Chronique d’arbitrage : le juge anglais, juge universel de l’arbitrage ?

Une fois n’est pas coutume, la présente chronique mettra en avant une décision étrangère, avec un arrêt rendu par la Court of Appeal of England and Wales dans une affaire UniCredit Bank c/ RusChemAlliance. Pourquoi un tel intérêt ? En l’espèce, la cour décide d’accorder une anti-suit injunction au soutien d’une clause compromissoire prévoyant un arbitrage avec un siège à Paris. Le droit français de l’arbitrage est-il si fébrile au point que le juge britannique ait besoin de voler à son secours ?

Au-delà de cette intéressante décision, il convient de signaler le revirement de jurisprudence – attendu et espéré – opéré par la Cour de cassation dans l’arrêt Hémisphère (Civ. 1re, 28 févr. 2024, n° 22-16.151, D. 2024. 482 ). Après avoir, dans la même affaire, reconnu la compétence du juge du recours pour statuer sur le retrait litigieux, elle se dédit et revient à une interprétation stricte des textes. On signalera aussi un intéressant arrêt sur le préjudice indemnisable dans le cadre d’une action en responsabilité de l’arbitre (Civ. 1re, 14 févr. 2024, n° 22-22.469) et on fera enfin état des nouveaux développements à propos de l’arbitrage devant la Cour de justice, avec le déroutant arrêt Mytilinaios (CJUE 22 févr. 2024, aff. C-701/21).

L’anti-suit injunction au soutien d’une clause compromissoire avec siège à Paris

L’affaire UniCredit Bank c/ RusChemAlliance est intéressante, tant en ce qu’elle illustre les difficultés à coordonner harmonieusement les différents ordres juridiques qu’en ce qu’elle révèle l’incapacité du juge anglais à comprendre le droit français de l’arbitrage.

Le litige oppose RusChemAlliance (RCA), société russe, à UniCredit, une banque allemande. À l’origine, on trouve un contrat à propos de la construction d’infrastructures gazières, pour un montant qui se chiffre en milliards. L’engagement d’UniCredit est donné en garantie (on demand bonds) de l’exécution par les contractants de RCA de leurs obligations. Une partie du prix de construction a été payée en avance par RCA. Cependant, la guerre en Ukraine a interrompu l’exécution des contrats, notamment en raison des sanctions infligées par l’Union européenne à la Russie. Face à la rupture des contrats, RCA a demandé le remboursement de l’avance, d’une part aux contractants, d’autre part à UniCredit (et à d’autres banques, ce qui a d’ailleurs conduit à d’autres décisions des juges anglais, visées dans l’arrêt). C’est cette demande de mise en œuvre des garanties qui est au cœur du différend.

Chacune des garanties accordées par Unicredit présente deux caractéristiques : d’une part, elle est soumise au droit anglais et, d’autre part, elle prévoit un arbitrage CCI à Paris.

Malgré cette clause compromissoire, RCA saisit les juridictions russes en vue d’obtenir le paiement de la garantie. De son côté, UniCredit saisit les juridictions anglaises afin d’obtenir une injonction contre RCA de ne pas poursuivre la procédure devant les juridictions russes. Évidemment, personne n’a jugé opportun de saisir le tribunal arbitral voire les juridictions françaises.

Dans le cadre de la procédure anglaise, l’anti-suit a d’abord été refusée par une décision rendue par un juge unique le 22 septembre 2023. Elle a néanmoins été accordée en appel, par l’arrêt du 2 février 2024 qui nous intéresse (Court of Appeal of England and Wales, 2 févr. 2024, UniCredit c/ RusChemAlliance, case n° CA-2023-001933). 

La décision est intéressante à plusieurs titres. Elle l’est déjà pour tous ceux qui s’intéressent à la question de la loi applicable à la clause compromissoire. La cour offre une mise en application stimulante de la jurisprudence Enka de la Cour Suprême (UKSC, 9 oct. 2020, Enka Insaat Ve Sanayi AS v. OOO Insurance Company Chubb, [2020] UKSC 38). On sait que, de ce point de vue, les perceptions des juges anglais et français sont irréconciliables. Faut-il pour autant s’en désoler ? À notre estime, les voies empruntées par l’un et l’autre sont compréhensibles. Le juge français privilégie le recours aux règles matérielles depuis l’arrêt Dalico (Civ. 1re, 20 déc. 1993, n° 91-16.828, Rev. crit. DIP 1994. 663, note P. Mayer  ; RTD com. 1994. 254, obs. J.-C. Dubarry et E. Loquin  ; Rev. arb. 1994. 116, note H. Gaudemet-Tallon ; JDI 1994. 432, note E. Gaillard). Le juge anglais quant à lui préfère le recours à la méthode conflictuelle et recherche la volonté des parties. L’une et l’autre ont leurs mérites et leurs limites (sur le sujet, J. Jourdan-Marques, Faut-il consolider Dalico ? Réflexion sur les règles matérielles relatives à la compétence arbitrale, Rev. arb. 2021. 1049). Cette divergence d’appréciation ne soulève pas, en elle-même, de difficulté insurmontable, dès lors qu’elle ne présuppose pas à elle seule une différence de solution. Certes, l’affaire Kout Food a montré que les solutions peuvent être divergentes (UKSC, 27 oct. 2021, Kabab-Ji SAL v. Kout Food Group, [2021] UKSC 48 ; comp., Civ. 1re, 28 sept. 2022, n° 20-20.260, Dalloz actualité, 28 oct. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 157 , note D. Mainguy  ; ibid. 2022. 2330, obs. T. Clay  ; ibid. 2023. 1812, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel  ; Gaz. Pal. 2022, n° 36, p. 5, obs. L. Larribère ; ibid., n° 36, p. 22, obs. J. Clavel-Thoraval ; Rev. arb. 2022. 1367, note F.-X. Train ; Procédures 2022. Comm. 277, obs. L. Weiller ; JCP 2023. 221, obs. C. Seraglini ; ibid. Doctr. 143, obs. C. Nourissat). Ceci étant, il est indifférent aux yeux du juge français que les arbitres aient appliqué des règles différentes à la résolution de la question de la compétence. Pour cette raison, il est tout aussi indifférent qu’un juge étranger – plus encore s’il n’est pas le juge du siège – retienne une autre conception. Dans tous les cas, rien n’interdit que la solution relative à la compétence soit identique, nonobstant le droit appliqué.

Suivant sa propre logique, la juridiction londonienne retient que la loi applicable à la clause compromissoire figurant dans les garanties est le droit anglais. Il ne nous appartient pas d’apprécier son analyse sur ce point. En revanche, il est savoureux de voir le juge anglais donner son interprétation du droit français. Celui-ci retient que « Thus the principle of French law is not that a choice of Paris as the seat of arbitration means ipso facto that French law is to govern the arbitration agreement, but that the law governing the arbitration agreement depends on the parties’ common intention ». Il ajoute immédiatement : « It contains only a provision that the law governing an arbitration agreement is to be determined in accordance with the parties’ common intention, but that, ultimately, is no different from the principle which applies in English law ».

Au mieux, on fronce les sourcils, au pire, on hurle face à ce contresens de la jurisprudence française. La volonté des parties est au cœur du raisonnement français en matière de compétence. Néanmoins, elle ne l’est pas pour identifier la loi applicable à la clause, mais pour caractériser l’accord sur le recours à l’arbitrage. La règle sur laquelle se fonde cette recherche de la volonté des parties dans l’acceptation de la clause est une règle matérielle qui n’est jamais rien d’autre qu’une règle française. D’ailleurs, le juge français ne s’embarrasse pas de détails, puisqu’il applique sa règle matérielle française, que le siège soit situé en France ou à l’étranger. Autrement dit, il est inexact de dire que le droit français juge que la loi applicable à la clause dépend de la volonté des parties. Et il est inélégant, même de la part d’un juge anglais, de prétendre que les solutions des deux côtés de la Manche sont identiques.

Quid, toutefois, de l’arrêt Kout Food de la Cour de cassation ? Ne prévoit-il pas une faculté pour les parties de choisir la loi applicable à la convention d’arbitrage, donnant ainsi raison à la Cour d’appel de Londres ? L’attendu doit être relu, pour ne pas commettre d’impair. La Cour de cassation précise que la règle matérielle s’applique « à moins que les parties aient expressément soumis la validité et les effets de la convention d’arbitrage elle-même à une telle loi ». C’est donc un rapport de principe à exception : la règle matérielle s’applique, à moins qu’un accord exprès puisse être caractérisé. Accord exprès qui, depuis trente ans, n’a jamais été aperçu dans une seule affaire. Mais il est vrai que la Cour d’appel de Paris ne connaît que d’une petite centaine d’affaires par an. Sans doute, l’échantillon est-il insuffisant.

Ce qui est tout de même marquant, c’est que le droit anglais connaît lui aussi cette articulation du principe et de l’exception avec sa solution Enka. Or le juge anglais passe un long moment – particulièrement instructif – à expliquer en quoi le principe, la loi applicable à la convention d’arbitrage est celle applicable au contrat, ne doit pas céder trop facilement face à l’exception, la loi applicable à la convention d’arbitrage est susceptible d’être la loi du siège. En revanche, il aura fallu trois coups de cuiller à pot pour inverser le principe et l’exception du droit français. En somme, il est dommage que la solution se fonde sur une appréciation si fragile du droit français.

Ce débat sur le droit applicable à la convention d’arbitrage a un but. Contrairement au cas classique, il ne s’agit pas ici de statuer sur la validité ou l’applicabilité de la clause. Cette détermination du droit applicable sert de marchepied à la compétence pour prononcer l’anti-suit. La Court of Appeal l’affirme explicitement : « The fact that the contract, including the agreement to arbitrate, is governed by English law, together with the policy of English law that those who agree to arbitrate should adhere to their bargain, provides a sufficient interest or connection in this case ». La compétence anglaise est donc purement et simplement fondée sur la loi applicable, ce qui ne manque pas de surprendre.

Encore faut-il savoir si la situation mérite d’accorder une anti-suit. Sur ce point, le raisonnement du juge anglais se fait en deux temps. Premièrement, il note qu’aucun autre juge n’est disponible pour statuer. En particulier, le tribunal arbitral, s’il peut accorder une anti-suit, ne peut pas, aux yeux du juge anglais, être constitué avant plusieurs mois et rendre une décision susceptible d’être reconnue en Russie.

Deuxièmement, il note le risque que la procédure arbitrale n’ait jamais lieu, en raison d’une anti-suit croisée demandée au juge russe. Pour cette raison, il conclut que le juge anglais est le forum adéquat pour statuer sur la demande d’anti-suit injunction d’UniCredit.

Ce faisant, le juge anglais se présente comme le juge du « déni de justice arbitrale ». À première vue, cela n’a rien d’impressionnant pour un arbitragiste français. L’article 1505, 4°, du code de procédure civile propose une logique équivalente. Reste que la démarche qui sous-tend cette compétence est différente. Pour le juge français, il s’agit de permettre la constitution du tribunal arbitral ; pour le juge anglais, il s’agit de s’opposer à une procédure menée devant un juge étatique. En l’espèce, rien ne permet de garantir que l’arbitrage est en danger. Certes, la Cour note que « more fundamentally, it seems highly unlikely that an arbitration in Paris would be allowed to proceed ». Pour autant, l’affirmation est dénuée d’arguments solides. Comment savoir si un arbitrage est insusceptible d’avoir lieu, alors même que ni le demandeur ni le défendeur n’ont, à ce stade, tenté de le saisir ? Il y a tout lieu de penser, bien au contraire, que l’arbitrage est disponible et susceptible d’être mis en œuvre, grâce au soutien tant de l’institution que du juge d’appui français.

