Chronique d’automne de droit des entreprises en difficulté
Après avoir présenté quelques statistiques en matière de procédures collectives, cet article dresse le panorama des arrêts les plus importants rendus par la Cour de cassation en droit des entreprises en difficulté au cours de cet automne 2023.
Quelques statistiques
Grâce à l’obligeance de l’inlassable Michel Di Martino (note d’information n° 160), les praticiens disposent de statistiques fraîches ayant pour source le Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires. Au 30 septembre 2023, soit sur les neuf premiers mois de l’année, 38 000 procédures collectives ont été ouvertes (contre 29 000 à la même époque de l’année 2022). En 2015, le nombre de défaillances dépassait le nombre de 63 000. Rappelons que 94 % des entreprises concernées emploient moins de dix salariés.
Au titre des mesures de prévention, sur neuf mois au 30 septembre 2023, 5 539 procédures avaient été ouvertes dont 2 266 conciliations. 77 % des entreprises concernées ont moins de dix salariés. Il faut insister sur la nécessité de recourir à temps à la prévention, pour éviter des solutions plus radicales et une perte de matière parfois fatale à l’entreprise.
En ce qui concerne les prêts garantis par l’État (PGE ; note n° 161 de Michel Di Martino), les derniers chiffres font état de 802 800 PGE accordés pour 144 milliards d’euros et un remboursement plutôt satisfaisant avec fin juillet, 80 % des PGE aux grandes entreprises remboursés et 48 % pour les autres, environ 1 000 entreprises ayant demandé une restructuration auprès de la médiation du crédit, ce qui est fort peu. Le risque de défaut est évalué par la banque de France autour de 4,5 %. C’est donc en l’état un succès.
Prévention des difficultés
Conséquences de l’ouverture d’une procédure collective sur un accord de conciliation. Un article intéressant a fait le point sur la question épineuse des conséquences de l’ouverture d’une procédure collective sur un accord de conciliation constaté ou homologué (F.-X. Lucas, Droit des entreprises en difficulté, juillet 2022 - juillet 2023, D. 2023. 1715
). La formule de l’article L. 611-12 du code de commerce n’est pas très heureuse dès lors qu’il est prévu que l’ouverture d’une procédure collective « met fin » de plein droit à cet accord de conciliation. Cette formule n’est pas très juridique…
En principe, les créanciers recouvrent l’intégralité de leurs créances et sûretés, déduction faite des sommes perçues. Cependant, la conséquence notamment au titre des garanties accordées, est-elle la caducité, la résolution, ou encore la nullité ?
Cela n’est pas très clair. Un arrêt du 25 septembre 2019 (Com. 25 sept. 2019, n° 18-15.655, Dalloz actualité, 16 oct. 2019, obs. X. Delpech ; D. 2019. 1886
; ibid. 2100, point de vue R. Dammann et A. Alle
; ibid. 2020. 1857, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli
; ibid. 1917, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
; AJ contrat 2019. 498, obs. D. Houtcieff
; Rev. sociétés 2019. 779, obs. L. C. Henry
; RTD com. 2020. 456, obs. F. Macorig-Venier
; ibid. 708, obs. A. Martin-Serf
; JCP E 2020. 1022, note P. Bordais) avait prononcé la caducité. Cet arrêt précisait que les nouvelles sûretés obtenues dans le cadre de l’accord ne pouvaient être dès lors conservées.
Puis, l’ordonnance du 15 septembre 2021 a introduit dans le code de commerce un article L. 611-10-4 selon lequel, la caducité ou la résolution de l’accord amiable ne prive pas d’effets les clauses dont l’objet est d’en organiser les conséquences.
