Citation directe : les personnes physiques, parties civiles, n’ont pas l’obligation de justifier de leurs ressources à l’audience de consignation
La citation directe délivrée à la requête d’une personne physique ne peut être déclarée irrecevable au seul motif que la partie civile n’a pas produit de justificatifs permettant au juge du fond de déterminer le montant de la consignation. Dans cette hypothèse, il appartient au juge de définir le montant de cette somme d’argent grâce aux éléments de procédure et aux pièces produites.
La citation directe est un mode de saisine accéléré du tribunal susceptible d’être mis en œuvre par une personne physique comme une personne morale dès lors qu’elle s’estime victime d’un délit ou d’une contravention, qu’elle est en mesure de présenter des preuves suffisantes audit tribunal et que l’auteur de l’infraction présumée est connu (A. Guidicelli et P. le Tourneau, Droit de la responsabilité et des contrats, Dalloz Action, chap. 1223, Action civile exercée devant le juge pénal). Cette voie d’action offerte à la partie civile répond toutefois à des conditions strictes, les unes tenant à son domaine, les autres à son formalisme (v. not., Rép. pén., v° Partie civile, par P. Bonfils, nos 122 s.). En outre, la citation directe implique, sauf exception, la consignation préalable d’une somme d’argent par la partie civile. Le montant de cette dernière doit alors être fixée par le tribunal dans le cadre d’une audience de consignation. Si certains justificatifs sont exigés de la part des personnes morales à but lucratif, la loi comme la jurisprudence demeuraient jusqu’alors silencieuses s’agissant des personnes physiques. L’arrêt du 19 mars 2024 vient ainsi apporter un éclairage en la matière.
Contexte de l’affaire
En l’espèce, le directeur de publication de la chaîne Youtube Made in Azerbaidjian était cité à comparaitre devant le tribunal correctionnel, par acte d’huissier du 15 avril 2022, du chef de diffamation publique envers un particulier, en raison des propos tenus sur ladite chaîne à l’égard de trois individus en janvier et en mars 2022.
En première instance, le tribunal correctionnel a déclaré irrecevables les citations directes des trois parties civiles compte tenu de l’absence de justificatifs des ressources produits par ces dernières. La Cour d’appel de Rennes, dans un arrêt du 22 février 2023, a confirmé ce jugement, estimant que les parties civiles, personnes physiques, non bénéficiaires de l’aide juridictionnelle, devaient justifier de leurs ressources afin que le tribunal correctionnel puisse fixer le montant de la consignation due et que la simple déclaration orale faite par leur avocat selon laquelle elles pourraient faire face à des amendes civiles de 15 000 € ne pouvait se substituer aux exigences légales.
Se posait dès lors la question de savoir si, de la même manière que les personnes morales à but lucratif doivent justifier de leurs ressources en produisant leur bilan et leur compte de résultat à l’audience de consignation, les personnes physiques devaient aussi justifier de leurs ressources et, dans l’affirmative, par quels moyens.
Interprétation stricte de l’article 392-1 du code de procédure pénale
La chambre criminelle commence par rappeler la lettre de l’article 392-1 du code de procédure pénale : lorsque l’action de la partie civile n’est pas jointe à celle du ministère public, le tribunal doit fixer, lors d’une audience de consignation, le montant de cette dernière et le délai dans lequel elle doit être versée. Depuis la loi du 25 aout 1993, cette consignation préalable ne constitue plus une avance des frais du procès, mais sert à garantir le paiement de l’amende civile susceptible d’être prononcée en cas de relaxe de l’auteur cité (A. Guidicelli, Constitution de partie civile par voie d’action et obligation de consigner, RSC 2000. 217
; C. pr. pén., art. 392-1, al. 4). Le but étant ainsi d’inciter à la réflexion et de dissuader les plaideurs les moins sérieux d’agir (A. Guidicelli et P. le Tourneau, op. cit.).
Le 13 décembre 2011 (Loi n° 2011-1862 du 13 déc. 2011), le législateur est venu ajouter une condition pour les citations directes délivrées par les personnes morales à but lucratif. Un second alinéa est en effet venu compléter l’article 392-1 du code de procédure pénale et a imposé à ces dernières de produire leur bilan et leur compte de résultat lors de l’audience de consignation pour permettre aux juges du fond de fixer le montant de la somme d’argent devant être versée. La chambre criminelle rappelle ici une nouvelle fois cette obligation.
Dès lors, quid des personnes physiques et des personnes morales à but non lucratif ?
S’agissant de ces dernières, la Cour de cassation a déjà eu à se prononcer et a jugé que les magistrats pouvaient fonder leur décision relative à la consignation sur toutes pièces, au besoin en demandant leur production à la partie civile pour vérifier les ressources de celle-ci (Crim. 1er févr. 2017, n° 16-81.852, Dalloz actualité, 27 févr. 2017, obs. L. Priou-Alibert ; D. 2017. 409
; JA 2017, n° 557, p. 13, obs. X. Delpech
; Dr. pénal 2017, n° 47, note A. Maron et M. Haas). Contrairement aux personnes morales à but lucratif, elles n’ont donc pas l’obligation de fournir de pièces comptables à l’audience de consignation.
