Clarification sur le concours d’obligations entre extradition et MAE

Une demande de remise, au titre d’un mandat d’arrêt européen, d’une personne extradée à partir d’un pays tiers ne nécessite pas le consentement de ce pays dès lors que la convention bilatérale ne le prévoit pas expressément.

Le mandat d’arrêt européen (MAE) est une procédure qui, au sein de l’espace de l’Union, facilite la remise des personnes en supprimant l’extradition. Cependant, cette procédure peut se heurter aux éventuelles obligations nées de la coopération internationale. Néanmoins, la décision-cadre n° 2002/584 du 13 juin 2002 a prévu ces cas de concours d’obligations internationales, la Cour de cassation en faisant, en l’espèce, une juste appréciation.

L’extradition de la Colombie vers la France

Le requérant avait fait l’objet d’un mandat d’arrêt à raison d’une condamnation pénale prononcée par le Tribunal correctionnel de Marseille. Il a été extradé depuis la Colombie vers la France sur le fondement de la Convention d’extradition réciproque signée à Bogota par la France le 9 avril 1850. Celui-ci n’a pas renoncé au principe de spécialité, principe qui interdit à l’État de remise d’exercer une contrainte ou une mesure restrictive de liberté pour des faits antérieurs à ladite remise et différents de ceux visés dans la décision de remise.

Le demande de remise de la Belgique à la France

Or, un mandat d’arrêt européen a été émis à l’encontre de cette même personne par les autorités belges, aux fins d’exercice de poursuites. Le requérant n’a pas consenti à sa remise. Dès lors, la chambre de l’instruction, saisie de cette demande, a sollicité le consentement des autorités colombiennes à sa réextradition en Belgique. En effet, la juridiction s’estimait obligée d’effectuer une telle demande au titre de ses obligations internationales. Or, les autorités colombiennes ont indiqué ne pas pouvoir répondre à la demande française, faute de procédure interne permettant de le statuer sur celle-ci. Face à cette absence de prise de position, les autorités françaises ont remis l’intéressé aux autorités belges.

La remise à la Belgique sur interprétation des textes relatifs à l’extradition

La chambre de l’instruction est passée outre l’absence de consentement des autorités colombiennes en reprenant les différents textes relatifs à l’extradition. Tout d’abord elle a constaté que la convention d’extradition était muette sur la question de la réextradition. Elle en conclut que l’article 696-41 du code de procédure pénale relatif aux effets de l’extradition devait s’appliquer. Elle en déduit que cet article doit s’interpréter comme une obligation de moyen imposant de solliciter le consentement sans pour autant devoir l’obtenir. L’on peut d’ores et déjà noter que cette interprétation est fragile en ce que cet article impose de « s’être assuré du consentement du pays par lequel l’extradition a été accordée ».

Le pourvoi

Le requérant a donc formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris qui a autorisé la remise aux autorités belges. Dans un premier temps, le requérant arguait de l’applicabilité des textes relatifs au mandat d’arrêt européen et non de ceux relatifs à l’extradition. Il invoquait en particulier l’article 21 de la décision-cadre n° 2002/584 du 13 juin 2002. Celui-ci précise que lorsqu’une personne est extradée à partir d’un pays tiers et qu’elle est « protégée par des dispositions de l’arrangement, en vertu duquel elle a été extradée, relatives à la spécialité », « l’État membre d’exécution prend toutes les mesures nécessaires pour demander immédiatement le consentement de l’État d’où la personne recherchée a été extradée, de manière à ce qu’elle puisse être remise à l’État membre d’émission ». Dans un second temps, le requérant faisait valoir que le décret du président colombien accordant l’extradition indiquait que « la remise était subordonnée à la condition que le principe de spécialité soit respecté ». Dès lors, la remise aux autorités belges ne pouvait avoir lieu sans l’accord des autorités colombiennes, accord qu’elles n’ont pas fourni.

