Circulation routière et dérivé du cannabis (CBD) : un couple stupéfiant
L’autorisation de commercialiser certains dérivés du cannabis, dont la teneur en delta 9 tétrahydrocannabinol, substance elle-même classée comme stupéfiant, n’est pas supérieure à 0,30 %, est sans incidence sur l’incrimination de conduite après usage de stupéfiants, cette infraction étant constituée s’il est établi que le prévenu a conduit un véhicule après avoir fait usage d’une substance classée comme stupéfiant, peu important la dose absorbée.
La règlementation sur les produits stupéfiants a récemment fait l’objet d’évolutions. En l’état du droit actuel est autorisée la commercialisation d’extraits de chanvre et de produits en contenant, si la teneur en delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) n’est pas supérieure à 0,30 %. Est également permise la commercialisation des fleurs et feuilles de variétés de cannabis présentant une teneur en THC ne dépassant pas 0,30 %.
La commercialisation de cannabidiol (CBD) sous quelque forme que ce soit est donc autorisée dès lors que le produit vendu ne contient pas plus de 0,30 % de THC.
En conséquence, la détention et l’usage de produits ne contenant pas plus de 0,30 % de THC ne peuvent plus faire l’objet de poursuites. C’est ce qu’indique la Direction des affaires criminelles et des grâces dans une circulaire du 27 novembre 2020 précisant que « s’agissant des infractions à la législation sur les stupéfiants, celles-ci ne pourront être retenues qu’en cas de découverte dans le produit présenté comme du CBD, de delta-9-tétrahydrocannabinol dans des proportions supérieures à l’existence de seules traces » (REF : 2020/0083/2 FD).
Mais qu’en est-il des infractions à la circulation routière ? La réponse nous a été donnée par l’arrêt du 21 juin 2023 de la chambre criminelle de la Cour de cassation.
En l’espèce, un conducteur de véhicule, consommateur de CBD, avait été contrôlé positif au cannabis lors d’un contrôle routier. Condamné en première instance, il a relevé appel du jugement.
Pour le relaxer du chef de conduite après usage de stupéfiants, la cour d’appel s’est fondée sur le fait que l’expertise toxicologique ne mentionnait pas de taux de THC, et qu’il n’avait pas été recherché si le CBD que l’intéressé indiquait avoir consommé excédait la teneur admise en THC. Elle en a déduit qu’il résultait de ces éléments et des déclarations du prévenu, que ni l’élément matériel, ni élément intentionnel de l’infraction n’étaient établis avec certitude.
La cour d’appel a ainsi tiré les conséquences des évolutions relatives à la règlementation sur les produits stupéfiants pour les appliquer à l’infraction de conduite après usage de stupéfiants. Son raisonnement est logique : si la commercialisation, la détention et l’usage de produits ne contenant pas plus de 0,30 % de THC ne peuvent plus faire l’objet de poursuites, l’infraction de conduite après usage de stupéfiants doit être limitée aux cas où l’expertise toxicologique ou le produit utilisé présentent un taux de THC supérieur à 0,30 %. En l’espèce, l’expertise toxicologique ne mentionnait pas de taux de THC et il n’avait pas été recherché si le CBD que l’intéressé indiquait avoir consommé excédait la teneur admise en THC, l’infraction ne pouvait donc pas être caractérisée.
Ce raisonnement n’était pas celui du procureur général, qui forma un pourvoi contre cet arrêt. Au soutien de son pourvoi, il estime que l’article L. 235-1 du code de la route incrimine le seul fait de conduire après avoir fait usage de stupéfiants, sans qu’il soit fait référence à un dosage de stupéfiants à établir lors des analyses biologiques du prélèvement salivaire ou sanguin du contrevenant. Il ajoute qu’en effet, l’arrêté du 13 décembre 2016 en vigueur au moment des faits, fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l’usage de stupéfiants, et des analyses et examens prévus par le code de la route, mentionne un seuil de détection et non un seuil d’incrimination et que, par ailleurs, l’usage de stupéfiants ne peut être établi qu’au moyen d’analyses sanguine ou salivaire à l’exclusion de toutes autres vérifications telles que la recherche du dosage de THC pouvant être contenu dans le CBD retrouvé à l’occasion du contrôle routier du contrevenant et pouvant être celui qu’il déclare avoir consommé.
La Cour de cassation devait donc se poser la question de l’impact des évolutions relatives à la règlementation des produits stupéfiants sur l’infraction de conduite de véhicule après usage de stupéfiant.
La réponse de la Cour est univoque : l’autorisation de commercialiser certains dérivés du cannabis, dont la teneur en THC, substance elle-même classée comme stupéfiant, n’est pas supérieure à 0,30 % est sans incidence sur l’incrimination de conduite après usage de stupéfiants. Elle précise que cette infraction est constituée s’il est établi que le prévenu a conduit un véhicule après avoir fait usage d’une substance classée comme stupéfiant, peu important la dose absorbée.
Ainsi, un consommateur de CBD peut être reconnu coupable de conduite après usage de stupéfiant dès lors qu’il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire qu’il a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants, peu important la dose absorbée.
