Clarification des règles de prescription en droit du travail
Dans l’obscurité du droit de la prescription en droit du travail, la Cour de cassation apporte régulièrement quelques éclaircissements au gré de sa jurisprudence. Ainsi a-t-elle clarifié, cette fois-ci, d’une part, le régime de la prescription applicable à la demande d’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, d’autre part, celui relatif à la demande d’indemnisation liée au non-respect par l’employeur de son obligation d’information sur le droit au repos compensateur et enfin le régime de prescription applicable à l’indemnisation des jours de réduction du temps de travail non pris.
Par trois décisions rendues le même jour, la chambre sociale de la Cour de cassation entend clarifier le régime de la prescription applicable à différentes actions liées tant à l’exécution qu’à la rupture du contrat de travail. La superposition de différents délais de prescription annales, biennales ou quinquennales complexifie une notion pourtant simplifiée par le législateur à l’occasion de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008. Les règles générales de prescription actuelles portant sur l’exécution et la rupture du contrat de travail sont le fruit d’interventions législatives plus récentes. Depuis la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 et l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, toute action portant sur l’exécution du contrat de travail se prescrit, par principe, par deux ans à compter du jour où celui qui l’exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d’exercer son droit et toute action portant sur la rupture du contrat de travail se prescrit par douze mois à compter de la notification de la rupture (C. trav., art. L. 1471-1). À cela s’ajoutent les règles particulières de la prescription triennale applicable au paiement et à la répétition du salaire visées à l’article L. 3245-1 du code du travail ainsi que celles applicables aux actions fondées sur le harcèlement ou la discrimination, sans oublier les règles de la prescription quinquennale de droit commun dans certains cas, notamment en matière de prévoyance collective (v. Soc. 26 juin 2024, n° 22-17.240, l’action du salarié fondée sur le manquement de l’employeur à ses obligations en matière de prévoyance est une action en responsabilité civile et non une action relevant de l’exécution du contrat de travail).
Consciente que l’absence de clarté et de prévisibilité des règles relatives aux règles de prescription engendre un contentieux toujours croissant, la Cour de cassation a, par ailleurs, consacré une partie de son rapport annuel 2023 à leur étude (Rapp. Cass. 2023, La prescription en droit du travail, p. 85 s.). Les trois arrêts commentés s’inscrivent dans cette volonté de clarification).
À cette occasion, la Cour de cassation s’est prononcée sur le délai de prescription applicable à la demande liée à l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé, à la demande de paiement des repos compensateurs ainsi qu’à l’indemnisation des jours de réduction du temps de travail.
En outre, la Cour de cassation a rappelé que la prescription quinquennale de l’article 2224 du code civil est applicable à l’action en nullité du licenciement lorsque celui-ci est fondé sur le harcèlement moral. L’article L. 1471-1, alinéa 3, du code du travail prévoit en effet que les délais de prescription biennale et annale prévus par le même texte ne sont pas applicables, notamment, aux actions exercées en application de l’article L. 1152-1 relatif à la prohibition du harcèlement moral.
La demande liée à l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé se rattache à l’exécution du contrat de travail
Dans la première espèce (n° 22-22.860), un salarié a été licencié le 3 septembre 2018. Soutenant avoir subi un harcèlement moral, le salarié a contesté la rupture de son contrat de travail devant le conseil de prud’hommes le 14 février 2020 afin de faire annuler son licenciement et faire condamner l’employeur à lui payer une somme au titre de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé. L’employeur reproche au juge d’avoir jugé recevable la demande du salarié relative au paiement de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé, arguant du fait que celle-ci est liée à la rupture du contrat de travail et donc soumise à une prescription annale.