En réalité, on voit en creux se dessiner une conception différente. Pour le juge français, ce qui importe, c’est que l’arbitrage ait lieu. Il reste, en revanche, indifférent aux procédures parallèles. À l’inverse, pour le juge anglais, les procédures parallèles sont plus importantes que le déroulement de l’arbitrage. C’est donc contre elles qu’il faut lutter, sans se préoccuper réellement de l’arbitrage.

Reste à déterminer si une telle anti-suit injunction est susceptible de reconnaissance en France. Le juge anglais le dit sans frémir : il s’en moque. Il énonce ainsi : « The first was that the French courts would not recognise or enforce an English order. However, this is irrelevant in circumstances where it is most unlikely that UniCredit would ever seek recognition or enforcement of an English anti-suit injunction in France. What matters, as in Deutsche Bank, is that a French court would not regard an English anti-suit injunction as an interference with its own jurisdiction, which is a different point ». Il est vrai que le juge français est sans doute bien trop poli – ou désarmé – pour réagir à cette décision. La seule chose qu’il est susceptible de faire est d’en refuser la reconnaissance et l’exequatur, notamment après avoir constaté, conformément à la jurisprudence Munzer (Civ. 1re, 7 janv. 1964, Rev. crit. DIP 1964. 344, note H. Batiffol ; JDI 1964. 302, note B. Goldman ; JCP 1964. II. 13590, note B. Ancel), que le juge anglais est dépourvu de compétence pour la prononcer.

Insuffisant pour dissuader ce dernier de se prononcer.

En somme, ce qui est intéressant dans cette affaire, c’est que c’est l’absence de pouvoir du juge français d’accorder une anti-suit injunction qui donne au juge anglais le mobile pour retenir sa compétence. Faut-il y voir un handicap dont souffre le juge français dans la compétition mondiale ? D’un point de vue pragmatique, peut-être.

Pour autant, d’un point de vue plus théorique, on peut douter de l’opportunité pour le juge français de participer à ce combat de coqs, dont l’arbitrage est le dernier bénéficiaire.

Le principe compétence-compétence

La transmission de la clause

L’arrêt Hager concerne une question de transmission de la clause compromissoire (Civ. 1re, 14 févr. 2024, n° 22-19.385). Dans cette affaire, la société Hager produit des boîtiers de commande électronique contenant des cartes d’alimentation fabriquées par la société Asteel, dont les composants sont fournis par les sociétés Rutronik, lesquelles les acquièrent auprès de la société Infineon en vertu d’un contrat de distribution, stipulant une clause compromissoire. Autrement dit, trois contrats translatifs de propriété s’enchaînent et seul le premier d’entre eux contient une clause compromissoire. À la suite de dysfonctionnements affectant les cartes d’alimentation, la société Hager assigne la société Asteel en garantie des vices cachés. Cette dernière appelle en garantie les sociétés Rutronik et Infineon qui soulèvent devant le juge de la mise en état une exception d’incompétence tirée de la clause compromissoire et sollicitent le renvoi devant un tribunal arbitral pour connaître de l’ensemble du litige. La cour d’appel se déclare incompétente pour connaître de l’action intentée par Hager contre Asteel et pour connaître de l’appel en garantie formé par Asteel contre Rutronik et Infineon.

La Cour rejette le pourvoi, d’un seul bloc pour les deux questions. Sans rappeler l’attendu issu de l’arrêt ABS (Civ. 1re, 27 mars 2007, n° 04-20.842, D. 2007. 2077, obs. X. Delpech , note S. Bollée  ; ibid. 2008. 180, obs. T. Clay  ; Rev. crit. DIP 2007. 798, note F. Jault-Seseke  ; RTD civ. 2008. 541, obs. P. Théry  ; RTD com. 2007. 677, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2007. 785, note J. El-Ahdab ; JDI 2007. 968, note C. Legros ; LPA 2007, n° 192, note F. Parsy ; JCP 2007. II. 10118, note C. Golhe ; ibid. I. 168, § 11, obs. C. Seraglini ; ibid. I. 200, § 11, obs. Y.-M. Serinet ; LPA 2007, n° 160, note A. Malan ; Gaz. Pal. 21-22 nov. 2007. 6, note F.-X. Train ; CCC 2007. 166, note L. Leveneur), ce qui ne doit pas être négligé, la Cour énonce qu’« ayant retenu, par motifs propres et adoptés, que selon le rapport d’expertise judiciaire, les défaillances des cartes d’alimentation livrées à la société Hager par la société Asteel étaient imputables aux défauts affectant les composants vendus à ces sociétés par les sociétés Rutronik et acquis par ces dernières auprès du fabricant, la société Infineon, en vertu d’un contrat de distribution stipulant une clause compromissoire, la cour d’appel a pu en déduire qu’il n’était pas établi que cette clause fût manifestement inapplicable dans les relations entre l’ensemble des parties liées par des contrats translatifs de propriété, qu’elles aient ou non assigné le fabricant du composant défectueux ».

L’arrêt est doublement intéressant. D’une part, il révèle que la clause compromissoire est susceptible de jouer dans les relations entre l’ensemble des parties liées par des contrats translatifs de propriété. Elle produit ses effets tant dans l’action entre deux parties liées par un contrat dépourvu de toute clause que dans celle entre deux parties qui ne sont liées par aucun contrat. D’autre part, la Cour de cassation se garde bien de trancher positivement la question de la compétence arbitrale. Alors que dans des décisions comme ABS, la Cour de cassation a pris pour habitude de ne laisser aucun doute sur l’applicabilité de la clause compromissoire au litige, elle adopte une position bien plus réservée dans cette décision. Cette approche doit être saluée.

Si la présence d’une clause compromissoire impose un renvoi aux arbitres, il ne faut pas immédiatement en déduire son applicabilité au litige. Ce travail de recherche de la volonté des parties doit être réalisé par les arbitres sous le contrôle du juge du recours. Il peut conduire à retenir la compétence étatique pour trancher certains des litiges, si l’examen des contrats laisse apparaître une volonté particulière (sur la question, J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, Rev. arb. 2019. 685).

L’opposabilité de la clause aux tiers

On dira simplement un mot – car l’arrêt est très bref sur ce point – du nouvel épisode de l’affaire Sucrerie de Bois Rouge, qui revient en appel (Saint-Denis de la Réunion, 23 févr. 2024, n° 20/00235) après un célèbre arrêt d’assemblée plénière (Cass., ass. plén., 13 janv. 2020, n° 17-19.963, Dalloz actualité, 24 janv. 2020, obs. J.-D. Pellier ; ibid., 27 févr. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 416, et les obs. , note J.-S. Borghetti  ; ibid. 353, obs. M. Mekki  ; ibid. 394, point de vue M. Bacache  ; ibid. 2021. 46, obs. P. Brun, O. Gout et C. Quézel-Ambrunaz  ; ibid. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki  ; AJ contrat 2020. 80 , obs. M. Latina  ; RFDA 2020. 443, note J. Bousquet  ; Rev. crit. DIP 2020. 711, étude D. Sindres  ; RTD civ. 2020. 96, obs. H. Barbier  ; ibid. 395, obs. P. Jourdain  ; Gaz. Pal. 2020, n° 5, p. 15, obs. D. Houtcieff).

Pour mémoire, l’action est exercée par le tiers à un contrat, lequel se prévaut d’une faute contractuelle au soutien de son action extracontractuelle. Pourtant, le contrat utilisé au soutien de l’action contient une clause compromissoire. La cour d’appel l’écarte d’un revers de main, sur le fondement de l’article 1165 (ancien) du code civil. Elle écrit que « la compagnie QBE agit en qualité de tiers au protocole invoqué du 16 novembre 1989, dont elle n’a récupéré aucun droit par l’effet de l’indemnité versée à son assurée, laquelle est aussi étrangère à ce protocole d’accord. Ainsi, la clause d’arbitrage préalable alléguée ne peut lui être opposée ».

Du point de vue du droit de l’arbitrage, l’erreur de raisonnement est évidente. C’est une violation frontale de l’effet négatif du principe compétence-compétence. Quand bien même la clause ne serait pas opposable aux tiers – ce qui est très discutable (v. J. Jourdan-Marques, Action extracontractuelle et arbitrage, préc.) – cette circonstance ne remet pas en cause la priorité de l’arbitre pour statuer sur sa propre compétence. La solution est d’autant moins cohérente que la cour d’appel juge par ailleurs que la clause limitative de responsabilité est susceptible d’être opposée au tiers. Voilà donc les clauses du contrat qui, selon le bon vouloir de la cour, sont ou ne sont pas opposables. Tout cela n’a guère de sens, mais rend d’autant plus intéressante cette affaire, dont on attend avec beaucoup d’espoir un nouveau pourvoi.

La renonciation à la clause

La question de la renonciation à la clause compromissoire fait l’objet d’un traitement un peu particulier lorsqu’elle est confrontée à l’effet négatif du principe compétence-compétence. Là où, en principe, les prérogatives du juge sont limitées au contrôle du manifeste, le juge n’hésite pas à s’offrir certaines largesses en la matière, comme on a pu le voir à l’occasion de l’affaire Tagli’apau (Civ. 1re, 9 févr. 2022, n° 21-11.253, Dalloz actualité, 16 mars 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 358  ; ibid. 2330, obs. T. Clay  ; RTD com. 2022. 487, obs. E. Loquin  ; JCP 2022. 553, note M. de Fontmichel ; Gaz. Pal. 2022, n° 11, p. 23, note J. Clavel-Thoraval ; ibid., n° 15, p. 1, obs. L. Larribère ; Procédures 2022. Comm. 100, obs. L. Weiller ; JCP 2022. Doctr. 724, obs. L. Jandard ; JCP E 2022. 1307, note P. Casson). Cela s’explique, sans doute, en partie par la nature de cet argument, qui touche à la recevabilité de l’exception d’incompétence, ce qui offre au juge une plus grande liberté dans son examen.

Dans une affaire EuroDisney, la question de la renonciation se pose sous l’angle intéressant de deux litiges parallèles (Paris, 16 janv. 2024, n° 23/09079). À la suite de travaux de réhabilitation d’un hôtel, la société EuroDisney est assignée par l’entrepreneur. Elle lui oppose une clause compromissoire figurant dans le contrat. Pour tenter d’y faire échec, l’entrepreneur se prévaut de la renonciation d’EuroDisney à la clause. La raison à cela tient dans une action intentée par un sous-traitant. À l’occasion de celle-ci, Eurodisney a, d’une part, appelé en garantie l’entrepreneur et, d’autre part, opposé au sous-traitant une clause attributive de juridiction figurant dans le contrat de sous-traitance. La question est donc de savoir si ce comportement caractérise une renonciation à la clause compromissoire.

Pour l’écarter, la cour d’appel souligne que « la Cour de cassation retient une conception restrictive de l’inapplicabilité manifeste de la convention d’arbitrage, et juge que la renonciation au droit de se prévaloir d’une clause compromissoire ne peut résulter que d’actes manifestant sans équivoque la volonté de renoncer ». Elle retient ensuite trois arguments : premièrement, EuroDisney n’est pas à l’initiative de la procédure contre le sous-traitant ; deuxièmement, EuroDisney n’est pas lié contractuellement avec le sous-traitant ; troisièmement, le sous-traitant n’a pas connaissance de la clause compromissoire. À dire vrai, aucun de ces arguments n’est décisif. La cour d’appel part du principe que la clause compromissoire n’est pas applicable à l’action directe du sous-traitant. Pourtant, au moins en matière d’assurance, la jurisprudence a déjà statué en sens inverse (Civ. 1re, 6 nov. 2019, n° 18-18.292, Dalloz actualité, 6 janv. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay  ; 19 déc. 2018, n° 17-28.951, Dalloz actualité, 28 févr. 2019, obs. V. Chantebout ; ibid., 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay  ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude ; DMF 2019, n° 810, note P. Delebecque). Il n’y a donc rien d’évident à cette exclusion. Reste que la véritable question est de savoir si le fait de ne pas se prévaloir de la clause dans le cadre d’un litige interdit d’agir différemment dans un autre litige, plus encore lorsqu’il oppose des parties différentes. À notre estime, c’est sous cet angle que la question doit être débattue.

