-Marques).
Dans l’attente d’une clarification, on ne peut néanmoins que préconiser la plus grande vigilance de la part des litigants et la recherche systématique et immédiate de l’exequatur en France d’une sentence arbitrale, y compris lorsqu’elle statue seulement sur la compétence. C’est à ce prix qu’il devient possible d’opposer au jugement étranger l’inconciliabilité de décisions, à défaut de quoi, c’est la sentence qui risque d’être confrontée à ce moyen.
Quoi qu’il en soit, au cas d’espèce, on signalera simplement que l’exequatur est refusé pour violation de l’ordre public de procédure, notamment en raison des lacunes dans l’information du défendeur sur le procès intenté contre lui. Voilà qui permet de faire échapper la sentence au risque d’inconciliabilité.
Les aspects substantiels des recours contre la sentence
L’application de la Convention de New York au recours
La France est signataire depuis plusieurs décennies de la Convention de New York. Pourtant, en dehors de quelques cas exceptionnels (Civ. 1re, 8 juill. 2015, n° 13-25.846, AJDA 2016. 671
, note F. Lombard
; ibid. 2015. 1396
; D. 2015. 1547
; ibid. 2031, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; ibid. 2588, obs. T. Clay
; AJCT 2016. 50, obs. S. Hul
; RTD com. 2016. 71, obs. E. Loquin
; JCP 2015. 1370, n° 5, obs. C. Seraglini ; Procédures 2015. Étude 9, chron. L. Weiller ; Rev. arb. 2016. 1131, note M. Laazouzi ; JDI 2016. 568, note P. de Vareilles-Sommières), il n’en est jamais fait mention à l’occasion de l’examen des recours contre les sentences.
La raison à cela réside dans la conviction qu’a le droit français de proposer un régime plus favorable. L’arrêt Hemisphère (Paris, 16 sept. 2025, n° 24/18541, préc.) le souligne de façon très claire. Après avoir rappelé que cette convention est bien applicable en France, la cour précise qu’« il convient toutefois, pour les besoins de cette application, de tirer toutes conséquences de l’article VII, § 1, de la Convention, selon lequel les dispositions de ce texte ne privent aucune partie intéressée du droit qu’elle pourrait avoir de se prévaloir d’une sentence arbitrale de la manière et dans la mesure admises par la législation ou les traités du pays où la sentence est invoquée, cette disposition conduisant à écarter les exigences de la Convention au profit des règles et principes propres au droit français de l’arbitrage toutes les fois que celui-ci se montre plus favorable à la reconnaissance ou à l’exécution de la sentence arbitrale internationale ». C’est la mise en œuvre du fameux « petit trésor » de la Convention (P. Fouchard, Suggestions pour accroître l’efficacité internationale des sentences arbitrales, Rev. arb. 1998. 653, n° 30).
La liste des conditions prévues par le droit français, qui se trouvent être plus favorables que la Convention de New York, est en réalité longue, à tel point que l’on peut se demander – et c’est la raison de son absence en jurisprudence – s’il reste encore une place à son application. La cour en donne quelques exemples.
Ainsi, la condition de capacité, visée à l’article V(1)(a) de la Convention, est examinée à la lumière de la jurisprudence française. Il en résulte une mise à l’écart de la règle de conflit de lois, au profit de la règle matérielle de droit français sur l’engagement d’une société à l’arbitrage (Civ. 1re, 8 juill. 2009, n° 08-16.025, Soerni, D. 2009. 1957
, obs. X. Delpech
; ibid. 2384, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; ibid. 2959, obs. T. Clay
; Rev. crit. DIP 2009. 779, note F. Jault-Seseke
; Rev. arb. 2009. 529, note D. Cohen ; JCP 2009. I. 462, § 5, obs. J. Ortscheidt ; Cah. arb. 2010. 97, note F.-X. Train). À ce propos, la Cour énonce explicitement que « cette règle, favorable à la reconnaissance de la sentence, doit ici prévaloir en application de l’article VII, § 1, de la Convention ».
Il en va de même en matière d’inarbitrabilité. Ici, la règle figure à l’article V(2)(a) de la Convention de New York. C’est cette fois la jurisprudence Galakis (Civ. 1re, 2 mai 1966, JDI 1966. 648, note P. Level ; Rev. crit. DIP 1967. 533, note B. Goldman ; D. 1966. 575, note J. Robert) qui permet d’écarter le fondement conventionnel au profit du seul droit français de l’arbitrage.
La solution n’est pas différente à propos de l’ordre public international. C’est cette fois l’article V(2)(b) qui est en jeu. L’application de la Convention de New York est écartée au profit du droit français de l’arbitrage. La cour rappelle qu’en vertu de ce dernier, le recourant « ne [peut] invoquer devant le juge chargé du contrôle de la sentence la violation de sa propre législation pour se délier de ses engagements contractuels ».
On soulignera simplement une formule discutable, à propos de l’arbitrabilité. La cour juge que « la prohibition pour un État de compromettre étant limitée aux contrats d’ordre interne, elle n’est pas d’ordre public international et il suffit, pour valider la clause compromissoire incluse dans un contrat, de constater l’existence d’un contrat international passé pour les besoins et dans les conditions conformes aux usages du commerce international ». En creux, on retrouve l’idée que dans un contrat étranger interne, la clause compromissoire pourrait être remise en cause sur le fondement du droit étranger. La motivation semble passer un peu vite sur deux éléments. Premièrement, ce n’est pas l’internationalité du contrat qui détermine le déclenchement de la règle matérielle, mais l’internationalité de l’arbitrage. Deuxièmement, au moins pour les sentences rendues à l’étranger, le caractère interne de l’arbitrage est indifférent puisque, du point de vue du juge français, la sentence est soumise au régime de l’arbitrage international (en dernier lieu, Paris, 20 mai 2025, n° 22/13345, Dalloz actualité, 23 juin 2025, obs. J. Jourdan-Marques ; v. égal., Paris, 21 mai 2019, n° 17/19850, Dalloz actualité, 28 juin 2019, obs. L. Weiller ; ibid., 7 juin 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay
; Rev. arb. 2019. 1151, note E. Gaillard ; JDI 2020. 214, note D. Mouralis ; ibid. 811, chron. K. Mehtiyeva ; confirmé par Civ. 1re, 13 janv. 2021, n° 19-22.932, Dalloz actualité, 22 févr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 86
; ibid. 1832, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux
; ibid. 2272, obs. T. Clay
; RTD com. 2021. 556, obs. E. Loquin
; RJC 2022. 14, note B. Moreau ; JCP E 2021. 1373, note P. Casson ; Procédures 2021. Comm. 71, note L. Weiller ; Rev. arb. 2021. 719, note H. Slim). Il n’y a en réalité que l’hypothèse assez rare d’un arbitrage interne étranger avec siège en France où la question de l’applicabilité de règles internes étrangères peut être envisagée. L’approche a déjà été tentée sans succès (Paris, 5 mars 2024, Sigasécurité, n° 22/05167, Dalloz actualité, 21 mars 2024, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2024. 2207, obs. T. Clay
). Au-delà, c’est la règle issue de la jurisprudence Galakis qui doit systématiquement prévaloir.
La compétence
La compétence en matière internationale
L’examen de la compétence par le juge français est un aspect essentiel du contrôle des sentences arbitrales. Tout l’enjeu réside dans la recherche d’un équilibre entre, d’une part, la nécessité de préserver la volonté des parties de recourir – ou de ne pas recourir – à l’arbitrage et, d’autre part, le désir d’éviter une immixtion trop grande du juge pour préserver l’autonomie de l’arbitrage. L’un des exemples révélateurs de cette tension réside dans la jurisprudence Schooner (Civ. 1re, 2 déc. 2020, n° 19-15.396, Dalloz actualité, 24 déc. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2456
; ibid. 2021. 1832, obs. L. d’Avout, S. Bollée et E. Farnoux
; ibid. 2272, obs. T. Clay
; Procédures 2021, n° 2, p. 24, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2021. 419, note P. Duprey et M. Le Duc ; JDI 2021. Comm. 30, obs. M. de Fontmichel), abondamment critiquée par une partie de la doctrine en ce qu’elle révèle la transformation du juge de l’annulation en juge d’appel sur la compétence. Cette solution est considérée comme tellement regrettable que le groupe de travail sur la réforme du droit français de l’arbitrage en a proposé la suppression (Proposition n° 28).
Reste que, sur bien des aspects, le droit français de l’arbitrage est arrivé, depuis quelques années, à une certaine maturité en matière d’examen de la compétence. Cette évolution est surtout visible en matière d’arbitrage d’investissement, où la jurisprudence a considérablement évolué pour transformer de façon substantielle l’étendue du contrôle réalisé par le juge. L’arrêt décisif en la matière est la décision Oschadbank (Civ. 1re, 7 déc. 2022, n° 21-15.390, Dalloz actualité, 9 janv. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2228
; ibid. 2023. 1812, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel
; ibid. 2278, obs. T. Clay
; Procédures 2023, n° 2, p. 21, obs. L. Weiller ; JDI 2023. 592, note M. Audit ; Gaz. Pal. 16 mai 2023, obs. L. Larribère). Depuis, la Cour de cassation et la cour d’appel sont parfaitement alignées dans la mise en œuvre des principes fixés par la première (v. pour une dernière cassation, avant le parfait alignement, Civ. 1re, 2 avr. 2025, Uruguay, n° 23-16.338, Dalloz actualité, 23 juin 2025, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2025. 632
; Gaz. Pal. 6 mai 2025, n° 16, p. 12, obs. L. Larribère ; Procédures 2025. Comm. 149, obs. L. Weiller ; JCP E 2025. 1264, note P. Casson).
