Clause de non-concurrence et rupture de la période d’essai : le temps et la forme
L’employeur, qui rompt une période d’essai non renouvelée à l’issue de son terme, commet un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Le salarié, qui constate que son cocontractant n’a pas renoncé à la clause de non-concurrence conformément aux stipulations contractuelles, est bénéficiaire de la contrepartie financière par elle instituée.
En ce mois de septembre, suivons, à l’instar de la Cour de cassation, le temps et la forme : revenons deux mois en arrière pour observer rapidement et discuter sporadiquement un arrêt rendu le 3 juillet dernier par la chambre sociale qui n’admet le non-respect ni du temps, ni de la forme.
Un salarié est en fait embauché, suivant un contrat de travail conclu le 6 janvier 2015 assorti d’une clause de non-concurrence, avec une période d’essai de six mois renouvelable une fois. L’employeur rompt la période d’essai le 24 juillet 2015.
Le salarié, soutenant que cette rupture s’analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, assigne son ex-employeur aux fins notamment de paiement des sommes consécutives à la rupture. Outre de nombreuses demandes, il cherche en l’occurrence à faire juger que la rupture de sa période d’essai est mal fondée et que l’employeur n’a pas versé la contrepartie financière afférente à la clause de non-concurrence que le salarié a respectée. D’une part, la cour d’appel confirme le jugement en ce qu’il a considéré que la rupture de la période d’essai le 24 juillet n’est pas justifiée dès lors que le renouvellement de cette période, proposé par l’employeur le 26 juin et accepté par le salarié le 10 juillet, ne s’est pas produit au cours de la période initiale ayant pris fin le 6 juillet. D’autre part, elle infirme le jugement en considérant que l’employeur n’a pas valablement renoncé à la clause de non-concurrence, impliquant qu’il doit verser une contrepartie financière au salarié.
La chambre sociale de la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’employeur qui faisait essentiellement valoir que la rupture, parce que constituant un licenciement, impose l’examen par les juges du fond de la lettre de rupture notifiée le 24 juillet, ce qu’ils n’ont pas fait, et que la renonciation par courriels, au lieu d’une lettre recommandée avec avis de réception, ne pouvait être écartée par les juges du fond qu’en présence d’un grief à l’égard du salarié. En effet, la Cour régulatrice estime à l’inverse que la rupture s’analyse en une rupture de période d’essai qui s’est produite à l’issue de la période initiale et en l’absence de renouvellement, en sorte que l’employeur est l’auteur d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. De surcroît, elle balaye le second moyen de l’employeur d’une manière assez laconique, en reprenant les motifs d’appel selon lesquels la clause de non-concurrence ne stipulait qu’une renonciation par lettre recommandée avec avis de réception. Il était, par conséquent, principalement question devant la Cour de la qualification juridique de la rupture hors délai de la période d’essai et de la source de la forme de la renonciation à la clause de non-concurrence.
Qualification de la rupture hors délai de la période d’essai
La Haute juridiction estime que les juges du fond n’étaient pas tenus d’examiner les motifs de la rupture de l’essai indiqués dans la lettre envoyée par l’employeur, s’agissant d’une rupture hors délai de la période d’essai constituant un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Il n’est pas contesté que l’employeur a rompu hors délai la période d’essai et la rupture hors délai de la période d’essai constitue indubitablement un licenciement (Soc. 11 juill. 1991, n° 90-41.755, inédit), la rupture étant causée par l’employeur, dépourvu de cause réelle et sérieuse (Soc. 17 oct. 2007, n° 06-43.243 P). Or, en matière de licenciement, les juges du fond doivent, selon une jurisprudence établie (v. par ex., Soc. 18 mai 1995, n° 94-40.153, inédit, Dr. soc. 1995. 675 et les obs.
), examiner les motifs de la rupture visés dans la lettre de licenciement, celle-ci fixant les termes du litige (v. Soc. 15 nov. 1979, n° 78-41.084 P). Le défaut de motif dans la lettre de licenciement prive celui-ci de cause réelle et sérieuse (v. Soc. 17 janv. 2001, n° 98-46.447, inédit).