Le juge d’appui

Avec la mise en place de l’open data étendu aux décisions de première instance, les mois à venir vont permettre de prendre connaissance d’intéressantes décisions rendues par le juge d’appui. C’est déjà le cas, avec un jugement du 1er février 2024 rendu dans une affaire BZ Grains (TJ Paris, 1er févr. 2024, n° 23/59274). L’affaire est connue pour avoir donné lieu à un arrêt récent en matière de compétence (Paris, 4 avr. 2023, n° 22/07777, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal. 2023, n° 35, p. 9, obs. L. Larribère). Néanmoins, après la sentence sur la compétence, l’institution arbitrale a sollicité le paiement d’une provision complémentaire puis a prononcé le retrait des demandes. Le juge d’appui est saisi afin de voir prononcer une injonction visant à la poursuite de l’arbitrage.

La situation présente de très nombreuses similitudes avec l’affaire Garoubé (Civ. 1re, 13 déc. 2017, n° 16-22.131, Dalloz actualité, 16 janv. 2018, obs. X. Delpech ; D. 2018. 18  ; ibid. 2448, obs. T. Clay  ; RTD com. 2019. 39, obs. E. Loquin  ; Cah. arb. 2017. 701, note H. Barbier ; Procédures 2018, n° 2, p. 18, obs. L. Weiller ; Gaz. Pal. 2018, n° 11, p. 21, obs. D. Bensaude ; Rev. arb. 2018. 370, note V. Chantebout ; JDI 2019. 627, note K. Mehtiyeva). Pour cette raison, on n’est guère étonné de voir la demande subir le même sort. La question se subdivise en deux. Premièrement, elle est celle de la compétence du juge d’appui. Ici, elle ne pose pas de difficulté, puisqu’elle peut se fonder sur l’article 1505, 1°, du code de procédure civile. Deuxièmement, elle est celle des pouvoirs du juge d’appui. Le juge, après avoir écarté les articles 1457 et 1463 du code de procédure civile, rappelle à propos de l’article 1505, 4°, que la Cour de cassation « a ainsi écarté la thèse selon laquelle le 4° de l’article 1505 précité pouvait être lu autrement que comme une clause de forum necessitatis définissant la compétence internationale du président du Tribunal de Paris statuant comme juge d’appui, nonobstant l’opinion d’une partie de la doctrine selon laquelle la notion de déni de justice devrait emporter une compétence plus large du juge d’appui ». Autrement dit, les pouvoirs du juge d’appui ne sont pas illimités et se heurtent, notamment, au choix par les parties d’une institution d’arbitrage. C’est là aussi ce que rappelle le juge d’appui, qui souligne que « la demande d’injonction ne tend en réalité qu’à une remise en cause, devant le juge d’appui, de décisions d’organisation de l’arbitrage adoptées par la chambre sur le fondement de son règlement ». Or, selon lui, « une telle injonction excéderait les pouvoirs du juge d’appui, dont l’intervention dans le cours de l’arbitrage est subsidiaire ». Il s’en déduit que la demande est irrecevable, parce que s’il existe un différend avec l’institution d’arbitrage, celui-ci relève du juge du fond.

Les recours contre la sentence

Aspects procéduraux

Le retrait litigieux

L’affaire Hémisphère connaît enfin son épilogue ! Par un arrêt du 28 février 2024 (Civ. 1re, 28 févr. 2024, n° 22-16.151, D. 2024. 482 ), la Cour de cassation mange son chapeau et opère un revirement de jurisprudence très attendu.

Pour mémoire, l’affaire oppose une société de gestion de placements de droit américain (la société Hémisphère) à la République démocratique du Congo. À l’origine, deux sentences arbitrales rendues il y a plus de vingt ans dans des litiges relatifs à la construction d’une ligne de transport d’énergie électrique à haute tension et d’un aménagement hydraulique. Depuis, le créancier originel a cédé ses créances à la société Hémisphère. C’est donc le cessionnaire qui en poursuit l’exécution. Dans le cadre de deux recours contre les sentences (une rendue en France, l’autre à l’étranger), la République démocratique du Congo invoque le retrait litigieux.

Dans un premier arrêt d’appel (Paris, 12 avr. 2016, n° 11/20732, Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 24, obs. D. Bensaude), la cour a rejeté le moyen, au motif que « la mission de la cour d’appel, saisie en application de l’article 1520 du code de procédure civile, est limitée à l’examen des vices énumérés par ce texte ». Las, la Cour de cassation a, dans un arrêt très remarqué, cassé la décision, au visa de l’article 1699 du code civil (Civ. 1re, 28 févr. 2018, n° 16-22.112, Dalloz actualité, 20 mars 2018, obs. J.-D. Pellier ; D. 2018. 516  ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée  ; ibid. 2448, obs. T. Clay  ; AJ contrat 2018. 187, obs. J. Jourdan-Marques  ; Rev. crit. DIP 2018. 862, note H. Muir Watt  ; RTD civ. 2018. 411, obs. H. Barbier  ; ibid. 431, obs. P.-Y. Gautier  ; Rev. arb. 2018. 389, note M. Laazouzi ; Procédures 2018, n° 5, obs. L. Weiller ; JCP 2018. 1111, note P. Casson ; RDC 2018. 354, note R. Libchaber ; JDI 2018. 1202, note P. Pinsolle). La motivation de l’arrêt de cassation était succincte, la Cour se limitant à énoncer que « l’exercice du retrait litigieux affecte l’exécution de la sentence ». Cette solution posait d’immenses difficultés. En jugeant ainsi, la Cour de cassation faisait voler en éclat le caractère limitatif des cas d’ouverture du recours.

Heureusement, la Cour d’appel de Paris était là pour remettre l’église au milieu du village (Paris, 7 déc. 2021, nos 18/10217 et 18/10220, Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 1773, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel  ; Gaz. Pal. 3 mai 2022, p. 4, obs. L. Larribère). Elle n’a pas hésité à dispenser à la Cour de cassation une leçon sur les prérogatives du juge du recours. La cour d’appel a jugé que « l’exercice du droit de retrait litigieux devant le juge du contrôle de l’exequatur n’a pas pour effet de modifier et d’étendre les pouvoirs de ce juge au-delà des cas prévus par la loi ». Surtout, elle ajoutait, en prenant soin de souligner elle-même, qu’il « convient de rappeler que dans le cadre de ce contrôle, en application de l’article 1525 du code civil, la “cour d’appel ne peut refuser la reconnaissance ou l’exequatur de la sentence arbitrale que dans les cas prévus à l’article 1520” (souligné par la Cour) ». Pour conclure, après avoir recopié l’intégralité de l’article 1520, elle juge qu’« il ressort de ces dispositions que ne figure pas dans les cas de refus possibles de l’exequatur l’exercice d’un droit au retrait litigieux ».

La Cour de cassation s’incline. Ou plutôt, elle s’incline partiellement, puisqu’elle casse tout de même l’arrêt, comme pour signifier que c’est à elle d’avoir le dernier mot. Au visa des articles 1516, alinéa 1er, 1520, 1525 et 1527, alinéa 2, du code de procédure civile, elle retient : « La Cour de cassation a jugé, en 2018, que le juge du contrôle de l’exequatur peut statuer sur une demande d’exercice du retrait litigieux, en application de l’article 1699 du code civil, dès lors qu’elle affecte l’exécution de la sentence, et cassé un arrêt l’ayant déclarée irrecevable. Cette solution poursuivait un objectif de concentration des demandes tendant à faire obstacle à l’exécution de la sentence devant le juge du contrôle de l’exequatur d’une sentence arbitrale rendue à l’étranger. Néanmoins, l’objet de cette instance est de contrôler la validité de la sentence, en application des critères posés par l’article 1520 du code de procédure civile, pour admettre ou refuser son insertion dans l’ordre juridique interne. Par ailleurs, la procédure d’exequatur étant préalable à l’exécution forcée, elle ne constitue pas un acte d’exécution. En outre, le défaut de pouvoir juridictionnel d’un juge constitue une fin de non-recevoir. Enfin, le rejet au fond d’une demande d’exercice du droit au retrait litigieux par le juge chargé du contrôle de l’exequatur ferait obstacle à son examen ultérieur par un autre juge. En application des articles L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire et R. 121-1 du code des procédures civiles d’exécution, c’est le juge de l’exécution qui connaît, de manière exclusive, des difficultés relatives aux titres exécutoires et des contestations qui s’élèvent à l’occasion de l’exécution forcée, même si elles portent sur le fond du droit, de sorte que tout autre juge doit relever d’office son incompétence. Ainsi, la Cour de cassation juge, depuis 2022, au visa de ces textes, qu’il entre dans les pouvoirs du juge de l’exécution, saisi à l’occasion d’une demande en mainlevée d’une saisie-attribution, de statuer sur un retrait litigieux et son incidence sur la créance. Dès lors, il y a lieu de juger désormais qu’est irrecevable une demande d’exercice d’un droit au retrait litigieux formée devant le juge du contrôle de l’exequatur d’une sentence arbitrale rendue à l’étranger comme n’entrant pas dans les cas prévus à l’article 1520 du code de procédure civile ».

La solution de la cour d’appel est reprise par la Cour de cassation dans ses deux principales dimensions. D’une part, le juge du recours – en annulation ou contre l’ordonnance d’exequatur – n’est pas compétent pour connaître du retrait litigieux. Ses prérogatives sont limitativement énumérées par l’article 1520 du code de procédure civile, quand bien même il existe quelques exceptions (par ex., le juge du recours peut connaître des questions de recevabilité, comme l’a jugé la Cour de cassation, Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 21-50.053, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 739  ; ibid. 2278, obs. T. Clay  ; Gaz. Pal. 2023, n° 35, p. 1, obs. L. Larribère ; Rev. arb. 2023. 671, note S. Bollée). D’autre part, la compétence pour connaître du retrait litigieux incombe au juge de l’exécution, comme l’a indiqué la cour d’appel. Ce point est en réalité discutable, dès lors que l’on peut considérer que la clause compromissoire s’oppose à cette compétence pour en connaître.

Quoi qu’il en soit, la solution est salutaire et il faut savoir gré à la Cour de cassation d’avoir mis fin à une jurisprudence inappropriée. L’office du juge est limité par l’objet du recours : il examine la validité de la sentence et son insertion dans l’ordre juridique français, sans préjudice des contestations relatives à la créance. Quand bien même l’objectif de concentration du contentieux est louable, il ne doit pas faire naître un contentieux parasite incontrôlable.

Pourquoi, en dépit de cet accord sur le plan des principes, l’arrêt est-il cassé ? En réalité, il l’est pour une raison procédurale. La cour d’appel a pris le parti de rejeter le recours. La Cour de cassation considère la sanction inadéquate et y substitue une irrecevabilité. La solution est logique : puisque le juge du recours est dépourvu de pouvoir pour examiner cette demande, c’est bien l’irrecevabilité qui constitue la sanction idoine. Inutile, néanmoins, d’opérer un renvoi au juge du fond ; la Cour de cassation casse sans renvoi, en substituant l’irrecevabilité au rejet de la demande.

L’affaire Hémisphère est terminée et, avec elle, les errements dans les pouvoirs du juge du recours.

Le sursis à statuer

Deux décisions rendues dans les dernières semaines permettent de revenir sur la question du sursis à statuer, en particulier parce que la cour rejette la demande dans un cas et l’accueille dans l’autre.

