Chronique d’arbitrage : l’influence du décret du 29 décembre 2023 sur l’exercice des voies de recours
Les articles 1495 et 1527 du code de procédure civile soumettent l’exercice des voies de recours en matière arbitrale aux règles relatives à la procédure contentieuse prévues aux articles 900 à 930-1. Par conséquent, une réforme d’ampleur de la procédure d’appel comme celle du 29 décembre 2023 doit faire l’objet d’un examen minutieux pour identifier ses conséquences sur le droit français de l’arbitrage.
 
                            Une fois de plus, la jurisprudence a été abondante en fin d’année 2023. On proposera au lecteur un second focus dans cette chronique, à propos de la question de la loyauté de la preuve en arbitrage, qui pourrait être en partie renouvelée à la suite des arrêts du 22 décembre 2023 (Cass., ass. plén., 22 déc. 2023, nos 20-20.648 et 21-11.330, Dalloz actualité, 9 janv. 2024, obs. N. Hoffschir ; D. 2024. 15  ). La présente livraison contient son lot de décisions à propos de la révélation, notamment avec les arrêts IASC (Paris, 12 déc. 2023, n° 22/15255), ESISCO (Paris, 5 déc. 2023, n° 22/20051) et Byd Auto (Civ. 1re, 29 nov. 2023, n° 21-19.697). Enfin, il ne faut pas manquer le nouvel arrêt de la Cour de justice dans l’affaire International Skating Union (CJUE 21 déc. 2023, aff. C-124/21), qui aura des conséquences considérables sur l’arbitrage en matière sportive.
). La présente livraison contient son lot de décisions à propos de la révélation, notamment avec les arrêts IASC (Paris, 12 déc. 2023, n° 22/15255), ESISCO (Paris, 5 déc. 2023, n° 22/20051) et Byd Auto (Civ. 1re, 29 nov. 2023, n° 21-19.697). Enfin, il ne faut pas manquer le nouvel arrêt de la Cour de justice dans l’affaire International Skating Union (CJUE 21 déc. 2023, aff. C-124/21), qui aura des conséquences considérables sur l’arbitrage en matière sportive.
Profitons encore de cette introduction pour signaler la publication en open data, depuis quelques semaines, des décisions du Tribunal judiciaire de Paris (annonce du premier président Soulard). Cette évolution donne déjà accès aux jugements du juge d’appui parisien, que ce soit pour la désignation d’un arbitre (TJ Paris, 15 déc. 2023, n° 23/57974) ou pour sa récusation (TJ Paris, 21 déc. 2023, n° 23/58034). Il y aura sans doute de très belles choses à examiner dans ces décisions, qui restaient jusqu’à maintenant méconnues. Jetons néanmoins, d’emblée, un pavé dans la mare (quitte à s’en mordre les doigts dans quelques années). La lecture des deux jugements montre que l’anonymisation du nom des arbitres est variable (deux noms sur trois sont anonymisés). L’article L. 111-13 du code de l’organisation judiciaire dispose que « Les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans la décision, lorsqu’elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public ». Les arbitres sont des personnes physiques, mais sont-ils véritablement, au sens de ce texte, des tiers ? À défaut, l’occultation de leur nom est dépourvue de fondement. Or il n’est pas illégitime de s’intéresser aux arbitres désignés par le juge judiciaire. Faute de titres, de diplômes, de listes et de régulation, quels sont les heureux élus que le service public de la justice consent à choisir pour exercer une mission (bien) rémunérée ? Un jour, la question méritera d’être explorée.
La réforme de la procédure d’appel
Le 31 décembre 2023, les fidèles lecteurs du Journal officiel ont eu le plaisir de découvrir un décret n° 2023-1391 du 29 décembre 2023 portant simplification de la procédure d’appel en matière civile. Annoncé depuis près d’un an, notamment à l’occasion d’un discours du ministre de la Justice du 5 janvier 2022, les projets circulaient sous le manteau depuis quelques mois. Le résultat suscitera des réactions mitigées. Si l’on peut se réjouir de nombreuses clarifications (et souligner que le texte est de bonne facture, ce qui est suffisamment rare pour être dit), l’objectif annoncé de desserrer les contraintes résultant des décrets Magendie est loin d’être atteint ; au contraire, les quelques concessions faites aux avocats ne doivent pas masquer que les charges procédurales pesant sur les parties se sont (encore) accrues.
Avant d’examiner les questions de fond, commençons par la fin : l’entrée en vigueur du décret. L’article 16 la fixe au « 1er septembre 2024 ». Plus précisément, il est « applicable aux instances d’appel introduites à compter de cette date et aux instances reprises devant la cour d’appel à la suite d’un renvoi après cassation lorsque la juridiction de renvoi est saisie à compter de cette même date ». Ainsi, tout recours – annulation, appel de l’ordonnance d’exequatur ou appel d’une sentence interne – exercé à partir de cette date sera soumis au nouveau dispositif. Il faut encore ajouter les saisines de la cour d’appel à la suite d’un renvoi après cassation, ce qui n’est pas si rare en matière arbitrale. Bref, huit mois, c’est le délai laissé au justiciable pour s’approprier le texte. Un délai long, conformément aux injonctions du Conseil d’État en la matière (CE 22 sept. 2022, Conseil national des barreaux et autres, nos 436939 et 437002, Dalloz actualité, 3 oct. 2022, obs. M. Barba ; ibid., 4 oct. 2022, obs. M. Barba ; Lebon  ; AJDA 2022. 1817
 ; AJDA 2022. 1817  ; D. 2022. 1912
 ; D. 2022. 1912  ; ibid. 2096, entretien M. Barba
 ; ibid. 2096, entretien M. Barba  ; ibid. 2023. 571, obs. N. Fricero
 ; ibid. 2023. 571, obs. N. Fricero  ; Rev. prat. rec. 2023. 34, chron. B. Gorchs-Gelzer
 ; Rev. prat. rec. 2023. 34, chron. B. Gorchs-Gelzer  ).
).
Sur le fond, il faudra s’habituer à la complète renumérotation des articles et au nouveau plan. Rien de bien problématique toutefois et on peut apprécier l’effort de structuration. De manière générale, on se limitera à une présentation des principales évolutions susceptibles d’intéresser le lecteur de cette chronique. Elles concernent la déclaration de recours, les délais, les attributions du conseiller de la mise en état et le formalisme des conclusions.
La déclaration de recours
Le recours en annulation n’est pas, au sens strict, formalisé par une déclaration d’appel, mais plutôt par une déclaration de recours. Reste que, comme pour l’appel de l’ordonnance d’exequatur et l’appel contre une sentence interne, l’article 901 du code de procure civile s’applique. Celui-ci fait l’objet de retouches substantielles.
D’une part, il est mis fin aux multiples renvois qui résultent de l’ancienne rédaction ; désormais, l’article se suffit à lui seul, ce qui doit être approuvé. D’autre part, les conditions auxquelles la déclaration doit répondre évoluent. Les deux principales doivent être précisées.
Premièrement, le nouveau 6° de l’article 901 prévoit que la déclaration d’appel contient « l’objet de l’appel en ce qu’il tend à l’infirmation ou à l’annulation du jugement ». Cet ajout constitue une reprise de l’article 54, 2°, du code de procédure civile, anciennement applicable par renvoi. Un débat intense existe autour de cette question de « l’objet de l’appel » et, en particulier, de la sanction en cas d’omission (M. Barba et R. Laffly, Objet de l’appel : pas de sujet ?, Dalloz actualité, 26 juin 2023). Il n’y en a désormais plus : la déclaration d’appel doit préciser son objet et, plus spécifiquement, si elle tend « à l’infirmation ou à l’annulation du jugement ».
L’exigence s’applique – pas de risque inutile – dans les recours en matière d’arbitrage, quand bien même ce n’est pas un appel et quand bien même l’article parle de « jugement » et non de « sentence ». Plus précisément, dans le cadre du recours en annulation, l’objet de l’appel (ou plutôt du recours…) est l’annulation de la sentence. Dans le cadre de l’appel d’une ordonnance d’exequatur, l’objet de l’appel est l’infirmation de l’ordonnance d’exequatur. Enfin, dans le cadre de l’appel d’une sentence interne, l’objet de l’appel est l’infirmation de la sentence ou, plus rarement, son annulation (C. pr. civ., art. 1490, al. 1er).
Au surplus, il faut se préserver de la tentation que l’on trouve en pratique d’une formule générale, qui consiste à dire que l’appel tend « à l’annulation ou à l’infirmation ». D’une part, c’est juridiquement faux, à tout le moins, pour le recours en annulation. D’autre part, cet énoncé est trop vague et n’atteint pas l’objectif de détermination de l’objet de l’appel. Ce qui est attendu du recourant, c’est qu’il choisisse ou, a minima, qu’il hiérarchise sous la forme d’un principal et d’un subsidiaire. Toute autre formulation emporte un risque de litige.
Deuxièmement, le 7° de l’article 901 impose de réaliser une critique des chefs du dispositif du jugement dès la déclaration d’appel. Il énonce que : « Les chefs du dispositif du jugement expressément critiqués auxquels l’appel est, sans préjudice du premier alinéa de l’article 915-2, limité, sauf si l’appel tend à l’annulation du jugement » (avant, le code parlait de critique des chefs de jugement. Gageons que cette évolution sémantique ne change rien, même s’il y a de quoi en débattre).
L’exigence est (douloureusement) connue. Le texte est globalement inchangé, à l’exception de deux retouches.
La première est la suppression de l’exception tirée de l’indivisibilité de l’objet du litige (v. égal., la modification de l’art. 562 c. pr. civ. dans la même logique), qui permet de sauver certaines déclarations d’appel vierges de toute critique des chefs de jugement. Ce n’est désormais plus le cas, ce qui montre que le décret est loin de poursuivre une volonté d’assouplissement (un sauvetage partiel est néanmoins possible, à travers le critère de la dépendance entre certains chefs de jugement : art. 915-2 c. pr. civ.).
La seconde est l’apparition d’un renvoi à l’article 915-2 du code de procédure civile. Celui-ci permet à l’appelant de « compléter, retrancher ou rectifier, dans le dispositif de ses premières conclusions remises dans les délais prévus au premier alinéa de l’article 906-2 et à l’article 908, les chefs du dispositif du jugement critiqués mentionnés dans la déclaration d’appel ». L’idée est simple. Aujourd’hui, les parties ont la possibilité de sauver une première déclaration d’appel en réalisant une seconde déclaration d’appel, dans le délai pour conclure (v. not., Civ. 2e, avis, 20 déc. 2017, nos 17-70.034, 17-70.035 et 17-70.036, D. 2018. 18  ; ibid. 692, obs. N. Fricero
 ; ibid. 692, obs. N. Fricero  ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle
 ; ibid. 757, chron. E. de Leiris, O. Becuwe, N. Touati et N. Palle  ; AJ fam. 2018. 142, obs. M. Jean
 ; AJ fam. 2018. 142, obs. M. Jean  ). La même faculté est désormais offerte, dans le même délai, par voie de conclusions ou, plus précisément, du premier jeu de conclusions. Voilà qui peut être perçu comme une concession faite aux avocats… à moins qu’il ne s’agisse d’un terrible piège qui leur est tendu (v. infra, à propos de la rédaction des conclusions).
). La même faculté est désormais offerte, dans le même délai, par voie de conclusions ou, plus précisément, du premier jeu de conclusions. Voilà qui peut être perçu comme une concession faite aux avocats… à moins qu’il ne s’agisse d’un terrible piège qui leur est tendu (v. infra, à propos de la rédaction des conclusions).
En tout état de cause, le recours en annulation est exempté de cette contrainte, puisque, s’agissant d’une demande d’annulation, aucune critique de la sentence n’est nécessaire au stade de la déclaration de recours. Il en va différemment de l’appel de l’ordonnance d’exequatur, qui doit donner lieu à une critique, le plus souvent en ce que l’exequatur a été accordé ou refusé. Enfin, pour l’appel de la sentence interne, la critique est encore nécessaire. Il n’en demeure pas moins qu’il existe une difficulté dans cette hypothèse : dès lors que les arbitres ne sont pas obligés de présenter leur décision sous forme de dispositif comment identifier les « chefs du dispositif du jugement » devant faire l’objet d’une telle critique ? Pour éviter toute contestation, il est prudent d’inclure toute formule susceptible de trancher une prétention.
Finalement, aussi bien pour le 6° que pour le 7° de l’article 901 du code de procédure civile, la question de la sanction en cas de non-respect de l’exigence se pose. Les spécialistes de la procédure d’appel savent que la nullité fulminée à l’alinéa 1er n’est que l’arbuste qui cache la forêt. En effet, au moins pour le défaut de critique des chefs de jugement, la véritable sanction réside dans l’absence d’effet dévolutif (Civ. 2e, 30 janv. 2020, n° 18-22.528 P, Dalloz actualité, 17 févr. 2020, obs. R. Laffly ; D. 2020. 288  ; ibid. 576, obs. N. Fricero
 ; ibid. 576, obs. N. Fricero  ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle
 ; ibid. 1065, chron. N. Touati, C. Bohnert, S. Lemoine, E. de Leiris et N. Palle  ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero
 ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero  ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon
 ; D. avocats 2020. 252, étude M. Bencimon  ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry
 ; RTD civ. 2020. 448, obs. P. Théry  ; ibid. 458, obs. N. Cayrol
 ; ibid. 458, obs. N. Cayrol  ).
).
Deux remarques à ce sujet.
La première est que l’on peut regretter que le pouvoir réglementaire n’ait pas jugé utile de faire figurer la sanction à l’article 901 du code de procédure civile. L’objectif de clarification, louable une fois de plus, devait s’accompagner de la mention de la véritable sanction. Si elle figure, a contrario, à la deuxième phrase de l’alinéa 1er de l’article 915-2 du code de procédure civile (« la cour est saisie des chefs du dispositif du jugement ainsi déterminés et de ceux qui en dépendent »), les vertus pédagogiques de la nouvelle rédaction de l’article 901 sont en partie perdues par ce silence.
Deuxièmement, le mystère est entier à propos de la sanction en cas d’omission de l’objet de l’appel. Il y a fort à parier que cette question sera l’une des plus débattues. À notre estime, il faut s’attendre à une reprise de la sanction déjà prévue en cas d’absence de cette mention dans les conclusions : « lorsque l’appelant ne demande dans le dispositif de ses conclusions ni l’infirmation ni l’annulation du jugement, la cour d’appel ne peut que confirmer le jugement » (Civ. 2e, 17 sept. 2020, n° 18-23.626, Dalloz actualité, 1er oct. 2020, obs. C. Auché et N. de Andrade ; D. 2020. 2046  , note M. Barba
, note M. Barba  ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero
 ; ibid. 2021. 543, obs. N. Fricero  ; ibid. 1353, obs. A. Leborgne
 ; ibid. 1353, obs. A. Leborgne  ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet
 ; AJ fam. 2020. 536, obs. V. Avena-Robardet  ; D. avocats 2020. 448 et les obs.
 ; D. avocats 2020. 448 et les obs.  ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, A.-I. Gregori, R. Laher et A. Provansal
 ; Rev. prat. rec. 2020. 15, chron. I. Faivre, A.-I. Gregori, R. Laher et A. Provansal  ; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol
 ; RTD civ. 2021. 479, obs. N. Cayrol  ; JCP 2020. 1281, note N. Cayrol ; ibid. Doctr. 1472, chron. L. Mayer ; Procédures 2020. Comm. 190, obs. R. Laffly ; Gaz. Pal. 26 janv. 2021, p. 79, obs. N. Hoffschir ; ibid. 82, obs. L. Lauvergnat, 8 déc. 2020, p. 41, obs. J.-J. Ansault et 27 oct. 2020, p. 9, obs. P. Gerbay). Ce qui vaut pour les conclusions devrait valoir pour la déclaration d’appel. Reste à savoir si un sauvetage pourra être réalisé, alors que le 6° de l’article 901 ne renvoie pas à l’article 915-2 du code de procédure civile et que ce dernier ne prévoit rien en ce sens. Spontanément, on peut craindre une avalanche de contentieux et de sinistres.
 ; JCP 2020. 1281, note N. Cayrol ; ibid. Doctr. 1472, chron. L. Mayer ; Procédures 2020. Comm. 190, obs. R. Laffly ; Gaz. Pal. 26 janv. 2021, p. 79, obs. N. Hoffschir ; ibid. 82, obs. L. Lauvergnat, 8 déc. 2020, p. 41, obs. J.-J. Ansault et 27 oct. 2020, p. 9, obs. P. Gerbay). Ce qui vaut pour les conclusions devrait valoir pour la déclaration d’appel. Reste à savoir si un sauvetage pourra être réalisé, alors que le 6° de l’article 901 ne renvoie pas à l’article 915-2 du code de procédure civile et que ce dernier ne prévoit rien en ce sens. Spontanément, on peut craindre une avalanche de contentieux et de sinistres.
