Chronique de droit des entreprises en difficultés : premier trimestre 2024
Cet article dresse un panorama des principaux évènements du début de l’année 2024 en droit des entreprises en difficulté. Outre les jurisprudences les plus significatives en la matière, il présente les dispositifs en lien avec la crise sanitaire.
Les dispositifs liés à la crise sanitaire
Le sort des PGE. Michel Di Martino a établi une synthèse sur les situations à l’égard des prêts garantis par l’État dans une récente note d’information (n° 165), à laquelle il paraît intéressant de se référer. 683 000 entreprises ont bénéficié de PGE pour un total d’environ 144 milliards d’euros et 95 % d’entre elles remboursent leur PGE sans difficulté. Fin 2023, environ la moitié du montant des PGE a été remboursée (ce pourcentage monte même à 80 % pour les grandes entreprises).
Seulement 1 000 dossiers environ de restructuration ont été déposés auprès du médiateur du crédit et la moitié des dossiers ont fait l’objet d’un accord de restructuration, essentiellement des rééchelonnements avec le maintien de la garantie de l’État. Cette garantie a été activée dans 2 % des cas et la perte est en l’état chiffrée à 3,6 milliards d’euros, ce qui représente 2,5 % des PGE. La grande majorité de ces prêts arriveront à échéance en 2026.
Cette institution a donc été un succès et elle a permis de stabiliser l’économie en évitant une catastrophe en chaîne. Ce fut donc une bonne idée, même si en France, l’endettement est une maladie chronique, que ce soit pour l’État ou pour le secteur privé. Signalons qu’un comité de presse du 7 janvier 2024 a fait savoir que l’accord de place sur les restructurations du PGE dans le cadre de la médiation du crédit est prorogé jusqu’au 31 décembre 2026 (Veille permanente, 9 janv. 2024).
La procédure de traitement de sortie de crise. Il faut signaler la prolongation du dispositif ayant instauré une procédure spécifique de traitement de sortie de crise. Le décret du 16 octobre 2021 avait imposé une date limite au 2 juin 2023 et ce dispositif a été renouvelé du 21 novembre 2023 au 22 novembre 2025 pour deux années supplémentaires (Loi n° 2023-1059 du 20 nov. 2023, art. 46 ; M. Di Martino, note d’information n° 164, 20 déc. 2023).
Rappelons à cet égard que cette procédure permet à un débiteur en cessation des paiements d’élaborer un projet de plan très rapidement, en trois mois, cette procédure étant ouverte à des entreprises ayant moins de vingt salariés et un total de bilan hors capitaux propres de 3 M€ pouvant présenter des comptes réguliers. La procédure est simplifiée avec notamment la désignation d’un mandataire judiciaire avec une mission de surveillance. Cela permet de rééchelonner rapidement les dettes d’une entreprise qui retrouve rapidement sa liberté.
Une circulaire du 6 décembre 2023 (NOR : JUST23326.99.C, BO min. just. 7 déc. 2023) constate que cette procédure reste valable, compte tenu de l’augmentation actuelle du nombre des procédures collectives. Cela pourrait, à l’avenir, provoquer une réflexion sur ce type de procédure rapide qui serait susceptible d’être pérennisée (Veille permanente, 11 janv. 2024, obs. T. Favario). Cette circulaire revient également sur la création des tribunaux des activités économiques mis en place par la loi n° 2023-1059 du 20 novembre 2023 avec une rédaction maladroite sur le fait que, « compte tenu de leur technicité », les contentieux des baux commerciaux continueront de relever des tribunaux judiciaires, à l’exception du contentieux présentant un lien de connexité suffisant avec la procédure collective, ce qui est un critère relativement vague.
En outre, le nouveau portail électronique créé par l’article 45 de la loi pourra être utilisé pour la gestion des déclarations de créances.