Dans la première affaire (Paris, 23 janv. 2024, n° 23/01526), qui a déjà donné lieu à une ordonnance du conseiller de la mise en état examinée dans ces colonnes (Paris, ord., 28 sept. 2023, n° 21/18611, Dalloz actualité, 13 nov. 2023, obs. J. Jourdan-Marques), la demande de sursis à statuer est fondée, d’une part, sur l’existence d’une procédure pénale et, d’autre part, sur l’existence d’une procédure civile, toutes deux en cours en Algérie. La procédure pénale concerne une plainte pour faux et usage contre un procès-verbal d’un conseil d’administration à l’occasion duquel il a été consenti à la clause compromissoire. La cour rappelle toutefois qu’elle n’est pas tenue, selon l’article 4, alinéa 3, du code de procédure pénale, d’accorder un sursis à statuer. Pour écarter la demande, elle constate que le tribunal arbitral a écarté la pièce litigieuse et a statué sur sa compétence indépendamment de celle-ci. À propos de la procédure civile, il est prétendu que les juridictions algériennes pourraient, au regard des développements de l’enquête pénale, juger la clause compromissoire litigieuse comme étant manifestement nulle ou manifestement inapplicable ce qui, en application de l’article 1448, alinéa 1er, du code de procédure civile français, donnerait compétence aux juridictions algériennes pour statuer sur la compétence du tribunal arbitral, par dérogation au principe compétence-compétence. Cette argumentation est révélatrice de certaines confusions dans le fonctionnement du droit français de l’arbitrage, sachant que la cour d’appel est saisie d’un recours en annulation contre une sentence… Logiquement, elle rejette là aussi la demande de sursis à statuer, en précisant qu’il n’est pas expliqué « en quoi la cour serait liée par la décision de la juridiction étatique algérienne et privée du contrôle qu’elle doit opérer sur la compétence ». De façon générale, il faut bien dire que la probabilité pour une partie d’obtenir un sursis à statuer du juge français, juge de l’annulation, sur le fondement de procédures en cours à l’étranger est faible. Au regard de l’argumentation présentée, on n’est donc guère étonné de voir la demande rejetée.

Dans la seconde affaire, qui est la suite de la fameuse saga Sultan de Sulu (Paris, 6 juin 2023, n° 21/21386, Dalloz actualité, 11 sept. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay  ; JCP 2023. 829, obs. D. Mainguy ; Gaz. Pal. 2023, n° 35, p. 6, obs. L. Larribère ; Cah. arb. 2023. 583, note J. Jourdan-Marques ; Rev. arb. 2023. 1070, note F.-X. Train), la cour est saisie d’une demande de sursis à statuer dans le cadre du recours contre la sentence finale (Paris, 9 janv. 2024, n° 22/04007). En effet, l’arrêt ayant statué sur la sentence sur la compétence a fait l’objet d’un pourvoi et la question est de savoir s’il est pertinent d’attendre son examen avant de poursuivre l’instance à propos de la sentence au fond. La cour accueille la demande de sursis à statuer. Elle juge qu’« il ne peut ainsi être considéré que la poursuite de la procédure serait gage de simplification, de célérité et d’allégement dans le traitement définitif de l’affaire. Le prononcé d’un sursis permettrait au contraire de tirer dans la présente instance toutes conséquences de droit de la solution qui se dégagera de l’arrêt de la Cour de cassation à intervenir, en évitant un second pourvoi et en assurant une économie de moyens pour l’ensemble des acteurs du procès ».

Surtout, elle ajoute à propos des conséquences d’un sursis sur des procédures menées à l’étranger, que « la bonne administration de la justice ne peut en effet être appréciée au regard du sort de procédures conduites à l’étranger qui ne sont pas de nature à avoir une incidence sur le traitement de l’affaire et sur lesquelles le juge français n’a aucune prise ». Si la motivation contient d’autres arguments intéressants, la solution révèle qu’il est plus aisé d’obtenir un sursis à statuer en cas de procédures parallèles en France que pour des procédures menées à l’étranger. Plus encore, en cas de recours dissocié entre la sentence partielle et la sentence finale, le pourvoi contre l’arrêt rendu à propos de la première est susceptible de fonder le sursis à statuer dans le recours contre la seconde.

La demande de production de pièces

L’article 788 du code de procédure civile, applicable au conseiller de la mise en état par renvoi de l’article 907 (avant l’entrée en vigueur du décr. du 29 déc. 2023) prévoit que « le juge de la mise en état exerce tous les pouvoirs nécessaires à la communication, à l’obtention et à la production des pièces ». Ainsi, à l’occasion de leur recours contre la sentence, les parties peuvent saisir le conseiller de la mise en état d’une demande de production de documents. Pourtant, les décisions sont rares et l’ordonnance Petrosantander est instructive (Paris, ord., 30 janv. 2024, n° 22/16683). Faute d’avoir obtenu la production d’une pièce pendant la procédure arbitrale, une partie en fait la demande au conseiller de la mise en état. Pour statuer, le conseiller précise qu’il doit apprécier « le mérite d’une demande d’injonction de communication de pièces en fonction de la pertinence, du bien-fondé ou de l’utilité des documents ou pièces désignées au regard du litige en cause, et de leur caractère déterminé et suffisamment identifiable ». Surtout, il ajoute une précision décisive : « en matière de recours contre les sentences arbitrales, le contrôle de la cour, et a fortiori du conseiller de la mise en état est exclusif de toute révision au fond de la sentence, et l’appréciation du mérite d’une demande de communication de pièce ne peut excéder les pouvoirs du juge de l’annulation limités, en matière de sentence internationale, par l’article 1520 du code de procédure civile. Il y a lieu de dire que le conseiller de la mise en état est compétent dans lesdites limites pour ordonner la production de pièces ou pour ordonner une expertise ». Cette exigence, qui lie l’obtention d’une mesure de production de pièces aux cas d’ouverture, limite de façon conséquente la faculté du conseiller de la mise en état de faire droit à la mesure. Elle impose au demandeur d’établir en quoi sa demande s’insère dans le cadre de l’exercice du recours et qu’elle ne touche pas au fond du litige. C’est la raison pour laquelle la demande est, en l’espèce, rejetée, le conseiller de la mise en état constatant que « la demande de communication des pièces a pour objet d’inviter la cour à se prononcer sur une question de fond appréciée par le tribunal arbitral, ce qui ne relève pas de son office ».

La demande en intervention

L’affaire Antrix, bien connue des spécialistes d’arbitrage (Civ. 1re, 4 mars 2020, n° 18-22.019, Dalloz actualité, 4 mai 2020, note J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 608  ; ibid. 2484, obs. T. Clay  ; RTD civ. 2020. 617, obs. H. Barbier  ; JDI 2021. 612, note C. Debourg ; Procédures 2020, n° 6, p. 23, obs. L. Weiller ; JCP E 2020, n° 42, p. 23, note P. Casson), n’est pas terminée. Alors qu’elle a déjà donné lieu à une décision en matière d’intervention du liquidateur et des actionnaires d’une partie au litige (Paris, 22 mars 2022, n° 20/05699, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques), la question se pose cette fois à propos d’un tiers subrogé (Paris, ord., 13 févr. 2024, n° 22/11819). Des investisseurs ont signé avec les bénéficiaires de la sentence des assignment agreements, soumis au droit anglais, afin de transférer leurs droits dans les sentences. Ils ont régularisé des conclusions d’intervention volontaire dans le cadre de l’appel de deux ordonnances d’exequatur.

Après avoir rappelé les articles 325 et 554 du code de procédure civile, la cour d’appel commence par juger que « si la nature contractuelle de l’arbitrage s’oppose à ce qu’un tiers, qui n’a pas été partie à la procédure arbitrale, puisse intervenir dans le recours en annulation formé contre la sentence ou lors de l’appel interjeté contre l’ordonnance lui ayant conféré l’exequatur, elle ne fait en revanche pas obstacle, par principe, à l’intervention d’une personne subrogée dans les droits de l’une des parties à l’arbitrage, sauf à démontrer la volonté des parties de limiter ou d’interdire la possibilité d’un tel transfert de droits ». La position hostile à l’intervention des tiers dans les recours contre les sentences n’est pas nouvelle (v. déjà, Paris, 18 sept. 2003, Rev. arb. 2004. 311 [3e esp.], note J.-B. Racine ; 24 sept. 2019, n° 17/14143, Dalloz actualité, 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay ). Elle se fonde sur la nature contractuelle de l’arbitrage. La volonté des parties de résoudre leur litige « en privé » s’étend au contentieux post-arbitral (v. sur ce point, C. Jarrosson, obs. ss. Paris, 27 févr. 1997, Rev. arb. 1997. 159). En réalité, cet argument peine à convaincre. Si l’effet relatif de la convention d’arbitrage justifie une exclusion des tiers durant la procédure arbitrale, on peut douter de la pertinence d’étendre la solution aux voies de recours. De ce point de vue, la confrontation avec le caractère indisponible des voies de recours (Paris, 29 mars 2001, Rev. arb. 2001. 543, note D. Bureau ; Civ. 1re, 6 avr. 1994 et Paris, 27 oct. 1994, Rev. arb. 1995. 263, note P. Level) peut conduire à retenir la solution inverse. Reste que la cour d’appel réserve l’hypothèse de la subrogation. Le tiers, substitué au créancier par l’effet du paiement de la créance, bénéficie du droit à intervenir dans l’exercice des voies de recours pour faire valoir les droits qui sont désormais les siens. On peut imaginer que la solution vaut pour d’autres mécanismes issus du régime général des obligations, en particulier la cession de créances.

Le conseiller de la mise en état ajoute que « le fait que l’article 1527 du code de procédure civile, aux termes duquel l’appel de l’ordonnance ayant statué sur l’exequatur et le recours en annulation de la sentence sont formés, instruits et jugés selon les règles prévues aux articles 900 à 930-1, ne renvoie pas aux dispositions précitées n’est pas de nature à écarter la possibilité d’une telle intervention, ce texte n’ayant d’autre objet que de soumettre l’examen du recours aux règles de la procédure d’appel avec représentation obligatoire, sans qu’il puisse s’en déduire l’impossibilité d’une intervention volontaire en cas de subrogation de droits, sauf à porter atteinte au droit d’accès au juge d’appel ». L’énoncé est remarquable, en ce qu’il contredit la solution retenue par la cour d’appel dans la décision du 22 mars 2022. La solution doit être approuvée. Le renvoi réalisé par l’article 1527 du code de procédure civile vise la procédure d’appel avec représentation obligatoire, mais n’interdit pas l’application du reste des dispositions du code de procédure civile. Cela n’a, par exemple, aucun sens de priver l’arrêt statuant sur le recours de l’autorité de la chose jugée au prétexte qu’il n’est pas renvoyé à l’article 480 du code de procédure civile. C’est d’ailleurs une logique similaire qui a guidé la Cour de cassation lorsqu’elle a reconnu l’ouverture de la tierce opposition contre le jugement d’exequatur (Civ. 1re, 26 mai 2021, n° 19-23.996, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 1034  ; ibid. 2272, obs. T. Clay  ; Rev. arb. 2021. 474, note S. Akhouad-Barriga ; Procédures 2021. Comm. 225, obs. L. Weiller ; JCP E 2022. 1081, note D. Mainguy ; JDI 2022. Comm. 15, note S. Bollée ; JCP 2021. 1280, obs. C. Seraglini ; Gaz. Pal. 22 juin 2021, p. 30, obs. C. Berlaud ; ibid. 31 août 2021, p. 25, obs. P. Casson ; RDC 2021. 52, obs. Y.-M. Serinet et X. Boucobza). Cette analyse peut emporter des effets au-delà du cas de l’intervention. Ainsi, en l’état actuel du droit, la radiation est refusée, précisément au motif qu’il n’est pas fait renvoi aux dispositions du code sur ce mécanisme par l’article 1527. La présente décision sera peut-être à l’origine d’une évolution sur la question.