Les délais
Sur le terrain des délais, les évolutions sont peu nombreuses, alors que c’est là que des assouplissements étaient attendus. Plus précisément, il faut distinguer la procédure à bref délai et la procédure avec mise en état.
La première n’est pas usitée en matière d’arbitrage, sauf dans deux cas : le recours contre une décision du juge d’appui et l’appel contre une décision sur la compétence du juge de la mise en état (dans le cadre de l’art. 1448 c. pr. civ.). Dans un cas comme dans l’autre, le délai de signification de la déclaration d’appel est porté à vingt jours (C. pr. civ., art. 906-1) et le délai pour conclure est porté à deux mois (C. pr. civ., art. 906-2).
La seconde procédure est celle suivie pour les recours impliquant une sentence.
L’ancien délai de trois mois pour conclure, imposé tant à l’appelant qu’à l’intimé, est maintenu (C. pr. civ., art. 908, 909 et 910). L’augmentation du délai à cinq mois, envisagée pendant un temps, n’a pas été retenue (sans préjudice de la faculté désormais offerte au conseiller de la mise en état, par l’article 911, d’allonger les délais). Il faut s’en réjouir. En matière d’arbitrage, il est fréquent que les délais soient augmentés du fait de la distance. On se retrouve ainsi avec des délais à cinq + cinq pour le premier échange de conclusions. L’ajout de deux mois supplémentaires aurait porté, dans la plupart des contentieux, les délais pour conclure à quatorze mois (7+7), ce qui n’est pas raisonnable. Un délai de trois mois est déjà bien suffisant pour un premier jeu de conclusions.
On ajoutera, à propos des délais, que la faculté pour le conseiller de la mise en état de fixer un calendrier est confirmée. Cette fois, l’article 912 du code de procédure civile prévoit que « les délais fixés dans le calendrier de la mise en état ne peuvent être prorogés qu’en cas de cause grave et dûment justifiée ». Il ajoute que « si les parties s’abstiennent d’accomplir les actes de la procédure qui leur incombent dans les délais fixés par ce calendrier, le conseiller de la mise en état peut, d’office, après avis donné à leur avocat, prendre une ordonnance de radiation motivée non susceptible de recours ». L’article 914-2 prévoit lui une seconde série de sanctions, en énonçant que « si l’une des parties n’accomplit pas les actes de la procédure qui lui incombent dans les délais fixés par le calendrier prévu au deuxième alinéa de l’article 912, le conseiller de la mise en état peut ordonner la clôture à son égard, d’office ou à la demande d’une partie, sauf, en ce dernier cas, la possibilité pour le conseiller de la mise en état de refuser par ordonnance motivée non susceptible de recours. Copie de l’ordonnance est adressée à la partie défaillante, à son domicile réel ou à sa résidence ». On glisse vers une généralisation des calendriers et vers un respect strict des délais qu’il fixe, à peine de radiation ou de clôture.
Les attributions du conseiller de la mise en état
La question des attributions du conseiller de la mise en état est celle qui a fait l’objet du plus d’attention de la part de la Chancellerie. La principale décision est de supprimer le renvoi réalisé par l’article 907 du code de procédure civile aux attributions du juge de la mise en état. Désormais, les articles 913 et suivants du code de procédure civile se suffisent à eux-mêmes. Du point de vue de l’exercice des voies de recours, ces modifications ne sont pas anodines.
Il résulte de la suppression de ce renvoi que le conseiller de la mise en état n’est plus, sur le fondement de l’article 789, 6°, compétent pour connaître des fins de non-recevoir. Désormais, la liste des irrecevabilités qui lui reviennent se trouve à l’article 913-5. Avant la réforme, deux avis successifs de la Cour de cassation ont vidé de leur substance les attributions du conseiller de la mise en état en procédure civile (Civ. 2e, avis, 11 oct. 2022, n° 22-70.010, Dalloz actualité, 18 oct. 2022, obs. R. Laffly ; D. 2022. 2015  , note M. Barba et T. Le Bars
, note M. Barba et T. Le Bars  ; ibid. 2023. 915, chron. F. Jollec, C. Bohnert, S. Ittah, X. Pradel, C. Dudit et J. Vigneras
 ; ibid. 2023. 915, chron. F. Jollec, C. Bohnert, S. Ittah, X. Pradel, C. Dudit et J. Vigneras  ; Rev. prat. rec. 2022. 5, chron. O. Cousin et O. Salati
 ; Rev. prat. rec. 2022. 5, chron. O. Cousin et O. Salati  ; JCP 2022. 1185, note P. Gerbay ; 3 juin 2021, n° 21-70.006, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; ibid., 17 juin 2021, obs. R. Laffly ; D. 2021. 1139
 ; JCP 2022. 1185, note P. Gerbay ; 3 juin 2021, n° 21-70.006, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; ibid., 17 juin 2021, obs. R. Laffly ; D. 2021. 1139  ; ibid. 2272, obs. T. Clay
 ; ibid. 2272, obs. T. Clay  ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero
 ; ibid. 2022. 625, obs. N. Fricero  ). En revanche, il en va différemment en matière d’arbitrage. En effet, le recours en annulation est un recours original, puisqu’il exclut l’intervention d’un juge judiciaire de première instance. De cette spécificité, des solutions assez byzantines sont nées.
). En revanche, il en va différemment en matière d’arbitrage. En effet, le recours en annulation est un recours original, puisqu’il exclut l’intervention d’un juge judiciaire de première instance. De cette spécificité, des solutions assez byzantines sont nées.
Ainsi, il est jugé que l’argument tiré de la renonciation, qualifié de fin de non-recevoir, doit être soumis au conseiller de la mise en état (Paris, 24 janv. 2023, n° 22/00733, SOGEA-SATOM, Dalloz actualité, 14 mars 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; Gaz. Pal., 16 mai 2023, n° 16, p. 7, note L. Larribère ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay  ; 19 oct. 2023, n° 22/18712, AS PNB Banka), quand bien même la pratique constante est de renvoyer à la cour d’appel. En revanche, la 5-16 juge que d’autres arguments relatifs à la recevabilité des griefs (Paris, 28 juin 2022, n° 21/06317, Dalloz actualité, 13 juill. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330
 ; 19 oct. 2023, n° 22/18712, AS PNB Banka), quand bien même la pratique constante est de renvoyer à la cour d’appel. En revanche, la 5-16 juge que d’autres arguments relatifs à la recevabilité des griefs (Paris, 28 juin 2022, n° 21/06317, Dalloz actualité, 13 juill. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330  , obs. T. Clay
, obs. T. Clay  ) ou encore des questions portant sur la recevabilité de la demande d’annulation de la sentence (Paris, 19 oct. 2023, n° 22/18712, AS PNB Banka, préc.) relèvent de la cour d’appel. L’idée qui semble se dégager de cette jurisprudence insaisissable est que seule la question de la renonciation à un grief (fondée sur l’art. 1466 c. pr. civ.) relève du conseiller de la mise en état, alors que le reste retombe entre les mains de la cour.
) ou encore des questions portant sur la recevabilité de la demande d’annulation de la sentence (Paris, 19 oct. 2023, n° 22/18712, AS PNB Banka, préc.) relèvent de la cour d’appel. L’idée qui semble se dégager de cette jurisprudence insaisissable est que seule la question de la renonciation à un grief (fondée sur l’art. 1466 c. pr. civ.) relève du conseiller de la mise en état, alors que le reste retombe entre les mains de la cour.
Le décret du 29 décembre 2023 met un terme à ce débat. Le conseiller de la mise en état n’est plus compétent pour connaître de toutes les fins de non-recevoir, mais seulement celles limitativement énumérées à l’article 913. Par conséquent, la renonciation au grief repasse entre les mains – qu’elle n’aurait jamais dû quitter – de la cour, sans passer par le conseiller de la mise en état. Voilà qui est heureux !
Le formalisme des conclusions
On finira cette rapide présentation du décret en évoquant la rédaction des conclusions. Deux articles doivent être évoqués, qui doivent en réalité être lus de façon complémentaire.
Le premier est l’article 954 du code de procédure civile, dont le deuxième alinéa est réécrit. Il prévoit désormais que « les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens et un dispositif dans lequel l’appelant indique s’il demande l’annulation ou l’infirmation du jugement et énonce, s’il conclut à l’infirmation, les chefs du dispositif du jugement critiqués, et dans lequel l’ensemble des parties récapitule leurs prétentions ».
L’évolution présente deux visages. Bienveillante, d’abord, en ce qu’elle énonce de façon claire les charges procédurales qui pèsent sur les parties, en particulier l’appelant, à propos de la rédaction du dispositif de ses conclusions : (i) demander l’annulation ou l’infirmation du jugement ; (ii) critiquer les chefs du dispositif du jugement ; (iii) récapituler ses prétentions. Voilà qui synthétise la jurisprudence et qui révèle en creux que les solutions de la Cour de cassation étaient dépourvues de fondement textuel. Exigeante, ensuite, puisqu’elle consacre l’obligation de réaliser à nouveau la critique des chefs du dispositif du jugement dans les conclusions (sauf pour le recours en annulation), alors que celle-ci n’était pas exigée (Civ. 2e, 3 mars 2022, n° 20-20.017, Dalloz actualité, 12 mars 2022, obs. C. Lhermitte ; D. 2022. 515  ; AJ fam. 2022. 176, obs. D. D’Ambra
 ; AJ fam. 2022. 176, obs. D. D’Ambra  ; Rev. prat. rec. 2022. 8, chron. E. Jullien et R. Laher
 ; Rev. prat. rec. 2022. 8, chron. E. Jullien et R. Laher  ; Procédures 2022. Comm. 117, obs. R. Laffly ; Rev. Lamy Droit civil, mai 2022, p. 37, note M. Barba). Voilà qui conduira à des dispositifs-fleuves, en particulier pour les appels contre les sentences internes.
 ; Procédures 2022. Comm. 117, obs. R. Laffly ; Rev. Lamy Droit civil, mai 2022, p. 37, note M. Barba). Voilà qui conduira à des dispositifs-fleuves, en particulier pour les appels contre les sentences internes.
La question est de déterminer la sanction en cas d’absence de critique des chefs de jugement dans les conclusions. Le dispositif des conclusions doit contenir (i) la demande d’annulation ou d’infirmation, (ii) la critique des chefs de jugement et (iii) un récapitulatif des prétentions. On connaît la sanction en cas d’omission de la première mention : la cour ne peut que confirmer le jugement. On connaît également la sanction en cas de lacune sur la troisième mention : elle entraîne l’absence de saisine de la cour de cette prétention voire la caducité de la déclaration d’appel.
Qu’en est-il pour cette nouvelle exigence de critique des chefs de jugement ?
On voit déjà venir l’absence d’effet dévolutif. En effet l’article 915-2 du code de procédure civile, deuxième disposition pertinente en matière de conclusions, prévoit désormais « que l’appelant principal peut compléter, retrancher ou rectifier, dans le dispositif de ses premières conclusions remises dans les délais prévus au premier alinéa de l’article 906-2 et à l’article 908, les chefs du dispositif du jugement critiqués mentionnés dans la déclaration d’appel. La cour est saisie des chefs du dispositif du jugement ainsi déterminés et de ceux qui en dépendent ». Là aussi, la règle est à deux visages. Bienveillante, elle permet de compléter une déclaration d’appel lacunaire (v. supra) ; exigeante, elle pourrait conduire à une absence (ou une limitation) de l’effet dévolutif. En effet, avec cette nouvelle règle, une partie peut « retrancher » à la critique réalisée dans la déclaration d’appel. Comment, en conséquence, apprécier des conclusions dépourvues de toute critique des chefs de jugement, si ce n’est par le constat que la partie a réduit à néant la saisine de la cour d’appel ?
La crainte est d’autant plus forte que la seconde phrase de l’alinéa prévoit que « la cour est saisie des chefs du dispositif du jugement ainsi déterminés et de ceux qui en dépendent ». A contrario, elle n’est pas saisie des chefs du dispositif du jugement qui ne sont pas déterminés. Reste en réalité à savoir si cette détermination se réalise par un cumul entre la déclaration d’appel et les conclusions, où si elle dépend exclusivement des conclusions. Dans cette dernière hypothèse, c’est la consécration implicite, mais ferme, d’une nouvelle absence d’effet dévolutif à défaut de critique des chefs du dispositif du jugement dans le dispositif des conclusions.
On veut bien croire à une issue heureuse, mais rares sont les obligations qui restent sans sanction. Il est donc préférable de rester vigilant lorsque la critique des chefs du dispositif du jugement s’impose, à savoir dans l’appel contre l’ordonnance d’exequatur et l’appel contre la sentence interne. La vigilance, plus que jamais, tel est le maître mot de celui qui entend former un recours devant les juridictions françaises.
La loyauté de la preuve
La question de la loyauté de la preuve est dans l’ère du temps. Le 22 décembre 2023, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a rendu deux très grands arrêts en la matière (nos 20-20.648 et 21-11.330, Dalloz actualité, 9 janv. 2024, obs. N. Hoffschir ; D. 2024. 14  ) ; le premier arrêt est toutefois bien plus intéressant dans sa motivation). Quand bien même ces décisions n’ont aucun rapport avec le droit de l’arbitrage, elles auront des conséquences indirectes non négligeables.
) ; le premier arrêt est toutefois bien plus intéressant dans sa motivation). Quand bien même ces décisions n’ont aucun rapport avec le droit de l’arbitrage, elles auront des conséquences indirectes non négligeables.
Sur le fond de cette décision, la Cour opère un revirement. Antérieurement, il fallait distinguer la preuve illicite de la preuve déloyale. La première était recevable lorsqu’indispensable au succès de la prétention de celui qui s’en prévaut et si l’atteinte portée aux droits antinomiques en présence était strictement proportionnée au but poursuivi. La seconde, en revanche, n’était pas recevable. Désormais, il en va différemment, la cour estimant que « l’application de cette jurisprudence peut cependant conduire à priver une partie de tout moyen de faire la preuve de ses droits ». Après avoir rappelé que tant la Cour européenne des droits de l’homme que le juge pénal acceptent, sous certaines conditions, la recevabilité d’une preuve déloyale, et après avoir mis en relief « la difficulté de tracer une frontière claire entre les preuves déloyales et les preuves illicites », la Cour décide de reconnaître la recevabilité de la preuve déloyale. Plus précisément, elle juge qu’« il y a lieu de considérer désormais que, dans un procès civil, l’illicéité ou la déloyauté dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats. Le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence, le droit à la preuve pouvant justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi ».
En droit de l’arbitrage, la question se pose sous deux angles. Elle se pose, d’abord, devant le tribunal arbitral lui-même. C’est l’objet de l’arrêt Raiya Group (Paris, 5 déc. 2023, n° 22/11002). Dans cette affaire, Raiya Group a produit, en cours de procédure arbitrale, une série de pièces issues d’une procédure arbitrale concurrente, opposant son adversaire à un tiers. Le tribunal arbitral a été saisi de la question et a interdit de divulguer les informations et documents obtenus par ses témoins au cours d’une procédure arbitrale distincte et soumis à un accord de confidentialité exprès.
Du point de vue du juge de l’annulation, la question est examinée sous l’angle de l’ordre public international et, plus précisément, de l’égalité des armes. À cet égard, la cour d’appel valide le raisonnement de l’arbitre. Elle juge que l’égalité des armes n’impose pas « l’admission de tout élément de preuve, l’arbitre pouvant être appelé à se prononcer sur la recevabilité des pièces produites devant lui par les parties, son appréciation sur ce point ne relevant pas du contrôle du juge de l’annulation » et elle ajoute que l’appréciation de « l’admissibilité des preuves relèv[e] du pouvoir souverain des arbitres ».
À cet égard, l’arrêt rendu par l’assemblée plénière le 22 décembre 2023 ne devrait avoir aucune conséquence. Le juge de l’annulation laisse à l’arbitre la liberté d’apprécier la recevabilité des preuves, qu’elles soient déloyales ou illicites, à condition que la question fasse l’objet d’un débat contradictoire. En revanche, on ne peut pas ignorer l’influence potentielle de la décision sur les discussions devant l’arbitre. Certes, la solution française ne sera pas toujours jugée pertinente, en particulier dans un arbitrage international. En revanche, elle pourrait l’être dans un arbitrage interne, voire dans un arbitrage international avec un lien fort avec la France. La solution de l’assemblée plénière peut conduire les arbitres à faire évoluer leur appréciation sur la recevabilité des preuves. Typiquement, la situation au cœur du litige dans l’affaire Raiya Group peut faire l’objet d’une appréciation différente.