Le report de la date de la date de cessation des paiements
Quelles créances doit-on prendre en compte pour ce report ? Un arrêt récent (Com. 22 nov. 2023, n° 22-19.768, Veille permanente, 26 janv. 2024) indique qu’une contestation par le débiteur d’une créance ne suffit pas à la rendre litigieuse. Elle doit donc rester dans le passif exigible. En l’espèce, il n’existait pas de recours juridictionnel en cours, ce qui provoquait la difficulté (v. déjà, Com. 9 déc. 2020, n° 19-14.437, D. 2021. 5
; RTD com. 2021. 200, obs. A. Martin-Serf
). Rappelons que la Cour de cassation avait rendu une décision de principe sur le fait qu’une créance contestée en justice ne pouvait être prise en compte dans le passif exigible (Com. 16 mars 2010, n° 09-12.539, Dalloz actualité, 31 mars 2010, obs. A. Lienhard ; D. 2010. 887, obs. A. Lienhard
; Rev. sociétés 2010. 191, obs. P. Roussel Galle
).
Le droit social
Il est utile de signaler une décision récente (Soc. 22 nov. 2023, n° 22-19.282, Dalloz actualité, 14 déc. 2023, obs. F. Mélin ; D. 2023. 2089
; Dr. soc. 2024. 100, obs. G. François
; Veille permanente, 22 janv. 2024, obs. M. Morand). L’entreprise dominante d’un comité de groupe peut être une personne physique. Elle doit cependant détenir tout ou partie du capital et s’immiscer directement ou indirectement dans la gestion des entreprises du groupe. Ainsi, bien que l’article L. 2331-1 du code du travail vise une entreprise dotée d’un siège social, une personne physique peut bien être concernée et considérée comme une entreprise dominante.
Signalons aussi un arrêt intéressant (Soc. 6 déc. 2023, n° 22-17.921, Veille permanente, 30 janv. 2024, obs. F. Aouate) concernant le vote d’une expertise. Si le délai préfix de consultation du CSE est expiré, il est trop tard pour voter une expertise. Rappelons qu’ici, les articles R. 2312-5 et R. 2312-6 du code du travail sont applicables, le délai de deux mois courant à compter de la communication par l’employeur des informations prévues par le code du travail permettant au CSE d’apprécier l’importance de l’opération envisagée et de juger qu’elle est suffisante ou non (Soc. 21 sept. 2016, n° 15-19.003, D. 2016. 1936
; ibid. 2252, obs. P. Lokiec et J. Porta
; Rev. sociétés 2017. 446, note F. Petit
).
Il convient aussi de citer un arrêt important concernant la transmissibilité des droits des salariés à l’AGS (Com. 17 janv. 2024, n° 23-12.283, Dalloz actualité, 1er févr. 2024, obs. C. Gailhbaud ; D. 2024. 108
; Gaz. Pal. 5 mars 2024, note C. Siharath). Dans cette affaire, la cour confirme sa jurisprudence du 7 juillet 2023 en rappelant que lorsque le mandataire judiciaire demande l’avance des fonds nécessaires à l’AGS, celle-ci doit y satisfaire, dès lors que le mandataire justifie que l’insuffisance des fonds disponibles est caractérisée (pour la sauvegarde) et sans qu’aucune justification ne puisse être demandée par l’AGS s’il s’agit d’un redressement judiciaire (Cass., ass. plén., 7 juill. 2023, D. 2023. Actu. 1357
; Rev. sociétés 2023. 547, note L. C. Henry
). Il est donc confirmé que l’AGS ne dispose d’aucun droit de contrôle a priori, dès lors que le mandataire judiciaire lui adresse la présentation du relevé des créances salariales, et cela pour répondre à un objectif de rapidité.
La seconde partie de la décision consiste à affirmer que le super privilège relatif au paiement des créances n’est pas attaché aux salariés mais qu’il est retransmis à l’AGS, subrogée dans les droits des salariés. La dérogation prévue à l’article L. 626-30, IV, du code de commerce est-elle attachée à la personne du salarié comme l’avait jugé le Tribunal de commerce de Nanterre (T. com. Nanterre, ord. réf., 19 juin 2023, n° 2022 J00429) ? La Cour de cassation considère que l’AGS a le droit de recevoir un paiement sur les « premières rentrées de fonds » issues de la procédure collective. Le super-privilège des salariés est donc transmis à l’AGS. Dans les faits, cela permet à l’AGS, même en cas de résolution d’un plan, de ne pas déclarer à nouveau sa créance, dans le cadre de la nouvelle procédure collective.