Puis un autre arrêt de la Cour de cassation est intervenu (Com. 26 oct. 2022, n° 21-12.085, Dalloz actualité, 2 déc. 2022, obs. G. Berthelot ; D. 2022. 1901
; ibid. 2320, chron. S. Barbot, C. Bellino et C. de Cabarrus
; ibid. 2023. 78, point de vue R. Dammann et A. Hamouda
; ibid. 1715, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli
; ibid. 1765, obs. J.-J. Ansault et C. Gijsbers
; Rev. sociétés 2022. 704, obs. L. C. Henry
; Rev. prat. rec. 2023. 15, chron. O. Salati
; RTD civ. 2022. 943, obs. C. Gijsbers
; RTD com. 2022. 852, obs. F. Macorig-Venier
; ibid. 2023. 216, obs. A. Martin-Serf
; JCP E 2023. 1157, n° 3, obs. P. Pétel). Cet arrêt distingue d’une part les sûretés obtenues en contrepartie de délais ou d’abandons de créances qui restent frappées de caducité, et d’autre part les sûretés qui garantissent une avance d’argent frais qui ont vocation à subsister. Il s’agissait, en effet, de ne pas décourager les créanciers qui doivent procéder à un apport d’argent frais, en les privant de toute garantie, alors même qu’ils ne sont pas responsables de la défaillance de leur cocontractant. François-Xavier Lucas estime que cette solution est satisfaisante et nous partageons cet avis.
Cependant, une ambiguïté subsiste sur l’exigence d’un financement nouveau. Il s’agit, en effet, alors d’augmenter le montant des encours comme l’a précisé le commentateur précité et non de remplacer une dette par une autre. La règle de l’article L. 611-10-4 du code de commerce permet, en effet, par le mécanisme du contrat, de tenir en échec l’article L. 611-12. Il est prévu depuis le 1er octobre 2021 que la caducité ou la résolution de l’accord amiable ne prive pas d’effets les clauses dont l’objet est d’en organiser les conséquences …
Report de la dette en conciliation. Chacun sait qu’il est possible de demander le report de paiement d’une créance pendant la procédure de conciliation (C. com., art. L. 611-7, al. 5). Lorsque ce report est accordé, le créancier peut-il en interjeter appel ? Un arrêt récent reconnaît ce recours à un créancier (Com. 25 oct. 2023, n° 22-15.776, D. 2023. 1901
; Veille permanente, 30 oct. 2023, note J.-P. Rémery).
En l’espèce, le créancier avait choisi la voie du pourvoi qui a été jugée irrecevable dès lors que l’appel lui était permis. Le juge de la conciliation avait indiqué dans sa décision qu’elle avait été rendue en dernier ressort, ce qui ne pouvait cependant pas interdire un appel. Selon l’article R. 611-35 du code de commerce, le juge de la conciliation statue selon la procédure accélérée au fond. Ce texte renvoie à l’article 481-1, 7e, du code de procédure civile qui n’interdit pas un appel dans cette hypothèse. La Cour de cassation a considéré qu’en l’absence de disposition du code de commerce fermant au créancier l’appel de la décision du président du tribunal, il résulte des articles 543 du code de procédure civile et R. 662-1 du code de commerce que cette voie lui est ouverte.
Droit social des entreprises en difficulté
Subsidiarité et l’intervention de l’AGS. Nous avons déjà commenté l’arrêt important rendu par la Cour de cassation le 7 juillet dernier (Com. 7 juill. 2023, n° 22-17.902, Dalloz actualité, 13 juill. 2023, obs. C. Gailhbaud ; D. 2023. 1357
; Rev. sociétés 2023. 547, obs. L. C. Henry
; RDT 2023. 628, chron. Valéria Ilieva et A. Mittelette
) qui a précisé que l’assurance de garantie des salaires (AGS) doit, sans discussion possible, verser les avances demandées par le mandataire judiciaire sans pouvoir disposer d’un contrôle a priori. Cette règle est salutaire, notamment pour des raisons de traitement d’urgence, comme l’a précisé le président Vigneau lors d’un colloque qui s’est tenu à la Cour de cassation le 29 septembre dernier. Cette analyse pragmatique est donc bienvenue. Il faut signaler le commentaire intéressant de Laurence-Caroline Henry (Veille permanente, 21 sept. 2023) précisant qu’il reste à fixer les conditions de la subrogation qui restent à définir en complément de l’application de l’article L. 3253-20 du code du travail. Il ne faudrait pas cependant que ce débat sur la subrogation remette en cause la règle qui vient d’être fixée par l’arrêt du 7 juillet 2023.