Spontanément, il est évident que l’obtention et la production par une partie d’une pièce confidentielle révèlent des manœuvres déloyales. Qu’en est-il, désormais, si le principe est celui de la recevabilité ? On peut par exemple penser que, pour certains contentieux sériels impliquant une partie identique et une multitude d’opposants, ces derniers fassent tourner, malgré la confidentialité, un certain nombre de documents, en particulier des sentences arbitrales. Le débat autour de la recevabilité de ces pièces s’annonce donc passionnant et sera, sans aucun doute, influencé par l’arrêt du 22 décembre 2023.
La question de la recevabilité des pièces se pose encore sous un second angle, celui de la recevabilité d’une production devant le juge du recours. Cette fois, la question est débattue dans une affaire Hisense (Paris, 17 oct. 2023, n° 21/20796). Certains documents produits devant les juridictions françaises sont considérés par une partie comme ayant été volés, en ce qu’ils ont été obtenus par un ancien directeur dans le cadre et pour les seuls besoins de l’exécution de son contrat de travail et qu’ils n’auraient pas dû être conservés, encore moins transmis à la partie adverse.
La cour d’appel semble avoir anticipé l’arrêt d’assemblée plénière, puisqu’elle juge deux mois avant cette dernière qu’« un élément de preuve obtenu au moyen d’un procédé déloyal est en principe irrecevable à moins que sa production ne procède d’un motif légitime, qu’elle soit indispensable à l’exercice du droit d’une partie et qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits de l’autre partie au regard de l’objectif poursuivi ». La motivation est donc étonnamment similaire et conduit à penser que la solution ne devrait pas évoluer, même si le principe annoncé est celui de l’irrecevabilité. En conséquence, le juge du recours admet, sous conditions, la recevabilité des preuves déloyales pour les besoins du recours. La motivation retenue pour déclarer recevables les pièces est très instructive. La cour juge qu’il y a « lieu de mettre ces éléments en balance avec le but poursuivi qui, en l’espèce, est de démontrer l’existence d’une fraude procédurale consistant en la dissimulation aux arbitres pendant l’arbitrage de pièces déterminantes de leur décision, ce qui serait susceptible de constituer une violation de l’ordre public international, un tel but présentant dès lors un intérêt supérieur justifiant la recevabilité desdites pièces, sans porter une atteinte disproportionnée aux droits de l’autre partie au regard de l’objectif poursuivi, la cour ayant en tout état de cause toute latitude d’en apprécier la force probante et le bien fondé au regard de la violation alléguée ».
En définitive, l’arbitrage n’échappe pas aux questions de loyauté de la preuve (il est même précurseur, avec l’art. 1464 c. pr. civ. ; certains poseront problablement la question de la compatibilité de l’arrêt d’assemblée plénière avec cette disposition). Il y a fort à parier que la décision du 22 décembre 2023 aura des effets sensibles sur certaines stratégies, puisque, en creux, elle autorise à recourir à des procédés déloyaux pour obtenir une preuve décisive. Au regard des enjeux financiers en présence dans l’arbitrage, il n’y a aucun doute sur le fait que les parties sauront exploiter cette évolution. Il y a simplement à craindre que cette avancée sur le terrain du droit de la preuve emporte des effets délétères sur celui de la loyauté.
Le principe compétence-compétence
L’article 1448 du code de procédure civile distingue deux situations : celle où le tribunal arbitral est déjà saisi et celle où il ne l’est pas encore. Qu’en est-il de l’hypothèse où il n’est plus saisi ? Question originale, qu’un arrêt de la Cour de cassation nous permettra d’évoquer, juste après l’habituelle revue de jurisprudence à propos de cas plus classiques.
L’effet négatif avant la saisine de l’arbitre
Trois décisions méritent d’être évoquées dans le cadre de la présente chronique.
La première concerne la question classique du connaissement en matière maritime (v. C. Seraglini et J. Ortscheidt, Droit de l’arbitrage interne et international, 2e éd., LGDJ, coll. « Domat droit privé », 2019, n° 723). Le litige porte sur l’exécution d’un contrat de transport maritime (Bordeaux, 7 nov. 2023, n° 21/06686). Un incident a eu lieu au moment du chargement de la marchandise. L’action est engagée par l’assureur du vendeur de la marchandise, subrogé dans les droits de ce dernier. Elle est exercée contre le commissionnaire de transport, le fournisseur de la pièce défectueuse à l’origine de l’accident, le manutentionnaire portuaire et le transporteur.
C’est par ce dernier que l’incompétence est soulevée. Au soutien de son exception, il se prévaut du connaissement, qui prévoit une clause compromissoire pour un arbitrage institutionnel CMAC (China Maritime Arbitration Commission). Le connaissement mentionne le nom du vendeur en qualité de « chargeur », mais sa signature ou son cachet commercial n’y figure pas. La cour rejette l’exception d’incompétence, au motif qu’aucune pièce ne permet d’établir la connaissance de la clause ni même son acceptation tacite.
La solution révèle, une nouvelle fois, tant l’ignorance des règles du droit de l’arbitrage que la difficulté à les appréhender dans le cadre d’un raisonnement rationnel. La dialectique de la cour d’appel est simple : comment une clause peut-elle être opposable à une partie qui n’en a ni connaissance ni ne l’a acceptée ? La réponse paraît devoir couler de source. Pourtant, la solution retenue par la cour d’appel est inexacte, parce que la question est mal posée.
Il ne s’agit pas de savoir si une clause n’ayant été ni connue ni acceptée est opposable au vendeur. La résolution de cette difficulté incombe au tribunal arbitral. En revanche il s’agit de s’intéresser à l’existence d’un lien entre la clause et l’action, lequel exclut toute caractérisation d’une inapplicabilité manifeste de la première à la seconde. Or, force est de constater que l’action exercée contre un transporteur dont la mission dépend d’un connaissement n’est pas dépourvue de lien avec la clause compromissoire qui figure dans celui-ci. C’est la solution retenue depuis plusieurs années à propos de l’action exercée par le destinataire de la marchandise (Civ. 1re, 22 nov. 2005, n° 03-10.087, D. 2005. 3031  ; ibid. 2006. 3026, obs. T. Clay
 ; ibid. 2006. 3026, obs. T. Clay  ; ibid. 2007. 111, obs. H. Kenfack
 ; ibid. 2007. 111, obs. H. Kenfack  ; Rev. crit. DIP 2006. 606, note F. Jault-Seseke
 ; Rev. crit. DIP 2006. 606, note F. Jault-Seseke  ; RTD com. 2006. 251, obs. P. Delebecque
 ; RTD com. 2006. 251, obs. P. Delebecque  ; ibid. 764, obs. E. Loquin
 ; ibid. 764, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2006. 437, note O. Cachard ; JDI 2006. 622, note C. Legros ; JCP 2006. I. 148, n° 5, obs. J. Béguin ; ibid. II. 10206, note C. Humann ; 21 févr. 2006, n° 04-11.030, D. 2006. 670
 ; Rev. arb. 2006. 437, note O. Cachard ; JDI 2006. 622, note C. Legros ; JCP 2006. I. 148, n° 5, obs. J. Béguin ; ibid. II. 10206, note C. Humann ; 21 févr. 2006, n° 04-11.030, D. 2006. 670  ; ibid. 2007. 111, obs. H. Kenfack
 ; ibid. 2007. 111, obs. H. Kenfack  ; Rev. crit. DIP 2006. 606, note F. Jault-Seseke
 ; Rev. crit. DIP 2006. 606, note F. Jault-Seseke  ; RTD com. 2006. 764, obs. E. Loquin
 ; RTD com. 2006. 764, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2006. 943 ; JDI 2006. 622, note C. Legros ; DMF 2006. 379, note P. Delebecque ; JCP 2007. I. 216, n° 3, obs. J. Béguin). Il n’y a pas lieu à ce qu’elle soit différente pour le chargeur.
 ; Rev. arb. 2006. 943 ; JDI 2006. 622, note C. Legros ; DMF 2006. 379, note P. Delebecque ; JCP 2007. I. 216, n° 3, obs. J. Béguin). Il n’y a pas lieu à ce qu’elle soit différente pour le chargeur.
Pour autant, le renvoi des parties à l’arbitrage, qui s’impose en l’espèce, ne préjuge aucunement de la compétence arbitrale. Cette question nécessite un raisonnement différent, dont l’issue n’est pas, à ce stade, prévisible. Reste que le transporteur souligne, à juste titre, que le chargeur « ne pouvait au surplus en ignorer l’existence, en sa qualité de professionn[el] du commerce international et du transport maritime ». L’argument est pertinent. La connaissance et l’acceptation d’une clause peuvent se déduire d’un usage. On trouve déjà cette idée dans l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 22 novembre 2005. Ainsi, non seulement le renvoi à l’arbitrage doit prévaloir, mais on peut penser que la compétence arbitrale repose sur des arguments sérieux.
La deuxième décision soulève une question de qualification de la clause. La clause est mal rédigée (Orléans, 16 nov. 2023, n° 23/00696). Elle énonce que « tout litige pouvant survenir à l’occasion de l’interprétation et/ou de l’exécution du présent contrat, sera préalablement soumis à l’arbitrage des directions générales du prestataire et du client ». La question est de savoir comment articuler une telle clause avec le principe compétence-compétence. Deux options sont envisageables : la première est de renvoyer à l’arbitrage et de laisser le soin à l’arbitre de vérifier s’il s’agit bien d’une clause compromissoire ; la seconde est de laisser le juge étatique statuer sur la qualification. La Cour d’appel d’Orléans opte pour la seconde branche de l’analyse, de façon assez convaincante. D’un point de vue théorique, pour que l’article 1448 du code de procédure civile prive le juge étatique d’un examen de sa compétence, il faut être en présence d’une clause compromissoire. La qualification est donc une étape préalable à la mise en œuvre de l’effet négatif. On peut le résumer ainsi : pas de clause, pas d’effet négatif. Dès lors, il est normal que le juge puisse restituer à la clause sa qualification adéquate, sans être tenu par le critère du manifeste.
Au cas d’espèce, la cour écarte la qualification de clause compromissoire. Elle juge que « le terme “arbitrage” qui est employé dans cette clause ne signifie nullement que le litige devra être soumis à une instance arbitrale au sens des articles 1442 et suivants du code de procédure civile, puisque personne n’est désigné pour résoudre les éventuels différends, mais seulement pour tenter de les résoudre, et que les personnes désignées pour tenter de résoudre amiablement les éventuels litiges ne sont pas des tiers indépendants, mais les dirigeants des parties à ce contrat, ce qui est exclusif de la notion procédurale d’arbitrage ». Là encore, l’analyse convainc. Le terme arbitrage ne semble pas être utilisé dans son sens juridique, mais dans un sens courant qui, selon le Larousse, revient à « décider par son intervention de l’évolution d’une situation politique ». Cette interprétation est confortée par la parité du collège chargé d’examiner le différend et par l’absence totale d’indépendance des dirigeants désignés. Il en résulte que la clause s’apparente bien plus à un préalable obligatoire de recours à un mode amiable, plutôt qu’à une obligation de soumettre le litige à l’arbitrage.
Dans la troisième affaire (Aix-en-Provence, 21 déc. 2023, n° 22/03142), c’est la renonciation à la clause compromissoire qui est au cœur de la discussion. En l’espèce, la présence d’une clause ne fait aucun doute. Simplement, à l’occasion d’un litige, une partie écrit à son partenaire en indiquant « “Dès lors, je vous serais reconnaissant de bien vouloir mettre en œuvre cette clause afin de régler amiablement ce litige” et “Je propose de désigner un arbitre en la personne de Mme [B] [W]. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir me confirmer votre accord à bref délai. À défaut, je serais contraint de considérer que vous ne souhaitez pas exécuter la clause d’arbitrage contenue dans le contrat et saisirais donc le tribunal de commerce” ». Deux ans (!) plus tard, le juge étatique est saisi.
La cour rappelle que « la renonciation à la clause d’arbitrage suppose une attitude non équivoque des parties ». Pourtant, elle juge qu’« il n’est pas justifié, ni même allégué par la SARL Ldsi, qu’une réponse a été apportée à ces courriers. Dès lors, cette dernière manifeste de manière claire et non équivoque, sa renonciation à l’application de la clause d’arbitrage contenue dans chacune des conventions, alors qu’elle a été mise, à deux reprises en position d’actionner ladite clause ». On reste sceptique face au raisonnement. Les circonstances permettant de caractériser la renonciation sont légères et équivoques. Le seul silence face à deux courriers recommandés caractérise-t-il une renonciation à la clause, au point de justifier une saisine du juge étatique deux ans plus tard ?
En réalité, l’arrêt Tagli’apau a ouvert une porte qu’on pourrait avoir bien du mal à refermer (Civ. 1re, 9 févr. 2022, n° 21-11.253, Dalloz actualité, 16 mars 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 358  ; ibid. 2330, obs. T. Clay
 ; ibid. 2330, obs. T. Clay  ; RTD com. 2022. 487, obs. E. Loquin
 ; RTD com. 2022. 487, obs. E. Loquin  ; JCP 2022. 553, note M. de Fontmichel ; Gaz. Pal. 2022, n° 11, p. 23, note J. Clavel-Thoraval ; ibid., n° 15, p. 1, obs. L. Larribère ; Procédures 2022. Comm. 100, obs. L. Weiller ; JCP 2022. Doctr. 724, obs. L. Jandard ; JCP E 2022. 1307, note P. Casson). Dès lors que les parties sont tenues à une obligation de « loyauté procédurale régissant les parties à une convention d’arbitrage », la renonciation risque d’être convoquée tous azimuts. Ici le défaut de paiement des frais d’arbitrage, là le défaut de réponse à un courrier suggérant le nom d’un arbitre. Faut-il balayer toutes les dispositions du code de procédure civile permettant la constitution du tribunal arbitral ? Si c’est le cas, il faut s’attendre au pire des parties qui souhaitent se délier à peu de frais d’une convention d’arbitrage qu’elles ne désirent plus au moment de saisir un juge.
 ; JCP 2022. 553, note M. de Fontmichel ; Gaz. Pal. 2022, n° 11, p. 23, note J. Clavel-Thoraval ; ibid., n° 15, p. 1, obs. L. Larribère ; Procédures 2022. Comm. 100, obs. L. Weiller ; JCP 2022. Doctr. 724, obs. L. Jandard ; JCP E 2022. 1307, note P. Casson). Dès lors que les parties sont tenues à une obligation de « loyauté procédurale régissant les parties à une convention d’arbitrage », la renonciation risque d’être convoquée tous azimuts. Ici le défaut de paiement des frais d’arbitrage, là le défaut de réponse à un courrier suggérant le nom d’un arbitre. Faut-il balayer toutes les dispositions du code de procédure civile permettant la constitution du tribunal arbitral ? Si c’est le cas, il faut s’attendre au pire des parties qui souhaitent se délier à peu de frais d’une convention d’arbitrage qu’elles ne désirent plus au moment de saisir un juge.
L’effet négatif après le dessaisissement de l’arbitre
L’affaire Harlington est remarquable par l’originalité de ses faits (Civ. 1re, 20 déc. 2023, n° 22-23.935). En l’espèce, le tribunal arbitral est saisi avant le juge étatique et rend sa sentence avant l’achèvement de la procédure devant ce dernier. La question est de savoir comment la saisine du juge étatique doit être appréhendée au regard de l’article 1448 du code de procédure civile.
La Cour de cassation juge qu’« il résulte de l’article 1448 du code de procédure civile que la convention d’arbitrage ne peut être regardée comme manifestement nulle ou manifestement inapplicable par le juge étatique, lorsque celui-ci, saisi alors que la procédure arbitrale était en cours, statue après que le tribunal arbitral a rendu sa sentence définitive ». La solution n’est pas claire.
En appel, il a été jugé que « s’applique la première hypothèse envisagée, par l’alinéa 1er de l’article 1448 du code de procédure civile, selon laquelle le tribunal arbitral étant déjà saisi, l’incompétence soulevée par l’une des parties à son profit rend absolument incompétent le juge étatique qui s’avère dans ce cas tenu de renvoyer les parties à mieux se pourvoir » (Paris, 30 nov. 2022, n° 21/09704). La cour d’appel a purement et simplement refusé d’examiner la compétence, même sous l’angle d’une éventuelle nullité ou inapplicabilité manifeste.