En pratique, on peut cependant considérer qu’il y aura une difficulté sur la notion de « première rentrée de fonds » car l’entreprise en difficulté a grand besoin d’une trésorerie disponible pour assurer sa bonne marche, s’agissant d’un redressement judiciaire. En liquidation judiciaire, cette preuve sera sans doute plus facile à apporter, mais pas forcément évidente (en cas de poursuite d’activité, notamment pour permettre une cession de fonds de commerce …).
Les nullités de la période suspecte
Un nouvel arrêt est intervenu sur la connaissance par le créancier de l’état de cessation des paiements du débiteur. Pour cette raison, une saisie-attribution pratiquée en période suspecte a été annulée. Ce qui est intéressant, ici, est le rappel des éléments pris en compte pour caractériser cette connaissance : en l’espèce, il s’agissait d’un bailleur, créancier de loyers. La cour d’appel avait constaté que le paiement des loyers était irrégulier depuis longtemps, le non-paiement étant systématique depuis onze mois. Avant la saisie, une condamnation au paiement était intervenue et malgré la saisie des comptes bancaires, seulement le tiers de la dette locative avait pu être récupéré. La Cour de cassation a considéré que ces éléments étaient suffisants pour caractériser la connaissance de l’état de cessation des paiements (Com. 7 févr. 2024, n° 22-22.557, Veille permanente, 21 févr. 2024, obs. J.-P. Rémery). Il est vrai qu’en l’espèce, le créancier pouvait difficilement connaître le montant du passif exigible et de l’actif disponible …
Le soutien abusif
Nous savons que, depuis longtemps, l’article L. 650-1 du code de commerce a vocation à protéger essentiellement les établissements bancaires d’un risque de soutien abusif en créant des conditions draconiennes et en pratique difficiles à réunir pour pouvoir le démontrer. En l’espèce, une EARL en redressement judiciaire avait reçu des concours bancaires avec une garantie hypothécaire. Après l’arrêté du plan de redressement, le commissaire à l’exécution du plan avait assigné la banque en responsabilité pour soutien abusif et avait obtenu satisfaction devant la cour d’appel. Cet arrêt a été cassé car la Cour de cassation a considéré que la fraude n’était pas démontrée du seul fait que la banque n’avait pas réagi à l’échéance du billet à ordre (Com. 17 janv. 2024, n° 22-18.090, Dalloz actualité, 7 févr. 2024, obs. T. Favario ; D. 2024. 108
; Rev. sociétés 2024. 213, obs. L. C. Henry
; Veille permanente, 20 févr. 2024, obs. L. C. Henry).
La fraude est en pratique difficile à démontrer, dès lors qu’il faut utiliser des moyens déloyaux destinés à surprendre un consentement, obtenir un avantage matériel ou moral indu ou réalisé avec l’intention d’échapper à l’application d’une loi impérative ou prohibitive. Ces éléments n’étant pas réunis en l’espèce, le soutien abusif n’était pas démontré (v. déjà, Com. 17 avr. 2023 n° 22-18.090).