La Cour de cassation juge toutefois que l’action en paiement d’une indemnité forfaitaire pour travail dissimulé, qui naît lors de la rupture du contrat en raison de l’inexécution par l’employeur de ses obligations, est soumise à la prescription biennale de l’article L. 1471-1, alinéa 1er, du code du travail. Cette solution se justifie au regard de l’évolution de la nature juridique de l’indemnité forfaitaire de travail dissimulé. L’on sait, en effet, de façon constante, que la détermination de la prescription dépend de la nature de la créance objet de la demande (Cass., ass. plén., 10 juin 2005, n° 03-18.922, OPAC de Paris c/ Boulkaria, D. 2005. 1733, obs. Y. Rouquet
; ibid. 2006. 254, chron. R. Libchaber
; AJDI 2005. 730
, obs. Y. Rouquet
; RTD civ. 2006. 320, obs. J. Mestre et B. Fages
; Cass., ch. mixte, 26 mai 2006, n° 03-16.800, Dalloz actualité, 5 juin 2006, obs. X. Delpech ; Banque de Savoie c/ Dombes (Epx), D. 2006. 1793, obs. X. Delpech
, note R. Wintgen
; RTD civ. 2006. 558, obs. J. Mestre et B. Fages
; ibid. 829, obs. R. Perrot
; Soc. 30 juin 2021, n° 18-23.932, Dalloz actualité, 20 juill. 2021, obs. C. Couëdel ; D. 2021. 1292
; ibid. 1490, chron. S. Ala et M.-P. Lanoue
; JA 2022, n° 665, p. 38, étude P. Fadeuilhe
; Dr. soc. 2021. 853, obs. C. Radé
; RDT 2021. 721, obs. G. Pignarre
). Or, si le fait générateur de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé est « la rupture de la relation de travail » entre un salarié et un employeur dans des conditions de travail dissimulé par dissimulation d’activité ou par dissimulation d’emploi salarié (C. trav., art. L. 8223-1), la Cour de cassation a eu l’occasion d’affiner sa nature juridique au fil de sa jurisprudence. D’abord jugée forfaitaire et exclusive de toute autre indemnité due au titre de la rupture du contrat de travail (Soc. 15 oct. 2005, n° 00-45.468), la Cour de cassation a admis qu’elle puisse se cumuler avec les indemnités de toute nature dues au titre de la rupture du contrat de travail à la seule exception de l’indemnité légale ou conventionnelle de licenciement (Soc. 12 janv. 2006, n° 05-45.386) pour enfin admettre un cumul plus général avec les indemnités de toute nature auxquelles le salarié a droit en cas de rupture de son contrat de travail (Soc. 6 févr. 2013, n° 11-23.738, Dalloz actualité, 20 févr. 2013, obs. J. Siro ; D. 2013. 439, obs. J. Siro
; ibid. 1768, chron. P. Flores, S. Mariette, F. Ducloz, E. Wurtz, C. Sommé et A. Contamine
; ibid. 2802, obs. P. Delebecque, J.-D. Bretzner et I. Darret-Courgeon
; Dr. soc. 2013. 626, chron. R. Salomon
; RTD civ. 2013. 380, obs. H. Barbier
).
Il résulte de cette évolution jurisprudentielle que la cause de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé est désormais totalement décorrélée de celle de l’indemnité de licenciement. Selon l’avocate générale, cette indemnité « tend uniquement à réparer la dissimulation d’emploi, consécutive à une faute de l’employeur survenue au cours de la relation de travail et non à la rupture du contrat de travail ». La Cour de cassation a donc logiquement retenu l’application de la prescription biennale à l’action en paiement de l’indemnité forfaitaire pour travail dissimulé.