Nouveau système des parties affectées et l’AGS. Une décision intéressante a été rendue par la Cour d’appel de Versailles. Elle considère que les créances superprivilégiées et celles qui ont été avancées par l’AGS ne sont pas affectées par le plan, de sorte que l’AGS n’est pas une partie affectée au sens de l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021. Dans cette affaire, l’AGS avait été considérée comme une partie affectée et, bien entendu, elle s’y opposait. Elle avait donc interjeté appel de l’ordonnance du juge-commissaire considérant que le principe selon lequel les créances résultant d’un contrat de travail ne sont pas affectées par le plan, ne peut concerner que le salarié et non l’AGS lorsqu’elle est subrogée dans ses droits, en application de l’article L. 626-30, IV, du code de commerce. La Cour de Versailles a considéré qu’il faut s’intéresser à la nature de la créance et non aux créanciers titulaires. L’ordonnance a donc été infirmée (Versailles, 13 juill. 2023, n° 23/04003, Veille permanente, 13 oct. 2023, note L.-C. Henry).
Un autre arrêt a été rendu par la Cour de Versailles (Versailles, 22 juin 2023, nos 23/03276 et 23/033, Veille permanente, 9 oct. 2023, obs. L.-C. Henry). La cour rappelle les critères de constitution des classes prévus par l’article L. 626-30, III, du code de commerce. L’administrateur doit se référer à des critères objectifs et vérifiables permettant de considérer que les créanciers doivent être traités de la même manière. Or, en l’espèce, la classe considérée regroupait des créanciers dépourvus de garanties et privilèges avec d’autres titulaires de créances « sécurisées ». L’ordonnance a donc été infirmée et une autre classe doit être formée pour regrouper les parties affectées titulaires, à la fois de créances sécurisées et de créances chirographaires.
Par ailleurs, une classe avait été constituée pour les créanciers détenteurs de capital, ce que contestaient les porteurs d’obligations. La Cour s’est référée à la directive (UE) 2019/1023 du 20 juin 2019, dite « restructuration et insolvabilité », qui a suscité l’ordonnance n° 2021-1193 du 15 septembre 2021 qui a créé ce nouveau régime. La Cour cite l’article 2 qui définit la notion de détenteur de capital. Elle a considéré que la directive avait lié la notion de détenteur de capital à la détention effective d’une participation au capital. Dès lors, les porteurs de valeurs mobilières donnant accès au capital ne pouvaient être traités de la même manière. Les porteurs d’obligations n’ont donc pas été considérés comme étant détenteurs de capital. La commentatrice cite M.-H. Monsérié-Bon (BJE juill./août 2023, éditorial p. 1). Il serait sans doute utile que le texte français puisse dissiper dorénavant toute ambiguïté. Ceci étant dit, si la conversion n’a pas été demandée, il est exact que les détenteurs d’obligations et les détenteurs de capital ont un statut juridique différent.
Appréciation du juge sur un PSE. En l’espèce, une organisation syndicale et des salariés contestaient une décision administrative d’homologation du document unilatéral établi par l’employeur dans le cadre d’un PSE (plan de sauvegarde de l’emploi). L’article L. 1233-57-3 du code du travail était en cause. Il faut, en effet, tenir compte des moyens dont dispose l’employeur pour apprécier la pertinence du périmètre retenu sur le groupe. Il fallait également tenir compte des moyens, notamment financiers, dont disposent l’ensemble des entreprises placées sous le contrôle d’une même entreprise dominante (C . com., art. L. 233-1 et L. 233-3, L. 233-16 ; C. trav., art. L. 1233-3).
Le juge administratif n’a pas à se saisir d’office de l’appréciation de l’ensemble des critères prévus par le code du travail pour définir lui-même la délimitation du groupe au titre des moyens dont il dispose (CE 21 juill. 2023, n° 435896). Il ne peut que répondre aux contestations formulées devant lui.
Liquidation judiciaire
La mission du liquidateur. Une fois encore, l’irritante question de la prise en charge des frais des intervenants par la procédure ou par celui qui les a mandatés a été posée. En l’espèce, un liquidateur avait demandé à un avocat de le représenter en justice. Cela pouvait-il être considéré comme une mission dont le liquidateur doit supporter le coût en application de l’article L. 812-1 du code de commerce qui indique que les tâches que comportent l’exécution de leur mandat incombent personnellement aux mandataires judiciaires désignés par le tribunal ? Lorsqu’ils délèguent tout ou partie de leurs tâches à des tiers, ils doivent le faire lorsque le bon déroulement de la procédure le requiert et sur autorisation motivée du président du tribunal.