Le redressement judiciaire
La Cour de cassation est venue rappeler récemment que le juge peut mettre fin à la période d’observation (C. com., art. L. 631-16 pour le redressement judiciaire ; art. L. 622-12 pour la sauvegarde) lorsque le passif et les frais peuvent être payés par le débiteur. Cette hypothèse est bien entendu très rare mais elle existe. Dans cette affaire (Com. 22 nov. 2023, n° 22-17.894, Dalloz actualité, 18 déc. 2023, obs. B. Ferrari), le débiteur demandait la clôture de sa procédure estimant pouvoir régler son passif. Mais, le tribunal le refusa et, en appel, la cour considéra que le débiteur ne disposait pas d’un montant suffisant pour acquitter les frais de procédure. Un débat existait donc sur le montant de ces frais. Cependant, le pourvoi du débiteur a été rejeté car la Cour de cassation rappelle que si le juge peut mettre fin à la période d’observation d’un redressement judiciaire, cela n’est cependant qu’une faculté pour le juge qui n’y est donc pas obligé. En sauvegarde, il semble que si le débiteur le demande, le tribunal n’a pas d’autre choix que d’accepter cette clôture. La difficulté peut provenir du fait qu’il ne s’agit pas seulement de payer le passif antérieur à l’ouverture de la procédure mais aussi les créanciers postérieurs, ce qui n’est pas évident à vérifier ni à démontrer.
La question est donc posée du montant des créances exigibles lorsque le tribunal statue sur la clôture. À cet égard, nous partageons l’opinion de plusieurs commentateurs sur le fait qu’il paraît préférable de demander un plan, prévoyant même l’apurement du passif sur une courte durée plutôt que de tenter d’obtenir la mission quasi impossible d’obtenir la clôture en cours de période d’observation (P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 12e éd., Dalloz Action 2023/2024, n° 411-152 ; B. Ferrari, obs. préc.).
Il faut préciser que la loi de finances 2024 n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 (art. 22 ; JO 30 déc.) a prévu que le plafond des abattements de droits de mutation applicable en cas de transmission d’entreprise à un salarié ou à un proche du cédant est porté de 300 000 € à 500 000 €. Cela peut donc faciliter la cession d’une entreprise à un salarié qui, comme chacun le sait, a la qualité de tiers, dès lors qu’il n’est pas dirigeant, parent ou allié du dirigeant (C. com., art. L. 642-3).
Le contentieux des admissions de créances
Peut-on admettre une créance fondée sur une clause qui sanctionne tout retard de paiement ? En l’espèce, il s’agissait d’une créance concernant une clause de majoration des intérêts pour cause de défaut de paiement. Lors de la déclaration de créance, peut-on prendre en compte ces intérêts majorés ? La Cour de cassation vient de répondre par l’affirmative, dès lors que cette clause sanctionnait tout retard qui ne résulte pas du seul fait de l’ouverture d’une procédure collective. Nous savons que l’article L. 622-24 du code de commerce précise que les créances dont le montant n’est pas encore définitivement fixé doivent être déclarées sur la base d’une évaluation. Il faut donc aussi préciser les sommes à échoir (C. com., art. L. 622-25). Il faut déclarer les intérêts échus et impayés avant l’ouverture de la procédure collective, mais aussi les intérêts à échoir (C. com., art. L. 622-28).
Dans cette affaire, la cour d’appel avait rappelé que des intérêts de retard pouvaient être déclarés en même temps que le principal en tant qu’intérêts à échoir. Ces intérêts de retard ne concernaient pas le seul cas de l’ouverture d’une procédure collective et dès lors, la cour d’appel les avait admis. La Cour de cassation a rappelé que l’article L. 622-28 du code de commerce n’arrête pas le cours des intérêts, y compris les intérêts de retard au titre de contrats de prêt conclus pour une durée égale ou supérieure à un an. Il a aussi été précisé que l’article R. 622-23, 2°, du même code précise que la déclaration doit indiquer les modalités de calcul des intérêts dont le cours n’est pas arrêté. Cela inclut les intérêts majorés (Com. 7 févr. 2024, n° 22-17.885, Dalloz actualité, 1er mars 2024, obs. B. Ferrari ; D. 2024. 261
).