L’applicabilité des dispositions relatives au MAE

La Cour de cassation reprend en partie les arguments du requérant pour retenir que les dispositions de la décision-cadre relative au MAE devaient s’appliquer. Elle indique que la chambre de l’instruction a appliqué à tort l’article 696-41 du code de procédure pénale relatif à l’extradition alors que « c’est en vertu d’un mandat d’arrêt européen que la nouvelle remise [demandée par les autorités belges] est sollicitée ». C’est donc l’article 21 de la décision-cadre qui doit recevoir application pour rechercher les obligations de l’État à l’égard du pays tiers qui a originellement remis la personne. La jurisprudence antérieure de la Cour de justice de l’Union européenne avait déjà démontré que les conflits entre MAE et extradition devaient se résoudre par interprétation de la décision-cadre (CJUE 20 mars 2025, aff. C-763/22, Dalloz actualité, 3 avr. 2025 obs. B. Nicaud). C’est d’ailleurs tout l’objectif du régime simplifié qu’est le MAE que de régler, pour les autorités d’exécution, les cas de concours de demandes au titre de l’article 16 et les concours d’obligations internationales au titre de l’article 21 de la décision-cadre.

L’interprétation souple de l’article 21 de la décision-cadre en faveur de la remise

La Cour de cassation ne retient pas l’interprétation du requérant pour finalement rejeter le pourvoi. En effet, l’article 21 précité prévoit que « l’État membre d’exécution prend toutes les mesures nécessaires pour demander immédiatement le consentement de l’État d’où la personne recherchée a été extradée, de manière à ce qu’elle puisse être remise à l’État membre d’émission », et que « En attendant la décision de l’État d’où la personne recherchée a été extradée, l’État membre d’exécution s’assurera que les conditions matérielles nécessaires à une remise effective restent réunies ». Ainsi, l’interprétation du requérant selon laquelle la demande des autorités ne pouvait en l’espèce conduire à la remise qu’à la condition d’un accord du pays tiers semble a priori conforme au texte. Toutefois, la Cour oppose deux éléments qui contrecarrent le moyen du requérant.

Tout d’abord, la Cour affirme que la demande de consentement n’était pas nécessaire en application dudit article. En effet, cet article soumet cette obligation au cas où « la personne recherchée a été extradée (…) et que cette personne est protégée par des dispositions de l’arrangement, en vertu duquel elle a été extradée, relatives à la spécialité ». Or, la Cour retient ici le défaut de protection car la Convention de Bogota, liant la France et la Colombie, ne prévoyait pas expressément le consentement de cette dernière en vue de la réextradition. La Cour rejette donc la circonstance que le décret du président colombien demandait le respect du principe de spécialité, car celui-ci ne faisait que rajouter unilatéralement une obligation à l’égard des autorités françaises non issue de la convention ratifiée et qui lie les deux États. Les juridictions françaises n’avaient donc pas à demander le consentement aux autorités colombiennes.

Dans un second temps, et de manière superfétatoire, la Cour analyse la réponse des autorités colombiennes, non pas comme un refus, mais comme une absence d’opposition. En effet, ces dernières n’ont pas répondu défavorablement à la demande française, mais ont simplement indiqué ne pas pouvoir statuer sur la demande, faute de procédure interne le permettant. Or, il apparaîtrait surprenant d’accepter que le processus de coopération soit bloqué sur la circonstance qu’une obligation de demande de consentement, non prévue dans la convention bilatérale et ne faisant l’objet d’aucune procédure interne, ait été ajoutée de façon arbitraire dans le décret autorisant la remise.

La Cour de cassation a donc retenu une interprétation conforme à l’objectif du MAE qui, sans affecter les obligations internationales des États membres, favorise la coopération européenne.

 

Crim. 27 mai 2025, F-B, n° 25-83.265

par Baptiste Nicaud, Maître de conférences en droit privé, Université de Limoges, Avocat au barreau de Paris

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