Si la cour rejette le pourvoi, l’attendu est mystérieux. Pourquoi faire référence au caractère manifestement nul ou manifestement inapplicable de la clause, alors que la cour d’appel l’a ignoré ? Faut-il se placer sur le terrain de la première hypothèse de l’article 1448 (le tribunal arbitral est saisi) ou de la seconde hypothèse (le tribunal arbitral n’est pas saisi) pour trancher la difficulté ?
En réalité, ce qui rend complexe la situation, c’est que l’article 1448 du code de procédure civile est statique, là où le litige ne l’est pas. Ainsi, quand bien même c’est une question qui n’a jamais véritablement été jugée, l’article 1448 du code de procédure civile invite à se placer à la date où le juge étatique est saisi, plutôt qu’à la date où il statue. En l’espèce, le juge français a été saisi en 2017 ! De l’eau a coulé sous les ponts et le tribunal arbitral, saisi à l’époque, a depuis longtemps achevé sa mission.
À notre estime, la référence au caractère manifestement nul ou inapplicable de la clause est une invitation de la Cour de cassation à se placer dans la deuxième hypothèse de l’article 1448 du code de procédure civile, à savoir celle où le tribunal arbitral n’est pas saisi. Toutefois, dès lors que la clause « ne peut être regardée comme manifestement nulle ou manifestement inapplicable », le juge étatique ne peut jamais se déclarer compétent. L’idée paraît d’ailleurs frappée du coin du bon sens : comment une clause peut-elle être manifestement nulle ou inapplicable alors qu’un arbitre a pu se déclarer compétent et trancher le fond du litige ?
Si cette analyse de l’arrêt est correcte, alors le raisonnement nous paraît inexact. Ce n’est pas parce qu’un tribunal arbitral a pu rendre une sentence au fond que la clause n’est jamais manifestement nulle ou inapplicable. La clause peut être manifestement nulle ou manifestement inapplicable, même dans une telle hypothèse.
Cela dit, le raisonnement n’est pas correctement mené. En réalité, il faut distinguer quatre situations. Soit (i) le juge étatique est saisi du même litige que celui qui a été tranché par l’arbitre : dans ce cas, c’est l’autorité de chose jugée qui fait échec à l’action (à condition que la sentence puisse être reconnue), pas l’effet négatif du principe compétence-compétence. Soit (ii) le juge étatique est saisi du même litige, après que l’arbitre se soit déclaré incompétent : dans ce cas, l’effet négatif ne joue plus, dès lors qu’il existe une sentence d’incompétence permettant aux parties de saisir le juge étatique (à condition qu’elle puisse être reconnue et qu’il existe un chef de compétence du juge français). Soit (iii) le juge étatique est saisi d’un litige distinct, alors que l’arbitre s’est antérieurement déclaré compétent : dans ce cas, il ne peut y avoir autorité de chose jugée, le litige étant différent. On est donc dans le cadre de l’effet négatif. Toutefois, il n’est pas impossible que la clause soit inapplicable. C’est le cas, par exemple, si le nouveau litige n’a aucun lien avec la clause, si les parties y ont renoncé depuis ou encore si l’action est fondée sur un autre contrat contenant une clause attributive de juridiction. Soit (iv) le juge étatique est saisi d’un litige distinct, alors que l’arbitre s’est antérieurement déclaré incompétent : dans ce cas, il n’y a pas non plus autorité de chose jugée, le litige étant différent. Là encore, l’effet négatif trouve en principe à s’appliquer de façon classique, notamment en ce que le nouveau litige peut relever de la clause contrairement au premier. En somme, on voit mal en quoi la convention d’arbitrage ne peut être regardée comme manifestement nulle ou manifestement inapplicable. Pour cette raison, la solution retenue par la Cour, sauf à l’avoir mal comprise, ne paraît pas satisfaisante.
Le juge d’appui
La constitution du tribunal arbitral par le juge d’appui
Il y a quelques mois, un arrêt de la Cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion nous a fait réagir (6 avr. 2022, n° 21/00195, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques). La cour a jugé que le choix du juge d’appui de désigner une institution d’arbitrage plutôt qu’un arbitre n’est pas un excès de pouvoir. Une telle conclusion découlait d’une double erreur. D’une part, une institution d’arbitrage ne peut pas être arbitre en matière interne. L’article 1450 du code de procédure civile (inapplicable en matière internationale) énonce que « si la convention d’arbitrage désigne une personne morale, celle-ci ne dispose que du pouvoir d’organiser l’arbitrage ». La personne morale est chargée de désigner l’arbitre, mais n’est pas arbitre. D’autre part, l’article 1452 du code de procédure civile impose au juge d’appui de désigner un arbitre, soit en cas de carence des parties, soit en cas de carence des co-arbitres. C’est donc bien un arbitre que le juge d’appui doit désigner, et non une institution.
Fort logiquement, la Cour de cassation casse l’arrêt d’appel (Civ. 1re, 29 nov. 2023, n° 22-18.630, Médiafi, D. 2023. 2140  ). Dans un premier temps, elle juge qu’« il résulte des articles 1455 et 1460 du code de procédure civile que le juge d’appui statue par jugement non susceptible de recours, sauf lorsqu’il déclare n’y avoir lieu à désignation la convention d’arbitrage étant manifestement nulle ou manifestement inapplicable et que la cour d’appel, saisie d’un appel en application de l’article 1460 du code de procédure civile, statue dans la limite des pouvoirs dont le juge d’appui est investi, sa décision n’étant susceptible de recours en cassation, sauf excès de pouvoir, que lorsqu’elle déclare n’y avoir lieu à désignation d’arbitre pour une des causes prévues à l’article 1455 ». La solution est connue pour l’appel de la décision du juge d’appui : s’il dit n’y avoir lieu à désignation, l’appel est ouvert ; s’il désigne, l’appel est fermé, sous réserve d’un recours en excès de pouvoir. Elle est désormais identique pour le pourvoi : si la cour d’appel dit n’y avoir lieu à désignation, le pourvoi est ouvert ; si elle désigne, le pourvoi est fermé, sous réserve d’un recours pour excès de pouvoir.
). Dans un premier temps, elle juge qu’« il résulte des articles 1455 et 1460 du code de procédure civile que le juge d’appui statue par jugement non susceptible de recours, sauf lorsqu’il déclare n’y avoir lieu à désignation la convention d’arbitrage étant manifestement nulle ou manifestement inapplicable et que la cour d’appel, saisie d’un appel en application de l’article 1460 du code de procédure civile, statue dans la limite des pouvoirs dont le juge d’appui est investi, sa décision n’étant susceptible de recours en cassation, sauf excès de pouvoir, que lorsqu’elle déclare n’y avoir lieu à désignation d’arbitre pour une des causes prévues à l’article 1455 ». La solution est connue pour l’appel de la décision du juge d’appui : s’il dit n’y avoir lieu à désignation, l’appel est ouvert ; s’il désigne, l’appel est fermé, sous réserve d’un recours en excès de pouvoir. Elle est désormais identique pour le pourvoi : si la cour d’appel dit n’y avoir lieu à désignation, le pourvoi est ouvert ; si elle désigne, le pourvoi est fermé, sous réserve d’un recours pour excès de pouvoir.
La Cour d’appel de Saint-Denis de La Réunion ayant désigné une personne morale comme arbitre, le pourvoi en cassation est fermé. Reste à savoir s’il existe un excès de pouvoir. Au visa des articles 1450, 1452 et 1460, alinéa 3, du code de procédure civile, la Cour juge qu’« en arbitrage interne, il résulte de ces textes qu’il appartient au juge d’appui saisi de difficultés de constitution du tribunal arbitral, de désigner une personne physique en qualité d’arbitre sans qu’il lui soit permis de déléguer ce pouvoir à une personne morale ». Elle en déduit qu’en désignant une personne morale plutôt qu’une personne physique comme arbitre, « la cour d’appel a méconnu l’étendue de ses pouvoirs ». La solution doit être approuvée. Il y a même un double excès de pouvoir en l’espèce, l’un négatif, par le refus de désigner un arbitre, et l’autre positif, par la modification de la convention d’arbitrage en déléguant cette prérogative à une personne morale !
La récusation de l’arbitre par le juge d’appui
Les décisions en matière de récusation d’un arbitre devant le juge d’appui sont rares. Ce n’est d’ailleurs pas une bonne nouvelle (même si la diffusion des décisions de première instance peut faire évoluer la situation, v. supra). L’exercice de ce recours constitue la pierre angulaire du système mis en place par le décret de 2011 en matière d’obligation de révélation et, pourtant, on ne connaît rien des pratiques en la matière. Cette sécheresse jurisprudentielle s’explique par la fermeture, sur le fondement de l’article 1460, alinéa 3, du code de procédure civile, des voies de recours contre les décisions du juge d’appui. Ainsi, le contentieux ne remonte pas devant les cours d’appel et la Cour de cassation, ce qui laisse de très nombreuses questions en suspens. À ce titre, l’arrêt rendu dans une affaire SCM est important, même si la réponse apportée laisse perplexe (Paris, 7 nov. 2023, n° 23/04476).
L’affaire concerne l’exclusion d’un associé de la SCM. L’associé exclu engage un arbitrage et désigne un arbitre le 5 septembre 2022. Le 30 septembre 2022, la SCM conteste la désignation de l’arbitre, motif pris qu’il ne présente pas les garanties d’impartialité objectives requises, étant connu pour sa position contraire aux intérêts de la SCM dans le cadre de plusieurs instances. Par courriel du 4 octobre 2022, le demandeur à l’arbitrage informe la SCM de ce qu’il ne modifie pas sa décision sur l’arbitre désigné. Par acte du 28 octobre 2022, la SCM saisit le juge d’appui.
La question juridique porte sur le délai (de prescription ou de forclusion ? la cour d’appel opte pour la prescription) d’exercice de la demande en récusation. L’article 1456 du code de procédure civile énonce qu’« en cas de différend sur le maintien de l’arbitre, la difficulté est réglée par la personne chargée d’organiser l’arbitrage ou, à défaut, tranchée par le juge d’appui, saisi dans le mois qui suit la révélation ou la découverte du fait litigieux ». C’est ce fondement qui est utilisé par la cour d’appel pour qualifier de tardif le recours.
À première vue, la solution est convaincante. L’arbitre a été désigné le 5 septembre (et le courrier reçu le 8 septembre) et le recours exercé le 28 octobre. Force est de constater que le délai d’un mois est dépassé. Certes, en principe, le point de départ du délai d’exercice de la demande de récusation est la date de révélation de la circonstance. Tel n’a pas été le cas en l’espèce, l’arbitre n’ayant pas encore, selon les termes du recourant, « encore satisfait à son devoir de révélation ». Reste que, si la demande de récusation a été exercée indépendamment de toute révélation, c’est que la circonstance est notoire. C’est d’ailleurs le sens du recours, puisqu’il se fonde sur le fait que l’arbitre est connu pour ses positions contraires aux intérêts de la SCM. Or chacun sait que la notoriété dispense l’arbitre de toute révélation et fait courir le délai de récusation. Dès lors, la connaissance du nom de l’arbitre impose un recours immédiat, son hostilité au défendeur étant notoire. D’ailleurs, l’article 1456 du code de procédure civile évoque bien comme point de départ alternatif « la découverte du fait litigieux », qui est en réalité ici la conséquence de la découverte du nom de l’arbitre désigné. Tout concorde donc pour juger que le recours est tardif.
Pourtant, la solution met mal à l’aise. Une autre voie est possible. Dans l’arrêt, il est dit non seulement que l’arbitre n’a pas encore satisfait à son devoir de révélation, mais encore qu’il n’a pas informé les parties de l’acceptation de sa mission. Si ces éléments sont confirmés, ils permettent un cheminement différent. Revenons au texte. L’article 1456 du code de procédure civile pose un point de départ du délai de récusation alternatif : soit la date de la révélation, soit la date de la découverte du fait litigieux. C’est sur le second que la cour s’est fondée. Mais ce n’est pas tout. La phrase commence de la façon suivante : « en cas de différend sur le maintien de l’arbitre ». Le texte ne mentionne pas la personne désignée, mais l’arbitre. L’utilisation de cette qualification a un sens ; le tiers doit, au moment du recours, d’ores et déjà avoir la qualité d’arbitre. De ce point de vue, l’alinéa 2 de l’article 1456 du code de procédure civile est riche d’enseignements : il dispose qu’il « appartient à l’arbitre, avant d’accepter sa mission, de révéler toute circonstance susceptible d’affecter son indépendance ou son impartialité ». Ainsi, une chronologie claire est posée : d’abord, la révélation, ensuite l’acceptation de la mission. À cette première chronologie, s’ajoute une seconde : l’acceptation de la mission est la condition de formation du contrat d’arbitre. Cette idée découle très simplement de la qualification contractuelle, certes discutée (sur la question, L. Jandard, La relation entre l’arbitre et les parties. Critique du contrat d’arbitre, [dir.] F.-X. Train, LGDJ, 2018), du contrat d’arbitre. Elle est en tout cas explicitement formulée depuis quelque temps par la cour d’appel de Paris, qui énonce que « cette obligation [de révélation] doit être regardée comme déterminante de la régularité de la constitution de la juridiction arbitrale, son accomplissement conditionnant l’acceptation de la nomination de l’arbitre par les parties » (Paris, 24 oct. 2023, n° 19/13396, Garcia, préc.).
Dès lors, avant l’acceptation de la mission, il n’y a pas d’arbitre, mais un tiers auquel il est fait une offre de mener à bien une mission d’arbitre. En conséquence, la chronologie est la suivante : d’abord, la révélation ; ensuite, l’acceptation de la mission ; enfin, la formation du contrat d’arbitre et l’obtention de la qualité d’arbitre.
Pourquoi tout ce cheminement ? Tout simplement parce que l’article 1456 du code de procédure civile conditionne le déclenchement du délai de récusation à la qualité d’arbitre du tiers. Celui-ci faisant défaut en l’espèce, faute de révélation et d’acceptation de la mission, il nous semble que la partie recourante n’est pas hors délai.
En somme, l’article 1456 du code de procédure civile ne doit pas être interprété comme posant une seule condition (alternative) au départ du délai de la demande en récusation, mais une double condition : d’une part, la qualité d’arbitre, obtenue après la révélation et l’acceptation de la mission et, d’autre part, la révélation d’une circonstance ou sa découverte.
La saisine de l’arbitre
L’article R. 511-7 du code des procédures civiles d’exécution dispose que « si ce n’est dans le cas où la mesure conservatoire a été pratiquée avec un titre exécutoire, le créancier, dans le mois qui suit l’exécution de la mesure, à peine de caducité, introduit une procédure ou accomplit les formalités nécessaires à l’obtention d’un titre exécutoire ». La saisine du tribunal arbitral, conformément à la clause compromissoire, répond-elle à cette exigence ? La réponse est positive. La Cour d’appel de Paris, dans une affaire Pierre Sebastien Fine Art (Paris, 14 nov. 2023, n° 23/04518), juge que « ce texte n’impose aucunement la saisine du juge étatique, de sorte que la saisine de la juridiction arbitrale en application de la clause compromissoire permet l’obtention d’un titre exécutoire ». Faut-il néanmoins craindre que les lenteurs dans la constitution du tribunal arbitral fassent échec à l’effectivité de la saisine ? La réponse est cette fois négative. Pour la cour d’appel, « la saisine du président du tribunal de commerce sur le fondement de l’article 19.1 des statuts aux fins de voir désigner un arbitre à défaut d’accord des associés sur cette désignation, répond aux exigences de l’article R. 511-7 du code des procédures civiles d’exécution et pouvait intervenir dans un délai d’un mois de la saisie conservatoire ». Par conséquent, l’arbitrage est compatible avec l’exigence prévue par l’article R. 511-7 du code des procédures civiles d’exécution et la caducité est écartée même si le tribunal arbitral n’est pas encore constitué, à condition d’avoir fait le nécessaire pour commencer sa saisine.