L’un des commentateurs ne souscrit pas à cette analyse (B. Ferrari, obs. préc.). Il rappelle que, selon l’article L. 622-13 du code de commerce, la résiliation d’un contrat ne peut résulter du seul fait de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde. Il ne s’agit pas cependant ici d’un contrat en cours, dès lors qu’il s’agit d’un contrat de prêt. Benjamin Ferrari cite à cet égard un arrêt qui avait jugé que la clause selon laquelle une indemnité de recouvrement était due si le créancier devait la recouvrer par des voies judiciaires et également si le créancier était tenu de produire à un ordre de distribution, notamment en cas de redressement judiciaire du débiteur, aggravait les obligations de la débitrice en mettant à sa charge des frais supplémentaires du seul fait de la sauvegarde (Com. 22 févr. 2017, n° 15-15.942, Dalloz actualité, 10 mars 2017, obs. X. Delpech ; D. 2017. 452
; ibid. 1941, obs. P.-M. Le Corre et F.-X. Lucas
; AJ contrat 2017. 234, obs. E. Mouial Bassilana
; RTD civ. 2017. 645, obs. H. Barbier
; RTD com. 2017. 692, obs. A. Martin-Serf
).
Ce commentateur considère que l’élément déterminant tient à l’exigibilité de la créance et à la défaillance du débiteur au jour de l’ouverture de la procédure. Il conteste donc la décision qui vient d’être rendue, dès lors que le débiteur n’était pas défaillant au jour de l’ouverture de la procédure avec une dette qui n’était pas encore exigible. En outre, l’indemnité de retard est bien une aggravation des obligations du débiteur qui résulte de l’ouverture de la procédure collective. Il relativise cependant sa position, dès lors qu’en l’espèce, la société débitrice était en cours d’exécution d’un plan de sauvegarde et n’avait pas été défaillante avant l’ouverture de la procédure. Or, seul le caractère exigible de la somme à rembourser déclenche la majoration du taux contractuel. Selon son analyse, c’est en cas d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire que les majorations deviendraient exigibles et non si la société débitrice respecte les échéances du plan. Il nous semble cependant que, plus simplement, il est possible de considérer qu’en liquidation judiciaire, les intérêts de retard sont bien déclenchés par l’ouverture de la procédure collective, alors même qu’il n’existe aucune défaillance ce jour-là et que la règle de la suspension des paiements s’impose à tous. Il serait donc inéquitable de faire subir à l’entreprise les conséquences d’un principe général qui a vocation à s’appliquer à tous. Cependant, en pratique, les chances de recouvrement d’une telle créance sont bien faibles, sauf si la créance est garantie, par exemple par une caution.
La liquidation judiciaire
En ce qui concerne la compensation, nous savons qu’elle est permise pour des créances connexes, en application de l’article L. 622-7 du code de commerce. Il s’agissait en l’espèce de créances nées régulièrement après le jugement d’ouverture et nous savons que lorsqu’elles sont « utiles » pour les besoins du déroulement de la procédure ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur, elles ont vocation à être payées à leur échéance (C. com., art. L. 622-17). Dans cette affaire, la bailleresse était en liquidation judiciaire et les locataires qui avaient subi des désordres demandaient une réduction du loyer. Le liquidateur les a assignés en résiliation, en expulsion et en paiement des sommes dues. La cour d’appel avait accepté une réduction du loyer en réparation d’un préjudice de jouissance et avait condamné les locataires au paiement des sommes dues au titre de leurs obligations locatives. La compensation avait été prononcée, dès lors qu’il s’agissait de l’application du bail. Le liquidateur a indiqué que la créance indemnitaire n’avait pas été déclarée au passif et qu’elle n’était pas née des besoins de la procédure ou en contrepartie d’une prestation fournie au débiteur en procédure collective. Il contestait donc la compensation et il a obtenu gain de cause devant la Cour de cassation. En effet, elle a considéré que la créance indemnitaire née postérieurement au jugement d’ouverture ne répondait pas aux besoins de la procédure et ne correspondait à aucune prestation fournie au débiteur. Au visa des articles L. 622-7, L. 622-17, L. 641-3 et 13 du code de commerce et 1290 du code civil, la Cour de cassation a donc accueilli l’action du liquidateur (Civ. 3e, 12 oct. 2023, n° 22-20.375, AJDI 2024. 210
, obs. C. Dreveau
; Veille permanente, 7 déc. 2023, obs. M. Triboulet).