Les pouvoirs de la cour d’appel après l’annulation d’une sentence interne

L’article 1493 du code de procédure civile énonce que « lorsque la juridiction annule la sentence arbitrale, elle statue sur le fond dans les limites de la mission de l’arbitre, sauf volonté contraire des parties ». La question est de savoir comment une volonté contraire des parties peut être exprimée. L’arrêt Euro Grains (Paris, 5 mars 2024, n° 23/02753) permet de la trancher à propos des dispositions du règlement d’arbitrage. En l’espèce, celui-ci prévoit qu’en cas d’annulation de la sentence, le litige est à nouveau porté devant la chambre à la demande de l’une ou l’autre des parties, selon les modalités du présent règlement. Faut-il y voir l’expression d’une volonté conforme à l’article 1493 du code de procédure civile ? La réponse apportée par la cour d’appel est positive. Elle l’est même en cas de contestation sur l’existence du contrat dans lequel figure la clause compromissoire. À ce propos, la cour précise que « nonobstant le différend qui oppose les parties sur l’existence d’un contrat entre elles, la société Euro Grains et le Gaec de Bellevue admettent l’existence d’une clause compromissoire, conformément au principe d’autonomie de la clause compromissoire ». En conséquence, elle se déclare incompétente pour trancher le litige au fond.

Aspects substantiels

La compétence du tribunal arbitral

Les règles applicables à la compétence

La question des règles applicables à la compétence arbitrale est bien connue et, pourtant, on oublie parfois d’en manier les subtilités. C’est un reproche qu’on ne peut pas faire au recourant dans une affaire Sigasécurité, même si finalement la stratégie échoue (Paris, 5 mars 2024, n° 22/05167).

Tout commence sur la qualification de l’arbitrage : interne ou international ? Le demandeur plaide en faveur du caractère interne. Voilà qui est audacieux, alors que les parties sont ivoiriennes, que l’institution choisie est domiciliée à Paris et que le siège de l’arbitrage est fixé en France. En creux, cela pose la question de savoir si un arbitrage interne est nécessairement un arbitrage interne à l’ordre juridique français. Spontanément, on a envie d’apporter une réponse positive. Reste que, nulle part dans le code, une telle condition est exigée. Dès lors, il n’est pas interdit de plaider en faveur d’un arbitrage interne à l’ordre juridique ivoirien.

Au soutien de cette analyse, le plaideur prétend que le litige porte sur la distribution de dividendes qui devait être effectuée, sur le fondement des statuts, par la société ivoirienne Sigasécurité au profit de personnes physiques domiciliées en Côte d’Ivoire, aucun transfert international de dividendes par-delà la frontière ivoirienne n’étant donc en cause. La cour d’appel n’est pas de cet avis. Elle juge que « le caractère international de l’arbitrage doit être déterminé en fonction de la réalité économique du processus à l’occasion duquel il est mis en œuvre […]. De même, la qualification, interne ou internationale, d’un arbitrage, déterminée en fonction de la nature des relations économiques à l’origine du litige, ne dépend pas de la volonté des parties. L’arbitrage est ainsi international en fonction du litige qui en est l’objet ». Voilà un raisonnement qui colle mal à la lettre de l’article 1504 du code de procédure civile. Pire, c’est une analyse qui est en contradiction avec la solution retenue par la jurisprudence dans la célèbre affaire Tapie, qui invite le juge à se placer « au moment du compromis » (Civ. 1re, 30 juin 2016, nos 15-13.755, 15-13.904 et 15-14.145, Dalloz actualité, 30 août 2016, obs. X. Delpech ; D. 2016. 1505  ; ibid. 2025, obs. L. d’Avout et S. Bollée  ; ibid. 2589, obs. T. Clay  ; Rev. crit. DIP 2017. 245, note J.-B. Racine  ; JCP 2016. 954, note S. Bollée ; Procédures 2016, n° 290, obs. L. Weiller ; Rev. arb. 2016. 1123, note P. Mayer ; Cah. arb. 2017. 339, note M. Henry). Pourtant, la cour d’appel considère que l’objet du litige ne se limite pas à la question des dividendes, mais s’insère dans une opération plus générale de cession de parts sociales, qui a bel et bien un caractère international.

Cette affaire révèle une fois de plus que, chaque fois qu’il doit être mis en œuvre, le critère de l’internationalité est d’un maniement délicat (à tel point que certains en demandent la suppression, T. Clay, Pour un renouvellement du critère de l’internationalité de l’arbitrage, in Mélanges Loïc Cadiet, LexisNexis, 2023, p. 317).

Or l’enjeu n’est pas des moindres. C’est là qu’il convient de basculer sur la question de la compétence. Au soutien de son recours, le demandeur se fonde sur le droit interne ivoirien. Si le moyen est inapproprié en présence d’un arbitrage international, il ne l’est pas en matière interne. Autrement dit, la validité de la clause compromissoire dépend de la qualification de l’arbitrage : interne, la clause n’est pas valable sur le fondement du droit ivoirien ; international, la clause est valable grâce au soutien des règles matérielles françaises. La cour ayant opté pour la seconde branche de l’analyse, elle reconnaît tant la validité que l’applicabilité de la clause.

Reste que cet arrêt permet de mettre en lumière deux difficultés. Premièrement, il y a quelque chose d’incongru à ce que la validité de la clause compromissoire dépende indirectement de l’internationalité ou de l’internité du litige. La validité doit dépendre de critères identifiables a priori et non de la nature du litige a posteriori. À ce titre, on ne peut pas être satisfait par la situation. Deuxièmement, il faut avoir en tête que, si l’internité avait été retenue, cela aurait conduit à une différence de régime en fonction du siège. En effet, la fixation du siège en France permet d’envisager le caractère interne de la sentence et, par ricochet, l’application des règles internes à la validité de la clause compromissoire. En revanche, pour le même litige, le siège fixé à l’étranger aurait conduit à ce que la sentence soit contrôlée, lors d’une demande d’exequatur, comme une sentence internationale. Autrement dit, on peut se retrouver pour une même sentence à appliquer au contrôle de la compétence des règles de référence différentes, en fonction du lieu où le siège est fixé. Là encore, la situation n’est guère satisfaisante. À ce double titre, l’arrêt ne manque pas de susciter la réflexion.

L’acceptation de la clause compromissoire

Il n’est pas rare, dans les milieux où les contrats ne font pas l’objet d’un processus de signature, de trouver des contestations sur l’acceptation de la clause compromissoire. C’est le cas en matière agricole, comme le révèle l’arrêt DCU Potatoes (Paris, 20 févr. 2024, n° 23/01702), rendu en matière internationale. La clause compromissoire figure dans des conditions générales de la confirmation de vente. Celles-ci précisent que, sauf contestation dans les quarante-huit heures de la réception, le contrat sera considéré comme ferme et définitif. Pour la cour, cela suffit à fonder la compétence du tribunal arbitral. Elle juge que « DCU Potatoes, qui ne conteste pas avoir reçu les confirmations de vente comportant ces conditions de vente, n’a émis aucune protestation contre les termes de ce contrat et n’a pas manifesté son désaccord avec la clause compromissoire dans le délai de quarante-huit heures ainsi stipulé, son opposition à l’arbitrage n’ayant été formulée qu’une fois la procédure engagée ». Voilà une solution appropriée qui peut tout à fait être transposée en matière interne, où le contentieux en la matière est abondant.

Par ailleurs, le recourant met en avant son incompréhension de la langue française pour justifier son défaut d’acceptation. La cour considère que l’inverse est établi par les pièces rapportées. Cela dit, la cour aurait pu être plus ferme : le défaut de maîtrise de la langue ne doit jamais, en particulier en matière internationale, être considéré comme un motif de non-acceptation de la convention d’arbitrage.

Compétence et traité d’investissement

En matière d’arbitrage d’investissement, les modalités du contrôle de la compétence ont été fixées par l’arrêt Oschadbank (Civ. 1re, 7 déc. 2022, n° 21-15.390, Dalloz actualité, 9 janv. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2228  ; ibid. 2023. 1812, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel  ; ibid. 2278, obs. T. Clay  ; Procédures 2023, n° 2, p. 21, obs. L. Weiller ; JDI 2023. 592, note M. Audit ; Gaz. Pal. 16 mai 2023, obs. L. Larribère). Cette solution, qui a fait évoluer la nature du contrôle du juge du recours, a depuis été reprise par la Cour d’appel de Paris, qui l’applique avec rigueur. C’est le cas dans une affaire Ustay (Paris, 23 janv. 2024, n° 21/01507), qui en reprend l’attendu, en énonçant que « la compétence du tribunal arbitral et l’étendue de son pouvoir juridictionnel dépendent de ce traité, le consentement de l’État à l’arbitrage procédant de l’offre permanente d’arbitrage adressée à une catégorie d’investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu’il définit ».

D’abord, le champ d’application ratione temporis de la convention d’arbitrage échappe au juge du recours, à l’exception de la question de l’entrée en vigueur du traité. C’est de ce dernier dont il est ici question, la Libye faisant valoir, d’une part, que le traité conclut avec la Turquie n’est pas en vigueur et, d’autre part, que le litige est antérieur à l’entrée en vigueur. Pour cela, elle conteste, premièrement, la notification de la ratification faite par la Turquie. Pour rejeter l’argument et constater l’entrée en vigueur du traité, la cour d’appel rappelle, entre autres arguments, qu’elle a déjà statué sur la question, en renvoyant à une autre affaire. Il est rare que la cour fasse ainsi référence à d’autres de ses décisions, en raison de l’effet relatif de la chose jugée. Reste que l’État, dans les deux procédures, est le même et qu’il ne serait pas cohérent pour la cour d’appel de statuer dans des sens opposés sur une question qui appelle une réponse unique. Deuxièmement, la cour examine la date de survenance du litige. La difficulté résulte de la conclusion d’un accord transactionnel postérieur à l’entrée en vigueur du traité, qui porte sur des faits antérieurs à son entrée en vigueur. Faut-il retenir la première date ou la seconde ? Pour trancher, la cour se réfère au contenu de l’accord. Elle juge que « l’accord transactionnel ne se borne pas à prévoir l’exécution pure et simple d’une décision de justice antérieure contestée, dont l’objet dépasse le seul paiement des créances antérieures, pour inclure des dommages et intérêts, mais acte des concessions réciproques de la part des parties et exprime leur volonté de mettre fin à leur différend précédent par l’abandon, à l’article 5 de l’accord, de toutes les poursuites liées à ce litige, qui doit dès lors être regardé comme éteint par cette convention ». Partant, c’est bien la date de l’accord transactionnel qui est pertinente, laquelle valide l’applicabilité du traité ratione temporis.

Ensuite, l’arrêt Oschadbank permet un contrôle de l’investissement. Toutefois, ce contrôle est restrictif. Il ne porte que sur la définition de l’investissement et pas sur sa validité. Là encore, le recourant invoque la nullité de l’accord transactionnel, au motif du caractère illégal de son obtention. Pour y répondre, la cour juge que le « contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence porte sur le consentement de l’État à l’arbitrage et notamment sur les investissements définis par ledit Traité, à l’exclusion de toute révision au fond de la sentence, le juge de l’annulation n’ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bien-fondé ». Elle ajoute ensuite qu’« il n’appartient toutefois pas au juge de l’annulation de statuer sur la validité de l’accord transactionnel fondant la créance invoquée par la société Ustay pour établir l’existence d’un investissement au sens du traité, cette question étant une question de fond, indépendante de celle relative à la portée du consentement de l’État de Libye à l’arbitrage. Elle ne relève pas, comme telle, de l’examen de la compétence, l’appelant invitant la cour par ce biais à réviser la sentence, ce qu’elle ne peut faire ». Autrement dit, si la cour doit vérifier que l’accord transactionnel répond à la définition d’investissement au sens du traité, elle ne peut examiner, par cette voie, la validité de celui-ci.