Les principes sont désormais bien posés (sur le sujet et sur les questions qui demeurent, S. Lemaire, Le contrôle français de la compétence du tribunal arbitral en matière d’investissements internationaux. Ce que l’on sait désormais et ce qu’il reste à préciser, Rev. arb. 2024. 1081). La jurisprudence souligne ainsi systématiquement que « pour l’application de ce texte [C. pr. civ., 1520, 1°], il appartient au juge de l’annulation de contrôler la décision du tribunal arbitral sur sa compétence, qu’il se soit déclaré compétent ou incompétent, en recherchant tous les éléments de droit ou de fait permettant d’apprécier la portée de la convention d’arbitrage » (Paris, 1er juill. 2025, Olin, n° 22/20898 ; 1er juill. 2025, Oschadbank, n° 24/05336 ; 9 sept. 2025, État du Koweït, n° 22/19221). C’est exactement la même formule que celle retenue pour contrôler une convention d’arbitrage dans un contrat commercial (Paris, 1er juill. 2025, Moulin de la Courbe, n° 23/02365). Ensuite, la cour précise les spécificités du contrôle en matière de droit des investissements : « En matière de protection des investissements transnationaux, le consentement de l’État à l’arbitrage procède de l’offre permanente d’arbitrage formulée dans un traité, adressée à une catégorie d’investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu’il définit » (Paris, 1er juill. 2025, n° 22/20898, préc. ; 1er juill. 2025, n° 24/05336, préc. ; 9 sept. 2025, n° 22/19221, préc.). Cette formule est directement reprise de la jurisprudence Oschadbank de la Cour de cassation. Elle a pour principale conséquence de limiter – sauf exception – l’examen du juge aux notions d’investisseur et d’investissement. C’est le traité lui-même qui les définit, par sa clause relative aux définitions et par la convention d’arbitrage qui y figure. Ainsi, ce qui ne se trouve pas dans le traité ne peut pas être considéré comme une condition susceptible de remettre en cause la compétence du tribunal arbitral (par ex., à propos du « test Salini », Paris, 26 sept. 2023, Air Canada, n° 21/20965, Dalloz actualité, 13 nov. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP E 2024, 1309, obs. M.-E. Ancel, C. Baker Chiss, M. Laazouzi et F. Mailhé). Enfin, pour clore le tout, il est ajouté que « le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l’annulation n’ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé » (Paris, 1er juill. 2025, n° 22/20898, préc. ; 1er juill. 2025, n° 24/05336, préc. ; 9 sept. 2025, n° 22/19221, préc.). Cet attendu est central, en ce qu’il justifie la mise à l’écart de très nombreux griefs, notamment ceux qui soumettent au juge des problématiques relatives à la licéité ou à la légalité de l’investissement (Civ. 1re, 12 févr. 2025, Cengiz, n° 21-22.978, Dalloz actualité, 31 mars 2025, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330, obs. T. Clay
; Procédures 2025. Comm. 83, note L. Weiller ; 12 févr. 2025, Nurol, n° 22-11.436, Dalloz actualité, 31 mars 2025, obs. J. Jourdan-Marques, D. 2025. 309
; Procédures 2025. Comm. 85, note L. Weiller ; Gaz. Pal. 2025, n° 16, p. 10, obs. L. Larribère).
En matière de convention d’arbitrage dans une relation commerciale internationale, les attendus sont distincts, mais fixés depuis plusieurs années. C’est la règle matérielle issue de Dalico, ayant fait l’objet de quelques évolutions, qui est reprise systématiquement : « en vertu d’une règle matérielle du droit de l’arbitrage international, la clause compromissoire est indépendante juridiquement du contrat principal qui la contient, directement ou par référence. Son existence et son efficacité s’apprécient, sous réserve des règles impératives du droit français et de l’ordre public international, d’après la commune volonté des parties, qui investit l’arbitre de son pouvoir juridictionnel, sans qu’il soit nécessaire de se référer à une loi étatique » (Paris, 1er juill. 2025, Moulin de la Courbe, n° 23/02365, préc. ; Paris, 3 juin 2025, Wingstop, n° 23/17836, préc.). On peut faire deux remarques à propos de cette formule. La première est que, pendant un temps, la jurisprudence a évoqué la volonté des parties « qui seule investit l’arbitre de son pouvoir » (par ex., Paris, 5 sept. 2023, n° 21/16899). Depuis le début de l’année 2025, on ne retrouve plus cet adverbe qui était un peu réducteur du sens exact de la jurisprudence française (not., en matière de transmission de la clause compromissoire). La seconde est qu’elle est parfois complétée, en fonction du cas d’espèce, par des précisions supplémentaires. Ce fut notamment le cas dans l’affaire Sultan de Sulu, qui ajoute un « suffixe » à la formule selon lequel la volonté des parties est interprétée « d’après les principes de bonne foi et d’effet utile » (Civ. 1re, 6 nov. 2024, n° 23-17.615, Dalloz actualité, 20 déc. 2024, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2024. 2207, obs. T. Clay
; RTD civ. 2024. 864, obs. H. Barbier
; JCP 2025. Doctr. 903, obs. C. Seraglini, P. Giraud et L. Jandard ; JDI 2025. Comm. 10, note L. Jandard ; Gaz. Pal. 2025, n° 16, p. 5, obs. L. Larribère ; LPA 2025, n° 3, p. 45, obs. Y. Legrand ; ibid., n° 4, p. 53, obs. A. Malek et T. Mattern-Thiais). Ce fut encore le cas dans l’affaire Kout Food, où c’est un autre « suffixe » qui a été utilisé, en ce que la convention est dépourvue de toute référence à une loi étatique « à moins que les parties aient expressément soumis la validité et les effets de la convention d’arbitrage elle-même à une telle loi » (Civ. 1re, 28 sept. 2022, n° 20-20.260, Dalloz actualité, 28 oct. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 157
, note D. Mainguy
; ibid. 2022. 2330, obs. T. Clay
; ibid. 2023. 1812, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel
; Gaz. Pal. 2022, n° 36, p. 5, obs. L. Larribère ; ibid., n° 36, p. 22, obs. J. Clavel-Thoraval ; Rev. arb. 2022. 1367, note F.-X. Train ; Procédures 2022. Comm. 277, obs. L. Weiller ; JCP 2023. 221, obs. C. Seraglini ; ibid. Doctr. 143, obs. C. Nourissat).
Quoi qu’il en soit, sur le plan des principes, le contrôle de la compétence est bien établi. Reste à savoir, pour chaque affaire, comment le contrôle est réalisé. La présente livraison nous offre l’occasion de revenir sur différentes hypothèses, tant en matière d’investissement que d’arbitrage commercial.
La compétence fondée sur un traité d’investissement
Une lecture rapide de l’arrêt Oschadbank de la Cour de cassation peut laisser penser que l’examen de la compétence se limite aux seules notions d’investissement et d’investisseur. Autrement dit, il suffirait pour le litige d’entrer dans le champ d’application ratione materiae (l’investissement) et ratione personae (l’investisseur) prévu par le traité pour fonder la compétence arbitrale.
En réalité, le droit positif est un peu plus subtil et le renvoi devant la cour d’appel dans la même affaire Oschadbank permet de clarifier ce point. D’une part, il peut exister des conditions d’une autre nature, notamment ratione temporis et ratione loci qui sont elles aussi susceptibles d’être examinées par le juge du recours. D’autre part, qu’il s’agisse des critères ratione personae et ratione materiae ou des autres critères, tous sont interprétés par une lecture stricte du traité, principalement à travers deux articles : celui relatif aux définitions et celui relatif à la convention d’arbitrage. Examinons ces différentes questions successivement.
Premièrement, à propos de la compétence ratione temporis, la Cour de cassation a très explicitement indiqué qu’une disposition propre du traité n’est, en principe, pas une condition relative à la compétence. Sur renvoi, la cour s’aligne par une motivation intéressante. La cour constate que l’article 9 du Traité, qui contient la convention d’arbitrage, « ne prévoit aucune condition relative à la date de réalisation des investissements concernés par la protection juridictionnelle qu’il institue ». Elle ajoute, après avoir examiné les clauses du traité relatives aux définitions des notions, que celles-ci « ne comporte[nt], de même, aucune restriction temporelle ». Autrement dit, comme on l’a vu, ce qui constitue le cœur du contrôle, à savoir l’article contenant la convention d’arbitrage et celui contenant les définitions, sont dépourvus de toute exigence temporelle. Au surplus, elle précise que l’article 12, qui contient l’exigence temporelle, n’est pas visé par l’article 9 relatif à la convention d’arbitrage. Il s’ensuit que, dès lors que le litige est né après l’entrée en vigueur du traité – seule condition temporelle systématique – la question de la date de l’investissement « échappe au contrôle du juge de l’annulation ». Ainsi, la cour confirme l’éviction de la question de la date de l’investissement de son examen, tout en laissant la porte ouverte à une solution différente en présence d’une stipulation précise dans la clause relative aux définitions ou dans celle relative à la convention d’arbitrage.
Deuxièmement, la compétence ratione loci du tribunal arbitral est une question plus originale. Pour accepter de l’examiner, toujours dans la même logique, la cour, se réfère aux définitions du traité. Or à propos de la notion d’investissement, il y est précisé que celui-ci doit avoir lieu sur le territoire de l’autre partie contractante. Par conséquent, elle accepte de vérifier si cette condition est remplie.