Les recours contre la sentence
Aspects procéduraux
Le délai d’exercice des voies de recours
Les décisions en matière de délai d’exercice des voies de recours sont rarissimes (sur la question, J. Jourdan-Marques, Notification et arbitrage, Rev. arb. 2023. 569), sans doute en raison de l’examen de ces questions par le conseiller de la mise en état. L’ordonnance rendue dans une affaire Hilton est à cet égard intéressante (Paris, ord., 14 déc. 2023, n° 23/10082). La voie de recours exercée est un appel de l’ordonnance d’exequatur, recours spécifique aux sentences arbitrales rendues à l’étranger. Le délai est d’un mois à compter de la signification de l’ordonnance, conformément à l’article 1525, alinéa 2, du code de procédure civile et il est indispensable de respecter les exigences de l’article 680 du code de procédure civile pour le déclencher. En l’espèce, l’ordonnance d’exequatur a fait l’objet d’une double signification, la première contenant des mentions erronées quant aux voies de recours. Le conseiller de la mise en état valide le déclenchement du délai par la seconde signification. Il juge qu’« il ne peut être tiré de la succession de ces deux actes et de la mention expresse que le second acte se substituait au premier, une quelconque confusion qui empêcherait le délai d’appel de courir, peu important que le premier acte ait visé de façon erronée un texte inapplicable à l’arbitrage international, dès lors que le deuxième acte était parfaitement clair à cet égard ».
L’appel, formé tardivement (la décision ne dit pas si la partie bénéficie du délai de distance), est donc irrecevable.
Le pouvoir de représentation devant le juge du recours
La question posée dans l’affaire Siba Plast est originale (Paris, ord., 19 oct. 2023, n° 21/11112). Elle porte sur le pouvoir de représentation d’un État devant les juridictions françaises à l’occasion d’un recours. L’article 117 du code de procédure civile prévoit que le défaut de pouvoir d’une personne figurant au procès comme représentant d’une personne morale constitue une irrégularité de fond affectant la validité de l’acte. En l’espèce, la question porte sur la représentation de l’État libyen, qui agit devant les juridictions françaises par l’intermédiaire du « Conseil judiciaire suprême, département du contentieux, section contentieux international ».
Pour examiner le pouvoir de cet organe, la cour d’appel mobilise la loi libyenne. Elle constate qu’« aux termes de l’article 4 de la loi libyenne n° 87/1971 du 30 octobre 1971, le département du contentieux « représente le gouvernement, les autorités et les institutions publiques, en demande et en défense, devant les juridictions de toute nature et de tout degré ». Elle en déduit que ce « texte confère au dit département le pouvoir de représenter l’État de Libye dans toutes les procédures judiciaires » et que ce pouvoir de représentation vaut devant les juridictions étrangères.
Ce qui est intéressant dans le raisonnement, c’est l’utilisation de la règle de conflit de lois. Alors que le droit français de l’arbitrage y est souvent présenté comme allergique, il en va différemment dans le cadre de l’exercice d’un recours. Ainsi, pour le pouvoir d’un État étranger de conclure une clause compromissoire est soumis à une règle matérielle, alors que le pouvoir de ce même État étranger de se faire représenter devant les juridictions françaises relève de son droit national. Voilà qui est amusant.
Aspects substantiels
La compétence du tribunal arbitral
Le champ d’application ratione personae de la clause
L’arrêt IASC (Paris, 12 déc. 2023, n° 22/15255, préc.) offre un cas intéressant, relatif au champ d’application de la clause compromissoire. La difficulté résulte de l’imbrication de deux actes juridiques : d’une part, un contrat de prestation de services signé entre les parties ; d’autre part, un document intitulé « representation » (en anglais), signé par le dirigeant du prestataire, qui est un engagement irrévocable de se conformer à la réglementation anti-corruption. La clause compromissoire figure dans le contrat et la question est de savoir si elle s’applique au dirigeant du prestataire. L’arbitre répond positivement et la cour d’appel arrive à la même conclusion.
Face à une telle situation, deux raisonnements sont possibles. Le premier est de constater que l’action exercée contre le dirigeant entre dans le champ d’application de la clause compromissoire ; le second est de procéder à l’extension de la clause compromissoire, par l’intermédiaire de la règle matérielle créée à cet effet.
L’avantage de ce second outil est de permettre d’appliquer la clause à une personne qui n’est pas partie au contrat dans lequel elle figure et alors qu’elle n’y a pas formellement consenti. Pourtant, cette voie est écartée tant par le tribunal arbitral que par la cour d’appel, au profit de la première solution.
La motivation du tribunal arbitral est reproduite au moins en partie par la cour. Il a jugé que « la partie intervenante (M. [V]) s’est personnellement engagée en signant la [representation], et que la [representation] fait partie intégrante du contrat de prestation de services qui a été négocié, signé et exécuté par la partie intervenante.
En conséquence la partie intervenante connaissait nécessairement l’existence et le champ d’application de la clause compromissoire contenue dans ce contrat et elle a donc implicitement consenti à être liée par celle-ci ».
La cour d’appel suit, peu ou prou, le même raisonnement. Elle constate, premièrement, que la « representation » fait corps avec le contrat, au motif notamment que « l’article 2.8 du contrat mentionne en effet que cette representation fait partie intégrante du contrat […] et a valeur contractuelle […]. L’article 7 stipule que le contrat, mais également la representation (désignée comme annexe), constituent l’intégralité de l’accord entre les parties […] ». Elle caractérise, deuxièmement, l’engagement personnel du dirigeant dans la representation et, troisièmement, les obligations qui pèsent sur lui à travers ce document. Elle conclut en estimant que « la clause compromissoire contenue dans le contrat de prestations de services entre Airbus et la société IASC, dont fait partie la “[representation]” contenant l’engagement personnel de M. [V] de se conformer à la réglementation anti-corruption signé en connaissance de cause, était opposable à ce dernier en tant que partie intervenante au contrat et au surplus directement impliqué dans son exécution de sorte que le tribunal arbitral avait bien compétence pour statuer sur les demandes d’Airbus formées à son encontre ».
Tant la solution du tribunal arbitral que celle de la Cour d’appel de Paris peinent à convaincre. Il est établi qu’il existe deux contrats distincts entre des parties différentes. Le premier est conclu entre IASC et Airbus, le second entre le dirigeant d’IASC et Airbus. La clause compromissoire figure dans le premier contrat, mais n’est pas reproduite dans le second. Ainsi, ce qui frappe d’emblée, c’est que la clause compromissoire est appliquée à un tiers au premier contrat. Formellement, le dirigeant n’a pas consenti à une clause qui figure dans un contrat auquel il est étranger.
L’imbrication des contrats change-t-elle la donne ? Tout dépend. En l’espèce, le contrat précise que la representation fait partie intégrante du contrat. L’argument est fort. Le problème c’est que rien n’est dit sur l’existence d’une stipulation identique dans la representation. Dès lors, c’est un acte auquel le dirigeant n’est pas partie qui prévoit cette unité. Autrement dit, toujours d’un point de vue formel, il n’a pas consenti à cette unité.
Le contenu de la representation permet-il de surmonter l’obstacle ? Ici, tant le tribunal arbitral que la cour d’appel s’attachent à caractériser l’engagement personnel du dirigeant à se conformer à la législation anti-corruption. Tout cela est bien joli, mais, pour le dire de façon triviale, on ne voit pas le rapport avec la choucroute. Il y a une confusion entre la compétence et le fond. Le dirigeant a pris des engagements à l’égard de son cocontractant, c’est un fait ; en revanche, ses engagements sont étrangers à un quelconque consentement à une clause compromissoire qui figure dans un autre contrat. C’est toutefois une confusion classique : non seulement le fond du contrat est utilisé au soutien de l’appréciation de la compétence, mais en plus, le plus souvent, la compétence emporte des conséquences substantielles sur les relations entre les parties.
En définitive, le raisonnement suivi oublie l’essentiel : il y a un contrat entre le dirigeant d’IASC et Airbus et celui-ci ne contient pas de clause compromissoire.
Caractériser le consentement du premier à une clause qui figure dans un contrat auquel il n’est pas partie est une tâche délicate. Ne peut-on pas y voir tout de même un consentement implicite ? L’analyse est hasardeuse, car elle est réversible. Ne faut-il pas considérer que l’absence de clause compromissoire dans la representation, alors même qu’elle contient des engagements substantiels du dirigeant, révèle un choix éclairé d’écarter la clause compromissoire ?
En réalité, l’affaire IASC est complexe, car elle mêle deux éléments. En droit français, deux situations sont connues et maîtrisées : (i) celle où il y a deux parties et deux (ou plus) contrats, la clause ne figurant que dans l’un ; (ii) celle où il y un contrat et un tiers à celui-ci. Dans le premier cas, on étend la clause à l’autre contrat, car les parties sont identiques ; dans le second cas, on étend la clause au tiers, du fait de son immixtion dans le contrat. Or dans notre cas d’espèce, on cherche en même temps à étendre la clause (i) à un autre contrat et (ii) à un tiers.
On finira par remarquer que la cour d’appel ne va pas, contrairement au tribunal arbitral, jusqu’à considérer que le dirigeant a consenti, même implicitement, à la clause. Elle juge plus subtilement que celle-ci est « opposable ». Or si l’on retrouve ce terme deux fois à l’article 2061 du code civil, le droit français manque cruellement d’une réflexion sur cette notion d’opposabilité en matière d’arbitrage. Si l’on sait ce qu’est une clause inopposable, on sait moins ce qu’est une clause opposable (pour l’utilisation de cette notion, v.déjà la question de l’opposabilité de la clause par l’assureur à la victime d’un dommage causé par l’assuré, Civ. 1re, 19 déc. 2018, n° 17-28.951, Dalloz actualité, 28 févr. 2019, obs. V. Chantebout ; ibid., 6 mars 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2019. 2435, obs. T. Clay  ; DMF 2019, n° 810, p. 114, obs. P. Delebecque ; RGDA 2019, n° 2, p. 39, note R. Schulz ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude).
 ; DMF 2019, n° 810, p. 114, obs. P. Delebecque ; RGDA 2019, n° 2, p. 39, note R. Schulz ; Gaz. Pal. 2019, n° 11, p. 34, obs. D. Bensaude).
C’est finalement, peut-être, d’une théorie de l’opposabilité qu’il aurait fallu pour justifier la solution.
La compétence fondée sur un traité
L’affaire Garcia, après avoir donné lieu à un très long contentieux sur la compétence à l’occasion de l’examen de la sentence partielle, arrive maintenant au stade du contrôle de la sentence finale, qui pourrait nous tenir en haleine encore plus années (Paris, 24 oct. 2023, n° 19/13396, préc.). Assez étonnamment, parmi les griefs, on en trouve à nouveau un portant sur la compétence.
Sur le plan des principes, le contrôle de la compétence fondée sur un traité est désormais stabilisé. La jurisprudence de la cour d’appel est alignée sur l’arrêt Oschadbank de la Cour de cassation (Civ. 1re, 7 déc. 2022, n° 21-15.390, Oschadbank, Dalloz actualité, 9 janv. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2228  ; ibid. 2023. 1812, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel
 ; ibid. 2023. 1812, obs. L. d’Avout, S. Bollée, E. Farnoux et A. Gridel  ; ibid. 2278, obs. T. Clay
 ; ibid. 2278, obs. T. Clay  ; Procédures 2023, n° 2, p. 21, obs. L. Weiller ; JDI 2023. 592, note M. Audit ; Gaz. Pal. 16 mai 2023, obs. L. Larribère). Ainsi, la cour d’appel souligne que « lorsque la compétence résulte d’un traité bilatéral d’investissements, la compétence du tribunal arbitral et l’étendue de son pouvoir juridictionnel dépendent de ce traité, le consentement de l’État à l’arbitrage procédant de l’offre permanente d’arbitrage adressée à une catégorie d’investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu’il définit ». Cet énoncé a pour objectif de restreindre le champ de l’examen du juge du recours, qui doit se contenter d’examiner la compétence du tribunal arbitral à l’aune des notions d’investisseur et d’investissement prévues par le traité. La cour rappelle que « le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l’annulation n’ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé ».
 ; Procédures 2023, n° 2, p. 21, obs. L. Weiller ; JDI 2023. 592, note M. Audit ; Gaz. Pal. 16 mai 2023, obs. L. Larribère). Ainsi, la cour d’appel souligne que « lorsque la compétence résulte d’un traité bilatéral d’investissements, la compétence du tribunal arbitral et l’étendue de son pouvoir juridictionnel dépendent de ce traité, le consentement de l’État à l’arbitrage procédant de l’offre permanente d’arbitrage adressée à une catégorie d’investisseurs que ce traité délimite pour le règlement des différends touchant aux investissements qu’il définit ». Cet énoncé a pour objectif de restreindre le champ de l’examen du juge du recours, qui doit se contenter d’examiner la compétence du tribunal arbitral à l’aune des notions d’investisseur et d’investissement prévues par le traité. La cour rappelle que « le contrôle de la décision du tribunal arbitral sur sa compétence est exclusif de toute révision au fond de la sentence, le juge de l’annulation n’ayant pas à se prononcer sur la recevabilité des demandes ni sur leur bienfondé ».
Plus précisément, ce sont deux articles des TBI qui vont, dans l’immense majorité des cas, servir de support à cet examen : l’article relatif aux définitions et l’article contenant la convention d’arbitrage. C’est la démarche adoptée par la cour d’appel, qui énonce qu’« au cas présent, l’offre d’arbitrage résulte de la combinaison des articles XI et I du TBI ». La conséquence est radicale : toute autre clause du traité ne fait l’objet d’aucun contrôle par le juge du recours et leur examen relève du seul tribunal arbitral.
Si les clauses autres que celles relatives à la définition et au choix de l’arbitrage échappent au juge français, la rédaction de l’une ou de l’autre peut-elle conduire à élargir le spectre de la compétence ? C’est l’approche que propose le demandeur au recours dans cette affaire. En effet, comme souvent, la convention d’arbitrage mentionne le droit applicable. Par ricochet, est-il possible de puiser en son sein de nouvelles règles pour examiner la compétence ? La réponse est fermement négative. La cour d’appel juge que « la référence faite par la demanderesse au recours au droit vénézuélien est, de même, dénuée de pertinence. Les dispositions de l’article XI.4, selon lesquelles l’arbitrage est fondé a) sur les dispositions de l’accord et celles des autres accords conclus entre les parties contractantes, b) les règles et principes de droit international et c) le droit national de la partie contractante sur le territoire de laquelle a été réalisé l’investissement, concernent en effet les modalités de traitement au fond du litige soumis à l’arbitrage. Elles ne sont pas de nature à remettre en cause les termes de l’article I qui définissent les investissements et catégories d’investisseurs au regard desquels doit être apprécié le consentement de l’État à l’arbitrage ». Elle en conclut que le TBI, qui « constitue la lex specialis entre les parties, ne peut conduire à exclure les binationaux de son champ d’application, sauf à ajouter au texte une condition qui n’a pas été stipulée ».
Ainsi, il est désormais acté en droit français que l’examen du juge de l’annulation sur la compétence fondée sur un TBI est circonscrit à la convention d’arbitrage stricto sensu et aux notions d’investissement et d’investisseur. Tout le reste échoit au tribunal arbitral et échappe au juge étatique. Tant mieux !
La dissolution d’une société civile
L’arrêt 2ADI est assez confus (Civ. 1re, 6 déc. 2023, n° 22-19.372, Dalloz actualité, 14 déc. 2023, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 2190  ). Dans cette affaire, deux avocats associés ont signé un protocole prévoyant que « tous différends relatifs à l’interprétation et/ou à l’exécution des présentes seront soumis au bâtonnier du barreau de Bordeaux conformément aux dispositions des articles 179-1 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ». La clause est très ambigüe, car il est difficile de savoir si les parties ont voulu se référer à l’impropre « arbitrage du bâtonnier » (l’art. 21 de la loi du 31 déc. 1971 crée un « arbitrage contre-nature » du fait de son caractère forcé, T. Clay, obs. ss décr. n° 2011-1985, 28 déc. 2011, D. 2012. Pan. 2991, spéc. p. 2992
). Dans cette affaire, deux avocats associés ont signé un protocole prévoyant que « tous différends relatifs à l’interprétation et/ou à l’exécution des présentes seront soumis au bâtonnier du barreau de Bordeaux conformément aux dispositions des articles 179-1 et suivants du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 ». La clause est très ambigüe, car il est difficile de savoir si les parties ont voulu se référer à l’impropre « arbitrage du bâtonnier » (l’art. 21 de la loi du 31 déc. 1971 crée un « arbitrage contre-nature » du fait de son caractère forcé, T. Clay, obs. ss décr. n° 2011-1985, 28 déc. 2011, D. 2012. Pan. 2991, spéc. p. 2992  ) ou si elles ont voulu avoir recours à un véritable arbitrage. La présence d’une clause plaide en faveur de la deuxième branche de l’option, mais la référence à l’article 179-1 du décret fait douter de la volonté des parties.