En ce qui concerne l’insaisissabilité légale de la résidence principale, la Cour de cassation vient de juger que lorsque cette insaisissabilité est inopposable à un créancier, celui-ci peut poursuivre sur ce bien, même si la clôture de la liquidation judiciaire est intervenue pour insuffisance d’actif (Com. 13 déc. 2023, n° 22-19.749, Dalloz actualité, 21 déc. 2023, obs. B. Ferrari ; D. 2023. 2236
; Rev. sociétés 2024. 208, obs. F. Reille
). En l’espèce, il s’agit de l’application des articles L. 526-1 et L. 643-11 du code de commerce. Cet arrêt important était attendu. Un débat avait été créé par un précédent arrêt sur l’application du principe de l’arrêt des poursuites aux créanciers auxquels l’insaisissabilité est inopposable (Com. 7 oct. 2020, n° 19-13.560, D. 2020. 2007
; ibid. 2021. 1736, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli
; Rev. sociétés 2021. 205, obs. F. Reille
; RTD com. 2021. 189, obs. A. Martin-Serf
; v. aussi, sur un précédent arrêt du 13 sept. 2017, Dalloz actualité, 15 sept. 2017, obs. A. Lienhard ; D. 2017. 1759, obs. A. Lienhard
; ibid. 2018. 1223, obs. A. Leborgne
; ibid. 1829, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli
; Rev. sociétés 2017. 734, obs. P. Roussel Galle
; RTD com. 2017. 994, obs. A. Martin-Serf
).
Le président Vincent Vigneau affirme qu’il recherche avec sa chambre commerciale des solutions pratiques, logiques et clairement compréhensibles. L’arrêt qui vient d’être rendu n’est donc pas étonnant car cette solution apparaît bien logique. Le commentateur de l’arrêt (B. Ferrari, obs. préc.) soutient cependant que ce raisonnement est discutable, dès lors que le créancier, même si l’insaisissabilité lui est inopposable n’en est pas moins un créancier antérieur à la procédure qui doit donc être soumis à la discipline collective. Cependant, comme ce commentateur le souligne, il ne faut pas aboutir à une solution absurde qui permettrait à un créancier d’agir pendant la procédure mais ne pourrait plus le faire après sa clôture …
Mais après la clôture et en dehors des exceptions prévues à l’article L. 643-11 du code de commerce, le créancier ne peut, en principe, recouvrer l’exercice individuel de ses actions. Dès lors, un commandement de saisie-vente ne peut être délivré valablement après cette clôture sur les autres biens du débiteur. Dans cette affaire, la banque avait déclaré au passif une créance née d’un prêt hypothécaire consenti pour l’achat de la résidence principale. La Cour de cassation a prononcé un arrêt de cassation sans renvoi et a ordonné la mainlevée du commandement (Com. 17 janv. 2024, n° 22-20.185, Dalloz actualité, 2 févr. 2024, obs. B. Ferrari ; D. 2024. 109
; Rev. sociétés 2024. 211, obs. P. Roussel Galle
; Veille permanente, 1er févr. 2024, obs. P. Roussel Galle, qui précise que le créancier d’un bien insaisissable peut continuer à exercer ses poursuites après la clôture à condition que celles-ci soient cantonnées au bien insaisissable).
Il convient de signaler aussi un arrêt intervenu en matière d’insaisissabilité légale de la résidence principale d’un débiteur en liquidation judiciaire, lorsque la procédure est inopposable à un créancier hypothécaire. Dans ce cas, il peut exercer ses droits sur l’immeuble, malgré la clôture pour insuffisance d’actif qui ne peut, par elle-même, justifier la radiation de son inscription (Com. 13 déc. 2023, n° 22-16.752, Dalloz actualité, 15 janv. 2024, obs. M. Guastella ; D. 2023. 2237
; Rev. sociétés 2024. 208, obs. F. Reille
). Dans cette affaire, le débiteur avait demandé la mainlevée de l’inscription hypothécaire après la clôture, ce qui lui avait été refusé par le créancier et la cour d’appel avait suivi la position de ce dernier. Le débiteur considérait que l’interdiction de reprise des poursuites individuelles attachée à la clôture pour insuffisance d’actif rendait sans objet l’inscription. Le pourvoi a été rejeté au visa des articles L. 526-1 du code de commerce et 2443 du code civil (devenu art. 2438 depuis la réforme de 2021).