Cependant, lorsque les mandataires judiciaires confient à des tiers des tâches qui relèvent de la mission que leur a confié le tribunal, ils doivent les rétribuer sur la rémunération qu’ils perçoivent. Un arrêt de cassation a été rendu en l’espèce (Com. 13 sept. 2023, n° 22-10.522, Veille permanente, 5 oct. 2023, obs. C. Cadic). Dans cette affaire, le liquidateur avait demandé à un avocat de le représenter devant le tribunal à l’occasion d’une procédure d’ordre puis, lui a demandé d’obtenir une solution transactionnelle pour préserver l’intérêt des créanciers. Dans le cadre de cette recherche d’un accord transactionnel, le liquidateur n’avait-il pas délégué des tâches qui lui incombaient ?
La Cour de cassation a considéré que la recherche d’une solution transactionnelle s’inscrivait dans une procédure d’ordre pour laquelle l’avocat avait été investi par un mandat de représentation en justice. Cette mission était donc légitime (C. Cadic, obs. préc.). Il peut paraître en effet logique que la mission de négocier s’inscrivait dans le prolongement de ce mandat ad litem.
Les créances utiles en liquidation judiciaire. En l’espèce, il s’agissait d’une mise en sécurité d’installation classée constituant des créances nées régulièrement après le jugement prononçant la liquidation judiciaire. Ces créances pouvaient-elles bénéficier du régime des créances postérieures utiles, c’est-à-dire d’une priorité de paiement selon l’article L. 643-8 du code de commerce au sixième rang ? La loi n° 2023-973 du 23 octobre 2023 sur l’industrie verte prévoit la modification des articles L. 641-13, I, et L. 643-8, I, ce qui permet à ces créances de bénéficier de cette priorité.
Responsabilité pour insuffisance d’actif du dirigeant. Cette décision rappelle des solutions connues et en précise d’autres (Com. 5 juill. 2023, n° 22-13.290, Veille permanente, 4 sept. 2023, note M. Dizel). En premier lieu, il s’agissait de la récurrente et irritante question de la valeur d’un rapport établi par un technicien qui avait été désigné par le juge-commissaire en application de l’article L. 621-9 du code de commerce. Nous savons que ce technicien n’a pas à respecter les garanties du contradictoire prévues par le code de procédure civile pour les expertises judiciaires. Il était donc reproché une violation de l’article 16 de ce code et de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Sans surprise, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi car elle considère qu’il ne s’agit pas d’une mesure d’expertise judiciaire et elle a relevé que le technicien avait recueilli les explications des dirigeants. En outre, le rapport avait été soumis à un débat contradictoire. Cette argumentation ne paraît pas convaincante malgré son ancienneté. Il serait, en effet, sain et équitable que, pour mettre en œuvre la responsabilité d’un dirigeant, les règles de l’expertise prévues au code de procédure civile soient appliquées. Il est, certes, commode de donner cette compétence au juge-commissaire mais il ne suffit pas de débattre d’un rapport quand il a déjà été établi. Il est préférable d’en débattre d’une manière contradictoire au cours des travaux du technicien et non postérieurement. En outre, cette solennité attirerait mieux l’attention du dirigeant qui est souvent en état de faiblesse après son échec. Enfin, certains techniciens se limitent à une contradiction minimale …
Sur un autre point, l’arrêt précise, là-encore sans surprise, que le dirigeant doit être en fonction à la date de la commission de la faute de gestion. La société avait en effet pris en charge d’une manière indue des travaux au profit d’une SCI. Or, la personne mise en cause n’avait pris ses fonctions qu’après cette utilisation. Enfin, la cour d’appel avait considéré qu’une opération de compensation entre un crédit d’impôt et des dettes fiscales, qui avait fait l’objet d’une négociation avec une autre société qui avait consenti une avance en échange d’une cession de créance ne caractérisait pas une faute de gestion en lien avec les faits relatifs à la cession de créance de crédit d’impôts. C’est ici une jurisprudence utile rappelant l’importance du lien de causalité qu’il faut démontrer, ce qui est parfois perdu de vue. La chambre commerciale est attachée à la vérification de la justification de ce lien, ce qui est bienvenu.