) ou si elles ont voulu avoir recours à un véritable arbitrage. La présence d’une clause plaide en faveur de la deuxième branche de l’option, mais la référence à l’article 179-1 du décret fait douter de la volonté des parties.
Le litige porte sur la dissolution d’une SCI. Pour la cour d’appel, l’article 1844-7, 5°, du code civil exclut la compétence du bâtonnier. L’arrêt est cassé. La cour juge que « l’article 1844-7, 5°, du code civil n’exclut la compétence du bâtonnier pour prononcer la dissolution d’une société civile ni sur le fondement de l’article 21 de la loi du 31 mai 1971 ni sur le fondement d’une clause compromissoire répondant aux conditions de l’article 2061 du code civil et ne comportant aucune renonciation ou restriction au droit de demander la dissolution de la société ». Autrement dit, la dissolution d’une SCI peut être prononcée par le bâtonnier-arbitre ou par un arbitre (y compris un arbitre-bâtonnier).
Reste à savoir, en l’espèce, auquel des deux les parties ont choisi de recourir. Cela tombe bien, la Cour de cassation décide de statuer au fond. Elle juge que « le désaccord qui les oppose au sujet de cette société constitue un différend survenu à l’occasion de leur exercice professionnel au sens de l’article 21 de la loi du 31 mai 1971, dont le protocole conclu entre les parties ne fait que reprendre les termes. Par conséquent, le bâtonnier est compétent pour statuer sur la demande de dissolution de la SCI ». S’agit-il du bâtonnier-arbitre ou de l’arbitre-bâtonnier ? Probablement du premier, dès lors que la cour recherche l’existence d’un « exercice professionnel », notion qui figure à l’article 21 de la loi du 31 mai 1971, alors que l’article 2061 du code civil vise « l’activité professionnelle ». Finalement, la clause n’est donc pas une clause compromissoire.
La constitution du tribunal arbitral
L’obligation de révélation
La présente chronique offre encore son lot de décisions à propos de l’obligation de révélation. La jurisprudence évolue peu, ce qui est en soit une bonne chose, mais les critiques déjà anciennes ne disparaissent pas (pour une nouvelle pièce dans la machine, à paraître, J. Jourdan-Marques, L’arbitre-cigale et l’arbitre-fourmi, in Mélanges Delebecque).
Avant cela, signalons sur le plan des principes des évolutions sur les formules utilisées, sans que le fond ne soit affecté. Ainsi, dans les arrêts IASC (Paris, 12 déc. 2023, n° 22/15255, préc.) et ESISCO (Paris, 5 déc. 2023, n° 22/20051, préc.), la cour énonce de façon quasiment identique qu’« un manquement à l’obligation de révélation ne conduit pas automatiquement à l’annulation de la sentence. Il appartient au juge de vérifier si les faits non révélés sont de nature à créer un doute raisonnable, dans l’esprit des parties, sur l’indépendance et l’impartialité de l’arbitre ». Cette dissociation entre l’obligation de révéler et la nécessité d’établir un doute raisonnable date déjà de l’arrêt Tecso (Civ. 1re, 10 oct. 2012, n° 11-20.299, Sté Neoelectra Group c/ Sté Tecso, Dalloz actualité, 19 oct. 2012, obs. X. Delpech ; D. 2012. 2991, obs. T. Clay  ; Rev. crit. DIP 2013. 678, note C. Chalas
 ; Rev. crit. DIP 2013. 678, note C. Chalas  ; RTD com. 2013. 481, obs. E. Loquin
 ; RTD com. 2013. 481, obs. E. Loquin  ; Rev. arb. 2013. 129, note C. Jarrosson ; JCP 2012. Act. 1127, obs. M. Henry ; ibid. 2012. Doctr. 1268, note B. Le Bars ; ibid. 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Procédures 2012. Comm. 354, note L. Weiller), mais la formule utilisée présente l’avantage de la clarté.
 ; Rev. arb. 2013. 129, note C. Jarrosson ; JCP 2012. Act. 1127, obs. M. Henry ; ibid. 2012. Doctr. 1268, note B. Le Bars ; ibid. 2012. Doctr. 1354, § 1er, obs. C. Seraglini ; Procédures 2012. Comm. 354, note L. Weiller), mais la formule utilisée présente l’avantage de la clarté.
Néanmoins, c’est oublier qu’avant ces deux étapes, il en existe une qui est préalable : celle de la recevabilité du grief. Sur cet aspect, la cour énonce dans les arrêts IASC et ESISCO qu’« une partie qui, durant la procédure arbitrale, n’a pas protesté contre un fait connu propre à mettre en cause l’indépendance de l’arbitre n’est pas recevable à s’en prévaloir lors du recours en annulation, son abstention s’appréciant au regard de chacune des circonstances propres à affecter cette indépendance » (v. déjà, Paris, 23 mai 2023, n° 22/05378, Dalloz actualité, 11 sept. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; 19 sept. 2023, n° 21/16159, Dalloz actualité, 13 nov. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; 24 oct. 2023, n° 19/13396, préc.).
Examinons donc de façon successive, comme à l’accoutumée, la renonciation, la révélation et le doute raisonnable.
La renonciation
D’emblée, ce qui est marquant dans la formule (citée supra) utilisée par la cour d’appel à propos de la recevabilité du grief, c’est qu’elle évoque le défaut de protestation « durant la procédure arbitrale ». En principe pourtant, deux temps sont distingués. D’abord, la période antérieure à l’acceptation par l’arbitre de sa mission, durant laquelle il pèse sur les parties une obligation de curiosité, donnant ainsi une portée considérable à l’exception de notoriété. Ensuite, la période postérieure à l’acceptation, durant laquelle l’obligation de curiosité disparaît et il pèse sur l’arbitre une obligation totale de révélation, indépendamment de toute notoriété de la circonstance. Cette solution ancienne (Paris, 14 oct. 2014, n° 13/14076, Dalloz actualité, 13 nov. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2014. 2541, obs. T. Clay  ; Newsletter du CMAP, nov. 2014. 10, obs. L. Jandard ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen ; ibid. 2015. 151, note M. Henry ; confirmé par Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay
 ; Newsletter du CMAP, nov. 2014. 10, obs. L. Jandard ; Cah. arb. 2014. 795, note D. Cohen ; ibid. 2015. 151, note M. Henry ; confirmé par Civ. 1re, 16 déc. 2015, n° 14-26.279, D. 2016. 2589, obs. T. Clay  ; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude ; 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; ibid., 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; RTD com. 2020. 297, obs. E. Loquin
 ; Rev. arb. 2016. 536, note M. Henry ; Cah. arb. 2016. 653, note D. Cohen ; Gaz. Pal. 2016, n° 26, p. 27, obs. D. Bensaude ; 3 oct. 2019, n° 18-15.756, Dalloz actualité, 12 déc. 2019, obs. C. Debourg ; ibid., 29 oct. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; RTD com. 2020. 297, obs. E. Loquin  ; JCP 2019. 2329, § 3, obs. C. Seraglini ; Paris, 11 janv. 2022, n° 19/19201, Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330, obs. T. Clay
 ; JCP 2019. 2329, § 3, obs. C. Seraglini ; Paris, 11 janv. 2022, n° 19/19201, Dalloz actualité, 21 janv. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330, obs. T. Clay  ; RTD com. 2023. 582, obs. E. Loquin
 ; RTD com. 2023. 582, obs. E. Loquin  ; Gaz. Pal. 2022, n° 15, obs. L. Larribère ; JCP 2022. 724, obs. P. Giraud) a encore été rappelée très récemment (Paris, 23 mai 2023, n° 22/05378, préc. ; Gaz. Pal. 31 oct. 2023, p. 11, obs. L. Larribère ; Global Arbitration Rev. 31 mai 2023, obs. S. Moody ; D. 2023. 2278).
 ; Gaz. Pal. 2022, n° 15, obs. L. Larribère ; JCP 2022. 724, obs. P. Giraud) a encore été rappelée très récemment (Paris, 23 mai 2023, n° 22/05378, préc. ; Gaz. Pal. 31 oct. 2023, p. 11, obs. L. Larribère ; Global Arbitration Rev. 31 mai 2023, obs. S. Moody ; D. 2023. 2278).
Pourtant, force est de constater qu’il n’y a rien de plus incertain que cette distinction temporelle et il n’est pas rare de voir la cour se fonder sur des éléments postérieurs au début de l’instance pour établir la notoriété d’une circonstance. De ce point de vue, tant l’arrêt ESISCO que l’arrêt IASC sont marquants.
Dans l’arrêt ESISCO, il est reproché à l’arbitre de ne pas avoir révélé qu’il est visé par une plainte de la République du Congo auprès du parquet national financier.
Celle-ci l’accuse, dans le cadre de la présidence d’un tribunal arbitral, d’avoir entretenu des liens financiers secrets avec l’une des parties. Une information judiciaire a été ouverte en France des chefs de corruption active et passive. La cour déclare pourtant le grief irrecevable, au motif que la circonstance « était largement connue, pour avoir fait l’objet de nombreuses publications, dans la revue spécialisée du Global arbitration review (GAR) du 11 octobre 2021 mais aussi sur internet, dans le cadre des informations à disposition du public, contemporaines de la procédure arbitrale, comme en attestent les nombreuses pièces produites par la recourante elle-même, de sorte qu’elle ne peut prétendre ne pas en avoir eu connaissance ».
Ce qui frappe dans la motivation, c’est la mention de circonstances « contemporaines de la procédure arbitrale ». Autrement dit, elles ne sont pas intervenues avant le début de l’instance, mais pendant son déroulement. Si l’on ne connaît pas la date de l’acceptation par l’arbitre de sa mission, l’arrêt signale que la demande d’arbitrage date du 8 avril 2020. Il y a dès lors très peu de doutes sur la chronologie. En conséquence, on voit qu’il pèse sur les parties une obligation de rester curieux même pendant l’instance arbitrale, ou, à tout le moins, de consulter le GAR quotidiennement.
Dans l’affaire IASC, deux reproches sont faits à l’arbitre unique : (i) avoir participé à un webinaire avec le représentant de la partie défenderesse au litige et (ii) être membre d’ICC France avec ce dernier.
À propos de la première circonstance, l’événement a eu lieu au cours de l’arbitrage. Si la notoriété est rejetée, c’est au motif que le défendeur n’apporte aucun élément probant pour établir son caractère notoire, notamment en termes de publicité faite sur les réseaux sociaux. La notoriété n’est donc pas écartée par principe, mais faute de preuve.
Ainsi, les arrêts ESISCO et IASC introduisent de façon implicite une obligation de vigilance, de veille ou de monitorage, par un suivi attentif de l’actualité arbitrale, qu’elle soit diffusée sur le GAR mais aussi, on peut le penser, sur des réseaux comme LinkedIn.
La difficulté, comme toujours, avec ces obligations, est qu’il est facile de reconstituer a posteriori ce qui aurait dû être su, alors qu’il est bien plus délicat de déterminer a priori ce qu’il faut rechercher. C’est la critique que nous formulons depuis longtemps et, là encore, la jurisprudence révèle les limites de son analyse. Toujours dans l’affaire IASC, le second reproche fait à l’arbitre concerne son appartenance à ICC France aux côtés du représentant d’une partie au litige. La cour juge à ce titre qu’« il est établi par le procès-verbal de constat d’huissier du 13 juin 2023, dressé à la requête d’Airbus, que la page internet du comité ICC France énonce que Mme [K] et Mme [Z] étaient membres d’un même organisme professionnel. Cette information était facilement accessible sur internet au moment de la désignation de l’arbitre unique sans qu’elle suscite de la part des parties aucune demande de récusation dans le délai prévu par le règlement d’arbitrage comme fait susceptible de remettre en cause son impartialité ou son indépendance, de sorte que les parties sont réputées y avoir renoncé ».
On retrouve l’idée d’une information facilement accessible sur internet. Il a suffi pour cela d’établir un PV d’huissier, près de cinq années après la constitution du tribunal arbitral, pour convaincre de la notoriété de l’information. Au-delà de la question chronologique – la preuve de la notoriété d’un fait en 2018 par une recherche sur internet en 2023 –, l’arrêt passe à côté du problème. La question n’est pas de savoir si l’information est trouvable sur internet ; elle est, plus spécifiquement, de connaître le chemin pour y accéder. Dit autrement, pourquoi la partie aurait-elle dû visiter le site ICC France au moment de la désignation de l’arbitre ? Quels sont les mots clés qui doivent être entrés sur une barre de recherche Google par une partie au litige ?
En cela, l’obligation de curiosité qui pèse aujourd’hui sur les parties n’a pas de limites sérieuses. Il est d’ailleurs remarquable que l’idée selon laquelle « il ne saurait être raisonnablement exigé ni que les parties se livrent à un dépouillement systématique des sources susceptibles de mentionner le nom de l’arbitre et des personnes qui lui sont liées ni qu’elles poursuivent leurs recherches après le début de l’instance arbitrale » (Paris, 14 oct. 2014, n° 13/14076, préc. ; pour la dernière fois, Paris, 25 févr. 2020, Dommo, nos 19/07575 et 19/15816 à 19/15819, Dalloz actualité, 27 avr. 2020, obs. C. Debourg ; ibid., 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay  ; JCP 2020. 870, note M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2020. 501, note L. Jaeger ; Procédures 2020, n° 6, p. 23, obs. L. Weiller) a disparu de la jurisprudence.
 ; JCP 2020. 870, note M. de Fontmichel ; Rev. arb. 2020. 501, note L. Jaeger ; Procédures 2020, n° 6, p. 23, obs. L. Weiller) a disparu de la jurisprudence.
De ce point de vue, le salut ne viendra pas de la Cour de cassation. En effet, elle rejette le pourvoi dans l’affaire Byd Auto (Civ. 1re, 29 nov. 2023, n° 21-19.697, préc.). Cette affaire constitue pourtant l’exemple le plus caricatural des dérives de la notoriété (Paris, 25 mai 2021, n° 18/20625, Dalloz actualité, 18 juin 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; JCP E 2022, n° 27, p. 36, obs. C. Baker Chiss). Pour mémoire, dans cette affaire, la circonstance litigieuse figure au milieu d’une publication en allemand (dans une procédure en anglais) accessible après avoir tapé sur Google le nom de l’arbitre (avec des guillemets) et le mot automobil (sans « e »). La Cour de cassation n’y voit aucune difficulté et juge que « la cour d’appel, ayant retenu que la société Delta, qui s’était, en connaissance de cause et sans motif légitime, abstenue d’invoquer en temps utile l’irrégularité de la composition du tribunal arbitral, dont elle ne démontrait pas qu’elle n’avait pu la découvrir qu’après la reddition de la sentence n’était plus recevable à s’en prévaloir au soutien de son recours en annulation, a, par ce seul motif, légalement justifié sa décision ».
En réalité, ce que l’on voit poindre avec cette solution, c’est une véritable inversion de la charge de la preuve. C’est à la partie requérante de démontrer qu’elle n’a pu découvrir l’information qu’après la reddition de la sentence. La logique est la suivante : si l’information est sur internet, alors c’est à la partie requérante d’établir qu’elle était inaccessible plus tôt. Là encore, l’idée n’est pas nouvelle, puisque la cour d’appel a déjà énoncé qu’une partie « est présumée avoir renoncé à soulever le grief tiré d’une telle irrégularité, sauf pour elle à établir qu’elle n’avait pu en avoir connaissance avant la sentence et que l’information n’était pas notoire » (Paris, 22 févr. 2022, n° 20/05869, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330, obs. T. Clay  ; Cah. arb. 2022. 639, note M. Henry ; Rev. arb. 2022. 647, note C. Jarrosson ; JCP 2022. 714, § 3, obs. P. Giraud ; Paris, 17 mai 2022, n° 20/18020, Billionaire, Dalloz actualité, 13 juill. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330
 ; Cah. arb. 2022. 639, note M. Henry ; Rev. arb. 2022. 647, note C. Jarrosson ; JCP 2022. 714, § 3, obs. P. Giraud ; Paris, 17 mai 2022, n° 20/18020, Billionaire, Dalloz actualité, 13 juill. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330  , obs. T. Clay ; RTD com. 2023. 582, obs. E. Loquin
, obs. T. Clay ; RTD com. 2023. 582, obs. E. Loquin  ; JCP 2023. 221, obs. P. Giraud). Toutefois, cette exigence confronte la partie à une véritable probatio diabolica, dès lors qu’il est attendu d’elle la preuve d’un fait négatif.
 ; JCP 2023. 221, obs. P. Giraud). Toutefois, cette exigence confronte la partie à une véritable probatio diabolica, dès lors qu’il est attendu d’elle la preuve d’un fait négatif.