Tous ces prérequis posés, les juges du fond devaient-ils examiner les motifs de rupture de la période d’essai ? Certains seront tentés de répondre par l’affirmative, dès lors que cette rupture possède la qualification de licenciement sans cause réelle et sérieuse. C’était au demeurant le raisonnement tenu par l’employeur : la rupture est un licenciement ; le licenciement impose l’examen par les juges du fond des motifs ; ainsi, ces derniers doivent en fait procéder à cet examen. Ce serait cependant oublier l’article L. 1231-1 du code du travail, qui écarte le droit du licenciement à l’égard de la rupture de la période d’essai, sauf cas particuliers tels que la prohibition des discriminations (v. Soc. 16 févr. 2005, n° 02-43.402 B, CS Systèmes d’information (Sté) c/ Raspaud, D. 2005. 668
). Ainsi, les juges du fond n’ont pas à examiner les motifs indiqués dans la lettre notifiée au salarié puisque la rupture d’une période d’essai, bien qu’étant hors délai, peut se faire « sans motif et sans formalité » (Soc. 10 mars 2004, n° 01-44.750 P, Honoré (Mme) c/ Accueil et réinsertion sociale (Assoc.), D. 2004. 2189, et les obs.
, obs. B. Géniaut
; Dr. soc. 2004. 733, note M. Dubertret
). La solution mérite donc d’être approuvée.
Source de la forme de la renonciation à la clause de non-concurrence
La Cour de cassation, en invalidant, à l’instar de la cour d’appel, la renonciation à la clause de non-concurrence pour non-respect du formalisme par elle imposé, juge que le contrat de travail peut stipuler une forme particulière pour valablement renoncer à cette clause.
La jurisprudence (Soc. 17 févr. 1993, n° 89-43.658 P, Promo Cuisine (Sté) c/ Gillet, D. 1993. 347
, note Y. Serra
; ibid. 258, obs. J. Goineau
) ainsi que la doctrine (v. par ex., G. Auzero, D. Baugard et E. Dockès, Droit du travail, 37e éd., Dalloz, coll. « Précis », 2024, n° 184) paraissent assez unanimes : « l’employeur ne [peut] renoncer unilatéralement à l’exécution de la clause » de non-concurrence (Soc. 28 nov. 2001, n° 99-46.032, inédit). Cette solution se justifie par le caractère synallagmatique de la clause en ce que celle-ci est « est stipulée dans l’intérêt de chacune des parties au contrat de travail, de sorte que l’employeur ne peut, sauf stipulation contraire, renoncer unilatéralement à cette clause » (Soc. 11 mars 2015, n° 13-22.257, Dalloz actualité, 27 mars 2015, obs. W. Fraisse ; Delta (Sté) c/ Vezy, D. 2015. 689
; ibid. 1384, chron. E. Wurtz, F. Ducloz, C. Sommé, S. Mariette et N. Sabotier
; ibid. 2526, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra
; ibid. 2016. 807, obs. P. Lokiec et J. Porta
; Dr. soc. 2015. 465, obs. J. Mouly
; ibid. 2016. 650, étude S. Tournaux
). Les stipulations contraires visent tant la convention collective (v. par ex., Soc. 10 juill. 2019, n° 17-23.274, D. 2019. 2374, obs. Centre de droit de la concurrence Yves Serra (CDEDEA n° 4216)
) que le contrat de travail (Soc. 17 févr. 1993, n° 89-43.658 P, préc.), ce qui est sans nul doute le cas en l’espèce.
La renonciation unilatérale par l’employeur, valable conformément aux stipulations du contrat de travail, doit obéir à des conditions de forme. Mais les parties, au moyen du contrat de travail, sont-elles compétentes pour les fixer ? Peut-on stipuler une clause de non-concurrence et la possibilité de sa renonciation unilatérale tout en, dans le même temps, prévoyant les conditions de forme de celle-ci ? La réponse, outre qu’évidente, n’est semble-t-il pas nouvelle (v. pour une affaire identique, Soc. 21 oct. 2020, n° 19-18.399, inédit). Au surplus, il est vrai que si l’on trouve d’anciens arrêts qui ont invalidé des renonciations verbales, alors que la clause exigeait une renonciation écrite, il s’agissait de renonciations hâtives (Soc. 3 mai 1989, n° 86-41.452 P, Erca (Sté) c/ Guillot, D. 1990. 82
, obs. Y. Serra
; 4 mars 1992, n° 90-43.452 B). Cette solution n’est guère dépourvue de logique dès lors que le contrat de travail peut constituer la source d’une renonciation à la clause de non-concurrence. Si une clause peut stipuler que l’employeur dispose de la faculté unilatérale de renoncer à la clause de non-concurrence, alors il est logique qu’elle puisse fixer les modalités de cette renonciation. La solution nous paraît donc justifiée en tous points.
Soc. 3 juill. 2024, F-B, n° 22-17.452
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