Au cas d’espèce, l’investissement a lieu sur la péninsule de Crimée. La position russe est acrobatique, puisqu’elle rejette l’appartenance de ce territoire à son État, là où, d’un point de vue politique, elle prétend le contraire. Plus précisément, elle se prévaut du refus de reconnaissance par l’Ukraine de l’annexion de son territoire pour tenter d’échapper à l’application du traité.
La cour ne se laisse pas entraîner dans une discussion sur la reconnaissance mutuelle. Elle juge que cette objection « ne concerne pas la compétence arbitrale […], mais la protection substantielle ». Elle ajoute qu’elle n’a pas compétence pour « trancher le différend territorial » opposant la Russie et l’Ukraine. Par conséquent, elle se limite à constater que « les actifs litigieux étant situés sur un territoire à l’égard duquel la Fédération de Russie revendique sa souveraineté et exerce son autorité, à la suite du rattachement intervenu en 2014, c’est à juste titre que le tribunal arbitral s’est reconnu compétent ratione loci, la condition de compétence territoriale attachée à la notion d’investissement étant satisfaite ».
En synthèse, il semble que la cour retienne une qualification a-juridique de la notion de territoire. Elle ne s’intéresse pas, par exemple, aux conditions prévues par le droit international public qui régissent ces questions. Elle se limite à une analyse factuelle, prenant acte du comportement de la Russie sur ce territoire. Ainsi, elle ne dit pas si la Crimée est russe ou si l’annexion est reconnue par l’Ukraine. Elle constate simplement l’exercice d’une autorité sur ce territoire, qui suffit pour que la Russie réponde d’une action pour un investissement qui y est réalisé.
Troisièmement, la compétence ratione materiae est également contestée dans l’affaire Oschadbank. La difficulté porte ici sur l’interprétation de la notion d’investissement et le débat se concentre sur la question de savoir s’il doit avoir eu lieu, dès l’origine, sur le territoire de la défenderesse ou s’il peut avoir eu lieu avant. Là encore, la problématique s’explique par l’annexion de la Crimée, l’investissement ayant eu lieu avant cette date sur le territoire ukrainien.
Une fois encore, l’analyse se focalise sur la lettre du traité et sur les articles relatifs aux définitions et à la convention d’arbitrage. Si un débat linguistique a lieu sur les différentes traductions du traité entre les parties, la cour ne s’en laisse pas véritablement compter. Elle juge « qu’au regard du sens ordinaire des termes, pris dans leur contexte, la définition de l’investissement énoncée à l’article 1(1) du Traité, quelle qu’en soit la version, ne comporte aucune condition de temporalité qui viendrait limiter la protection juridictionnelle formulée à l’article 9. Contrairement à ce que soutient la demanderesse au recours, la référence faite à des actifs qui “sont investis” ne peut en effet être lue comme décrivant uniquement une action passée, l’exigence d’un “comportement actif” de la part de l’investisseur n’excluant pas, au vu de cette formulation, la prise en considération d’un état de fait tenant à l’existence de l’investissement à la date du différend ». On retrouve, une fois de plus, la volonté de ne pas rajouter de conditions au traité. La notion d’investissement est celle qui résulte de la définition qui en est donnée par le traité. Dès lors, prétendre que ce dernier aurait dû avoir lieu, à l’époque de sa réalisation, sur le territoire de l’État d’accueil est une condition qui n’y figure pas.
Quatrièmement, la dernière condition possible en matière de compétence concerne le champ d’application ratione personae. Il conduit à s’intéresser à la notion d’investisseur. L’affaire État du Koweït permet de revenir sur ce point (Paris, 9 sept. 2025, n° 22/19221, préc.). La motivation est un peu longue et touche, avant tout, au droit des investissements et les spécialistes auront intérêt à s’y référer. En substance, la question est de savoir si le demandeur à l’arbitrage est l’investisseur. Plus précisément, les actions de l’État ont conduit à faire perdre toute valeur à une société dont le demandeur à l’arbitrage prétend être détenteur. Le tribunal arbitral s’est déclaré incompétent, et le recourant lui reproche d’avoir ajouté une condition au traité en exigeant que l’actif considéré ait été investi par l’investisseur lui-même. La cour rejette l’analyse, après un examen minutieux du traité. Elle considère qu’il exige que l’investissement soit effectué « par l’investisseur qui revendique la protection sur le territoire de l’État qui accepte ». Or, pour la cour, les faits ne permettent pas de caractériser cette condition, en raison de l’incapacité du recourant à établir qu’il est lui-même l’auteur d’un investissement au Koweït.
Au-delà de ces questions relatives au champ d’application du bénéfice de la protection juridiction, y a-t-il la place pour d’autres critères de compétence. La réponse semble plutôt négative. L’affaire Olin (Paris, 1er juill. 2025, n° 22/20898, préc.) permet à la cour de l’illustrer, à propos de la clause de « fork-in-the-road » (ou, en français, selon la traduction proposée par la Cour d’appel de Paris, « clause de bifurcation »). Pour rappel, ces clauses prévoient que l’investisseur doit choisir entre le règlement de ses litiges devant les tribunaux nationaux de l’État hôte ou par voie d’arbitrage international et que ce choix, une fois fait, est définitif.
La Cour d’appel de Paris refuse d’intégrer cette clause dans le champ de son examen de la compétence. Elle juge qu’« indépendamment de la qualification de cette stipulation sur laquelle les parties sont en désaccord, une telle clause, qui organise les conditions procédurales de mise en œuvre du consentement de l’État à l’arbitrage, se rapporte, non à la compétence du tribunal arbitral, mais à l’examen de la recevabilité des demandes. Elle échappe, comme telle, au contrôle du juge de l’annulation ». Elle ajoute que « l’exercice préalable de l’option en faveur de ces juridictions constituerait alors un obstacle à l’exercice de l’action devant le tribunal arbitral et, partant, à la recevabilité de la demande d’arbitrage ».
Ainsi, la clause de « fork-in-the-road » rejoint la liste des clauses figurant dans les traités bilatéraux d’investissement qui échappent à tout examen du juge du recours. On y trouve notamment la clause de prescription (Civ. 1re, 31 mars 2021, n° 19-11.551, Dalloz actualité, 30 avr. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 704
; ibid. 2272, obs. T. Clay
; JCP 2021. 1214, obs. P. Giraud) ou de médiation (Paris, 28 juin 2016, n° 15/03504, Rev. arb. 2016. 1157, note J. Barbet ; Gaz. Pal. 2016, n° 40, p. 37, obs. D. Bensaude ; 29 janv. 2019, n° 16/20822, Dalloz actualité, 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay
; JDI 2020. 199, note H. Ascencio ; Gaz. Pal. 2019, n° 24, p. 21, obs. D. Bensaude ; Cah. arb. 2019. 87, note T. Portwood et R. Dethomas ; Rev. arb. 2019. 250, note M. Audit ; ibid. 584, note M. Laazouzi ; 25 mai 2021, Cengiz, n° 18/27648, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques). De façon générale, cette solution participe, encore, au mouvement de réduction du périmètre d’examen du juge du recours en matière d’arbitrage d’investissement.
Il faut ajouter deux précisions intéressantes à propos de cet arrêt. Premièrement, la cour rappelle qu’elle n’est pas tenue par les qualifications des arbitres. Autrement dit, quand bien même ces derniers se sont intéressés à cette question du respect de la clause « fork-in-the-road » sous l’angle de la compétence, le juge n’est pas lié par cette qualification et il lui appartient de redonner à la question son exacte qualification. C’est le principal enseignement de l’arrêt Uruguay (Civ. 1re, 2 avr. 2025, n° 23-16.338, préc.), qui a bien été entendu par la cour d’appel. Deuxièmement, alors même qu’elle souligne que la question de l’existence d’un investissement et de la qualité d’investisseur ne sont nullement contestées, la cour d’appel vérifie que le différend entre, par sa nature et son objet, dans le champ de l’offre d’arbitrage. La question est celle de savoir si, à défaut, la cour d’appel aurait relevé le moyen d’office. Difficile de le savoir, mais on peine à percevoir l’intérêt d’une telle motivation surabondante, si ce n’est pour tenter de convaincre le recourant de la compétence du tribunal arbitral.
La compétence fondée sur une clause compromissoire
• L’articulation entre clauses compromissoires
La présence de plusieurs clauses de résolution des litiges dans une relation contractuelle n’est pas une hypothèse d’école. Cette situation n’est pas problématique lorsque ces clauses sont complémentaires. C’est le cas, en principe, pour une clause de médiation et une clause d’arbitrage. Il est en revanche des situations où les clauses s’opposent. Cela peut être le cas pour une clause attributive de juridiction et une clause compromissoire, ou encore pour deux clauses compromissoires. Dans une telle configuration, la première voie à privilégier est celle de la détermination du champ d’application de chaque clause. Il est en effet possible – sans que ce soit pour autant souhaitable – que les clauses aient un champ d’application respectif et qu’il soit possible de rattacher l’action exercée au champ de l’une ou de l’autre (par ex., Paris, 4 avr. 2023, BZ Grains, n° 22/07777, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP E 2024. 1309, obs. M.-E. Ancel, C. Baker Chiss, M. Laazouzi et F. Mailhé ; Gaz. Pal. 2023, n° 35, p. 9, obs. L. Larribère). Dans une telle hypothèse, les deux clauses restent actives. En revanche, cette solution n’est pas toujours praticable. C’est le cas lorsqu’il n’est pas possible de distinguer les champs d’application et que, en apparence, les deux clauses ont vocation à s’appliquer au différend. La difficulté est alors de savoir comment privilégier l’une par rapport à l’autre, particulièrement lorsque les modalités de résolution du litige ne sont pas identiques.