En revanche, la confrontation entre l’investissement et la définition retenue par le traité fait bien l’objet d’un examen. C’est le plus souvent dans l’article 1er du Traité que l’on trouve la définition pertinente. Sauf à ce que le traité renvoie à d’autres sources, il n’y a pas lieu de restreindre la définition par d’autres critères. C’est ainsi qu’une définition restrictive retenue par la législation nationale d’un des États contractants ne peut faire échec à la compétence du tribunal. C’est là encore ce que souligne la Cour d’appel de Paris. Elle juge que « le TBI ne subordonne pas son application à la définition de l’investissement par renvoi à la loi Libyenne, mais pose simplement une condition de légalité de l’investissement pour le bénéfice de la protection accordée par le traité ». S’il existe une exigence de conformité à la législation nationale, celle-ci relève du fond et échappe, par conséquent, à tout contrôle par le juge du recours. La cour conforte cette analyse en ajoutant qu’« un investissement doit être réalisé en respectant les lois et règlements de l’État hôte, et non que l’investissement doit être défini par les lois et règlements de l’État hôte. La volonté des parties est bien de soumettre l’investissement à une exigence de légalité et non de conformité. En outre, une telle interprétation est conforme à l’objet d’un TBI, qui ne peut faire dépendre le bénéfice de la protection qu’il consacre d’une définition de la notion d’investissements qui serait dépendante de la seule volonté unilatérale de chacune des parties et qui pourrait ainsi unilatéralement modifier le champ d’application du traité ». En plus d’exclure la loi nationale, les critères issus du droit international coutumier, en particulier le « test Salini », ne s’appliquent pas à un traité bilatéral qui prévoit sa propre définition de l’investissement. Là encore, la solution révèle une appréciation de la notion qui s’en tient aux stipulations du traité. La cour précise que « la définition de l’investissement telle qu’elle ressort de ce TBI ne comporte aucune exigence d’apport économique, de durée ou de risque ».

Enfin, à propos de la mise en œuvre de la clause de la nation la plus favorisée, la cour d’appel ne voit pas d’obstacle à en faire bénéficier la clause parapluie figurant dans un autre traité. Elle juge que « la condition de l’absence de traitement non moins favorable n’a pas pour effet, d’après les termes clairs du TBI, de limiter aux obligations de puissance publique et d’exclure les obligations contractuelles des traitements équivalents ».

Compétence et erreur matérielle

La demande de rectification d’une erreur matérielle adressée aux arbitres après la reddition de la sentence peut-elle être contrôlée par le juge de l’annulation sur le fondement du grief relatif à la compétence (v. déjà, pour une situation proche, Nancy, 18 sept. 2023, n° 21/03042, Dalloz actualité, 13 nov. 2023, obs. J. Jourdan-Marques) ? Telle est la question posée dans l’arrêt Sew Infrastructure (Paris, 9 janv. 2024, n° 21/14563). Plus précisément, le demandeur soutient que les arbitres n’ont pas été saisis d’une demande de rectification d’erreur matérielle, mais plutôt d’une requête en omission de statuer. En rejetant la demande, ils se seraient déclarés à tort incompétents. Après avoir tranché entre les deux qualifications en faveur de la première, la cour d’appel juge que « cette décision ne constitue pas une déclaration d’incompétence du tribunal concernant une omission de statuer, mais le rejet de la demande de correction qui lui était soumise ». Partant, la décision des arbitres échappe à tout contrôle du juge. La question qui se pose est de savoir si une qualification de requête en omission de statuer peut conduire à une solution différente. La réponse est sans doute négative. L’arbitre qui rejette une requête en omission de statuer ne se prononce pas sur sa compétence ; il se prononce sur le bien-fondé de cette requête. Cette réponse relève du fond du litige et doit échapper au contrôle du juge. Dans un cas comme dans l’autre, le refus de connaître de la demande échappe au juge du recours.

L’obligation de révélation

L’arrêt Sew Infrastructure ne révolutionne pas l’obligation de révélation et il n’en sera donc pas fait état longuement. À dire vrai, la chose la plus remarquable de l’arrêt est de voir la cour d’appel parler de « l’internet », ce qui ne manque pas de charme.

Classiquement, le débat se divise entre la recevabilité du grief et l’existence d’une obligation de révéler les circonstances. Sur le premier aspect, la cour retient le caractère notoire des publications doctrinales antérieures à l’arbitrage dès lors qu’elles sont « en libre accès » et des conférences auxquelles l’arbitre a participé.

Sur le second, la cour rappelle un certain nombre de principes, notamment la formule – qui ne manque pas d’ironie au regard de la place prise par la notoriété – selon laquelle l’obligation de révélation « doit être regardée comme déterminante de la régularité de la constitution de la juridiction arbitrale, son accomplissement conditionnant l’acceptation de la nomination de l’arbitre par les parties » (v. déjà, Paris, 23 mai 2023, n° 22/05378, Dalloz actualité, 11 sept. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay  ; Gaz. Pal. 2023, n° 35, p. 11, obs. L. Larribère). Cette fois encore, les circonstances en cause concernent des activités scientifiques et doctrinales. Pour rejeter le grief, la cour rappelle que « la participation des intéressés à des colloques, à des conférences ou à un groupe de travail présente toutefois un caractère scientifique ou académique. Elle ne crée entre eux aucun lien de subordination ni courant d’affaires propre à justifier une obligation de révélation ou faire naître un doute raisonnable sur l’indépendance ou l’impartialité de l’arbitre. Même mise en perspective avec les autres faits antérieurs à l’arbitrage invoqués par Sew, elle ne démontre en rien l’entreprise commune de développement de leurs clientèles respectives alléguée par la demanderesse au recours, qui ne se trouve étayée par aucune preuve et relève comme telle de la pure allégation ». La solution est tout à fait classique et conduit à dispenser l’arbitre de toute révélation de ces circonstances.

Le respect par l’arbitre de sa mission

L’arbitre peut-il rejeter au fond une demande, faute de preuve du préjudice, alors qu’il a reconnu dans une première sentence la violation d’un TBI ? La question est intéressante, car il n’est pas si rare en pratique que les arbitres se trouvent confrontés à l’insuffisance des preuves en matière de préjudice. Ils peuvent hésiter sur la conduite à tenir : une approche exigeante conduit à estimer que c’est au demandeur d’apporter la preuve du préjudice et que, à défaut, sa prétention doit être rejetée ; une approche plus souple permet de considérer que, dès lors qu’il a statué positivement sur le principe de la responsabilité, il faut accorder une indemnisation, même si les preuves manquent, le préjudice pouvant se déduire de la reconnaissance de la responsabilité.

Dans une affaire Guris (Paris, 19 déc. 2023, n° 22/03773), le tribunal arbitral a opté pour la première solution et a rejeté au fond la prétention, faute de preuve du préjudice. Le recourant y voit une violation par l’arbitre de sa mission et une violation de l’autorité de chose jugée de la première sentence. Le recours est rejeté. La cour d’appel juge que « le tribunal arbitral n’a pas refusé de statuer mais a rejeté les demandes pour insuffisance probatoire dans le cadre de l’appréciation qu’il a faite des éléments dans le débat relevant de son pouvoir juridictionnel ». Elle ajoute, à propos de la violation de l’autorité de chose jugée, que « si la sentence partielle a retenu que la décision du 18 mars 2015 constituait une violation de l’article 4 du TBI par l’État de Libye, en ce qu’elle équivalait à l’expropriation de la société Güri’ du projet de parc public de Tripoli pouvant ouvrir la voie de l’indemnisation, elle n’obligeait pas le tribunal arbitral à condamner l’État de Libye au paiement d’une somme ». Ainsi, quel que soit le fondement, la sentence n’encourt pas l’annulation.

L’existence d’une première sentence retenant le principe d’une violation d’un TBI n’impose pas aux arbitres d’accorder une indemnisation dans la deuxième sentence, s’ils constatent que la preuve du préjudice n’est pas rapportée.

Dans une affaire Sicon, le cas d’ouverture relatif à la mission du tribunal arbitral est convoqué sous l’angle d’un grief relatif à la motivation. De façon assez classique, la cour d’appel retient que « le contrôle du juge de l’annulation se limite toutefois à vérifier l’existence d’une motivation sans apprécier la pertinence, le bien-fondé, l’intelligibilité ou la cohérence de celle-ci, sauf à violer le principe de non-révision au fond des sentences arbitrales » (Paris, 23 janv. 2024, n° 22/00275). Il en résulte que l’examen de la cour est circonscrit à l’hypothèse d’une absence totale de motivation. En revanche, toute autre critique ne fait l’objet d’aucun examen. La cour le rappelle, en soulignant que « les griefs de dénaturation des demandes, d’omission de statuer, d’application erronée de la loi, de rejet d’arguments factuels présentés par une partie, d’imprécisions et de contrariété de motifs […] ne constituent pas non plus des moyens d’annulation d’une sentence au sens de l’article 1520 du code de procédure civile » (v. égal., Paris, 9 janv. 2024, n° 21/14563, préc., « le juge l’annulation, qui doit s’interdire toute révision au fond de la sentence, ne peut en effet se prononcer sur le raisonnement suivi par les arbitres ni contrôler la qualité ou le contenu de leur motivation. La dénaturation du contrat, la contradiction de motifs, l’erreur de droit ou la violation de la loi ne constituent pas des motifs d’annulation de la sentence, la demanderesse recherchant ici une révision au fond de la sentence que n’autorise pas le recours en annulation »). La cour d’appel en profite pour ajouter que l’exigence de motivation relève également de l’ordre public international : « l’exigence de motivation des décisions de justice est un élément du droit à un procès équitable. Les arbitres qui s’abstiennent de motiver leur décision méconnaissent l’étendue de leur mission et la reconnaissance d’une sentence dépourvue de motif heurte la conception française de l’ordre public international ». Toutefois, là aussi, seule l’existence de la motivation est examinée, à l’exclusion de tout contrôle de sa pertinence.

Le respect du contradictoire

Le respect par l’arbitre du contradictoire est une question qui, a posteriori, paraît toujours évidente, mais qui, souvent, ne se laisse pas facilement saisir a priori. Tel est le constat que l’on peut faire à la lecture de l’arrêt Euro Grains (Paris, 5 mars 2024, n° 23/02753). La motivation est brève et l’annulation tombe de façon implacable. Après avoir rappelé que « si l’arbitre n’a pas l’obligation, pour rendre sa sentence, de soumettre au préalable le raisonnement juridique qui étaye sa motivation à la discussion contradictoire, les éléments d’information qu’il utilise doivent être soumis au débat contradictoire », la cour constate que les parties se sont prévalues des RUFRA pendant l’instance, mais pas des formules INCOGRAIN. Or pour retenir la forclusion, le tribunal arbitral s’est référé à celles-ci. Ce constat suffit à caractériser une violation du contradictoire. La cour note que, quand bien même la forclusion était dans le débat, tout comme la qualification, le fondement retenu ne l’était pas.

L’attitude de l’arbitre, qui se fonde sur des dispositions non débattues, est sans doute discutable. Reste que l’on peut penser que la décision est un peu trop exigeante. L’article 1511 du code de procédure civile prévoit que l’arbitre « tient compte, dans tous les cas, des usages du commerce ». S’il n’existe pas d’équivalent en arbitrage interne, il faut rappeler que l’article 1194 du code civil précise « Les contrats obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à toutes les suites que leur donnent l’équité, l’usage ou la loi ». L’application des usages par l’arbitre n’est donc pas dépourvue de fondements. Or, tant les RUFRA que les INCOGRAIN peuvent prétendre à cette qualification d’usages. Il en résulte que l’un et l’autre sont, avant d’être de véritables corps de règles autonomes, des recueils d’usages. À ce titre, la mise dans le débat des premières aurait très bien pu conduire la cour d’appel à constater que les usages professionnels étaient dans le débat, justifiant ainsi que l’arbitre mobilise l’usage approprié, indépendamment du lieu où il se trouve. Par cette démarche, la sentence aurait sans doute pu être sauvée.

