CJIP Sotec : 520 000 € d’amende d’intérêt public pour complicité de corruption active d’agents publics étrangers

Le 8 juillet 2024, le parquet de Paris et la société de droit gabonais Sotec ont conclu une Convention judiciaire d’intérêt public (CJIP). Aux termes de cette convention, validée deux jours plus tard par le président du Tribunal judiciaire de Paris, la société a accepté de payer une amende publique de 520 000 € en raison de faits de complicité de corruption active d’agents publics étrangers.

La CJIP Sotec est seulement la deuxième CJIP conclue au cours de 2024 au titre de l’article 41-1-2 du code de procédure pénale. Si l’outil transactionnel semble présenter moins de succès que les années passées – étant précisé que quatre conventions ont été conclues depuis le début de l’année au titre de l’article 41-1-3 du même code –, l’intérêt d’y recourir ne perd aucunement en pertinence.

La CJIP conclue

En l’espèce, à la suite d’un signalement par TRACFIN, le 7 juin 2007, en raison d’un virement de 394 843 € émis par une société de droit français fabriquant des uniformes militaires, au profit d’une société de droit gabonaise, la société Consortium international de travaux publics (Citp), spécialisée dans le secteur du bâtiment, ayant pour activité notamment la distribution de tous genres d’équipements, une enquête préliminaire est ouverte. En effet, les informations communiquées par TRACFIN laissaient entendre que le virement réalisé pouvait être d’éventuelles commissions liées à l’obtention, en 2005, d’un marché public avec le ministère de la Défense gabonaise pour la fourniture d’uniformes et d’équipement des forces de sécurité d’un montant de 7,5 millions d’euros. Si la société gabonaise en cause soutenait que ce virement avait été réalisé dans le cadre d’un contrat de sous-traitance que la société française lui avait confié pour l’exécution du marché publique qu’elle avait obtenu, les investigations avaient cependant permis de découvrir que la prestation facturée près de 400 000 € avait été refacturée plus de 2 millions d’euros au ministère de la Défense.

Huit ans plus tard, le 7 août 2015, une information judiciaire est ouverte des chefs de corruption d’agents publics étrangers, d’abus de biens sociaux, de blanchiment et recel de ces infractions. Les investigations menées par l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales dans le cadre de l’enquête et l’instruction établissaient que la société française avait également émis plusieurs autres virements au profit de deux autres sociétés gabonaises, la société Cogem et la société Sotec.

Ces dernières s’étaient vu confier une mission de représentant local de la société française et d’agir comme intermédiaire auprès des acteurs et des administrations locales. Elles jouaient ainsi un rôle de relais administratifs et opérationnels auprès des administrations gabonaises et elles assuraient à ce titre un suivi auprès des différentes administrations gabonaises, effectuant notamment des formalités de dédouanement, des suivis administratifs. Les sociétés mettaient également à disposition des entrepôts de stockage et assuraient des prestations de livraisons. En contrepartie de la facilitation de ses démarches administratives, la société française versait aux sociétés gabonaises des honoraires pour un montant total respectif de 91 440 € en faveur de la société Cogem, entre 2004 et 2009, et de 180 480 € en faveur de la société Sotec, entre 2007 et 2008.

En raison de ces éléments, sachant que les investigations avaient permis d’établir qu’un agent public gabonais, conseiller chargé des affaires économiques et financières rattaché au cabinet du ministre de la Défense et détenteur du pouvoir d’engagement des dépenses, avait bénéficié d’avantages indus tirés de l’activité d’intermédiaire de la société Sotec, cette dernière s’était livrée à des faits de complicité de corruption active d’agents publics étrangers prévus à l’article 435-3 du code pénal, qualification entrant dans le champ d’application de la CJIP, conformément à l’article 41-1-2 du code de procédure pénale.

L’amende d’intérêt public prononcée à l’encontre de la société Sotec a été fixée à 520 000 €.

Ce montant se décompose classiquement en deux parties, sachant que ce montant ne pouvait pas excéder la somme de 742 474,40 €, montant correspondant à la limite des 30 % du chiffre d’affaires moyen annuel calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires connus à la date du constat de ces manquements.

La première, restitutive, correspond aux avantages tirés des manquements. Ces derniers ont été ici évalués à 271 920 €. Si ce montant correspondait au montant pour les deux sociétés, dans le cadre de leur mission d’intermédiaire, la société Sotec a accepté de se voir imputer entièrement. En effet, outre le fait que la société Cogem a été liquidée depuis janvier 2013, la société, objet de la convention, a reconnu avoir pu bénéficier des sommes perçues par l’autre société, pour ses missions d’intermédiaire, par le biais des conventions de refacturation et de sous-traitance conclues entre les deux entités.