L’affaire Moulin de la Courbe permet à la Cour d’appel de Paris de revenir sur cette difficulté (Paris, 1er juill. 2025, n° 23/02365, préc.). Au cas d’espèce, la première clause figure dans les conditions générales de vente applicables au contrat et la seconde clause figure dans les mentions préimprimées du papier à en-tête du courtier par l’entremise duquel le contrat a été signé. Entre ces deux clauses, il appartient de trancher, dès lors que l’institution désignée n’est pas la même et que, par conséquent, le tribunal arbitral appelé à connaître du litige n’est pas identique.
Avant toute chose, la cour remarque, et c’est précieux, que ces clauses révèlent « la commune volonté des parties de choisir l’arbitrage afin de régler leur différend, cette volonté conduisant à privilégier le recours à la voie arbitrale nonobstant le caractère a priori contradictoire des deux stipulations ». On peut faire deux remarques à propos de cette formule. Premièrement, elle atteste l’idée que la seule contradiction des clauses n’anéantit pas la volonté des parties de recourir à l’arbitrage dès lors qu’elle est attestée par les deux clauses (v. déjà : Paris, 4 avr. 2023, n° 22/07777, préc.). Deuxièmement, elle ouvre tout de même la porte à l’hypothèse d’une articulation impossible. En effet, l’utilisation du mot « privilégier » laisse entendre qu’il peut exister des situations où l’anéantissement des clauses est la seule issue possible. On peut se montrer réservé sur cette solution, dès lors que, malgré la contrariété des clauses, la seule certitude qui existe est celle de la volonté des parties de ne pas recourir à la justice étatique. Partant, annuler les clauses et priver les parties de ce mode de résolution des litiges revient à privilégier la seule voie dont on est certain que les parties n’ont pas voulu.
Quoi qu’il en soit, pour résoudre la difficulté, la cour souligne qu’« en présence de deux clauses désignant deux institutions d’arbitrage distinctes, il y a lieu de rechercher la commune intention des parties d’après les principes de bonne foi et d’effet utile ». Au cas présent, la difficulté d’articulation réside principalement dans la question de savoir laquelle des deux clauses il faut faire prévaloir. Pour cela, c’est une articulation entre le spécial et le général qui est utilisé. Il est remarqué que les conditions générales prévoient elles-mêmes la possibilité de clauses spéciales dérogatoires. Or, selon la cour, la clause figurant dans l’en-tête du courtier est une clause « spéciale, claire et lisible, reproduite sur chaque page du contrat sur lequel chaque partie a apposé sa signature, contrairement aux conditions générales de vente qui sont applicables par référence et dans la mesure où il n’y est pas expressément dérogé ». Ainsi, c’est parce que la clause est spéciale qu’elle est appliquée en priorité sur la clause à portée générale. Partant, c’est le tribunal arbitral mentionné par cette clause qui est compétent pour trancher le litige.
On voit ainsi que la règle specialia generalibus derogant constitue une réponse possible à la résolution du conflit entre deux clauses. Au cas d’espèce, cela conduit la clause générale à être totalement privée d’effet au profit de la clause spéciale. Reste que cette voie n’est pas toujours empruntable, car il n’est pas tout le temps possible d’identifier aussi aisément laquelle des stipulations est générale et l’autre spéciale. Il n’en demeure pas moins que, dans bien des cas, cette solution sera de nature à permettre de résoudre la difficulté.
• L’extension de la clause compromissoire
La question de l’extension de la clause compromissoire est classique en droit français. Pourtant, depuis plusieurs années, on a pu identifier des divergences jurisprudentielles, à tout le moins dans les conditions posées pour admettre une telle extension. Chaque fois, l’« immixtion » du tiers à la clause dans la relation est une condition centrale de l’extension. Toutefois, ce n’est pas la seule condition retenue. Dans sa première forme, la plus exigeante, la jurisprudence exige en supplément de la part du tiers la connaissance et l’acceptation de la clause, fût-elle présumée (Paris, 23 juin 2020, Kout Food Group, n° 17/22943, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay
; Cah. arb. 2020. 61, note P. Rosher ; Rev. arb. 2020. 701, note E. Gaillard ; JDI 2021. 153, note J.-B. Racine). Dans sa deuxième forme, intermédiaire, la jurisprudence requiert la connaissance, mais pas l’acceptation de la clause (Paris, 26 nov. 2019, Axa France IARD, n° 18/20873, Dalloz actualité, 28 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; 26 févr. 2013, n° 11/17961, Rev. arb. 2014. 82, note P. Duprey et C. Fouchard). Dans sa dernière forme, la plus libérale, elle ne fait référence ni à la connaissance ni à l’acceptation (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, D. 2007. 2077, obs. X. Delpech
, note S. Bollée
; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay
; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke
; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry
; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin
; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP 2007. II. 10118, note C. Golhen ; ibid. I. 168, § 11, obs. C. Seraglini ; ibid. I. 200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 6, note F.-X. Train ; CCC 2007. 166, note L. Leveneur).
Le plus souvent, la divergence n’a pas porté à conséquence. Ce n’est toutefois plus le cas aujourd’hui. Déjà, à l’occasion d’une affaire Eckes (Paris, 6 déc. 2022, n° 21/11615, Dalloz actualité, 14 mars 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 1812, obs. S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel
; JCP E 2024. 1008, obs. M.-E. Ancel, C. Baker Chiss, M. Laazouzi et F. Mailhé ; Gaz. Pal. 2023, n° 16, p. 8, obs. L. Larribère), la cour a refusé l’exequatur à une sentence arbitrale, faute de suivre l’analyse du tribunal arbitral sur l’extension de la clause. À cette occasion, la cour a ouvert un quatrième courant jurisprudentiel, en mettant l’acceptation de la clause au cœur de son analyse. Elle a notamment jugé que « « la clause compromissoire, dont la portée s’apprécie d’après la volonté commune des parties, peut toutefois s’étendre à ceux-ci, tiers à la convention, dès lors que leur implication dans l’exécution du contrat et dans les litiges qui peuvent en résulter est telle que leur consentement peut s’inférer de leur comportement ». La principale différence, notamment avec la jurisprudence Kout Food, tient alors à l’absence de référence à la présomption d’acceptation de la clause.
L’affaire Mercuria (Paris, 16 sept. 2025, n° 23/18252) permet de remettre l’ouvrage sur le métier. La cour annonce d’emblée sa position : « La clause compromissoire insérée dans un contrat international a une validité et une efficacité propres qui commandent d’en étendre l’application aux parties directement impliquées dans l’exécution du contrat et dans les litiges qui peuvent en résulter, dès lors qu’il est établi que leur situation contractuelle, leurs activités et les relations habituelles existant entre les parties font présumer qu’elles ont accepté la clause compromissoire dont elles connaissaient l’existence et la portée bien qu’elles n’aient pas été signataires du contrat qui la stipulait ». La formule n’est pas nouvelle (Paris, 23 nov. 2021, n° 18/22323 ; 13 juin 2023, n° 21/07296, D. 2023. 2278, obs. T. Clay
; JDI 2025. Comm. 10, note L. Jandard ; Gaz. Pal. 2023, n° 35, p. 5, obs. L. Larribère). Elle s’inscrit explicitement dans le courant « Kout Food », en exigeant (i) une immixtion (ii) une connaissance et (iii) une acceptation, laquelle peut être présumée. Reste à savoir comment ces conditions sont appréciées au cas d’espèce.
Dans cette affaire, la discussion tourne autour d’un tiers qui, selon le recourant, serait le véritable contractant, en ce que celui stipulé au contrat n’aurait agi que comme « prête-nom » ou « société écran ». Autrement dit, il y aurait une forme de transparence du signataire du contrat, permettant ainsi au cocontractant d’agir directement contre la véritable partie.
L’arrêt est marquant à deux titres. Premièrement, il s’intéresse à la réalité de l’allégation selon laquelle le tiers serait la véritable partie au contrat. Pour ce faire, l’analyse s’arrête tant sur la conclusion du contrat que sur son exécution. À propos de la conclusion, la cour constate que la présentation du demandeur au recours est « contredite par les éléments mis en exergue par les demanderesses elles-mêmes ». Plus précisément, la cour ajoute qu’« Energy Complex [la prétendue société écran] a été choisie pour l’expertise de son dirigeant et la confiance que Mercuria [le tiers] avait en lui et pour le risque financier qu’Energy Complex acceptait de prendre dans l’opération, de sorte que son intervention dans le projet n’était pas artificielle, ni conçue pour les seuls besoins de ne pas faire apparaître Mercuria, quand bien même Mercuria aurait souhaité rester discrète sur son implication dans le projet et concevoir la structuration juridique de l’opération en conséquence ». À propos de l’exécution du contrat, la cour ajoute que « Mercuria était présente et particulièrement investie à de nombreuses étapes de l’opération, notamment en validant différents projets d’accord ou la séquence des opérations juridiques et financières. Pour autant, cette implication se justifie par le fait que Mercuria participait au financement de l’opération par un prêt consenti à Energy Complex ». De cette série de constatations, la cour d’appel conclut que « si ces échanges montrent l’implication de Mercuria [le tiers] dans le projet, les pièces produites par WNR Ltd et WNR Congo ne permettent en revanche pas de démontrer que Mercuria aurait elle-même négocié et exécuté spécifiquement le SPCA, de telle sorte que son consentement à la clause compromissoire pourrait en être déduit ».