L’ordre public international

L’ordre public international européen

L’arrêt GBO est intéressant, car les arrêts où la conformité d’une sentence à l’ordre public international européen est examinée ne sont pas si fréquents (Paris, 23 janv. 2024, n° 22/16431). Plus précisément, c’est une contrariété avec l’article 101 du TFUE, relatif aux ententes, qui est alléguée. On en revient donc aux fondamentaux, puisque c’est une situation analogue qui a donné lieu, il y a vingt ans, à la jurisprudence Thales (Paris, 18 nov. 2004, n° 2002/19606, D. 2005. 3050 , obs. T. Clay  ; Rev. crit. DIP 2006. 104, note S. Bollée  ; RTD com. 2005. 263, obs. E. Loquin  ; RTD eur. 2006. 477, chron. J.-B. Blaise  ; JDI 2005. 357, note A. Mourre ; JCP 2005. II. 10039, note G. Chabot ; ibid. I. 134, obs. C. Seraglini). Pour autant, tout a changé depuis. Désormais, le contrôle n’est plus limité à la violation flagrante, effective et concrète de l’ordre public international. Justement, l’arrêt GBO nous en donne une illustration.

La cour reprend la formule issue de l’arrêt Belokon (Civ. 1re, 23 mars 2022, n° 17-17.981, Dalloz actualité, 10 mai 2022, obs. V. Chantebout ; ibid., 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 660  ; ibid. 1773, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel  ; ibid. 2330, obs. T. Clay  ; RTD civ. 2022. 701, obs. P. Théry  ; Gaz. Pal. 2022, n° 15, p. 11, obs. L. Larribère ; RDC 2022, n° 3, p. 43, note Y.-M. Serinet et X. Boucobza ; JDI 2022. 681, obs. K. Mehtiyeva ; JCP 2022. 1072, note B. Rémy ; ibid. 2022. Doctr. 724, obs. C. Seraglini ; Procédures 2022. Comm. 173, obs. L. Weiller) et énonce que « ce contrôle s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international ». Voilà donc, comme il fallait s’y attendre, le contrôle des règles du droit européen de la concurrence soumis au même régime que toutes les autres règles de l’ordre public international.

Le revirement n’est pas que symbolique ; il s’observe très bien dans la motivation de la cour d’appel. Pour réaliser son contrôle, elle s’attache d’une part au sens exact de la prohibition des pratiques anticoncurrentielles. Pour cela, elle revient au texte de l’article 101 du TFUE et à l’exception posée par le règlement (UE) n° 330/2010 du 20 avril 2010 en matière d’accords verticaux.

Elle identifie les conditions permettant de faire échapper un accord vertical à la prohibition des ententes anticoncurrentielles. Une fois cela fait, elle compare les exigences prévues par les textes à la situation qui lui est soumise. La cour énonce qu’« il appartient à la société GBO de démontrer concrètement en quoi le contrat cadre litigieux, auquel la sentence donne effet, constitue une entente illicite au sens des dispositions de l’article 101, § 1, précité ». Elle s’attache à examiner le contrat et à rechercher si celui-ci produit des effets anticoncurrentiels. Elle conclut en soulignant que « la société GBO, qui se contente d’affirmer de manière générale le caractère anticoncurrentiel de l’accord en mettant en avant qu’il portait sur la commercialisation de chaussures pour enfants assorties des licences très populaires telles que celles de l’opérateur Disney, en Europe germanophone, ne démontre pas en quoi ce dispositif contractuel est illicite ».

En définitive, on voit bien que la nouvelle démarche de la Cour d’appel de Paris ne laisse aucune marge de manœuvre aux arbitres. La cour s’assure de la conformité du contrat aux règles du droit de la concurrence, dès lors que l’arbitre a décidé de lui donner effet. Qu’on le veuille ou non, c’est bien une révision au fond qui est réalisée, laquelle se justifie par la nature des règles examinées. La solution est salutaire, d’autant plus que l’on sait que l’arbitrage est sous la menace du droit européen. Il serait mal venu de maintenir, en cette matière, un contrôle minimaliste, au risque de voir la Cour de justice réagir. En s’assurant de la conformité de la sentence aux règles du droit de la concurrence, la cour d’appel ne se contente pas de garantir l’intégralité de l’ordre public international ; elle contribue à la sauvegarde de l’ordre public européen et assure la compatibilité de l’arbitrage comme mécanisme de règlement des litiges avec les exigences de ce dernier.

Les droits de l’homme et le droit humanitaire

Dans l’affaire Sew Infrastructure (Paris, 9 janv. 2024, n° 21/14563, préc.), la question d’une éventuelle violation par la sentence de l’ordre public international est posée. Plus précisément, il est fait état d’une utilisation des fonds obtenus grâce à la sentence pour financer des violations de droits humains. La cour d’appel rappelle que, sur le plan des principes, la violation des droits de l’homme fait partie intégrante de l’ordre public international : « la lutte contre les violations des droits de l’homme, protégés notamment par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 et le Pacte des droits civils et politiques du 16 décembre 1966, ainsi que la lutte contre les violations du droit humanitaire international, lui-même consacré par les Conventions de Genève (1949), entrées en vigueur en France en 1951, et notamment la Convention (IV) de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, du 12 août 1949, figurent au rang des principes dont l’ordre juridique français ne saurait souffrir la méconnaissance, même dans un contexte international ». Toutefois, la violation de l’ordre public international doit être caractérisée et non pas, comme le plaide le requérant, hypothétique. La cour précise à cet égard que « la conformité d’une sentence arbitrale à l’ordre public international s’appréciant au moment où le juge statue, ne peuvent être prises en considération à ce titre des circonstances futures hypothétiques présumant l’emploi par l’une des parties au litige des sommes dues en exécution de la sentence à des agissements violant les valeurs et principes protégés par l’ordre public international ». Elle ajoute qu’« une telle prise en compte, en ce qu’elle supposerait d’anticiper sur des événements futurs et porterait sur des actes qui, pour condamnables qu’ils soient, ne se rattachent pas à la reconnaissance ou à l’exécution de la sentence proprement dite, relève en effet d’un contrôle qui échappe au juge de l’annulation ». Autrement dit, les allégations sont trop hypothétiques pour justifier une intervention au titre de l’ordre public international. La solution n’est pas nouvelle (Paris, 5 oct. 2021, n° 19/16601, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; Cah. arb. 2022. 631, note A. Reynaud et M. Pradel). Elle est logique, le juge ne pouvant annuler une sentence sur de simples spéculations.

La responsabilité de l’arbitre

La Cour de cassation a rendu le 14 février 2024 un intéressant arrêt en matière de responsabilité de l’arbitre (Civ. 1re, 14 févr. 2024, n° 22-22.469). Dans cette affaire, l’arbitre a laissé expirer le délai d’arbitrage, ce qui a conduit à l’annulation de la sentence. La cour d’appel, statuant au fond du litige, a fixé le montant de la condamnation à une somme inférieure. La responsabilité de l’arbitre est engagée et vise à obtenir le paiement de la différence entre la somme initialement accordée par la sentence et celle finalement retenue par la cour d’appel.

La doctrine enseigne habituellement que la perte de chance peut être réclamée si le demandeur ne peut plus agir par la faute de l’arbitre (P. Stoffel-Munck, La responsabilité de l’arbitre, Rev. arb. 2017. 1123, nos 45 s. ; C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., LGDJ, coll. « Précis Domat », 2019, n° 311 ; J. El Ahdab et D. Mainguy, Droit de l’arbitrage. Théorie et pratique, LexisNexis, 2021, n° 876). En l’espèce, telle n’est pas la situation, dès lors que la partie a vu son action examinée. Simplement, la condamnation par le juge judiciaire est inférieure au montant fixé par la sentence. La perte de chance peut-elle résider dans la différence entre les deux montants ?

La Cour de cassation apporte une réponse qui n’est pas limpide. Elle énonce qu’il « résulte de l’article 1147 du code civil dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, que le préjudice tiré de l’annulation d’une sentence arbitrale en raison d’une faute imputable à l’arbitre dans l’accomplissement de sa mission contractuelle ne peut conduire, à supposer qu’il puisse être qualifié de perte de chance, à la condamnation de l’arbitre au paiement de dommages et intérêts d’un montant équivalent aux condamnations annulées ».

L’arrêt permet une réflexion sur le préjudice subi par la partie qui se retrouve confrontée à l’annulation d’une sentence. En laissant expirer le délai, l’arbitre commet une faute. La conséquence immédiate de cette faute est l’annulation de la sentence, sur le fondement de la violation par l’arbitre de sa mission. Le lien de causalité entre la faute et l’annulation est donc indiscutable. Reste à savoir comment transposer cette annulation en un préjudice réparable. La comparaison entre la somme accordée au titre de la sentence et celle finalement obtenue semble tomber sous le sens. Elle est néanmoins inappropriée pour deux raisons. Premièrement, car l’évolution de la somme accordée entre les deux décisions n’est pas imputable à la faute de l’arbitre. La Cour de cassation le dit explicitement, reprenant la motivation de l’arrêt d’appel à son compte : « la diminution des dommages et intérêts alloués à la SCI par rapport à ceux fixés dans la sentence ne résultait pas de la faute de l’arbitre mais de l’appréciation souveraine des juges ayant eu à statuer au fond sur le litige et devant lesquels la SCI avait pu faire valoir ses droits ». Pour s’en convaincre, il suffit d’ailleurs de constater que la somme allouée par le juge aurait très bien pu être supérieure à celle accordée par l’arbitre. Il en résulte que la variation du montant de la condamnation est le reflet de l’exercice d’une mission juridictionnelle par l’arbitre et par le juge et le premier ne peut être tenu responsable d’une appréciation différente par le second. En conséquence, le lien de causalité fait défaut entre la faute et le chiffre finalement attribué. Deuxièmement, la différence entre les deux sommes n’est pas constitutive d’une perte de chance ; elle est « le préjudice entier subi ». La perte de chance n’est, là encore comme le souligne la Cour de cassation, qu’une « fraction du préjudice subi qui aurait pu être évité ».

L’arrêt est donc clair sur l’impossibilité pour les parties de solliciter la réparation de l’entier préjudice résultant de la différence entre le montant accordé par la sentence et celui obtenu postérieurement à l’annulation. Il l’est moins sur la faculté subsistante d’obtenir la réparation de la perte de chance et, le cas échéant, sur le pourcentage adéquat de celle-ci. En tout cas, il pousse les parties à explorer d’autres voies d’indemnisation de leur préjudice.

Arbitrage et Union européenne

L’arrêt Mytilinaios offre, pour une fois, une décision plutôt rassurante en provenance de la Cour de justice (CJUE 22 févr. 2024, aff. C-701/21), alors même que les conclusions de l’avocat général laissaient craindre le pire (CJUE 7 sept. 2023, aff. C-701/21, concl. de l’avocat général, Dalloz actualité, 13 nov. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay ). En l’espèce, DEI, un producteur et fournisseur d’électricité contrôlé par l’État grec, et Mytilinaios ont signé un accord-cadre concernant le tarif de fourniture d’électricité. Sur le fondement des critères prévus dans cet accord-cadre, Mytilinaios et DEI ont vainement négocié le contenu d’un projet de contrat de fourniture d’électricité, ces parties ne parvenant pas à s’accorder sur le tarif à appliquer à la fourniture d’électricité que DEI devait garantir à Mytilinaios. Dans le cadre d’un compromis d’arbitrage, Mytilinaios et DEI ont convenu de confier le règlement de leur différend à l’arbitrage. Précision importante, le tribunal arbitral désigné est établi en vertu de la loi grecque, quand bien même les parties décident volontairement de s’y soumettre. Selon le compromis d’arbitrage, la mission du tribunal arbitral consiste à déterminer, sur la base des négociations ayant eu lieu entre DEI et Mytilinaios, un tarif de fourniture d’électricité correspondant aux caractéristiques spécifiques de Mytilinaios et couvrant au moins les coûts supportés par DEI. Par décision du 31 octobre 2013, le Tribunal arbitral de la RAE tranche ce différend. À la suite de cette sentence, DEI dépose une plainte auprès de la Commission en soutenant qu’elle est constitutive d’une aide d’État. La Commission constate que la sentence arbitrale ne constitue pas une aide d’État, contrairement au Tribunal de l’Union européenne. C’est dans ces circonstances que la Cour de justice statue.