Le débat a bien été résumé (M. Guastella, obs. préc.) dès lors que l’immeuble n’est pas entré dans le gage commun des créanciers (Com. 13 sept. 2017 n° 16-10.206, Dalloz actualité, 15 sept. 2017, obs. A. Lienhard ; D. 2018. 1223, obs. A. Leborgne
; ibid. 1829, obs. F.-X. Lucas et P. Cagnoli
; Rev. sociétés 2017. 734, obs. P. Roussel Galle
; RTD com. 2017. 994, obs. A. Martin-Serf
). Nous savons que le jugement de clôture ne provoque pas l’extinction de la créance ni celle de la sûreté qui en est l’accessoire (signalons aussi en ce sens, Com. 11 juin 2014, n° 13-13.643, Dalloz actualité, 26 juin 2014, obs. X. Delpech ; D. 2014. 1326
; ibid. 1610, obs. P. Crocq
; ibid. 2015. 1339, obs. A. Leborgne
; RTD civ. 2014. 693, obs. P. Crocq
).
En ce qui concerne le dessaisissement en liquidation, un arrêt en fournit une nouvelle illustration (Com. 22 nov. 2023, n° 22-17.691, Dalloz actualité, 21 déc. 2023, obs. B. Ferrari qui avait écrit une importante thèse sur ce sujet du dessaisissement). Une société était sociétaire d’une caisse de Crédit Agricole Mutuel et détenait des parts sociales en dépôt à la caisse régionale de cette banque coopérative. Cette société a été placée en liquidation judiciaire. Le liquidateur et le mandataire ad hoc qui représentaient cette société ont assigné la caisse locale pour obtenir le retrait de la banque coopérative et le remboursement des parts sociales. Or, l’article L. 531-31 du code monétaire et financier pose la règle d’un droit de retrait attaché à la personne du débiteur que lui seul peut mettre en œuvre.
Le liquidateur et le mandataire ad hoc ont obtenu satisfaction auprès des juges du fond et les caisses locales ont formé un pourvoi en cassation qui a été estimé irrecevable. Certes, la faculté de retrait est attachée à la personne du sociétaire mais les parts sociales détenues par un débiteur en liquidation judiciaire font partie de son patrimoine et le liquidateur est bien-fondé à engager les actions patrimoniales du débiteur (v. aussi, Veille permanente, 2 janv. 2024, obs. P. Roussel Galle, qui approuve aussi cette décision). En outre, l’action avait été engagée conjointement par le liquidateur et le représentant de la personne morale qui avaient pris la même position. Cette solution apparaît logique au commentateur qui fait une analyse étendue de ce type de situation en relevant qu’il avait déjà été jugé qu’une action, pourtant liée à la qualité d’associé, peut être engagée dans l’intérêt collectif des créanciers par le liquidateur (v. par ex., Com. 23 sept. 2014, nos 12-29.262 et 13-15.437, Dalloz actualité, 3 oct. 2014, obs. A. Lienhard ; D. 2014. 1937, et les obs.
; Rev. sociétés 2014. 754, obs. L. C. Henry
; ibid. 2015. 124, note B. Saintourens
; RTD com. 2015. 125, obs. M.-H. Monsèrié-Bon
). Là encore, cette solution apparaît cohérente et il nous semble qu’elle doit être approuvée.