La demande d’indemnisation liée au non-respect par l’employeur de son obligation d’information sur le droit au repos compensateur est liée à l’exécution du contrat de travail
Dans la seconde espèce (n° 22-20.976), une salariée a été licenciée le 20 février 2017. La salariée a contesté son licenciement le 27 décembre 2017 et a sollicité diverses sommes au titre de la rupture et de l’exécution de son contrat de travail. Au titre de l’exécution de son contrat de travail, la salariée a notamment sollicité le paiement de dommages et intérêts pour défaut de paiement de ses repos compensateurs de remplacement sur une période de cinq ans antérieurement à la rupture du contrat de travail. La salariée soutient, notamment, que l’absence d’information concernant ses droits au repos compensateur de remplacement a empêché le délai de prescription applicable de courir. La Cour de cassation juge néanmoins que l’action en paiement d’une indemnité pour repos compensateur de remplacement non pris, en raison d’un manquement de l’employeur à son obligation d’information, qui se rattache à l’exécution du contrat de travail, relève de la prescription biennale prévue à l’article L. 1471-1 du code du travail. Au demeurant, la Cour rajoute que lorsque l’employeur n’a pas respecté cette obligation, la prescription a pour point de départ le jour où le salarié a eu connaissance de ses droits et, au plus tard, celui de la rupture du contrat de travail.
Cette solution peut surprendre au regard de l’article D. 3121-21 du code du travail qui indique que l’indemnité en espèces due au salarié, dont le montant correspond à ses droits acquis, a le caractère de salaire. La Cour de cassation juge en effet que le salarié dont le contrat de travail prend fin avant qu’il ait pu bénéficier de la contrepartie obligatoire en repos à laquelle il a droit ou avant qu’il ait acquis des droits suffisants pour pouvoir prendre ce repos, reçoit une indemnité en espèces dont le montant correspond à ses droits acquis et le montant des congés payés afférent (Soc. 1er mars 2023, n° 21-12.068, D. 2023. 464
; RDT 2023. 194, chron. F. Morel
; ibid. 484, chron. M. Véricel
). Il est d’ailleurs désormais acquis que cette demande est soumise au délai de prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail (Soc. 13 janv. 2004, n° 01-47.128, Souilhol c/ La Dépêche du Midi (Sté), D. 2004. 2033, et les obs.
, obs. J. Lemée
; Dr. soc. 2004. 311, obs. C. Radé
). Ce délai ne court qu’à compter du jour où l’employeur n’a pas respecté l’obligation de l’informer du nombre d’heures de repos compensateur portées à son crédit par un document annexé au bulletin de salaire (Soc. 6 avr. 2011, n° 10-30.664).
Il convient néanmoins de distinguer selon que le salarié sollicite le paiement de cette indemnité ou des dommages et intérêts au titre du défaut d’information délivrée par l’employeur sur ces derniers. Or, au cas d’espèce, l’employeur avait opposé une fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande indemnitaire du salarié en invoquant la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail. Cette erreur de droit a été corrigée par la cour d’appel qui a relevé d’office le moyen tiré de la prescription biennale normalement applicable au cas d’espèce, s’agissant d’une demande indemnitaire se rattachant à l’exécution du contrat de travail. Outre les débats sur le respect du principe du contradictoire en pareille hypothèse, la Cour de cassation indique clairement que lorsque la demande est fondée sur le manquement de l’employeur à son obligation d’information, celle-ci revêt une nature indemnitaire et non salariale et se rattache à l’exécution du contrat de travail et relève donc de la prescription définie par l’article L. 1471-1, alinéa 1er, du code du travail.
C’est bien la faute de l’employeur qui est mise en avant et qui justifie la non-application de la prescription triennale applicable aux rappels de salaires. C’est d’ailleurs ce fondement indemnitaire qui justifie l’exclusion de cette indemnité de l’assiette de calcul de l’indemnité compensatrice de congés payés (Soc. 21 mai 2002, n° 99-45.890. À ne pas confondre avec la nature du préjudice réparé qui comprend le montant de l’indemnité calculée comme si le salarié avait pris son repos, auquel s’ajoute les congés payés y afférents) et la circonstance qu’elle ne soit pas soumise à cotisations sociales (Soc. 28 mars 2002, n° 00-17.851, RDSS 2002. 534, obs. P.-Y. Verkindt
).