Il est permis d’être en désaccord avec cette motivation. En réalité, elle revient à confondre la qualité de partie au contrat et la qualité de partie à la convention d’arbitrage et, par ricochet, à violer l’indépendance de la seconde par rapport au premier. Pourtant, il faut le dire fermement : les conditions pour qu’un tiers soit qualifié de partie à la clause et celles pour qu’il soit qualifié de partie au contrat ne sont pas identiques. Cela signifie qu’il est tout à fait possible – et même probablement fréquent – qu’un tribunal arbitral doive, après avoir étendu la clause, constater que les conditions pour faire du litigant une partie au contrat ne sont pas réunies. Simplement, du point de vue du juge du recours, cela change tout : la qualité de partie à la clause – ou son extension – relève du contrôle de l’annulation sur le fondement de l’article 1520, 1° du code de procédure civile, là où la qualité de partie au contrat (et la responsabilité qui en découle) est une question de fond qui échappe au juge.
Deuxièmement, la cour revient sur l’ensemble contractuel. Elle souligne que « l’investissement des parties dans le projet Marine XI s’est traduit par une série d’opérations juridiques, chaque étape étant séquencée par la conclusion ou la mise en œuvre de plusieurs accords, produits par les demanderesses, qui, pour la plupart, comportent chacun une clause compromissoire différente ». Après avoir énuméré les différentes clauses, dont certaines sont sans doute incompatibles entre elles, elle retient que « la multiplicité et la diversité des clauses compromissoires caractérisent le fait que les parties aux différents accords, en ce compris METSA et MCP, ont entendu prévoir des modalités d’arbitrage spécifiques à chacun d’eux, même dans des contrats conclus entre les mêmes parties, de sorte qu’il ne saurait être déduit de l’implication de Mercuria dans les discussions relatives au projet dans son ensemble ou à d’autres accords s’inscrivant dans celui-ci, une acceptation de la clause compromissoire litigieuse ».
Là encore, l’analyse ne convainc aucunement. La multiplication des clauses compromissoires, même incompatibles entre elles, n’est pas un obstacle à l’extension d’une convention d’arbitrage. Dit autrement, on ne peut partir du principe que seul le défaut de clause permet l’extension, là où la préexistence de clauses en serait exclusive. En réalité, la clause compromissoire est le véhicule procédural pour la résolution d’un litige. Il faut donc se demander si deux clauses concurrentes ont vocation à résoudre le même litige avec des parties différentes. En revanche, si ces clauses visent des litiges différents, alors elles ne constituent pas un obstacle à l’extension. Prenons un exemple, dans une version simplifiée : un contrat n° 1 est conclu entre A et B. Il contient une clause compromissoire. Un contrat n° 2 est conclu entre A et C. Il contient une clause compromissoire, incompatible avec celle du contrat n° 1. Dans le cadre du contrat n° 1, A entend agir contre C pour engager sa responsabilité dans l’échec de l’exécution de ce contrat et prétend, pour cela, lui étendre la clause compromissoire y figurant. Ici, la présence d’une clause compromissoire dans le contrat n° 2 n’est pas un obstacle à la mise en œuvre de celle figurant dans le contrat n° 1. En effet, l’action porte sur le contrat n° 1, et non sur le contrat n° 2. La difficulté à résoudre est donc de déterminer si la clause compromissoire figurant dans le contrat n° 1 peut être étendue à C. Pour cela, il faut mobiliser les critères de l’extension, ce qui, au surplus, ne dira rien sur la question de la qualité de C comme partie au contrat n° 1 ou sur sa responsabilité.
Ce qui est d’ailleurs marquant dans l’arrêt, c’est le défaut total de mobilisation des critères de l’extension de la convention d’arbitrage. Finalement, le critère de la connaissance n’est même pas évoqué ; celui de l’immixtion est balayé très rapidement par le seul constat que celle-ci serait justifiée par une participation du tiers au financement de l’opération. Quant à la question de l’acceptation, la présomption n’est même plus envisagée. Sur ce dernier point, la cour juge en effet que « les éléments dont se prévalent WNR Ltd et WNR Congo ne permettent pas d’établir le consentement des défenderesses à la clause compromissoire prévue au SPCA ». Ainsi, il est très clair que la charge de la preuve de l’acceptation est renversée par la cour et qu’elle pèse finalement sur celui qui se prévaut de l’extension. Finalement, on en revient à une analyse proche de celle retenue dans l’affaire Eckes et à cette nouvelle « quatrième voie » de l’extension.
En creux, ce qui semble avoir changé dans l’analyse de la cour, c’est l’objet de l’examen. Antérieurement, ce qui était au cœur du raisonnement, c’était l’implication des parties dans la conclusion et l’exécution du contrat. Ce qui est désormais le centre de la préoccupation de la cour d’appel, c’est la recherche d’un consentement à la clause. Il y a une logique derrière qui peut convaincre, même en droit de l’arbitrage. En effet, déduire l’extension de la clause du comportement des parties dans la vie du contrat revient, peu ou prou, à nier l’indépendance matérielle. Il n’en demeure pas moins que ce nouveau courant est en décalage avec l’histoire de l’extension de la clause compromissoire. S’il est suivi, cela ne peut être qu’au prix d’une reformulation complète de la règle de l’extension de la clause compromissoire. Et avec, il faudra admettre un recul très substantiel de la faveur du droit français de l’arbitrage à l’extension des clauses.
• Le champ d’application de la clause compromissoire
L’arrêt de la Cour de cassation dans l’affaire Song Saïgon est décevant (Civ. 1re, 18 juin 2025, n° 22-22.850). L’affaire part du contrat de vente d’un navire, qui stipule une clause compromissoire. À la suite d’avaries, l’acquéreur, estimant avoir été trompé sur la valeur du navire au moyen d’une fausse expertise, a porté plainte contre le vendeur pour escroquerie, faux et usage de faux et s’est constitué partie civile devant le tribunal correctionnel, pour demander une somme équivalente au prix d’achat en réparation de son préjudice. À l’issue de sa relaxe partielle, emportant rejet de la demande indemnitaire, le vendeur engage une procédure d’arbitrage. Il reproche à l’acquéreur d’avoir formé des demandes concernant la vente du bateau devant une juridiction française, en violation de la clause compromissoire. Une sentence est rendue, faisant droit à ces demandes.
Pourtant, l’exequatur est rejeté en appel et la solution est confirmée par la Cour de cassation. Pour cette dernière, les « demandes ne trouvaient pas leur fondement dans l’exécution du contrat mais [elles] portaient sur les débours exposés en raison d’une procédure pénale engagée par le ministère public, peu important que les poursuites aient été entreprises sur une plainte de l’acquéreur et que celui-ci se soit constitué partie civile pour solliciter l’indemnisation d’une surévaluation alléguée du prix de vente ». À notre estime, il y a là une violation grossière des principes du droit de l’arbitrage. En effet, la motivation de la cour ne soulève pas une difficulté relative à la compétence du tribunal arbitral, mais à l’imputabilité de la faute à l’acquéreur du navire. C’est une question de fond qui échappe à tout examen par le juge du recours.
Comment eut-il fallu procéder ? La clause compromissoire vise « tout différend en lien avec l’interprétation et l’exécution du présent accord ». C’est une formulation classique, certes perfectible dans sa rédaction, qui se veut le plus large possible par la référence au « lien ». Ainsi, le tribunal arbitral est compétent si l’action a un lien avec l’exécution du contrat. Est-ce le cas, lorsqu’il est reproché à une partie l’exercice d’une action pénale fondée sur la conclusion du contrat et la soumission de demandes au titre de l’action civile ? Sans aucun doute. Le tribunal aurait donc dû être compétent.
L’arrêt de la Cour de cassation est d’autant moins convainquant qu’il évoque des demandes qui « ne trouvaient pas leur fondement dans l’exécution du contrat ». Juger ainsi, c’est ignorer la lettre de la clause compromissoire et substituer un terme volontairement vague – le lien – au profit d’une notion juridique – le fondement – bien plus stricte.
En creux, la question est de savoir si une quelconque rédaction de la clause compromissoire aurait pu convaincre la Cour de juger autrement. Au regard de la motivation, la réponse semble négative. Cela revient à dire que, entre deux parties, le comportement lié à une procédure pénale échappe à toute clause compromissoire. Cela conduit, peu ou prou, à étendre le domaine de l’inarbitrabilité, là où il ne cesse de régresser depuis des années. Pourtant, si le fait déclencheur de l’action est bien une procédure pénale, celle-ci reste de nature purement civile et dirigée contre une partie. Il n’y a donc aucune raison d’interdire le recours à l’arbitrage pour statuer dessus.
En réalité, ce qui pose véritablement question dans cette affaire, c’est de savoir si l’on peut imputer à une partie le choix du ministère public d’exercer l’action publique. Mais c’est une question de fond, qui échappe au juge étatique dans le cadre d’un recours contre une sentence…
La compétence en matière interne
La compétence en matière interne présente certaines spécificités. Sur le plan de la nature du contrôle, il n’y a, a priori, rien de bien original, quand bien même la cour ne prend pas toujours soin de rappeler les principes irriguant son examen. En revanche, sur les règles substantielles, il y a des différences notables, principalement du fait de l’exclusion des règles matérielles au profit des règles nationales, notamment celles figurant dans le code civil et celles figurant dans le code de procédure civile, qui sont, pour certaines, propres à l’arbitrage interne.