En ce qui concerne la compensation entre la dette d’un coopérateur en liquidation judiciaire et le capital souscrit auprès d’une coopérative, un arrêt intéressant a été rendu (Civ. 3e, 14 déc. 2023, n° 22-15.598, Dalloz actualité, 19 janv. 2024, obs. M. Houssin ; D. 2023. 2236
; Veille permanente, 9 janv. 2024, obs. M. Dizel). Nous savons que pour qu’une compensation de dettes connexes puisse intervenir, il faut qu’il existe un lien entre des obligations réciproques dans un cadre contractuel. Le juge-commissaire avait rejeté cette demande de compensation entre la dette du coopérateur et le capital social souscrit auprès de la coopérative. La cour d’appel avait confirmé la décision du juge-commissaire en indiquant qu’il n’existait pas de lien direct entre les obligations réciproques des parties. L’arrêt d’appel a été censuré au visa de l’article L. 622-7 du code de commerce. En effet, la contribution au capital social permettait d’utiliser un matériel, avec une facturation qui rémunérait son utilisation. La Cour de cassation a donc considéré que la compensation pouvait bien intervenir.
Une autre décision nous rappelle qu’il ne faut pas oublier de signifier la déclaration d’appel au débiteur en liquidation judiciaire. En l’espèce, un créancier voulait faire admettre sa créance et il avait demandé un relevé en forclusion qui ne lui avait pas été accordé. Le créancier appelant soutenait que la déclaration devait être signifiée au seul liquidateur. La Cour de cassation rappelle que, selon l’article 905-1, alinéa 1er, du code de procédure civile, la déclaration d’appel doit être signifiée à toute partie intimée, qu’elle soit ou non représentée par son liquidateur judiciaire (Civ. 2e, 21 déc. 2023, n° 21-23.178, Dalloz actualité, 19 janv. 2024, obs. C. Lhermitte ; Veille permanente, 20 févr. 2024, obs. J.-P. Legros).
Concernant la vente des biens mobiliers du débiteur, un arrêt récent est intervenu sur le respect du contradictoire qui s’impose au juge-commissaire (Com. 17 janv. 2024, n° 22-12.802, Dalloz actualité, 4 mars 2024, obs. G. Berthelot). À cet égard, l’article R. 642-37-2 du code de commerce relatif à la cession des biens mobiliers du débiteur impose que le juge-commissaire entende le débiteur ou que celui-ci soit dûment appelé. Le débiteur doit donc être convoqué à l’audience au cours de laquelle, le juge doit statuer. C’est ce qui a été précisé par la Cour de cassation. Il s’agissait ici d’une cession d’actifs isolés. Cela s’inscrit dans le fil d’une jurisprudence sur ce point (Com. 16 juin 2009, n° 08-13.565, Dalloz actualité, 18 juin 2009, obs. A. Lienhard ; D. 2009. 2521, note J. Théron
; 8 janv. 2013, n° 11-26.059, Dalloz actualité, 24 janv. 2013, obs. A. Lienhard). En l’espèce, il s’agissait d’une cession d’une participation. Cette décision est évidemment bienvenue (G. Berthelot, obs. préc.).
Les sanctions
Qui est responsable dans le cadre d’une action en comblement de l’insuffisance d’actif lorsqu’il s’agit d’une SAS dirigée par une personne morale ? Cette SAS avait été mise en liquidation judiciaire et la personne morale a été reconnue responsable ainsi que son représentant légal, dès lors qu’il n’existait pas d’obligation de désigner un représentant permanent. Le dirigeant avait indiqué qu’il n’était pas le représentant permanent mais il n’en existait pas. La cour d’appel avait donc écarté sa thèse (C. com., art. L. 227-7).
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi qui était fondé sur l’article L. 651-1 du code de commerce qui ne fait aucune réserve sur la forme sociale de la personne morale débitrice. Selon la Haute juridiction, la faute de gestion peut être caractérisée indifféremment à l’égard du dirigeant de la personne morale ou à l’égard de son représentant légal. Or, les sociétés dirigées par le représentant légal avaient commis des fautes de gestion en qualité de dirigeant de fait de la SAS. Il convient donc d’inciter à la prudence ce type de dirigeants (Com. 13 déc. 2023, n° 21-14.579, Dalloz actualité, 12 janv. 2024, obs. T. Duchesne ; D. 2023. 2237
; Veille permanente, 10 janv. 2024, obs. M. Dizel).
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