La prescription applicable aux demandes liées à l’affectation de jours de RTT au PERCO ou à leur indemnisation dépend du fondement juridique de la demande
Dans la troisième espèce (n° 23-13.931), un salarié a sollicité de son employeur l’affectation de quatre jours de RTT, acquis et non pris durant la période de référence, sur le plan d’épargne pour la retraite collectif (PERCO) institué au niveau de la branche. L’employeur ayant refusé, le salarié – et la CFE-CGT BTP qui s’est jointe à l’instance – ont saisi le conseil de prud’hommes afin de faire condamner l’employeur (i) à exécuter la demande d’affectation de ces quatre jours de RTT sur le PERCO de branche ; (ii) à lui verser des dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail et perte de chance motif pris de l’absence d’alimentation du PERCO, et à titre subsidiaire (iii) à lui verser une indemnité compensatrice de ces quatre jours de RTT perdus.
Méthodiquement, la Cour de cassation reprend point par point chaque demande en appliquant le principe selon lequel la détermination de la prescription dépend de la nature de la créance objet de la demande (v. infra).
D’abord, la Cour de cassation juge que la demande de dommages et intérêts fondée sur l’exécution déloyale du contrat de travail se rattache naturellement à l’exécution du contrat de travail et qu’elle relève de la prescription biennale de l’article L. 1471-1 du code du travail. Le salarié estimait avoir subi un préjudice au regard du défaut d’affectation des sommes correspondant à ces jours de RTT sur les fonds du PERCO de branche et d’abondement de ces sommes par l’employeur (le PERCO peut en effet être alimenté au moyen de différentes sommes – intéressement, participation, etc. et not. des jours de repos non pris dans la limite de 10 jours par an, v. C. trav., art. L. 3334-8).
Ensuite, la Cour juge que la demande relative au transfert de quatre jours de RTT sur le PERCO de la Branche est soumise à la prescription triennale de l’article L. 3245-1 du code du travail, applicable à l’action en paiement du salaire, dans la mesure où le salarié utilise des jours de RTT obtenus en contrepartie de son travail, jours qui peuvent par ailleurs être monétisés. La Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur le délai de prescription applicable à la demande de « monétisation » de droits inscrits sur un compte épargne-temps, en jugeant la prescription triennale applicable au regard de la nature salariale de la créance (Soc. 30 juin 2021, n° 19-14.543, Dalloz actualité, 20 juill. 2021, obs. C. Couëdel ; D. 2021. 1293
; ibid. 1490, chron. S. Ala et M.-P. Lanoue
; ibid. 2022. 132, obs. S. Vernac et Y. Ferkane
; Dr. soc. 2021. 853, obs. C. Radé
; RDT 2021. 721, obs. G. Pignarre
). La Cour de cassation adopte la même analyse à propos de la demande de transfert de jours de RTT sur un PERCO, considérant qu’elle porte sur l’utilisation de droits attachés à une créance de nature salariale, et ce, au visa de l’article L. 3334-8 du code du travail qui autorise un salarié à affecter au PERCO « les sommes correspondant à des jours de repos non pris ».
En cela, la Haute cour a suivi l’avis de l’avocate générale selon lequel « les sommes versées sur le PERCO correspondent à la conversion de jours de repos non pris en valeur monétaire. […] lorsque le salarié décide de les transférer sur un PERCO […], ils ne perdent pas leur nature compensatoire d’un salaire pour un travail effectué au-delà de la durée légale ou conventionnelle ».
Enfin, le même raisonnement est tenu concernant la demande subsidiaire du salarié tendant à obtenir le versement par l’employeur de l’indemnité compensatrice des jours de RTT perdus, à défaut d’obtenir le transfert de ses jours de RTT sur le PERCO. S’agissant d’une créance de nature salariale, l’action du salarié relève de la prescription triennale.
Soc. 4 sept. 2024, FS-B, n° 23-13.931
Soc. 4 sept. 2024, FS-B, n° 22-20.976
Soc. 4 sept. 2024, FS-B, n° 22-22.860
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