Ce qui laisse un goût amer dans tout cela, c’est que dans le même temps, la cour affirme que « cette obligation [de révélation] doit être regardée comme déterminante de la régularité de la constitution de la juridiction arbitrale, son accomplissement conditionnant l’acceptation de la nomination de l’arbitre par les parties » (Paris, 24 oct. 2023, n° 19/13396, Garcia, préc.). C’est tout le paradoxe de cette jurisprudence, qui vide de sa substance une obligation qu’elle juge, dans le même temps, déterminante du consentement des parties.
La révélation
À défaut de renonciation, ce qui est bien rare, la question est de savoir si la circonstance devait être révélée. Dans l’arrêt IASC, la cour s’interroge sur ce point à propos de la participation à un webinaire. La cour juge que la nature académique d’un webinaire n’est pas de nature à déclencher une obligation de révélation. Elle précise que la circonstance que le lien unisse, non pas comme habituellement, un arbitre et un conseil, mais plus précisément, un arbitre et une partie, ne change rien à l’analyse habituellement retenue sur ces questions. Ainsi, la cour confirme sa solution habituelle selon laquelle les liens de nature académique ou scientifique se trouvent hors du champ de la révélation (par ex., Paris, 17 mai 2022, n° 20/15162, Dalloz actualité, 13 juill. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330, obs. T. Clay  ), indépendamment de ceux qu’ils unissent.
), indépendamment de ceux qu’ils unissent.
Le doute raisonnable
L’arrêt Garcia (Paris, 24 oct. 2023, n° 19/13396, préc.) utilise comme circonstance l’embauche par le cabinet de l’arbitre d’un avocat, en qualité de collaborateur, intervenu au côté de la partie au litige dans le cadre des activités de son précédent cabinet. Si, à première vue, la circonstance est problématique, il faut préciser que la partie adverse (à qui on ne peut pas reprocher le manque de réaction) a formulé une demande d’explication moins de quinze jours après l’embauche, ce qui a conduit, le jour même, à la fin de la période d’essai du collaborateur. La cour juge à ce propos que « loin de valider la proximité alléguée par le Venezuela, cette décision souligne le souhait de ce cabinet d’éviter tout risque de conflit d’intérêts ». De nombreux autres éléments atténuent la gravité de la circonstance, notamment en ce qu’il n’est pas établi que l’arbitre est à l’origine du recrutement ou que l’avocat ait eu vocation à travailler dans le même département que lui. La cour conclut qu’« il apparaît au vu de ces circonstances, qu’indépendamment de la question de savoir si l’embauche de l’intéressée en qualité de collaboratrice aurait dû être déclarée par l’arbitre, cette circonstance n’était pas de nature à faire naître un doute raisonnable dans l’esprit des parties sur l’indépendance et l’impartialité du professeur [P] dans la procédure ».
La motivation emporte la conviction, quand bien même on aurait aimé avoir une position plus tranchée sur la question de savoir si la circonstance doit être révélée.
L’impartialité de l’arbitre
Si la situation est moins fréquente, il n’est pas rare de voir des parties remettre en cause l’impartialité de l’arbitre indépendamment de tout manquement à l’obligation de révélation (Paris, 24 oct. 2023, n° 19/13396, Garcia, préc.). La contestation peut s’appuyer sur des faits survenus pendant la procédure arbitrale ou résulter de la lecture de la sentence. Simplement, dans le premier cas, il appartient à la partie de ne pas y avoir renoncé. Ainsi, lorsqu’il est reproché à l’arbitre sa gestion de l’instance arbitrale, les parties doivent être vigilantes à réserver leur droit. À défaut, la cour d’appel estime qu’il faut y voir une renonciation, puisque les « circonstances et éléments de faits, tous antérieurs à la sentence querellée, n’ont fait l’objet d’aucune demande ni d’aucune protestation de la part de la République Bolivarienne du Venezuela en cours d’arbitrage, alors même qu’ils étaient connus d’elle et qu’elle disposait des moyens temporels et procéduraux de s’en prévaloir ».
En revanche, la question ne se pose pas si les éléments résultent de la lecture de la sentence. Néanmoins, il est rare qu’une partie réussisse à caractériser le défaut d’impartialité à partir de celle-ci. La cour estime que « l’inimitié alléguée ne saurait se déduire du décompte du nombre de lignes consacrées au résumé des positions respectives des parties et de leur prétendue dissymétrie ». De même, l’arbitre n’est pas privé du droit de répondre fermement aux moyens d’une partie, en particulier lorsqu’il est directement visé. La cour juge qu’il « apparaît en effet que cette motivation répond, en des termes qui, pour être fermes, n’en demeurent pas moins respectueux, à des allégations de fraude et des imputations mettant directement en cause le tribunal arbitral ». Cette solution est protectrice de la liberté de l’arbitre dans la motivation de sa décision, ce dont on peut se réjouir.
La mission du tribunal arbitral
La violation des règles procédurales
La cour d’appel et la Cour de cassation sont-elles alignées sur la question du contrôle de la correcte application des règles procédurales par le tribunal arbitral ? Dans un arrêt du 13 avril 2023, la Cour de cassation a jugé qu’il « n’appartient pas à la cour d’appel, saisie du grief de non-respect de la mission au titre de l’article 1520-3° du code de procédure civile, de contrôler la conformité de la procédure suivie aux règles de procédure applicables » (Civ. 1re, 13 avr. 2023, n° 21-21.148, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay  ; Procédures 2023. 173, obs. L. Weiller : JCP 2023. 1254, § 8, obs. L. Jandard ; Gaz. Pal. 31 oct. 2023, p. 13, obs. L. Larribère ; Paris Baby Arbitration 2023, n° 62, p. 7, obs. P. Gobeti). Ce faisant, elle rendait une décision en décalage avec les solutions retenues par la Cour d’appel de Paris (Paris, 20 oct. 2020, n° 19/05231, ITOC, Dalloz actualité, 24 déc. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; 23 juin 2020, n° 18/09652, Ginkgo, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques).
 ; Procédures 2023. 173, obs. L. Weiller : JCP 2023. 1254, § 8, obs. L. Jandard ; Gaz. Pal. 31 oct. 2023, p. 13, obs. L. Larribère ; Paris Baby Arbitration 2023, n° 62, p. 7, obs. P. Gobeti). Ce faisant, elle rendait une décision en décalage avec les solutions retenues par la Cour d’appel de Paris (Paris, 20 oct. 2020, n° 19/05231, ITOC, Dalloz actualité, 24 déc. 2020, obs. J. Jourdan-Marques ; 23 juin 2020, n° 18/09652, Ginkgo, Dalloz actualité, 29 juill. 2020, obs. J. Jourdan-Marques).
Partant, l’arrêt Raiya Group soulève des interrogations (Paris, 5 déc. 2023, n° 22/11002, préc.). La cour juge, comme dans sa jurisprudence antérieure, qu’il « peut être considéré que le tribunal arbitral s’écarte de sa mission dès lors qu’il ne respecte pas les règles procédurales qui ont été arrêtées par les parties, directement ou par référence, un tel écart ne peut emporter annulation de la sentence que dans la mesure où il est établi qu’il cause un grief à la partie qui l’invoque ou qu’il a eu une incidence sur l’issue du litige ». La contradiction entre les deux solutions est évidente, l’une autorisant l’annulation sur ce fondement, là où l’autre l’écarte systématiquement. Reste à savoir s’il s’agit d’un acte de résistance de la cour ou si, plus raisonnablement, la Cour d’appel de Paris a péché par maladresse, sachant qu’elle allait rejeter au fond le grief.
La motivation de la sentence
L’affaire Raiya Group (Paris, 5 déc. 2023, n° 22/11002, préc.) donne l’occasion à la cour d’appel de retenir une formule intéressante. Le requérant reproche au tribunal arbitral d’avoir violé la position procédurale des parties. La cour juge que si « la sentence arbitrale internationale doit être motivée, à moins que les parties en soient convenues autrement, aucun principe du droit français de l’arbitrage n’impose une quelconque exigence quant à la forme requise pour cette motivation ou quant à l’ordre d’examen par le tribunal arbitral des demandes qui lui sont soumises, les arbitres n’étant pas tenus de soumettre à la discussion des parties l’ordre dans lequel ils entendent statuer sur ces demandes ». Voilà qui est heureux et qui laisse le tribunal arbitral libre d’adopter la démonstration qu’il entend, sous réserve de ne pas sortir des limites de sa mission et de ne pas violer le contradictoire !
L’application d’un taux d’intérêt aux frais de l’instance et frais d’arbitrage
La question des taux d’intérêt appliqués aux frais d’instance et aux frais d’arbitrage est originale (Paris, 5 déc. 2023, n° 22/11002, Raiya Group, préc.). La cour juge en deux temps. Premièrement, elle constate que la demande de condamnation aux intérêts moratoires se limite aux prétentions sur le fond. Par conséquent, elle ne se rapporte pas aux frais de procédure, qui font l’objet d’un chef de demande distinct dans les écritures de la partie. Deuxièmement, la cour considère que « la demande de condamnation à “toute autre réparation que le tribunal pourrait juger approprié”, par son étendue et la généralité de ses termes, apparaît en revanche de nature à justifier la décision du tribunal arbitral sur l’octroi d’intérêts moratoires, qui constituent l’accessoire de la condamnation au paiement des frais d’arbitrage et entraient comme tels dans le pouvoir des arbitres ». Autrement dit, l’application d’intérêts moratoires aux frais d’arbitrage et de l’instance est possible, à condition que les parties en fassent la demande aux arbitres, le cas échéant par une prétention « balai ».
La délégation par l’arbitre de sa mission
Nous ne dirons qu’un mot de l’arrêt Oc’Via (Paris, 28 nov. 2023, n° 22/12084), à cause de notre implication dans le recours. Une formule est susceptible d’attirer l’attention du lecteur dans cette décision rendue par la formation interne de la 5-16.
La cour juge que « le grief tiré de ce que le tribunal arbitral aurait simplement transcrit l’appréciation de l’expert dans sa décision comme s’il était lié par cet avis est sans lien avec un défaut de motivation ou le non-respect par l’arbitre de sa mission ». À notre estime, cette approche est discutable : l’arbitre ne peut déléguer son pouvoir juridictionnel, faute de quoi il s’écarte de sa mission. Nous laissons le lecteur en juger.
L’ordre public international
La recevabilité des griefs relevant de l’ordre public
Il n’est pas rare de constater un flottement sur la question de la recevabilité des griefs en matière d’ordre public. Spontanément, on pense que ceux-ci sont toujours recevables, indépendamment du comportement des parties. C’est d’ailleurs ce qui résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation, notamment depuis l’arrêt Sorelec (Civ. 1re, 7 sept. 2022, n° 20-22.118, Dalloz actualité, 28 oct. 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 1600  ; ibid. 2330, obs. T. Clay
 ; ibid. 2330, obs. T. Clay  ; Gaz. Pal. 8 nov. 2022, p. 11, obs. L. Larribère ; Procédures 2022. 253, obs. L. Weiller ; JDI 2023. 1021, obs. K. Mehtiyeva ; Rev. arb. 2022. 1251, note C. Jarrosson), qui énonce que « le respect de l’ordre public international de fond ne peut être conditionné par l’attitude d’une partie devant l’arbitre ». Toutefois, une lecture attentive de la décision permet de constater que si l’article 1466 du code de procédure civile ne s’applique pas, c’est seulement à l’ordre public international de fond. Cette ultime précision est décisive. Depuis plusieurs années, même si les arrêts ne sont pas nombreux, la jurisprudence contrôle l’absence de renonciation, tant pour l’ordre public international procédural (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; 12 oct. 2021, n° 20/02301, Tasyapi, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; 19 oct. 2021, n° 19/23071, Heliotrop, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques) que pour l’ordre public de protection (Paris, 22 févr. 2022, n° 20/05869, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques).
 ; Gaz. Pal. 8 nov. 2022, p. 11, obs. L. Larribère ; Procédures 2022. 253, obs. L. Weiller ; JDI 2023. 1021, obs. K. Mehtiyeva ; Rev. arb. 2022. 1251, note C. Jarrosson), qui énonce que « le respect de l’ordre public international de fond ne peut être conditionné par l’attitude d’une partie devant l’arbitre ». Toutefois, une lecture attentive de la décision permet de constater que si l’article 1466 du code de procédure civile ne s’applique pas, c’est seulement à l’ordre public international de fond. Cette ultime précision est décisive. Depuis plusieurs années, même si les arrêts ne sont pas nombreux, la jurisprudence contrôle l’absence de renonciation, tant pour l’ordre public international procédural (Paris, 2 avr. 2019, n° 16/24358, Dalloz actualité, 17 avr. 2019, obs. J. Jourdan-Marques ; 12 oct. 2021, n° 20/02301, Tasyapi, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; 19 oct. 2021, n° 19/23071, Heliotrop, Dalloz actualité, 19 nov. 2021, obs. J. Jourdan-Marques) que pour l’ordre public de protection (Paris, 22 févr. 2022, n° 20/05869, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques).
L’arrêt Hisense (Paris, 17 oct. 2023, n° 21/20796, préc.) confirme ces deux exceptions. D’une part, à propos de la fraude procédurale, elle rappelle qu’elle « peut être sanctionnée au regard de l’ordre public international de procédure ». À ce titre, elle en contrôle la recevabilité, laquelle exige que les parties ont invoqué en temps utile les irrégularités relatives à la production des documents. D’autre part, à propos de l’égalité des armes, elle énonce encore plus clairement que « le principe d’égalité des armes relève de l’ordre public international de protection, de sorte qu’il est loisible à une partie de renoncer à son bénéfice ». En définitive, l’arrêt confirme que seul l’ordre public de fond de direction est insusceptible de renonciation.
La fraude procédurale
La fraude procédurale est, depuis plusieurs années, soumise à un régime un peu particulier. Deux arrêts de la présente chronique s’intéressent à la question.
Dans l’affaire Garcia (Paris, 24 oct. 2023, n° 19/13396, préc.), le requérant invoque « la production devant le tribunal arbitral d’états financiers, de documents sociétaires et de lettres falsifiés ». Ce sont donc les éléments soumis au tribunal arbitral qui sont considérés comme frauduleux. La cour rappelle que la fraude procédurale « suppose que des faux documents aient été produits, que des témoignages mensongers aient été recueillis ou que des pièces intéressant la solution du litige aient été frauduleusement dissimulées aux arbitres, de sorte que la décision de ceux-ci a été surprise ». Néanmoins, la cour constate que le tribunal arbitral était saisi de la difficulté. Elle juge que « la sentence querellée fait toutefois apparaître que ces imputations ont déjà été soutenues par le Venezuela devant le tribunal arbitral, qu’elles ont alors donné lieu à un débat contradictoire entre les parties et que le tribunal arbitral s’est prononcé sur leur bienfondé ». Par conséquent, elle juge que la décision du tribunal arbitral n’a pu être surprise par fraude, et déclare le moyen irrecevable.
Dans l’affaire Hisense (Paris, 17 oct. 2023, n° 21/20796, préc.), le débat porte cette fois sur la dissimulation par une partie de preuves à l’occasion d’une procédure de production de documents. Autrement dit, la situation n’est plus celle du caractère frauduleux des pièces soumises au tribunal, mais du caractère frauduleux de l’absence de soumission de certaines pièces. Là encore, le grief est rejeté. Lors de l’instance arbitrale, la partie a fait part à de nombreuses reprises de ses inquiétudes quant à l’intégrité et la bonne foi la production de documents. Le tribunal arbitral a donc statué sur la question, ce qui conduit la cour à constater que « la dissimulation alléguée de documents devant les arbitres et l’appréciation des éléments ayant permis au tribunal de fixer les responsabilités et le préjudice ayant fait l’objet d’un débat contradictoire au cours de l’instance arbitrale, la décision du tribunal n’a pas été surprise par une fraude mais procède d’une appréciation éclairée de l’exactitude et de la portée des documents qui lui étaient soumis, appréciation qu’il n’appartient pas à la cour de réviser ».