Questions diverses
Faut-il communiquer spontanément les éléments de cotation de la Banque de France ? Une question a été posée à cet égard par un sénateur au ministre de l’Économie et des Finances. Il cite une forte évolution des défaillances, soit une hausse de 48 % entre 2021 et 2022 et considère qu’il est utile que les entreprises soient informées de leur ratio de solvabilité. Le ministre a répondu par la négative car il considère que cet élément ne devrait pas influer sur les défaillances (Rep. min., JO Sénat, 6 juill. 2023, n° 7342 p. 4206, Veille permanente, 14 sept. 2023, note C. Cadic, qui donne des précisions pratiques utiles). Il rappelle que les analyses de la Banque de France concernent 300 000 entreprises qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 750 000 €. En l’état, il est possible sur demande, d’avoir accès à la cotation et de demander des explications sur celle-ci.
Cependant, l’expérience montre que le dirigeant se voile souvent la face et ne prend pas conscience à temps de ses difficultés, ce qui provoque souvent des retards funestes à l’entreprise. Cette suggestion de communiquer aux 300 000 entreprises concernées les éléments de cotation paraît donc utile car elle pourrait être de nature à aider les dirigeants à prendre conscience de leur situation et à prendre en temps utile des mesures de prévention qui sont toujours souhaitables.
La revendication de meubles. En l’espèce, le délai de revendication de trois mois n’avait pas été respecté, le bailleur de véhicules qui avait demandé la restitution des véhicules après la liquidation judiciaire indiquant que le délai avait été suspendu dès lors qu’il avait été placé dans l’impossibilité absolue d’agir. En effet, la société locataire n’avait pas averti le bailleur de la dépossession des biens loués à la suite d’une transmission universelle de patrimoine. En l’espèce, il a été jugé que dans cette hypothèse, il ne s’agissait pas d’une cession de bail, l’accord préalable et écrit du bailleur n’étant pas requis. La Cour aurait dû rechercher si le bailleur, qui était un professionnel averti, pouvait légitimement ignorer la disparition de sa locataire au profit de la société absorbante à la suite de l’ouverture de la procédure collective. Avait-il commis une négligence ? Il faudra donc procéder à cette recherche (Com. 5 juill. 2023, n° 22-13.049, Veille permanente, 3 oct. 2023, note M. Triboulet).
La contestation de créance. La Cour de cassation a décidé qu’une demande de pièces justificatives formulée par un mandataire judiciaire n’est pas une contestation de créance. En conséquence, si le créancier ne répond pas dans les trente jours, il conserve le droit de formuler un recours contre l’ordonnance de rejet du juge-commissaire (Com. 13 sept. 2023, n° 22-15.296 F-B, Dalloz actualité, 2 oct. 2023, obs. B. Ferrari). Il s’agit de l’application des articles L. 622-27 et R. 624-1 du code de commerce. En l’espèce, le mandataire judiciaire avait été informé de la créance par le débiteur. Il appartenait donc au créancier de justifier sa créance par des pièces.
Par une application littérale du texte, la Cour de cassation a considéré que la discussion portait sur la régularité de la déclaration de créance et non sur l’existence, la nature ou le montant de la créance.
Nous savons aussi que la lettre du mandataire judiciaire doit préciser, en cas de contestation, son objet et le montant de la créance dont l’admission est proposée en rappelant le texte de l’article L. 622-27 du code de commerce. On peut comprendre la motivation de la Cour de cassation mais, cependant, l’article R. 622-23 précise que la déclaration doit contenir des éléments de nature à prouver l’existence et le montant de la créance avec les documents justificatifs. En l’espèce, il existait donc bien une négligence du créancier qui n’avait pas répondu dans le délai de trente jours en communiquant les pièces justificatives. Nous partageons l’opinion de Benjamin Ferrari (obs. préc.) sur le fait que cette motivation paraît critiquable car en l’état, cette négligence n’emporte aucune sanction, alors qu’elle est bien imputable au créancier et que la production des justificatifs est bien requise par un texte.
Le curieux dispositif qui impose donc à un débiteur de déclarer ses dettes pour le compte de ses créanciers doit donc trouver ses limites (Com. 8 févr. 2023, n° 21-19.330 F-B, Dalloz actualité, 13 mars 2023, obs. M. Guastella ; D. 2023. 1252
, note J. Levy et T. de Ravel d’Esclapon
; ibid. 1715, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli
; RTD com. 2023. 443, obs. A. Martin-Serf
; 31 janv. 2017, n° 15-17.296 F-P+B+I, Dalloz actualité, 15 févr. 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 294
; Rev. sociétés 2017. 182, obs. L. C. Henry
; RTD com. 2017. 689, obs. A. Martin-Serf
; Veille permanente, 28 sept. 2023, obs. M. Dizel).