La Cour de justice décide d’annuler l’arrêt du Tribunal de l’Union européenne (Tribunal UE). Le nœud du débat se situe sur la qualification du tribunal arbitral, pour lequel le Tribunal de l’UE considère qu’il doit être « qualifié, à l’instar d’une juridiction hellénique ordinaire, d’organe exerçant un pouvoir relevant des prérogatives de la puissance publique ». Plus précisément, le Tribunal de l’UE a retenu que « les tribunaux arbitraux établis en vertu de l’article 37 de la loi 4001/2011 exercent une fonction juridictionnelle identique à celle des juridictions ordinaires, voire remplacent ces dernières en ce que l’ouverture de l’instance arbitrale les prive de leur compétence, deuxièmement, que les juges arbitres, sélectionnés à partir d’une liste établie par décision du président de la RAE, doivent justifier de leur indépendance et de leur impartialité avant leur désignation, troisièmement, que les procédures devant les tribunaux arbitraux sont régies, notamment, par les dispositions du code de procédure civile hellénique et, à titre complémentaire, par le règlement d’arbitrage de la RAE, quatrièmement, que les jugements des tribunaux arbitraux sont juridiquement contraignants, revêtus de l’autorité de la chose jugée et valent titres exécutoires conformément aux dispositions pertinentes de ce code et, cinquièmement, que les jugements des tribunaux arbitraux sont susceptibles de recours devant une juridiction ordinaire ».

La Cour réfute la pertinence de ces arguments. Selon elle, ils ne permettent pas de distinguer un tribunal arbitral purement conventionnel du tribunal arbitral grec établi par la loi. Elle juge que « premièrement, tout tribunal arbitral conventionnel remplace les juridictions ordinaires, deuxièmement, la procédure devant un tel tribunal est normalement régie par la loi, qui, troisièmement, peut conférer aux décisions de ceux-ci un caractère contraignant, l’autorité de la chose jugée et la valeur de titres exécutoires et, quatrièmement, ces décisions peuvent, à certaines conditions, être susceptibles de recours devant une juridiction ordinaire ». La seule différence identifiée est relative aux arbitres, qui doivent figurer en amont sur une liste. Toutefois, la Cour de justice considère cette caractéristique insuffisante : « la circonstance que, en l’occurrence, les arbitres sont sélectionnés à partir d’une liste établie par décision du président de la RAE et doivent justifier de leur indépendance et de leur impartialité avant leur désignation caractérise le tribunal arbitral de la RAE au regard d’autres tribunaux arbitraux conventionnels dont les arbitres ne sont pas nécessairement sélectionnés à partir d’une liste telle que celle établie par ce président. Cependant, cette circonstance ne saurait, à elle seule, permettre de considérer que ce tribunal arbitral se distingue de tout autre tribunal arbitral conventionnel, dès lors qu’elle ne constitue qu’un élément purement procédural n’affectant pas la fonction ou la nature de dudit tribunal ». En somme, les caractéristiques du Tribunal arbitral de la RAE ne sont pas suffisantes pour lui ôter la qualification de tribunal arbitral et préférer une qualification de juridiction étatique.

L’essentiel n’est pas là. Le cœur du raisonnement, qui permet d’emporter la décision de la Cour de justice, réside dans l’élément déclencheur de la compétence arbitrale : la volonté des parties. La Cour de justice énonce « le Tribunal a commis une erreur de droit en omettant de vérifier si le tribunal arbitral de la RAE disposait, comme c’est en principe le cas des juridictions faisant partie d’un système juridictionnel étatique, d’une compétence obligatoire qui ne dépendait donc pas de la seule volonté des parties ».

Cet élément permet d’ailleurs à la Cour de justice d’opérer une distinction entre cette affaire et l’affaire Micula (CJUE 25 janv. 2022, aff. C-638/19, Dalloz actualité, 16 mars 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330, obs. T. Clay  ; RD aff. int. 2022. 178, obs. A. Musella et N. Barysheva ; Europe 2022, n° 3, p. 28, obs. L. Idot ; JCP 2022. Doctr. 724, obs. L. Jandard ; JDI 2022. Comm. 18, note M. Audit). À ce propos, elle estime que « le tribunal arbitral qui a rendu la sentence arbitrale en cause dans l’affaire [Micula] […] n’était pas un tribunal arbitral conventionnel, mais avait été établi sur le fondement d’un traité bilatéral d’investissement. Or, […] le consentement d’un État membre à la possibilité qu’un litige soit porté contre lui dans le cadre de la procédure d’arbitrage prévue par un traité bilatéral d’investissement, à la différence de celui qui aurait été donné dans le cadre d’une procédure d’arbitrage conventionnel, ne trouve pas son origine dans un accord spécifique reflétant l’autonomie de la volonté des parties en cause, mais résulte d’un traité conclu entre deux États membres, dans le cadre duquel ceux-ci ont, de manière générale et par avance, consenti à soustraire à la compétence de leurs propres juridictions des litiges pouvant porter sur l’interprétation ou l’application du droit de l’Union au profit de la procédure d’arbitrage ».

Ainsi, ce n’est pas tant la distinction entre l’arbitrage d’investissement et l’arbitrage commercial, habituellement mobilisée par la Cour de justice, qui fonde la solution (par ex., dans l’affaire Achmea, « Certes, en ce qui concerne l’arbitrage commercial, la Cour a jugé que les exigences tenant à l’efficacité de la procédure arbitrale justifient que le contrôle des sentences arbitrales exercé par les juridictions des États membres revête un caractère limité, pourvu que les dispositions fondamentales du droit de l’Union puissent être examinées dans le cadre de ce contrôle et, le cas échéant, faire l’objet d’un renvoi préjudiciel devant la Cour […] Toutefois, une procédure d’arbitrage, telle que celle visée à l’article 8 du TBI, se distingue d’une procédure d’arbitrage commercial », CJUE 6 mars 2018, aff. C-284/16, Dalloz actualité, 4 avr. 2018, obs. F. Mélin ; AJDA 2018. 1026, chron. P. Bonneville, E. Broussy, H. Cassagnabère et C. Gänser  ; D. 2018. 2005 , note Veronika Korom  ; ibid. 1934, obs. L. d’Avout et S. Bollée  ; ibid. 2448, obs. T. Clay  ; Rev. crit. DIP 2018. 616, note E. Gaillard  ; RTD eur. 2018. 597, étude J. Cazala  ; ibid. 649, obs. Alan Hervé  ; ibid. 2019. 464, obs. L. Coutron  ; Rev. arb. 2018. 424, note S. Lemaire ; Procédures 2018. Comm. 143, obs. C. Nourissat ; JDI 2018. 903, note Y. Nouvel ; JDI 2019. 271, note B. Rémy). La Cour glisse sur un autre critère, déjà aperçu en jurisprudence (par ex., le débat sur la volonté implicite dans l’arrêt PL Holding, CJUE 26 oct. 2021, aff. C-109/20, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2021. 1964  ; ibid. 2272, obs. T. Clay  ; ibid. 2022. 1773, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel  ; Rev. arb. 2021. 1105, note M. Audit), qui fait dépendre la légitimité du mécanisme de la volonté des parties d’y recourir. C’est donc dans l’appréciation – plus ou moins souple – de cette volonté que dépend le salut de l’arbitrage.

Pour finir, la Cour de justice rappelle que, dans sa décision Micula, elle n’a pas « déduit que cette sentence arbitrale, en tant que telle, constituait une aide d’État ». Il est vrai que, lorsque l’on relit la décision, elle s’est limitée à la question de la compétence ratione temporis. Toutefois, cela ne l’empêche pas de condamner le Royaume-Uni dans le cadre d’une action en manquement (CJUE 14 mars 2024, Commission c/ Royaume-Uni, aff. C‑516/22). Il est reproché au Royaume-Uni d’avoir mis à exécution la sentence Micula, alors qu’il existait une procédure pendante intentée par la Commission. La difficulté réside dans le fait que le Royaume-Uni n’a fait que respecter la Convention de Washington. Pour justifier la condamnation, la Cour de justice distingue les relations avec les États tiers, préservées par l’article 351, alinéa 1er, du TFUE, et les relations internes à l’Union : « Cette disposition n’autorise pas, en revanche, les États membres à faire valoir des droits découlant de telles conventions dans leurs relations internes à l’Union ».

Autrement dit, la Convention de Washington trouve à s’appliquer dans les relations avec des États en dehors de l’Union, mais cède face aux exigences de l’ordre juridique européen dans les situations internes. Or le cas d’espèce entre, selon la Cour de justice, dans la seconde catégorie, puisqu’il s’agit d’un investissement intraeuropéen. Pour cette raison, la Cour réfute toute possibilité de faire prévaloir la Convention CIRDI sur le droit européen. Pour s’en justifier, elle rappelle sa jurisprudence Achmea, en retenant que « dans ce contexte, il y a lieu d’observer que, à suivre l’arrêt en cause, tous les États membres qui ont conclu la convention CIRDI avant leur adhésion à l’Union, ce qui est le cas de la plupart d’entre eux, pourraient, en se fondant sur l’article 351, premier alinéa, TFUE, être en mesure de soustraire des litiges concernant le droit de l’Union au système juridictionnel de l’Union en les confiant aux tribunaux arbitraux établis dans le cadre de cette convention. Or, il découle de la jurisprudence de la Cour, telle que consacrée par l’arrêt du 6 mars 2018, Achmea […], que le système des voies de recours juridictionnel prévu par les traités UE et FUE s’est substitué aux procédures d’arbitrage établies entre les États membres ». Elle en conclut que « l’arrêt en cause, la Supreme Court of the United Kingdom (Cour suprême du Royaume-Uni) a gravement porté atteinte à l’ordre juridique de l’Union ». Voilà qui devrait dissuader un peu plus – si c’est encore possible – les États à prêter main-forte à l’arbitrage.

 

CJUE 22 févr. 2024, aff. C-701/21

CJUE 14 mars 2024, aff. C-516/22

Civ. 1re, 14 févr. 2024, F-D, n° 22-19.385

Civ. 1re, 14 févr. 2024, F-D, n° 22-22.469

Civ. 1re, 28 févr. 2024, FS-B, n° 22-16.151

Paris, 19 déc. 2023, n° 22/03773

Paris, 9 janv. 2024, n° 21/14563

Paris, 9 janv. 2024, n° 22/04007

Paris, 16 janv. 2024, n° 23/09079

Paris, 23 janv. 2024, n° 21/01507

Paris, 23 janv. 2024, n° 22/00275

Paris, 23 janv. 2024, n° 22/16431

Paris, 23 janv. 2024, n° 23/01526

Paris, 30 janv. 2024, n° 22/16683

Paris, 13 févr. 2024, n° 22/11819

Paris, 20 févr. 2024, n° 23/01702

Paris, 5 mars 2024, n° 22/05167

Paris, 5 mars 2024, n° 23/02753

Saint-Denis de la Réunion, 23 févr. 2024, n° 20/00235

TJ Paris, 1er févr. 2024, n° 23/59274

Court of Appeal of Engand and Wales, 2 févr. 2024, CA-2023-001933

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