Il n’en demeure pas moins que, malgré ces différences, les modes de raisonnement à retenir sont souvent identiques. À ce titre, l’abondante jurisprudence en matière de contrats de vente de denrées agricoles a enrichi la connaissance du droit en matière d’acceptation de la clause compromissoire. Pour l’essentiel, le raisonnement qui conduit à caractériser celle-ci est transposable sans difficulté à l’arbitrage international.
Ainsi, à l’occasion d’un arrêt du 1er juillet 2025, la Cour d’appel de Paris propose de nouveau une analyse rigoureuse et pédagogique de l’acceptation de clause (Paris, 1er juill. 2025, n° 24/00623). Elle commence par rappeler que « d’une part, que si la clause compromissoire doit être écrite, son acceptation par les parties n’est quant à elle régie par aucune condition de forme spécifique et, d’autre part, que son existence ne dépend pas de la formation, de la validité ou de l’exécution du contrat principal litigieux ». La précision est particulièrement importante, d’autant qu’elle n’est pas toujours évidente à concevoir intellectuellement. Assez simplement, de la même manière que la clause n’est pas affectée par le sort du contrat principal, l’acceptation de la clause ne dépend pas non plus de l’acceptation du contrat principal. Il appartient donc au juge de raisonner sur la clause, sans s’intéresser au contrat.
C’est précisément ce que fait la cour. Elle constate d’abord que les contrats litigieux contiennent tous une clause compromissoire. Problème, le recourant conteste en avoir eu connaissance. Pour résoudre la difficulté, la cour s’intéresse à la relation d’affaires entre les parties. Elle constate la présence d’une clause compromissoire systématique et identique dans tous les contrats exécutés entre les parties au cours de la relation. La cour en déduit que « les contrats antérieurs, comprenant une clause compromissoire identique, ont été exécutés sans que la S.C.E.A ne soulève une quelconque réserve ou une opposition quant à la stipulation de la clause compromissoire y figurant ». Elle en conclut que « l’existence d’une relation d’affaire habituelle et suivie entre [les parties] depuis l’année 2011 est établie et que cette relation contractuelle a été régie de façon constante par les mêmes pièces contractuelles. Il en découle que la preuve est apportée par la défenderesse de la parfaite connaissance et de l’acceptation de la clause compromissoire par la demanderesse puisqu’elle est stipulée de manière identique dans tous les contrats émis ». Ainsi, l’existence d’une relation d’affaires entre les parties, au cours de laquelle une clause compromissoire est systématiquement insérée dans les contrats, suffit à établir la compétence du tribunal arbitral. Par conséquent, la cour peut rejeter les allégations relatives à la réception, à la connaissance ou à l’acceptation de ces clauses pour les contrats litigieux. Elle précise que « le refus de contracter de la demanderesse et l’inexistence alléguée des contrats litigieux, qui résulterait de l’absence de signature de sa part des cinq documents qui lui ont été adressés, de même que l’absence d’exécution de ces derniers, qui n’en affectent que l’efficacité, sont dépourvus de toute incidence sur l’appréciation autonome de l’existence et de l’acceptation de la clause compromissoire susvisée figurant dans les contrats d’achat ». Voilà qui est rigoureux et qui pourrait même, dans certaines affaires, inspirer la jurisprudence en matière internationale.
La constitution du tribunal arbitral
L’affaire Oschadbank, décidément très riche, soulève une question intéressante en matière d’indépendance et d’impartialité (Paris, 1er juill. 2025, n° 24/05336, préc.). La Cour commence par rappeler une définition de ces notions, qui n’est pas totalement nouvelle (v. Paris, 19 nov. 2024, n° 22/03426 ; 2 mai 2024, n° 21/08610, D. 2024. 2207, obs. T. Clay
; Gaz. Pal. 2024, n° 34, p. 7, obs. L. Larribère). À propos de l’indépendance, elle juge que « l’appréciation de l’indépendance procède d’une approche objective consistant à caractériser des faits précis et vérifiables, extérieurs à l’arbitre et susceptibles d’affecter sa liberté de jugement, tels que des liens personnels, professionnels ou économiques avec l’une des parties ». Concernant l’impartialité, elle précise qu’elle « suppose quant à elle l’absence de préjugés ou de partis pris susceptibles d’affecter son jugement, lesquels peuvent résulter de multiples facteurs tels que la nationalité de l’arbitre, son environnement social, culturel ou juridique ».
Au cas d’espèce, le reproche fait à l’arbitre est très original. L’un des co-arbitres a en effet déposé une demande d’autorisation pour déposer un mémoire devant une juridiction américaine en tant qu’amicus curiae – sur une question de pur droit – à l’appui des requérants dans une affaire où la Fédération de Russie est défenderesse.
Pour écarter le grief, la cour examine l’indépendance de l’arbitre vis-à-vis de l’investisseur et son impartialité vis-à-vis de la Russie. À propos de l’indépendance, elle juge que « l’initiative prise par [l’arbitre] de participer en qualité d’amicus curiae à la procédure conduite devant la Cour d’appel du district de Columbia ne révèle aucun lien, de quelque nature qu’il soit, entre l’intéressé et l’une des parties à la procédure ayant abouti à la sentence querellée, pas plus qu’avec leurs conseils, des parties qui leur seraient liées, des experts ou témoins en lien avec cette procédure. Elle ne peut dès lors être considérée comme propre à créer un doute raisonnable quant à l’indépendance de ce co-arbitre ». Quant à l’impartialité, elle considère que « le mémoire d’amicus curiae ne porte pas sur l’objet du litige à l’origine de la sentence, ni ne s’y rattache d’une quelconque façon, l’initiative ainsi prise, fût-elle au profit de parties opposées à la Fédération de Russie, est intervenue plus de cinq ans après que la sentence litigieuse eut été rendue. Ne disant rien de l’état d’esprit de l’intéressé entre 2016 et 2018, elle ne démontre aucun préjugé ou parti pris de sa part dans le jugement de l’affaire à l’origine de cette sentence. L’argument selon lequel ce mémoire contiendrait des expressions offensantes envers la Fédération de Russie, à le supposer fondé, est à cet égard inopérant ».
Ce qui est intéressant, c’est que le rejet du grief repose principalement sur des considérations temporelles : la sentence est antérieure de plusieurs années au dépôt du mémoire en amicus curiae. Néanmoins, il faut souligner que le tribunal arbitral était saisi à la date de ce dépôt d’un recours en révision et que l’arbitre a refusé de démissionner. Aussi, la réponse apportée, en cas de futur recours contre la sentence statuant sur la demande de révision, ne pourra pas être identique à celle proposée dans l’arrêt du 1er juillet 2025. On lira donc avec intérêt les futurs développements sur cette question.
L’affaire État du Koweït mérite également d’être mentionnée (Paris, 9 sept. 2025, n° 22/19221, préc.). Dans cette affaire, il est reproché à l’arbitre une cinquième nomination par le même cabinet d’avocats. Le grief est rejeté par une argumentation sous divers angles. Premièrement, la cour constate que trois nominations, respectivement six ans, cinq ans et deux ans avant la procédure arbitrale sont très anciennes et notoires. Deuxièmement, elle juge, à propos de la nomination la plus récente, quelques mois avant celle dans l’arbitrage en cause, qu’il y a eu un changement de conseil et que le cabinet ayant nommé l’arbitre n’est plus sur l’affaire. La cour ajoute, à propos de cette nomination, qu’elle était également notoire. Troisièmement, la cour considère qu’il n’est pas établi en quoi ces nominations auraient exercé une influence sur son appréciation du maintien de l’arbitre et que, au surplus, elle aurait pu s’en prévaloir dès le début de l’arbitrage. En somme, c’est un rejet du grief assez logique par la cour.
En revanche, l’arrêt apporte une réponse extrêmement importante sous l’angle de l’ordre public international. On se rappelle que, pendant un temps, la jurisprudence a laissé apparaître un doute sur la faculté pour les parties de se fonder sur l’article 1520, 5°, du code de procédure civile pour examiner l’indépendance et l’impartialité (Paris, 15 juin 2021, Pharaon, n° 20/07999, Dalloz actualité, 4 févr. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 2272, obs. T. Clay
; Cah. arb. 2022. 639, note M. Henry ; JCP E 2022. 37, obs. C. Baker Chiss). La principale conséquence était d’offrir une voie de contournement à la renonciation, sous le prétexte – très discutable – que l’ordre public international était insusceptible de renonciation. La porte est désormais fermée et, on l’espère, à double tour : « le moyen tiré du doute raisonnable sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre désigné par l’État du Koweït reprend, sous couvert de l’ordre public international, le grief déjà invoqué au titre de l’irrégularité de constitution du tribunal arbitral, lequel ne relève pas de l’ordre public international de direction, de sorte qu’une partie peut y renoncer ». Ainsi, quand bien même l’arrêt ne dit pas que ce grief ne peut pas relever de l’ordre public procédural, il interdit en revanche d’imaginer deux régimes parallèles du contrôle du juge sur cette question. Il en résulte que, désormais, seul le second cas d’ouverture suffit pour examiner ces questions, sans que l’ordre public international n’en vienne perturber le régime.
Le respect de la mission
L’arrêt Oschadbank est aussi l’occasion d’aborder une question originale quant au respect par le tribunal arbitral de sa mission (Paris, 1er juill. 2025, n° 24/05336, préc.). Après avoir rappelé les grands principes gouvernant ce contrôle, notamment la circonstance que la mission est « principalement délimitée par l’objet du litige, lequel est déterminé par les prétentions des parties, sans qu’il y ait lieu de s’attacher uniquement à l’énoncé des questions figurant dans l’acte de mission » et que le contrôle réalisé par le juge est « exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l’annulation n’ayant pas à vérifier le bien ou le mal fondé de la sentence ni à s’assurer de la pertinence du raisonnement suivi par les arbitres ou de la motivation retenue », la cour s’arrête sur… le nombre d’heures travaillées par les arbitres. En effet, le recourant reprochait au tribunal arbitral d’avoir violé sa mission en ne consacrant que 824,25 heures de travail aux 9 500 pages du dossier.