Un autre arrêt a été rendu sur le délai d’un mois imparti pour saisir le juge compétent en cas de contestation de créance (Com. 5 oct. 2023, n° 22-14.439 F-B, Dalloz actualité, 20 oct. 2023, obs. P. Cagnoli). En l’espèce, le juge-commissaire avait invité le débiteur à saisir la juridiction compétente pour trancher la contestation. Le débiteur avait assigné le liquidateur et le créancier devant le tribunal de grande instance par acte signifié dans le délai d’un mois. En revanche, la copie des assignations fut déposée au greffe après l’expiration de ce délai. La cour d’appel avait donc considéré qu’il était forclos. La Cour de cassation censure cette décision en visant l’article R. 624-5 du code de commerce. C’est en effet la saisine du tribunal par la personne désignée qui doit être réalisée dans le délai d’un mois.
Pierre Cagnoli (obs. préc.) considère que c’est par une fiction que l’assignation a été estimée suffisante alors que le tribunal n’était pas véritablement saisi. Il relève que la Cour de cassation a interprété cette notion avec souplesse. Il remarque aussi que l’assignation interrompt les délais de prescription et de forclusion (C. civ., art. 2241). Il est relevé que le juge-commissaire fixe souvent une audience de rappel pour vérifier que le délai a bien été respecté. Il faudrait donc allonger le temps d’incertitude pour tenir compte de cette nouvelle situation. Il serait sans doute utile que le texte soit clarifié pour dissiper toute ambiguïté pour le praticien qui rédige des assignations. Nous considérons pour notre part que la Cour de cassation a eu parfaitement raison en relevant que l’assignation délivrée dans un délai d’un mois suffit.
La résolution d’un contrat après le jugement d’ouverture. Un loueur de voitures n’avait pas été réglé de ses loyers. Mettant en œuvre la clause résolutoire, il avait mis en demeure son locataire de lui régler le montant des loyers impayés. Le juge des référés avait constaté l’acquisition de la clause résolutoire et ordonné la restitution des véhicules en condamnant au paiement des loyers. Puis le redressement judiciaire avait été prononcé, la cour d’appel ayant infirmé l’ordonnance de référé en déclarant irrecevable la demande de résolution du contrat. En effet, l’action ne pouvait être poursuivie dès lors qu’il n’existait pas, avant l’ouverture de la procédure, une décision passée en force de chose jugée. Or, la Cour de cassation a considéré que l’action demandant la résolution du contrat en application d’une clause résolutoire de plein droit avait produit ses effets avant le jugement d’ouverture au visa de l’article L. 622-21-1 du code de commerce. Il était donc possible de constater cette résolution, même après le jugement d’ouverture (Com. 18 nov. 2014, n° 13-23.997, à propos d’un contrat de crédit-bail immobilier, Dalloz actualité, 5 déc. 2014, obs. X. Delpech ; 13 sept. 2023, n° 22-12.047, Dalloz actualité, 5 oct. 2023, obs. D. Boustaini-Aufan ; Veille permanente, 19 sept. 2023, obs. P. Roussel Galle).
Le sort des sûretés en cas de procédure collective. Un redressement judiciaire a été prononcé alors qu’un commandement de payer valant saisie immobilière avait été signifié. Le mandataire judiciaire a demandé la suspension de la saisie, compte tenu de l’ouverture de cette procédure et la banque créancière s’y est opposée. La SCI débitrice avait consenti une affectation hypothécaire à la suite du prêt qui avait été souscrit par le gérant. La banque a donc demandé la validation de la saisie au titre de la créance détenue à l’égard du gérant. La cour d’appel avait ordonné la suspension de la saisie mais elle a été censurée par la Cour de cassation. Dès lors que la banque n’était pas créancière de la SCI qui avait garanti le prêt consenti à son dirigeant, elle n’était pas soumise à la règle de la suspension des poursuites.
