Circulaire de politique pénale générale : narcotrafic et violences contre les personnes
Le ministre de la Justice dévoile sa politique pénale générale au travers d’une circulaire mettant l’accent, d’une part, sur la lutte contre les organisations criminelles et le narcotrafic et, d’autre part, sur la lutte contre les violences faites aux personnes.
Partant du constat que « les violences extrêmement graves observées ces dernières semaines constituent des atteintes intolérables à la sécurité de nos concitoyens » et qu’elles constituent « autant de menaces pour la démocratie », le ministère de la Justice a publié sa circulaire de politique pénale générale qu’il veut ferme, empreinte de lisibilité et de célérité. La circulaire énonce deux « priorités d’action » auxquelles s’ajoute un objectif général de lisibilité, de rapidité et d’effectivité de la réponse pénale.
Première priorité d’action : la lutte contre les organisations criminelles et le narcotrafic
L’appréhension faite de la lutte contre le narcotrafic semble être globale, tant la circulaire amène à mobiliser plusieurs acteurs et différents contentieux en même temps.
En effet, elle invite à une vive collaboration entre les acteurs concernés et notamment dans le partage de l’information qui doit se faire entre les services de renseignement, les services d’enquêtes, les partenaires de l’administration, les forces de sécurité intérieure « et plus particulièrement avec l’administration pénitentiaire ». Il convient de se rappeler que cette dernière administration a elle-même été dotée d’un renseignement pénitentiaire placé au cœur du service de renseignement français (Décr. n° 2017-36 du 16 janv. 2017 relatif à la désignation des services relevant du ministère de la Justice ; Décr. n° 2017-749 du 3 mai 2017 relatif à la désignation des services relevant du ministère de la Justice, art. 1er ; Rép. pén., v° Prison – Organisation générale, par J.-P. Céré, 2025, § 8). L’ensemble de cette collaboration doit être coordonné par les Juridictions interrégionales spécialisées (JIRS) et la Juridiction nationale de lutte contre la criminalité organisée (JUNALCO).
Ensuite, la présente circulaire entend favoriser les « circuits courts » procéduraux concernant les trafics de faible et moyenne intensité sur la voie publique. La dichotomie effectuée entre les « circuits longs » et les « circuits courts » ne doit pas être confondue avec la différence observée en doctrine dans la phase de l’instruction (C. Guéry, Droit et pratique de l’instruction préparatoire, Dalloz Action, § 323.41) selon que la personne mise en examen puisse être directement interrogée par le juge d’instruction ou non. En effet, dans la présente circulaire, il semble que cette expression renvoie davantage à la possibilité de juger par le mode de comparution immédiate de manière analogue à ce qu’il avait pu être fait en matière de terrorisme où le cas de la seule infraction d’apologie du terrorisme peut trouver une réponse dans le « circuit court » de la chaîne pénale (J. Mucchielli, Infractions terroristes : premières comparutions en « circuit court » à Paris, Dalloz actualité, 8 févr. 2017). Ces circuits courts doivent permettre une réponse pénale rapide et ferme tout en ayant pour effet un éloignement de l’infracteur du lieu où il a commis l’infraction. Comprenons par là qu’il s’agit bien de privilégier la comparution immédiate pour les détenteurs de stupéfiant ou les « petits » trafiquants, à l’issue de laquelle une peine d’interdiction de paraître en un certain territoire serait prononcée. Dans ce même ordre d’idée, la circulaire invite les parquetiers à requérir des peines d’interdiction du territoire temporaire ou définitive dès lors qu’elles sont susceptibles d’être prononcées.
À l’inverse, dès lors que l’action publique n’a pas pour but de sanctionner un individu isolé, mais qu’elle est susceptible de démanteler un réseau de narcotrafic, le « circuit long » devra être favorisé. À l’ensemble des moyens mis en œuvre dans le cadre de ce traitement « classique » de la criminalité organisée s’ajoute la volonté du pouvoir exécutif de mener en parallèle une lutte financière.
D’une part, les investigations menées « doivent impérativement se doubler d’un volet financier ». L’exploration de l’organisation criminelle se double donc d’une recherche de sa structure financière pour laquelle les officiers de police judiciaire (OPJ) avaient déjà été placés en première ligne par loi du 24 juin 2024 (Loi n° 2024-582 du 24 juin 2024, Dalloz actualité, 9 sept. 2024, obs. C. Fonteix ; améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels, dont l’article 5 avait modifié l’article 17 du code de procédure pénale qui dispose désormais que les OPJ « réalisent les enquêtes patrimoniales aux fins d’identification des avoirs criminels »). Là encore, les recherches doivent être menées de concert avec tous les acteurs de la politique pénale, tels que les groupes interministériels de recherche, et doivent porter sur l’ensemble des instruments permettant de faciliter le blanchiment d’argent « en intégrant la recherche des actifs numériques ».
