Clause de non-concurrence : de l’office du juge dans le contrôle de proportionnalité aux effets de la nullité de la clause
La révision d’une clause de non-concurrence par le juge n’est pas admise lorsque le salarié sollicite exclusivement la nullité de celle-ci. De surcroît, pour déterminer si l’employeur peut prétendre au remboursement de la contrepartie financière versée au salarié lorsque la clause est jugée nulle, le juge doit nécessairement vérifier si le salarié a violé ou non cette clause.
La clause de non-concurrence, obligation post-contractuelle, se distingue de l’obligation de loyauté. La particularité d’une telle clause est que sa limite puise sa source dans l’atteinte à la liberté d’entreprendre du salarié, principe général à valeur constitutionnelle (Cons. const. 16 janv. 1982, n° 81-132 DC). Les atteintes à cette liberté sont strictement encadrées et s’articulent autour des restrictions légales d’une part, et des restrictions conventionnelles d’autre part.
Ce sont les restrictions conventionnelles qui intéressent précisément la présente affaire, puisque la clause de non-concurrence est insérée dans le contrat de travail et impose au salarié de s’abstenir d’exercer une activité concurrente à celle de son employeur. Cependant, pour être valide la clause de non-concurrence doit répondre à deux conditions cumulatives : la clause doit être limitée dans son objet, dans le temps et l’espace et doit prévoir le versement d’une contrepartie financière.
Dans la présente affaire, la société France Air saisissait initialement le conseil de prud’hommes aux fins de constater la violation par le salarié de la clause de non-concurrence et ainsi obtenir notamment le remboursement de la contrepartie financière versée dans ce cadre. La juridiction prud’homale constatait la violation la clause de non-concurrence par le salarié et condamnait ainsi le salarié au remboursement des sommes perçues. Toutefois, la cour d’appel infirmait le jugement de première instance sauf en ce qu’il rejetait la demande de dommages et intérêts pour violation de ladite clause et statuait à nouveau en la jugeant nulle.
Révision et annulation : portée de l’objet de la demande
Il est de jurisprudence constante que la « clause de non-concurrence n’est licite que si elle est indispensable à la protection des intérêts légitimes de l’entreprise, limitée dans le temps et l’espace, qu’elle tient compte des spécificités de l’emploi du salarié et comporte l’obligation pour l’employeur de verser au salarié une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives » (Soc. 15 déc. 2021, n° 20-18.144 ; 10 juill. 2002, n° 00-45.135, Salembier c/ La Mondiale (Sté), D. 2002. 2491
, note Y. Serra
; ibid. 3111, obs. J. Pélissier
; ibid. 2003. 1222, obs. B. Thullier
). Au cas présent, ladite clause interdisait à un salarié, technico-commercial attaché à la région parisienne d’exercer une activité concurrente sur l’ensemble du territoire français.
Le point intéressant la présente décision porte sur l’office du juge s’agissant d’une clause de non-concurrence. En principe, le juge a la possibilité de réviser la clause s’il juge qu’elle est excessive, mais nécessaire à la protection des intérêts de l’entreprise, ou de l’annuler si elle est disproportionnée. Cependant, une question subsiste : le juge peut-il refuser de réviser la clause de non-concurrence litigieuse et constater sa nullité au motif que le salarié invoquait exclusivement la nullité de la clause ?
La Cour de cassation répond par l’affirmative en inscrivant, pour la première fois, la règle de principe suivante : « la cour d’appel, qui ne pouvait réduire le champ d’application de la clause de non-concurrence dès lors que seule la nullité était invoquée par le salarié a exactement retenu qu’elle était nulle ». Les hauts magistrats relèvent que le pouvoir de révision reste une simple faculté. Cette solution vient donc généraliser la solution rendue par la Cour de cassation en 2011 (Soc. 12 oct. 2011, n° 09-43.155, Dalloz actualité, 7 nov. 2011, obs. B. Ines ; Moreau (Sté) c/ Bossuyt, D. 2011. 2605
; ibid. 2012. 2622, obs. P. Lokiec et J. Porta
; ibid. 2760, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra
; Dr. soc. 2012. 198, obs. J. Mouly
) qui avait été admise dans le cadre la convention collective des VRP.
Sort de la contrepartie financière versée sur le fondement d’une clause de non-concurrence annulée
Dans la présente affaire, les juges ont également dû se prononcer sur l’articulation du régime de la nullité d’une clause de non-concurrence avec les droits et obligations des parties. Il est utile de rappeler que lorsque la clause est annulée, la contrepartie financière est anéantie rétroactivement.
Toutefois, si le salarié a respecté la clause de non-concurrence illicite, il peut alors prétendre au paiement d’une indemnité en réparation de l’atteinte à sa liberté d’exercer une activité professionnelle. Enfin, si le salarié viole cette clause illicite, l’employeur est fondé à solliciter le remboursement de la contrepartie financière indûment versée à compter de la date à laquelle la violation est établie.
Soc. 22 mai 2024, FS-B, n° 22-17.036
© Lefebvre Dalloz