Après avoir mis en cause l’administrateur et le mandataire judiciaire, la banque pouvait donc poursuivre la procédure à l’égard du gérant (Com. 4 oct. 2023, n° 21-25.009, Veille permanente, 30 oct. 2023, note J.-P. Legros). Il faut préciser qu’en l’espèce était visé l’article L. 622-21 du code de commerce dans sa rédaction antérieure à celle de l’ordonnance n° 1193 du 15 septembre 2021, ainsi que l’article L. 622-23 du même code et l’article 2464 du code civil. La Cour de cassation considère donc que la sûreté réelle n’impliquait aucun engagement personnel du constituant de la sûreté à satisfaire à l’obligation d’autrui qui était le dirigeant. Ainsi, c’est la qualité de créancier qui permet d’imposer la règle de la suspension des poursuites. Or, la banque n’était pas créancière en l’espèce du constituant qui avait donné sa garantie. En pratique, la règle de suspension des poursuites a été mise en échec, la banque pouvant ainsi poursuivre une procédure contre un bien dépendant d’une société faisant l’objet d’une procédure collective. Cette interprétation est donc singulièrement favorable au créancier.
Le droit de l’Union européenne. Dans cette affaire, la confusion des patrimoines avait été prononcée entre une société française et une société située dans un autre État de l’Union. Il en avait été déduit que le centre des intérêts principaux de la seconde société était situé en France. La Cour de cassation a indiqué que cette déduction n’était pas fondée (Com. 13 sept. 2023, n° 22-12.855, Dalloz actualité, 9 oct. 2023, note G.-C. Giorgini ; Veille permanente, 20 sept. 2023, note P. Roussel Galle ; , qui rappelle les règles fixées en la matière). Le professeur Roussel Galle rappelle que la CJUE avait rendu un arrêt en application du règlement n° 1346/2000 du 29 mai 2000 relatif aux procédures d’insolvabilité qui avait fixé la même règle (CJUE 15 déc. 2011, aff. C-191/10, Dalloz actualité, 21 déc. 2021, obs. A. Lienhard ; D. 2012. 403, et les obs.
, note J.-L. Vallens
; ibid. 406, note R. Dammann et Friederike Müller
; ibid. 1228, obs. H. Gaudemet-Tallon et F. Jault-Seseke
; ibid. 2196, obs. F.-X. Lucas et P.-M. Le Corre
; ibid. 2331, obs. L. d’Avout et S. Bollée
; Rev. sociétés 2012. 189, obs. P. Roussel Galle
; ibid. 313, note N. Morelli
; Rev. crit. DIP 2012. 435, note G. Khairallah
). On ne peut, en effet, faire l’économie de l’examen global des éléments permettant d’établir que le centre effectif de direction et de contrôle se situe dans le pays concerné. À défaut, c’est le siège statutaire qui doit être pris en compte.
La confusion des patrimoines. Comment caractériser des flux financiers anormaux sur un compte courant d’associés ? Après une liquidation judiciaire, le liquidateur avait assigné le gérant associé en extension de la procédure. Il considérait qu’il existait une relation financière anormale entre la société et le dirigeant. Or, les prélèvements effectués par le dirigeant avaient été inscrits à son compte courant qui était débiteur. Cela est évidemment punissable mais ne constitue pas, en principe, un élément permettant d’établir la confusion des patrimoines, dès lors que la société est créancière de l’associé. La Cour de cassation, censurant l’arrêt d’appel, considère que l’inscription au compte courant ne permet pas d’exclure l’anormalité (Com. 13 sept. 2023, n° 21-21.693). Sa motivation laisse le lecteur sur sa faim. En effet, la motivation est sibylline : « en se déterminant ainsi, alors que l’inscription au compte courant … n’était, en l’absence de toute caractérisation d’une contrepartie la justifiant, pas de nature à en exclure l’anormalité ». Or, le juge doit s’intéresser à des critères positifs pour justifier la confusion des patrimoines et, en l’espèce, c’est l’anormalité qui avait été exclue. Il aurait été sans doute plus simple de considérer que, dès lors que le compte courant débiteur constitue un délit, la justification du prélèvement n’est pas légitime. Mais cela ne correspond pas aux critères habituels de la confusion des patrimoines. On attend donc une motivation plus claire pour mieux comprendre …
© Lefebvre Dalloz