Si le raisonnement de la chambre criminelle se justifie au regard de l’élément matériel de l’infraction, ce dernier est plus discutable s’agissant de son élément moral.
Compatibilité de l’élément matériel de la conduite après usage de stupéfiant avec la consommation de CBD
Le CBD, à la différence du THC, n’est inscrit ni sur la liste des substances vénéneuses ni sur la liste des substances stupéfiantes établie par l’arrêté du 22 février 1990. La jurisprudence ne le considère pas comme un produit stupéfiant. La Cour de justice de l’Union européenne considère, par exemple, qu’en l’état des connaissances scientifiques et sur le fondement des conventions internationales en vigueur, le CBD ne constitue pas un produit stupéfiant, car il ne contient qu’une quantité négligeable de THC (CJUE 19 nov. 2020, aff. C-663/18, D. 2021. 1020
, note R. Colson et Araceli Turmo
; AJ pénal 2021. 84, note Y. Bisiou
). Le Conseil d’État reconnaît également que les produits « CBD » comprenant un taux de THC inférieur à 0,30 %, ne présentent pas de risque pour la santé publique, et ne peuvent être considérés comme des stupéfiants (CE 29 nov. 2022, n° 444887, D. 2023. 11, et les obs.
; AJ pénal 2023. 88 et les obs.
). Ainsi, la consommation de CBD ne devrait pas pouvoir conduire à l’application de l’incrimination de conduite après usage de stupéfiant, si le produit est apprécié dans sa globalité.
Néanmoins, l’appréciation fractionnée du produit peut conduire à l’application de l’incrimination. Les produits CBD peuvent contenir un taux de THC inférieur à 0,30 %. Or, l’annexe IV de l’arrêté du 22 février 1990 modifié, pris pour l’application de l’article L. 5132-7 du code de la santé publique classe le THC comme stupéfiant, ce qui peut conduire à l’application de l’infraction définie à l’article L. 235-1 du code de la route.
Il faut en effet bien comprendre l’incrimination de conduite après usage de stupéfiants. L’article L. 235-1 du code de la route incrimine le seul fait de conduire alors qu’il résulte d’une analyse sanguine ou salivaire que la personne a fait usage de substances ou plantes classées comme stupéfiants. L’élément matériel de l’infraction est le dépistage positif. Ce n’est pas la conduite « sous l’influence de » produit stupéfiant qui est incriminée, mais « le seul fait de conduire un véhicule après avoir fait usage de stupéfiants dès lors que cet usage résulte d’une analyse sanguine » (Crim. 12 mars 2008, n° 07-83.476 P, Dalloz actualité, 18 avr. 2008, obs. C. Gayet ; D. 2008. 1719, chron. D. Caron et S. Ménotti
; AJ pénal 2008. 283
; Jurispr. auto 2008. 306 ; 8 juin 2011, n° 11-81.218, Dalloz jurisprudence). En effet, même si la personne apporte la preuve qu’elle n’était pas sous l’influence de stupéfiants au moment du contrôle, l’infraction sera établie dès lors que l’examen biologique en révélait la présence dans son organisme (Crim. 12 mars 2008, n° 07-83.476 P, préc.).
L’incrimination ne prévoit pas, comme en matière d’alcool, de taux d’imprégnation ce qui, selon le Conseil constitutionnel, ne constitue pas une atteinte au principe de légalité des délits et une atteinte à la Constitution (Cons. const. 9 déc. 2011, n° 2011-204 QPC, Dalloz actualité, 19 déc.2011, obs. M. Bombled ; D. 2012. 2917, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé, M.-H. Gozzi, S. Mirabail et T. Potaszkin
; AJ pénal 2012. 96, obs. J.-P. Céré
; RSC 2012. 131, obs. E. Fortis
; ibid. 221, obs. B. de Lamy
; Dr. pénal 2012. Comm. 22, obs. J.-H. Robert).
L’arrêté du 13 décembre 2016 fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l’usage de stupéfiants, et des analyses et examens prévus par le code de la route prévoit, en son article 3, des seuils minimaux de détection. Néanmoins, la chambre criminelle apprécie ces taux comme des seuils de détection et non comme des seuils d’incrimination. Ainsi, elle considère que l’infraction définie par l’article L 235-1 du code de la route est applicable dès lors que l’usage de stupéfiants est révélé par une analyse sanguine peu important que le taux de produits stupéfiants ainsi révélé soit inférieur au seuil minimum prévu par l’arrêté, en vigueur au moment des faits, fixant les modalités du dépistage des substances témoignant de l’usage de stupéfiants (Crim. 14 oct. 2014, n° 13-87.094 P, Dalloz actualité, 5 nov. 2014, obs. C. Fonteix ; D. 2015. 110, chron. G. Barbier, B. Laurent, G. Guého et T. Azéma
; 16 juin 2015, n° 14-85.941, 2 mai 2018, n° 17-85.597 ; 7 mai 2018, n° 17-84.744).
Or, le CBD peut contenir des traces de THC, produit classé comme stupéfiant, et ces dernières peuvent rendre une analyse sanguine ou salivaire positive, conduisant à la matérialisation de l’incrimination de conduite après usage de stupéfiant.