Dans un cas comme dans l’autre, l’analyse semble identique. Le débat sur la fraude mené devant le tribunal arbitral suffit à rejeter le grief. Pour autant, dans l’arrêt Hisense, le grief n’est pas déclaré irrecevable, mais il est écarté, ce qui semble plutôt renvoyer au bien-fondé. Et à dire vrai, on peut se demander si les deux situations sont identiques. Ainsi, dans l’affaire Hisense, la sentence indique que « le tribunal [arbitral] n’a aucune raison de douter que les données et valeurs qui y figurent reflètent une déclaration sincère et de bonne foi ». Force est de constater que les preuves produites à l’occasion du recours établissent que le tribunal arbitral a eu tort de faire confiance à la partie. On peut dès lors se demander s’il ne faut pas juger différemment la situation selon que la fraude porte sur des preuves présentées au tribunal arbitral ou sur des preuves cachées au tribunal arbitral et, dans le second cas, si le tribunal arbitral a cru à l’inexistence de ces preuves. Cela dit, par ricochet, la question qui se pose est celle de savoir si cette question relève du juge de l’annulation ou du tribunal arbitral, dans le cadre d’un recours en révision ? Le débat pourrait bien être ouvert sur cette problématique.
La fraude fiscale
La fraude fiscale relève-t-elle de l’ordre public international ? Une réponse positive est apportée par dans l’arrêt Garcia (Paris, 24 oct. 2023, n° 19/13396, préc.). La cour juge que « la lutte contre la fraude fiscale, qui fait l’objet d’un consensus international manifesté par diverses conventions bilatérales et multilatérales, figure parmi les principes dont l’ordre juridique français ne saurait souffrir la violation, même dans un contexte international ».
La cour en profite pour rappeler les modalités du contrôle de l’ordre public international (v. égal., en matière de corruption, Paris, 5 déc. 2023, n° 22/20051, ESISCO, préc.). Plus précisément, elle souligne que « ce contrôle s’attache seulement à examiner si l’exécution des dispositions prises par le tribunal arbitral viole de manière caractérisée les principes et valeurs compris dans cet ordre public international ».
Cette façon de procéder emporte deux conséquences. D’une part, il est indifférent que le tribunal arbitral ait statué sur les éléments soumis au juge du recours. Ainsi, la cour précise que son « contrôle a une finalité propre, distincte de la mission confiée aux arbitres. Le fait que le tribunal arbitral se soit déjà prononcé sur des faits invoqués devant le juge de l’annulation ne saurait dès lors priver celui-ci de la faculté de procéder à nouveau à leur examen pour s’assurer qu’aucune violation de l’ordre public international n’est caractérisée ». D’autre part, l’analyse ne porte pas sur le fond du litige, mais sur les conséquences de la sentence. Plus précisément, « il ne s’agit donc pas d’apprécier les faits invoqués par le Venezuela au regard de l’atteinte à un investissement protégé par le TBI, ce qui contreviendrait au principe de non-révision de la sentence, mais de déterminer si, en considération des éléments avancés par la demanderesse au recours, la reconnaissance ou l’exécution de la sentence est de nature à caractériser une atteinte à l’ordre public international en permettant [à la partie] de bénéficier du produit des fraudes alléguées par la demanderesse au recours ou en compensant un investissement en lien avec la commission des agissements caractérisant ces fraudes ».
C’est la démarche adoptée par la Cour d’appel de Paris, qui recherche si la sentence permet aux investisseurs de bénéficier du produit d’une fraude fiscale. L’arrêt est assez long et richement motivé. À ce titre, il mérite d’être consulté, en ce qu’il est éclairant sur l’appréciation de la fraude fiscale. Simplement, on soulignera que la cour annule (seulement en partie) la sentence, au motif qu’en « accordant une indemnisation pour un investissement ayant contribué, au moins en partie, à la réalisation d’une fraude fiscale de grande ampleur, judiciairement constatée, la sentence heurte concrètement et de manière caractérisée l’ordre public international ». En revanche, elle juge pour le surplus que l’atteinte à l’ordre public international n’est pas suffisamment caractérisée. Il est intéressant de constater que l’atteinte partielle à l’ordre public international ne « gangrène » pas le reste de la sentence. La cour précise à cet égard qu’« en l’absence d’indivisibilité, les condamnations prononcées pour l’indemnisation des dépôts de garanties répondant à des demandes distinctes de celles relatives à la perte des actions et faisant l’objet de dispositions spécifiques de la sentence, l’annulation fondée sur cette branche du moyen n’est encourue que pour les seuls chefs de la décision se rapportant à ces dépôts ».
La corruption
On dira simplement un mot de l’arrêt ESISCO (Paris, 5 déc. 2023, n° 22/20051, préc.). On sait que même si la doctrine attendait depuis longtemps un revirement sur l’intensité du contrôle de l’ordre public international, elle reste, en grande partie, perplexe par la mise en œuvre de ses nouveaux pouvoirs par la cour d’appel de Paris dans certaines affaires de corruption (v. not., C. Jarrosson, La jurisprudence Belokon-Sorelec, ou l’avènement d’un contrôle illimité des sentences, Rev. arb. 2022. 1251). On a pu lui reprocher, en particulier dans les affaires Sorelec et Groupement Santullo (Paris, 17 nov. 2020, n° 18/02568, Sorelec, Dalloz actualité, 15 janv. 2021, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2020. 2484, obs. T. Clay  ; JDI 2021. Comm. 20, note I. Fadlallah ; 5 avr. 2022, n° 20/03242, Groupement Santullo, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330, obs. T. Clay
 ; JDI 2021. Comm. 20, note I. Fadlallah ; 5 avr. 2022, n° 20/03242, Groupement Santullo, Dalloz actualité, 20 mai 2022, obs. J. Jourdan-Marques ; D. 2022. 2330, obs. T. Clay  ; D. 2022. 1773, obs. S. Bollée
 ; D. 2022. 1773, obs. S. Bollée  ; JDI 2022. 681, obs. K. Mehtiyeva), de se laisser impressionner par les preuves apportées par une partie et de retenir assez facilement l’existence d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants.
 ; JDI 2022. 681, obs. K. Mehtiyeva), de se laisser impressionner par les preuves apportées par une partie et de retenir assez facilement l’existence d’un faisceau d’indices graves, précis et concordants.
L’arrêt ESISCO est de nature à rassurer, comme l’était il y a quelques mois l’arrêt Alstom (Versailles, 14 mars 2023, n° 21/06191, Dalloz actualité, 30 mai 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; Rev. arb. 2023. 371, note I. Fadlallah ; D. 2023. 2278, obs. T. Clay  ; Paris Baby Arbitration 2023, n° 62, p. 7, obs. S. Lazar). D’une part, la cour apprécie d’un regard très critique des procédures pénales menées dans un pays étranger, tant en ce qu’elles sont insuffisantes pour établir l’existence d’une activité corruptive (condamnations pour faux) ou parce que le déroulement de la procédure est opaque. D’autre part, la cour évalue très négativement le comportement du recourant pendant la procédure arbitrale, en ce qu’il n’a pas adopté la même ligne de défense que celle présentée devant le juge de l’annulation. Cet élément est intéressant puisque, si la corruption est au rang des griefs insusceptibles de renonciation, l’inconsistance d’une partie dans l’établissement de cette circonstance est appréciée avec circonspection.
 ; Paris Baby Arbitration 2023, n° 62, p. 7, obs. S. Lazar). D’une part, la cour apprécie d’un regard très critique des procédures pénales menées dans un pays étranger, tant en ce qu’elles sont insuffisantes pour établir l’existence d’une activité corruptive (condamnations pour faux) ou parce que le déroulement de la procédure est opaque. D’autre part, la cour évalue très négativement le comportement du recourant pendant la procédure arbitrale, en ce qu’il n’a pas adopté la même ligne de défense que celle présentée devant le juge de l’annulation. Cet élément est intéressant puisque, si la corruption est au rang des griefs insusceptibles de renonciation, l’inconsistance d’une partie dans l’établissement de cette circonstance est appréciée avec circonspection.
Au final, la cour juge que la preuve d’indices graves, précis et concordants de l’existence d’un pacte corruptif entre l’un des contractants et les anciens membres du personnel de son partenaire mettant en cause leur probité n’est pas rapportée.
Arbitrage et Union européenne
Comme Frodon, le périple des plus braves lecteurs de cette chronique s’achève immanquablement par une arrivée dans le Mordor. Le droit de l’Union met à mal le droit de l’arbitrage depuis des années, avec la Cour de justice pour endosser le costume de Soron. Après avoir méthodiquement anéanti l’arbitrage d’investissement intraeuropéen, voilà que la Cour de justice s’attaque à l’arbitrage sportif. L’arrêt est en partie passé inaperçu, éclipsé par l’importante décision sur la Superleague rendue le même jour (CJUE 21 déc. 2023, aff. C‑333/21, D. 2024. 10  ). Pourtant, l’arrêt International Skating Union (ISU) ne doit pas être négligé par les spécialistes de l’arbitrage (CJUE 21 déc. 2023, aff. C-124/21, préc.).
). Pourtant, l’arrêt International Skating Union (ISU) ne doit pas être négligé par les spécialistes de l’arbitrage (CJUE 21 déc. 2023, aff. C-124/21, préc.).
Cela dit, contrairement à la trilogie Achmea-Komstroy-PL Holding, on pourrait presque regarder l’arrêt ISU d’un œil amusé. En effet, la salve contourne l’arbitrage pour venir frapper de plein fouet le Tribunal fédéral suisse. À la clé, une injonction simple : l’arbitrage, oui, mais avec un siège dans l’Union européenne ! Examinons la décision de plus près.
Pour faire très simple, la difficulté porte sur la conformité au droit européen de la concurrence des règles d’éligibilité des patineurs aux compétitions organisées par l’ISU. Si toute la première partie de la décision porte sur des aspects de pur droit de la concurrence, les §§ 158 et suivants intéresseront les lecteurs de cette chronique.
En substance, la discussion porte sur l’aggravation de la violation du droit de la concurrence par l’obligation pour les athlètes de recourir à l’arbitrage en cas de différend avec l’ISU. De ce point de vue, le Tribunal de l’Union européenne a jugé, en première instance, que « les règles d’arbitrage pouvaient être justifiées par un intérêt légitime lié à la spécificité du sport », offrant une appréciation bienveillante de la compétence du Tribunal arbitral du sport (TAS).
On connaît les principaux reproches qui sont adressés au TAS par les athlètes : ces derniers sont tenus d’accepter l’ensemble des règles adoptées par une fédération, dont celles instituant un mécanisme de règlement arbitral des différends, pour pouvoir être autorisés à participer aux compétitions internationales organisées par cette association ou par les associations nationales membres de celle-ci. Cette compétence obligatoire et exclusive s’apparente à une forme d’arbitrage forcé. La difficulté est d’autant plus aiguë que le siège du TAS est situé en dehors de l’Union européenne, ce qui rend aléatoire l’appréciation de la conformité des décisions des fédérations aux règles du droit de la concurrence de cette dernière.
Dès le § 188, le ton est donné : « l’appréciation générale et indifférenciée selon laquelle les règles d’arbitrage peuvent se justifier par des intérêts légitimes liés à la spécificité du sport, en ce qu’elles confèrent au TAS une compétence obligatoire et exclusive pour contrôler les décisions que l’ISU […], fait abstraction […] des exigences qui doivent être respectées pour qu’un mécanisme d’arbitrage tel que celui en cause en l’espèce puisse être considéré, d’une part, comme permettant d’assurer le respect effectif des dispositions d’ordre public que comporte le droit de l’Union et, d’autre part, comme étant compatible avec les principes qui structurent l’architecture juridictionnelle de l’Union ». Ainsi, d’emblée, la Cour de justice nous prépare à une appréciation critique du rôle du TAS, qui ne peut être compatible avec le droit de l’Union que sous certaines conditions.
L’essentiel figure au § 191. Ce qui pose problème, ce n’est pas la compétence du TAS pour connaître des décisions de l’ISU, mais « le contrôle des sentences arbitrales rendues par le TAS et le contrôle en dernier ressort des décisions de l’ISU au tribunal fédéral, à savoir une juridiction d’un État tiers ». De façon très ferme, le TAS est invité à localiser son siège dans l’Union pour un certain nombre de litiges.
Pourquoi cette exigence ? Tout simplement parce que le contrôle juridictionnel consécutif à la sentence doit permettre de faire respecter les dispositions fondamentales qui relèvent de l’ordre public de l’Union, dont font partie les articles 101 et 102 TFUE (§ 193), le cas échéant en posant une question préjudicielle (§ 198). Et la Cour ajoute immédiatement que cette exigence « s’impose à plus forte raison quand un tel mécanisme d’arbitrage doit être considéré comme étant, en pratique, imposé par un sujet de droit privé, tel qu’une association sportive internationale, à un autre, tel qu’un athlète ». À défaut d’un tel contrôle juridictionnel, la Cour conclut que « le recours à un mécanisme d’arbitrage serait de nature à porter atteinte à la protection des droits que les justiciables tirent de l’effet direct du droit de l’Union et au respect effectif des articles 101 et 102 TFUE, tels que ceux-ci doivent être assurés – et seraient donc assurés en l’absence d’un tel mécanisme – par les règles nationales relatives aux voies de recours ».
Manifestement, il ne fait pas bon être le Tribunal fédéral suisse ces derniers temps. Après l’arrêt Semenya de la CEDH (CEDH 11 juill. 2023, n° 10934/21, Dalloz actualité, 11 sept. 2023, obs. J. Jourdan-Marques ; ibid., 18 sept. 2023, obs. J.-P. Marguénaud ; D. 2023. 1684, et les obs.  , note J. Mattiussi
, note J. Mattiussi  ; ibid. 2278, obs. T. Clay
 ; ibid. 2278, obs. T. Clay  ; AJ fam. 2023. 421, obs. A. Dionisi-Peyrusse
 ; AJ fam. 2023. 421, obs. A. Dionisi-Peyrusse  ; Rev. arb. 2023. 848, obs. J.-M. Marmayou ; Gaz. Pal. 31 oct. 2023, p. 16, obs. L. Larribère ; Paris Baby Arbitration 2023, n° 64, p. 10, obs. L. Nicot), voilà la Cour de justice qui, sous un angle différent, reproche à nouveau à celui-ci les lacunes dans son contrôle de l’ordre public international. Si, pendant très longtemps, nos amis suisses se sont réjouis de ne jamais annuler de sentences sur ce fondement, le retour de bâton est extrêmement violent. Le Tribunal arbitral du sport est désormais dos au mur et va devoir prendre des mesures radicales pour sa survie. Puisque Lausanne et Londres (fichu Brexit…) sont hors-jeu, pourquoi ne pas envisager une délocalisation – partielle – sur les quais de Seine ? Mais ce n’est qu’une suggestion…
 ; Rev. arb. 2023. 848, obs. J.-M. Marmayou ; Gaz. Pal. 31 oct. 2023, p. 16, obs. L. Larribère ; Paris Baby Arbitration 2023, n° 64, p. 10, obs. L. Nicot), voilà la Cour de justice qui, sous un angle différent, reproche à nouveau à celui-ci les lacunes dans son contrôle de l’ordre public international. Si, pendant très longtemps, nos amis suisses se sont réjouis de ne jamais annuler de sentences sur ce fondement, le retour de bâton est extrêmement violent. Le Tribunal arbitral du sport est désormais dos au mur et va devoir prendre des mesures radicales pour sa survie. Puisque Lausanne et Londres (fichu Brexit…) sont hors-jeu, pourquoi ne pas envisager une délocalisation – partielle – sur les quais de Seine ? Mais ce n’est qu’une suggestion…
En parlant de Brexit, on finira par mentionner dans cette chronique l’action en manquement exercée contre le Royaume-Uni en raison de l’exécution de la sentence Micula et dont les conclusions de l’avocat général ont été rendues (CJUE 9 nov. 2023, aff. C-516/22). Nous ne livrerons que l’une des principales conclusions de l’avocat, qui n’augure rien de bon pour la suite. Il retient que « la Supreme Court (Cour suprême) a statué sur des questions d’interprétation du droit de l’Union qui avaient été traitées dans une décision de la Commission dont la validité faisait l’objet d’une procédure alors pendante devant les juridictions de l’Union. Les arguments avancés à cet égard par les investisseurs, tant devant la Supreme Court (Cour suprême) que devant les juridictions de l’Union, impliquaient nécessairement que la décision de la Commission n’était pas valide. Le risque que soient adoptées, au sein de l’Union, des décisions (administratives ou juridictionnelles) ayant le même objet contradictoire était réel et actuel. Par conséquent, en refusant de suspendre la procédure, comme l’exige la jurisprudence Masterfoods, la Supreme Court (Cour suprême) a manqué à l’obligation de coopération loyale, inscrite à l’article 4, paragraphe 3, TUE. Le premier moyen avancé par la Commission est dès lors bien fondé ». Autrement dit, l’exécution de la sentence même avant la décision de la Cour de justice dans cette affaire est constitutive d’un manquement.
© Lefebvre Dalloz