La cour rejette le moyen. Elle considère qu’il ne lui appartient pas de contrôler « le temps consacré par les arbitres à l’examen des pièces du dossier qui leur est soumis ». Les exigences de célérité et de loyauté prévues à l’article 1464 du code de procédure civile ne permettent pas plus d’imposer une telle obligation.
Au passage, elle statue sur la normativité du code de conduite de la Commission des Nations unies pour le droit commercial international destiné aux arbitres dans les procédures de règlement des différends relatifs à des investissements internationaux. Elle précise que ce texte « ne défini[t] pas la mission du tribunal arbitral mais constitu[e] un ensemble de lignes de conduite à l’intention des arbitres dont l’usage est simplement recommandé ».
L’ordre public international
L’affaire Oschadbank soulève également une problématique relative à la prétendue violation de l’ordre public international (Paris, 1er juill. 2025, n° 24/05336, préc.). Pour la traiter, la cour commence par rappeler les principes applicables à cette question. C’est d’abord la notion d’ordre public international qui est rappelée, lequel s’entend « de la conception qu’en a l’ordre juridique français, c’est-à-dire des valeurs et principes dont celui-ci ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international ». C’est ensuite la nature du contrôle qui est rappelée, lequel « s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international ». Sur ces questions, rien de nouveau, la jurisprudence étant fixée depuis l’arrêt Belokon (Civ. 1re, 23 mars 2022, n° 17-17.981, Dalloz actualité, 10 mai 2022, obs. V. Chantebout ; ibid., 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 660
; ibid. 1773, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel
; ibid. 2330, obs. T. Clay
; RTD civ. 2022. 701, obs. P. Théry
; Gaz. Pal. 2022, n° 15, p. 11, obs. L. Larribère ; RDC 2022, n° 3, p. 43, note Y.-M. Serinet et X. Boucobza ; JDI 2022. 681, obs. K. Mehtiyeva ; JCP 2022. 1072, note B. Rémy ; ibid. 2022. Doctr. 724, obs. C. Seraglini ; Procédures 2022. Comm. 173, obs. L. Weiller).
Au cas d’espèce, la difficulté concerne une prétendue fraude procédurale. La cour rappelle que « La fraude procédurale commise dans le cadre d’un arbitrage peut être sanctionnée au regard de l’ordre public international de procédure. Elle suppose que des faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision prise par ceux-ci a été surprise ». Cette définition permet de bien mettre en lumière la dualité des conditions : il faut non seulement une fraude, mais il faut encore, et c’est décisif, établir l’influence de celle-ci sur la décision du tribunal arbitral. C’est souvent sur ce second aspect que la preuve n’est pas établie et conduit au rejet du recours.
C’est précisément le cas dans l’arrêt. La fraude résulte de la dissimulation de certains éléments au tribunal arbitral à propos de la date de l’investissement, puisque tout le débat repose sur le point de savoir s’il a eu lieu avant ou après le 1er janvier 1992. Toutefois, la cour considère que la décision du tribunal arbitral n’a pas été surprise par le défaut de production des éléments mis en lumière par la Russie. Elle souligne que le tribunal arbitral a considéré que « cette question était “sans objet”, la définition de l’investissement ne comportant “aucune obligation temporelle qui limiterait les investissements à ceux qui ont été réalisés après l’entrée en vigueur, dans la péninsule de Crimée, des obligations de la Fédération de Russie en vertu du traité” ». Elle déduit de ce constat que « la date originelle de réalisation de l’investissement par Oschadbank n’a pas été jugée par le tribunal arbitral comme déterminante de son raisonnement quant à la caractérisation de l’existence d’un investissement protégé au sens du Traité, de sorte qu’il ne peut être considéré que sa décision aurait été surprise par la dissimulation invoquée par la demanderesse au recours comme constitutive de l’élément matériel de la fraude ». Par conséquent, la seconde condition n’est pas caractérisée, ce qui interdit à la cour d’y voir une quelconque violation de l’ordre public international. Elle est d’autant moins encline à le faire qu’elle constate, au surplus, que l’existence de l’investissement à une date antérieure au 1er janvier 1992 était connue du tribunal arbitral, sans qu’il ait eu la volonté d’en tenir compte.
L’arrêt Wingstop mérite également une mention (Paris, 3 juin 2025, n° 23/17836, préc.). Il refuse d’élever au rang de règle d’ordre public international l’article L. 330-3 du code de commerce. La violation de cet article a pour spécificité, ce que rappelle la cour, de n’emporter la nullité du contrat « que dans la mesure où celui-ci a vicié le consentement du franchisé ». Il en découle, pour la cour, que « la méconnaissance, à la supposer acquise, ne peut être considérée comme portant atteinte à la conception française de l’ordre public international ». En creux, on comprend que c’est la sanction retenue par l’ordre juridique français qui est utilisée comme un indicateur d’impérativité de la disposition. Faute pour le législateur de voir une nullité systématique pour toute violation de la disposition, la qualification d’ordre public international est écartée.
L’arrêt Département des routes du ministère du Développement régional et des infrastructures de Géorgie est également intéressant, notamment en ce qu’il traite des liens entre l’arbitrage et une procédure collective étrangère (Paris, 9 sept. 2025, n° 22/15049). Si l’on est désormais habitué aux interactions entre une procédure collective française et l’arbitrage, c’est moins le cas avec une procédure menée à l’étranger. D’emblée, on peut affirmer que le traitement de la difficulté est relativement identique, dès lors que la procédure étrangère est reconnue en France. À cet égard, les procédures collectives européennes bénéficient d’un régime particulièrement favorable, comme le rappelle la cour : « En l’espèce, il n’est pas contesté que la procédure d’insolvabilité dont a fait l’objet [W], dite de « concordato preventivo », est régie par la seule loi italienne. En application du règlement (UE) 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité, elle produit sur le territoire de tout État membre de l’Union européenne les mêmes effets qu’en Italie, de sorte que l’éventuelle atteinte par la sentence déférée au principe d’égalité de traitement des créanciers doit s’apprécier au regard des règles du droit italien de l’insolvabilité ».
Ainsi, la procédure italienne produit immédiatement des effets dans toute l’Europe et c’est selon les règles italiennes que la question de la compatibilité de la sentence à l’ordre public international doit être examinée. La cour constate que le droit italien, au moins quant à la mesure mise en place, « ne prévoit pas de suspension des poursuites ni d’interdiction d’une action en justice pour obtenir une condamnation du débiteur, de sorte qu’en l’espèce, ni la poursuite de la procédure arbitrale, ni le principe d’une condamnation prononcée à l’encontre d’[W] à l’issue de celle-ci ne sauraient être contestés ».
Le débat glisse ensuite sur la partie dispositive de la sentence, à laquelle il est reproché de ne pas préciser les modalités de paiement, ce qui serait susceptible de porter atteinte à l’égalité des créanciers. La cour rejette toutefois l’argument. Elle constate, d’une part, que « la qualification de la créance du Département des routes en créance chirographaire ou privilégiée ne relevait pas de la mission du tribunal arbitral » et d’autre part, que le juge italien n’a vu aucune violation des principes d’ordre public dans la rédaction de la sentence. Ce dernier point est assez marquant, puisqu’il conduit à mobiliser une décision étrangère au soutien de la motivation, ce qui est suffisamment original en droit de l’arbitrage pour le signaler.
Quoi qu’il en soit, cette première incursion entre une procédure collective étrangère et une sentence arbitrale nous apporte deux enseignements que l’on pouvait déjà anticiper : d’une part, la difficulté ne naît que si la procédure étrangère est reconnue en France et, d’autre part, l’examen de la compatibilité se fait au regard des règles étrangères. Une façon de remettre du conflit de lois dans une matière qui, en général, en est dépourvue. Voilà qui fera plaisir à nos amis « DIPistes » !
L’affaire État du Koweït soulève également une intéressante question (Paris, 9 sept. 2025, n° 22/19221, préc.). Premièrement, il s’agit de savoir si l’atteinte aux droits fondamentaux d’une partie, notamment la réclusion au cours de la procédure, les menaces à l’encontre des conseils et des témoins et le harcèlement judiciaire, relèvent de l’ordre public procédural ou de l’ordre public substantiel. La cour tranche sans ambiguïté la question : « Les violations invoquées de ses droits fondamentaux relèvent donc de l’ordre public international de direction et il ne saurait être reproché à Mme [J] d’y avoir renoncé ». Cette solution est à l’honneur de la cour. Dire que l’on peut renoncer au débat contradictoire est une chose ; dire que l’on peut renoncer à faire valoir les atteintes aux droits humains que l’on subit en est une autre. Reste que l’on ne doute pas que cette porte ouverte pourrait inspirer des recourants. C’est sans doute un mal nécessaire.
Sur le fond, la cour rappelle que « la lutte contre les violations des droits de l’homme, protégés notamment par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et le Pacte des droits civils et politiques du 16 décembre 1966, figurent au rang des principes dont l’ordre juridique français ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international ». Toutefois, elle constate que la partie « n’établit pas en quoi ses droits de la défense auraient été bafoués dans le strict cadre de la procédure arbitrale ayant conduit à la sentence dont la cour est saisie ». Elle souligne également que tout indique que la partie a pu se défendre pendant la procédure arbitrale. Il en résulte que la sentence « a été rendue à l’issue d’une procédure dans le cadre de laquelle les droits de Mme [J] ont été respectés ».