D’autre part, les mesures prises par les autorités publiques doivent, pour reprendre l’expression consacrée lors de l’élaboration de la loi du 24 juin 2024, « frapper au portefeuille » (J.-M. Warsmann, Rapport sur la proposition de loi améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels, n° 1911). La circulaire se fait ainsi l’écho de l’ensemble des dispositifs apportés par cette loi. Elle invite à ce que les dispositifs de vente de biens avant jugement soient systématisés, en collaboration avec l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués et en application de la circulaire du 4 octobre 2024 de présentation des dispositions de la loi n° 2024-582 du 24 juin 2024 (Circ. 4 oct. 2024, n°JUSD2422423C, présentation des dispositions de la loi n° 2024-582 du 24 juin 2024 améliorant l’efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels remplaçant la circ. du 13 août 2024). Elle indique encore qu’une circulaire interministérielle prévoyant la mise en place pratique du dispositif d’affectation, qui permet d’affecter les biens confisqués aux services de police, de justice ou pénitentiaire, est en cours d’élaboration. Ce premier plan d’action assoit donc un peu plus la nouvelle forme financière que se donne la lutte contre le narcotrafic.
Seconde priorité d’action : les violences faites aux personnes
Ensuite, le ministre de la Justice fait de la lutte contre les violences aux personnes sa deuxième priorité d’action. Les types de violence sur lesquels le ministre de la Justice souhaite attirer l’attention pourraient être regroupés en deux sous-catégories : les violences qui fragilisent directement la cohésion sociale et celles exercées à l’encontre de personnes vulnérables.
En effet, il semble d’abord que les infractions à connotation politique reçoivent une vive attention de la part du ministère de la Justice. Les actes « antisémites, antichrétiens et antimusulmans », ainsi que l’infraction « d’apologie du terrorisme, de provocation directe à des actes de terrorisme, la radicalisation violente et le séparatisme […] qui heurtent la cohésion de notre société doivent faire l’objet d’une réponse ferme, systématique et dissuasive ». Si l’on voit mal en quoi ce dernier groupe d’infraction constitue une atteinte aux personnes, tandis que l’apologie du terrorisme est réprimée par le livre IV du code pénal (C. pén., art. 421-2-5) intitulé « Des crimes et des délits contre la nation, l’État et la paix publique », l’on comprend encore moins la qualification juridique que recoupent les notions de « radicalisation violente et le séparatisme », absentes du code pénal. Quelle serait alors la réponse « ferme, systématique et dissuasive » susceptible d’être donnée à ces derniers actes ?
La circulaire suggère ensuite aux procureurs de la République d’apporter des réponses « empreintes de rapidité, de fermeté et de lisibilité » s’agissant des violences commises « contre les personnes dépositaires de l’autorité publique, contre les élus, contre les magistrats, fonctionnaires et contractuels du ministère de la Justice, les enseignants et les personnels de santé ».
Au soin qui doit être porté au traitement de ces infractions ayant une influence sur la cohésion sociale s’ajoute la rigueur que requiert le traitement des violences commises contre les personnes dites « vulnérables ».
Ainsi, les violences commises « en raison de l’orientation sexuelle », celles commises « au préjudice des enfants » et les « violences faites aux femmes » doivent faire l’objet d’une persévérance dans la mobilisation déjà connue des magistrats dans ces domaines, ainsi que dans l’objectif de protection des victimes qui découle de ces catégories d’infraction. Notons que la dernière circulaire publiée par le ministère de la justice porte sur la présentation du décret relatif à l’ordonnance de protection et à l’ordonnance provisoire de protection immédiate susceptible d’être prononcée dans le cadre de violences intrafamiliales (Circ. du 16 janv. 2025 de présentation du décret relatif à l’ordonnance de protection et à l’ordonnance provisoire de protection immédiate, n° JUSC2500920C).
Exigence générale de lisibilité, de rapidité et d’efficacité
Enfin, la circulaire conclut sur la nécessité d’une réponse pénale claire et systématique, tant « la certitude de la sanction et son exécution » constitue encore « un levier de prévention de la délinquance », fût-elle éloignée des peines classiques, la réponse pénale n’étant « pas forcément l’enfermement carcéral ».
Le garde des Sceaux revient aussi sur la nécessité d’accompagner les victimes, y compris dans la phase « post-sentencielle ».
Par ailleurs, il ressort bien de cette circulaire de politique pénale générale la volonté de maintenir un lien de confiance entre les citoyens et l’institution judiciaire. À ce titre, la circulaire demande aux procureurs de la République « d’intensifier largement » leurs efforts en matière de communication concernant la politique pénale qu’ils mettent en place dans leur ressort respectif. Plus encore, le ministre de la Justice affirme que « dans le cadre d’une stricte application de l’article 11 du code de procédure pénale, il s’impose à [eux] de communiquer sur les affaires individuelles dont [ils sont] saisis ». Le procureur de la République est bien un acteur de la politique pénale, ce que dénote l’injonction qui lui est faite de commenter, de manière générale ou particulière, son activité judiciaire.
La circulaire annonce enfin que deux autres instructions concernant la politique générale civile et la prise en charge des personnes de nationalité étrangère définitivement condamnées leur seront adressées.
Circulaire de politique pénale générale, 27 janv. 2025
© Lefebvre Dalloz