Il pourrait être objecté que l’autorisation de commercialisation de CBD contenant un taux de THC inférieur à 0,3 % pourrait paralyser l’infraction. Néanmoins, l’interprétation stricte de la loi pénale n’autorise pas un tel raisonnement. La commercialisation de cette substance a des conséquences sur les infractions à la législation des stupéfiants or, l’incrimination de conduite après usage de stupéfiants n’a pas pour objectif la lutte contre les stupéfiants, mais la garantie de la sécurité routière. La consommation légalisée d’un produit n’autorise pas nécessairement la conduite d’un véhicule après en avoir fait usage. Tel est le cas en matière d’alcool où les jeunes conducteurs ne peuvent conduire avec un taux d’alcoolémie supérieur à 0,2 gramme par litre de sang, ce qui équivaut en pratique à 0 verre d’alcool.
Dès lors, seul le législateur est autorisé à modifier l’incrimination de l’article L. 235-1 du code de la route pour y insérer des taux d’incrimination.
Ainsi, un conducteur consommateur de CBD peut matérialiser l’infraction de conduite après usage de stupéfiants, dès lors que le CBD consommé contient des traces de THC rendant positive à un produit stupéfiant son analyse sanguine ou salivaire.
Toutefois, la question de la caractérisation de l’élément moral de l’infraction en présence de consommation de CBD se pose.
La problématique de l’élément moral de la conduite après usage de stupéfiant avec la consommation de CBD
La Cour de cassation, en estimant que « l’infraction [est] constituée s’il est établi que le prévenu a conduit un véhicule après avoir fait usage d’une substance classée comme stupéfiant, peu important la dose absorbée », semble quant à elle faire de l’infraction de conduite après usage de stupéfiant, un délit matériel. C’est ce que supposait l’avocate générale dans son rapport. Elle s’y interrogeait sur la nécessité pour le conducteur d’avoir conscience de sa consommation de stupéfiant pour caractériser l’infraction et estimait qu’en intégrant le mode de preuve de l’infraction à sa caractérisation, le législateur avait créé un délit matériel ne nécessitant pas d’intention puisque la seule constatation du résultat positif entraînait la preuve de l’usage de stupéfiant.
Cette vision de l’incrimination comme un délit matériel ne comprenant pas d’élément moral parmi ses éléments constitutifs est discutable et doit être réfutée. En effet, les délits matériels ont disparu avec l’entrée en vigueur du code pénal de 1994 et l’article 121-3 du code pénal prévoit désormais qu’il n’y a point de délit sans intention de le commettre sauf lorsque le législateur en dispose autrement. Dès lors, en l’absence de précision, un délit doit être regardé comme intentionnel. Appliqué au délit de l’article L. 231-5 du code de la route, ceci signifie que l’auteur doit avoir eu la volonté de conduire en ayant conscience d’avoir consommé, à un moment donné, des stupéfiants. Il n’a pas à avoir conscience qu’il est encore sous l’empire des stupéfiants, puisque la matérialité de l’incrimination ne l’exige pas. L’élément moral de l’infraction requiert seulement une intoxication volontaire et une conduite de véhicule volontaire.
La cour d’appel avait vu le problème posé par l’élément moral et avait estimé que faute de détermination du taux de THC présent dans le produit prétendument consommé par le prévenu poursuivi pour conduite après usage de stupéfiants et au regard de ses déclarations attestant de l’unique consommation de CBD, l’infraction n’était caractérisée avec certitude, ni dans son élément matériel ni dans son élément intentionnel. En effet, comment caractériser l’intention de celui qui argue d’avoir volontairement conduit après avoir consommé un produit dont il pensait que la consommation était autorisée ?
Selon le rapport de l’avocate générale, il ne peut être ignoré qu’un produit contenant du CBD contient généralement aussi du THC, ne serait-ce qu’en traces. Elle ajoute que nombre de produits « CBD » mentionnent la présence de THC ainsi que le taux de THC contenu et en déduit qu’un conducteur contrôlé positif au THC ne peut donc raisonnablement soutenir ne pas avoir conscience d’avoir consommé du THC au motif qu’il ne consommerait que des produits affichés « CBD ». Ceci procède d’un renversement de la charge de la preuve, c’est au ministère public de démontrer que le conducteur savait s’être intoxiqué au THC en consommant du CBD. Ce n’est pas au conducteur de prouver qu’il ne savait pas, ce qui reviendrait en pratique à établir une présomption d’intention. Toutefois, la sévérité des jurisprudences relatives aux stupéfiants laisse à présager une caractérisation systématique de l’intention dès lors que l’usage de stupéfiant est prouvé par l’analyse sanguine ou salivaire.
Ainsi, un consommateur averti en vaut deux, la consommation de CBD n’exclut pas l’application de l’infraction de conduite après usage de stupéfiant et il en sera probablement de même lorsque la conduite après stupéfiants est appréhendée comme une circonstance aggravante, comme c’est le cas en matière d’homicide involontaire.
© Lefebvre Dalloz