La solution n’est pas véritablement étonnante. La violation des droits humains dont se prévaut la partie est susceptible d’ouvrir droit à une nouvelle demande contre l’auteur de ces violations. En revanche, si le résultat de la sentence n’est pas affecté par ces violations, il n’existe pas de véritable raison de la remettre en cause. En réalité, la partie échoue à établir un lien de causalité suffisant entre les violations de ses droits humains et le contenu de la sentence. À défaut, le recours est nécessairement rejeté.
Arbitrage et droit du sport
On sera rapide sur ces derniers développements, en raison d’une chronique déjà bien trop longue. Néanmoins, le lecteur ne peut passer à côté des arrêts rendus pendant la période estivale à propos du Tribunal arbitral du sport (TAS), tant par la Cour européenne des droits de l’homme dans l’affaire Semenya (10 juill. 2025, n° 10934/21, Dalloz actualité, 11 sept. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; AJDA 2025. 1691, chron. L. Burgorgue-Larsen
; D. 2025. 1302, et les obs.
; AJ fam. 2025. 420, obs. A. Dionisi-Peyrusse
; JCP 2025. Act. 1015, obs. C. Nourissat) que par la Cour de justice dans l’affaire Royal Football Club Seraing (CJUE 1er août 2025, aff. C-600/23, Dalloz actualité, 18 sept. 2025, obs. J.-M. Pastor ; AJDA 2025. 1517
; ibid. 1589, chron. P. Bonneville, E. Briançon, A. Iljic et E. Lepka
; CCC 2025. Comm. 135, note D. Bosco ; JCP 2025. Act. 1015, obs. C. Nourissat). L’un et l’autre ont pour point commun de faire tanguer très dangereusement le modèle du TAS, principalement à raison des insuffisances du contrôle réalisé par le Tribunal fédéral suisse lorsqu’il est saisi d’un recours contre la sentence.
La première affaire est bien connue (CEDH 11 juill. 2023, n° 10934/21, Dalloz actualité, 11 sept. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 1684, et les obs.
, note J. Mattiussi
; ibid. 2278, obs. T. Clay
; ibid. 2024. 1735, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel
; AJ fam. 2023. 421, obs. A. Dionisi-Peyrusse
; JS 2024, n° 249, p. 33, étude L. Donnellan et Jacob Kornbeck
; Rev. arb. 2023. 848, obs. J.-M. Marmayou ; Gaz. Pal. 31 oct. 2023. 16, obs. L. Larribère ; Paris Baby Arbitration 2023, n° 64, p. 10, obs. L. Nicot). La Cour européenne confirme, cette fois en grande chambre, la décision rendue deux années auparavant. Après avoir rappelé sa jurisprudence relative à l’arbitrage (§§ 195 s.) et, notamment, le principe selon lequel l’arbitrage doit être librement consenti, elle examine le cas particulier de l’arbitrage imposé. Si, per se, celui-ci n’est pas contraire à la Convention européenne, il nécessite une vigilance particulière. Elle relève notamment que « l’arbitrage en matière de sport s’inscrit dans le contexte du déséquilibre structurel qui marque souvent la relation entre les sportives et sportifs et les organisations dont dépendent les sports qu’ils pratiquent » (§ 200), ce qui exige « un examen particulièrement rigoureux de [l]a cause » (§ 209). Cette exigence particulière s’impose notamment au Tribunal fédéral suisse, qui est « tenu de procéder à un examen particulièrement rigoureux du recours en matière civile dont la requérante l’avait saisi ». Et c’est précisément là que le bât blesse.
La Cour européenne procède à un examen minutieux du contrôle de l’ordre public réalisé par le Tribunal fédéral suisse. Elle constate que « telle qu’interprétée par le Tribunal fédéral, la notion d’ordre public matériel est plus étroite encore que la notion d’arbitraire : pour être incompatible avec l’ordre public matériel, une sentence doit méconnaitre les valeurs essentielles et largement reconnues qui, selon les conceptions prévalant en Suisse, devraient constituer le fondement de tout ordre juridique. Une sentence est ainsi contraire à l’ordre public matériel lorsqu’elle viole des principes fondamentaux du droit de fond – dont la prohibition de mesures discriminatoires, la dignité humaine, la personnalité humaine et la liberté économique – “au point de ne plus être conciliable avec l’ordre juridique et le système de valeurs déterminants”. Le Tribunal fédéral a précisé que, pour qu’il y ait incompatibilité avec l’ordre public, il ne suffit pas que les preuves aient été mal appréciées, qu’une constatation de fait soit manifestement fausse ou encore qu’une règle de droit ait été clairement violée. Il a également précisé que, dans le cadre de son contrôle, il ne revoit pas à sa guise l’appréciation juridique à laquelle le tribunal arbitral s’est livré sur la base des faits constatés dans sa sentence, mais se borne à vérifier “si le résultat de cette appréciation juridique faite souverainement par les arbitres est compatible ou non avec la définition jurisprudentielle de l’ordre public matériel” » (§ 226). Il a spécifié en l’espèce que « l’annulation d’une sentence arbitrale internationale pour ce motif de recours [était] chose rarissime » ». Plus encore, elle ajoute que « d’après les éléments dont dispose la Cour, le Tribunal fédéral n’a à ce jour annulé qu’une seule sentence du TAS sur le fondement de l’ordre public » (§ 227).
Voilà donc un des arguments de l’attractivité du droit suisse taillé en pièce. C’est précisément l’insuffisance du contrôle de l’ordre public qui fonde la condamnation de la Suisse. La Cour européenne constate que « l’examen de cet aspect essentiel et circonstancié de la contestation de la requérante par le Tribunal fédéral, dans le cadre de l’exercice de sa compétence de contrôler la compatibilité de la sentence avec l’ordre public matériel, n’a pas fait l’objet de l’examen particulièrement rigoureux qu’appelaient les circonstances de l’espèce » (§ 230). La violation de l’article 6, § 1, est donc acquise.
La seconde affaire conduit la Cour de justice à une conclusion similaire, malgré des fondements différents. Cette fois, c’est l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux qui est en jeu et le respect du droit à un recours effectif. La cour juge qu’« à partir du moment où le mécanisme d’arbitrage instauré ou désigné par une telle convention est appelé à être mis en œuvre sur tout ou partie du territoire de l’Union, dans le cadre de litiges liés à l’exercice d’une activité économique sur ce territoire, ce mécanisme doit être conçu et mis en œuvre d’une manière assurant, d’une part, sa compatibilité avec les principes qui structurent l’architecture juridictionnelle de l’Union et, d’autre part, le respect effectif de l’ordre public de l’Union » (§ 82). Il faut donc qu’il existe une possibilité pour le justiciable de faire réaliser un contrôle effectif de la sentence (§ 86) par une juridiction susceptible de saisir la Cour de justice par la voie d’un renvoi préjudiciel (§ 85).
Pour la Cour de justice, ces exigences font obstacle à ce que l’autorité de la chose jugée et la force probante soit conférées à une sentence du TAS sur le territoire d’un État membre lorsque la conformité de ladite sentence aux principes et aux dispositions qui font partie de l’ordre public de l’Union n’a pas été contrôlée au préalable, de manière effective, par une juridiction de cet État membre, habilitée à saisir la Cour à titre préjudiciel.
On voit là encore que le système du TAS est frontalement remis en cause, non pas à propos de l’intensité du contrôle réalisé par le juge suisse, mais en raison de l’extériorité de la Suisse à l’Union. La Cour de justice, dans sa grande générosité, propose une solution : « Il est cependant possible, pour l’association sportive concernée, de mettre en place un mécanisme d’arbitrage soumis, compte tenu de son siège, à une telle voie de recours directe au sein de l’Union » (§ 99). Autrement dit, elle invite ni plus ni moins qu’à délocaliser le siège de l’arbitrage dans l’Union pour assurer la compatibilité du mécanisme avec son droit. Ce n’est pas la Place de Paris qui s’en plaindra !
Cass., ass. plén., 27 juin 2025, n° 22-21.146
Cass., ass. plén., 27 juin 2025, n° 22-21.812
Civ. 1re, 18 juin 2025, F-D, n° 22-22.850
CEDH 10 juill. 2025, n° 10934/21
CJUE 1er août 2025, aff. C-600/23
Paris, 27 mai 2025, n° 23/01618
Paris, 3 juin 2025, n° 23/17836
Paris, 5 juin 2025, n° 24/19548
Paris, 30 juin 2025, n° 25/00179
Paris, 1er juill. 2025, n° 22/20898
Paris, 1er juill. 2025, n° 23/02365
Paris, 1er juill. 2025, n° 24/00623
Paris, 1er juill. 2025, n° 24/05336
Paris, 8 juill. 2025, n° 22/18712
Paris, 8 juill. 2025, n° 25/00258
Paris, 10 juill. 2025, n° 23/13141
Paris, 10 juill. 2025, n° 24/16717
Paris, 9 sept. 2025, n° 22/15049
Paris, 9 sept. 2025, n° 22/19221
Paris, 9 sept. 2025, n° 24/00774
Paris, 16 sept. 2025, n° 23/18252
Paris, 16 sept. 2025, n° 24/18541
Décr. n° 2025-619 du 8 juill. 2025, JO 9 juill.
Paris, 8 juill. 2025, n° 25/00102
par Jérémy Jourdan-Marques, Professeur à l’Université Lumière Lyon 2
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