La seconde partie, afflictive, tient compte de deux facteurs majorants – l’implication d’un agent public, qui était le collaborateur du ministre de la Défense de l’époque, devenu depuis le président de la République du Gabon, et le trouble grave à l’ordre public – et deux facteurs minorants – l’unité et ancienneté de l’occurrence et la coopération active de la société Sotec –, de sorte que son montant s’élève à 244 728 €.

Les intérêts de la CJIP

Au travers de cette CJIP, l’on saisit quelques intérêts indéniables à proposer cet instrument transactionnel à une personne morale impliquée.

D’abord, elle permet ici de saisir des faits commis à l’étranger, par une société de droit étranger, sans pourtant que la personne morale française soit, elle aussi, l’objet de la CJIP. En effet, alors que la société Sotec était considérée comme l’un des « vecteurs » de corruption, selon les propos du procureur de la République, tenus lors de l’audience de validation, la société française, fabriquant d’uniformes militaires, et l’agent public devraient être renvoyés devant le Tribunal correctionnel de Paris respectivement pour corruption d’agents publics étrangers et pour blanchiment des fonds ainsi obtenus (L’entreprise gabonaise Sotec paye en France une amende de 500 000 € pour corruption, rfi.fr, 11 juill. 2024). Quant au dirigeant de la société, l’homme d’affaires gabonais Seydou Kane, celui-ci a fait l’objet, comme il est aujourd’hui coutume de le voir, d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité et a été condamné à une amende de 500 000 € dont 200 000 € assortis du sursis.

Ensuite et dans le prolongement de ce qui précède, la CJIP assure un rôle de complément des poursuites. En effet, cette dissociation des faits en raison des personnes impliquées dans ce schéma de corruption d’agents publics étrangers au moyen de paiements de facilitation et de commissions indues se révèle être un choix pertinent au regard de la répression, en ce qu’elle permet d’appréhender l’ensemble des protagonistes. Diviser pour mieux réprimer, pour ainsi dire.

Reste que pour les autres personnes impliquées, renvoyées devant la juridiction de jugement, y compris les personnes morales n’ayant pas fait l’objet d’une CJIP, comme dans notre espèce, la convention déjà conclue pourrait se révéler préjudiciable quant à l’établissement des faits et des implications de chacun lors de leur procès. Certes la convention n’est pas synonyme de reconnaissance de culpabilité. Il n’en demeure pas moins que la personne morale reconnaît la matérialité des faits et, plus largement, la convention doit contenir « un exposé précis des faits » (C. pr. pén., art. 41-1-2, II).

Or, force est de constater qu’il ressort de la présente CJIP que la société française est présentée comme étant à l’origine des virements litigieux, perçus par la société ayant conclu ladite convention mais aussi par les sociétés Cogem et Citp (v. p. 2 et 3).

À titre conclusif, nous déplorons l’appréhension difficile du montant de l’amende ainsi prononcé. En effet, outre le fait que l’addition des parties restitutive et afflictive donne lieu à un large arrondi (520 000 € pour 516 648), la prise en compte des facteurs majorants et minorants sur le montant de la part afflictive de l’amende reste diffuse.

Pour s’en convaincre, il importe de se reporter aux lignes directrices sur la mise en œuvre de la CJIP, rendues publiques le 16 janvier 2023 par le parquet national financier, qui précisent que la somme de ces facteurs détermine un coefficient appliqué à la base de calcul de la part afflictive de l’amende d’intérêt public égale au montant des avantages tirés des manquements (ATM * [1+ (facteurs majorants – facteurs minorants)]). Elles précisent également, au titre des facteurs majorants, que l’implication d’un agent public et le trouble grave causé à l’ordre public peuvent représenter jusqu’à 30 % et 50 % en plus des avantages tirés des manquements. Au titre des facteurs minorants, l’unicité de l’occurrence et la coopération active de la personne morale et de son dirigeant peuvent, quant à elles, représenter jusqu’à 10 % et 50 % en moins des avantages tirés des manquements (v. lignes directrices, p. 16). Force est dès lors de constater que le montant affecté à la part afflictive s’élevant à 244 728 € appelle quelques précisions, sachant que le montant maximum encourue était de 380 688 €.

 

TJ Paris, CJIP, 10 juill. 2024, n° 82-2024

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