S’agissant des personnes physiques, la seule précision, apportée par les textes et la jurisprudence, portait jusqu’alors sur la dispense de consignation pour les bénéficiaires de l’aide juridictionnelle (C. pr. pén., art. 392-1), y compris lorsque cette aide était partielle (Crim. 30 nov. 1999, n° 99-84.100, D. 2000. 55
; BICC 509, n° 207). La chambre criminelle a ainsi saisi l’opportunité de combler ce vide juridique.
Les juges du fond, en première instance comme en appel, ont fait une interprétation par analogie de l’article 392-1 du code de procédure pénale et ont estimé que les personnes physiques devaient, au même titre que les personnes morales à but lucratif, justifier matériellement de leurs ressources pour permettre aux juges de déterminer le montant de la consignation à verser. En cassant l’arrêt, la chambre criminelle a rejeté cette position et a fait une interprétation stricte du texte de loi. Rien n’impose légalement aux personnes physiques de justifier de leurs ressources pour aider le juge à déterminer le montant de la somme d’argent qu’elles auront à verser au greffe sous peine de voir déclarer irrecevable leur citation.
Les personnes morales à but lucratif sont donc davantage contraintes que les autres justiciables lorsqu’elles souhaitent agir par la voie de la citation directe. La Cour de cassation fait malgré tout preuve d’une certaine souplesse à leur égard puisqu’elle admet qu’elles demeurent recevables à apporter leur bilan et leur compte de résultat devant la cour d’appel au soutien de leur appel du jugement ayant sanctionné leur carence en déclarant leur citation irrecevable (Crim. 1er sept. 2020, n° 19-84.600 P, Dalloz actualité, 22 sept. 2020, obs. S. Lavric ; D. 2020. 1681
; Dalloz IP/IT 2020. 701, obs. E. Derieux
; Légipresse 2020. 468 et les obs.
; ibid. 608, étude B. Domange
; ibid. 2021. 112, étude E. Tordjman et O. Lévy
; ibid. 177, étude N. Verly
).
Rappel de la souveraineté des juges du fond dans la détermination du montant de la consignation
L’arrêt du 19 mars 2024 s’inscrit dans la jurisprudence constante en matière de plainte avec constitution de partie civile devant le juge d’instruction, selon laquelle les magistrats du fond apprécient souverainement le montant de la consignation en fonction des ressources et des charges du requérant (Crim. 7 juin 2000, n° 99-87.848). À défaut de fixation d’une telle somme, la citation directe ne pourra d’ailleurs pas être déclarée irrecevable (Crim. 29 avr. 2003, n° 02-85.315 P, D. 2003. 1601
; JCP 2003. IV. 2173.)
La Cour de cassation semble cependant inviter les parties civiles, personnes physiques, à produire des éléments susceptibles d’aiguiller les juges du fond dans la détermination du montant de la consignation puisqu’elle rappelle qu’ils statueront souverainement sur le fondement des éléments de la procédure et des pièces éventuellement produites par les parties. Les personnes physiques auront toutefois une grande liberté dans la production de telles pièces, contrairement aux personnes morales à but lucratif desquelles le législateur exige la production de documents comptables limitativement énumérés. Les arguments avancés oralement par les avocats des parties civiles doivent ainsi, selon la chambre, être pris en compte, contrairement à ce qu’arguaient les juges du fond. Raison de plus pour se doter d’un conseil dans cette procédure pour laquelle il n’est pourtant pas obligatoire…
Force est de constater que la production de tels justificatifs sera dans l’intérêt des parties civiles. En effet, pour rappel, en même temps que les juges fixeront le montant de cette somme d’argent, ils fixeront également un délai dans le cadre duquel les parties civiles devront la verser auprès du greffe du tribunal. Si cette somme n’est pas déposée dans le délai fixé, la citation de la victime sera alors irrecevable (Crim. 27 mars 2001, n° 00-87.895 ; 18 déc. 2007, n° 07-82.106 P, D. 2008. 298, obs. M. Léna
). Les parties civiles, bien que dotées d’un pouvoir d’appel contre l’ordonnance de fixation (Crim. 19 juill. 1994, n° 94-80.236 P), auront donc tout intérêt à être en mesure de rassembler la somme d’argent fixée et donc d’orienter le juge du fond pour que cette dernière ne soit pas au-dessus de leurs moyens.
À noter pour finir que la liberté des juges dans la détermination du montant de la consignation demeure limitée à différents égards. D’une part dans la mesure où le montant ne doit pas être disproportionné au risque de porter atteinte au droit à un recours effectif au tribunal (CEDH 28 oct. 1998, n° 22924/93, Aït-Mouhoub c/ France, § 57, D. 1999. 268
, obs. J.-F. Renucci
; RSC 1999. 384, obs. R. Koering-Joulin
) – argument d’ailleurs soulevé par les parties civiles en l’espèce. D’autre part dans la mesure où, la consignation ayant aujourd’hui pour seul objectif de permettre le paiement de l’amende civile prévue à l’alinéa 4 de l’article 392-1 du code de procédure pénale, son montant ne pourrait être supérieur au montant maximum de celle-ci, à savoir 15 000 €.
Crim. 19 mars 2024, F-B, n° 23-81.792
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