Clause de résiliation unilatérale et faculté de contrôle du juge
Dans un arrêt rendu le 31 janvier 2024, la première chambre civile se penche sur une clause de résiliation en cas de motif légitime et impérieux invoqué par l’une des parties à un contrat d’enseignement.
L’ingénierie contractuelle la plus intéressante ne relève pas exclusivement des contrats d’affaires. Il arrive, bien fréquemment, que des « petits contrats » soient également le bastion de problèmes techniques permettant de mettre en relief certaines règles essentielles du droit des obligations. L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 31 janvier 2024, promis aux honneurs d’une publication au Bulletin, illustre ce constat.
Les faits débutent autour d’un contrat conclu le 12 juin 2020 par un mineur assisté de son père avec un établissement d’enseignement pour deux ans de formation débutant quelques mois plus tard. Les frais de scolarité s’élèvent à 4 900 € par an. Une clause du contrat stipule que l’étudiant peut solliciter la résiliation de la convention s’il justifie d’un cas de force majeure ou d’un motif légitime et impérieux.
Cette faculté de résiliation devait également être soumise à la direction de l’école laquelle prenant seule la décision d’apprécier ledit cas de force majeure ou ledit motif légitime et impérieux. Par courrier du 28 septembre 2020, les cocontractants de l’établissement scolaire font application de cette clause. Ils sollicitent donc la résiliation du contrat. L’école s’y oppose et obtient une ordonnance d’injonction de payer au titre du solde des frais de scolarité. L’élève et son père forment opposition à cette ordonnance. Le Tribunal de proximité d’Haguenau rend une décision le 9 septembre 2021 qui déclare recevable et bien fondée cette opposition à injonction de payer. Le jugement déboute l’établissement scolaire de sa demande en paiement, estimant que le motif impérieux et légitime était caractérisé en l’espèce.
Taux du ressort oblige, l’établissement se pourvoit en cassation en arguant que le juge ne pouvait pas contrôler le motif légitime et impérieux dont l’appréciation était réservée à la direction de l’école d’après la stipulation contractuelle. Autrement dit, l’école y voyait une forme de violation de la l’article 1103 du code civil pouvant mener à la cassation du jugement frappé du pourvoi.
L’arrêt du 31 janvier 2024 aboutit au rejet du pourvoi.
Le contrôle apparent du motif impérieux et légitime de la faculté de résiliation unilatérale
La décision étudiée se concentre essentiellement autour de la clause de résiliation unilatérale insérée dans le contrat et, plus spécifiquement, sur sa mise en jeu. Sa rédaction semble donner à la direction de l’école un rôle central dans l’appréciation de la stipulation. L’établissement arguait en première instance que le juge ne pouvait donc pas s’y pencher. C’est la théorie générale du contrat qui est à l’œuvre ici assurément pour cette convention, d’apparence spéciale, mais de confection tout à fait dépendante du droit commun. Aucune règle des contrats de prestation de service, dont le contrat d’enseignement ne peut être qu’une variété, n’est, en effet, en mouvement dans le pourvoi puisque seul l’article 1103 du code civil était avancé pour asseoir une éventuelle cassation pour violation de la loi. Le raisonnement reposait sur un prérequis simple, mais assez efficace il faut bien le dire. L’école demanderesse à la cassation avançait que faute de réputer non écrite la clause, le juge n’avait d’autre choix que de l’appliquer sans pouvoir contrôler le motif impérieux et légitime avancé par l’élève et son père. Autrement dit, selon l’établissement, il n’y avait pas de place pour le juge dans la sphère contractuelle.
Mais c’est précisément ici que la première chambre civile justifie la publication de son arrêt au Bulletin. Au n° 5 de sa décision, elle rappelle que « l’’application par les parties de la clause d’un contrat d’enseignement, prévoyant une faculté de résiliation dans le cas d’un motif légitime et impérieux invoqué par l’étudiant et apprécié uniquement par la direction de l’école, n’échappe pas, en cas de litige, au contrôle du juge ». La précision arrive un peu sèchement, sans réelle forme d’explication supplémentaire. Essayons de faire apparaître les maillons intermédiaires du raisonnement plus clairement. L’arrêt refuse une lecture rigoriste de la place du juge dans le contrat après l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016. La justification en est plutôt simple. Lorsque les parties ne sont pas d’accord sur l’appréciation ou la mise en œuvre d’une clause, il n’y a guère que le juge qui puisse régler la discorde autour de l’application de la stipulation. C’est bien là sa place, par ailleurs, en appliquant le support contractuel à la lettre. Le juge ne s’immisce alors pas vraiment dans le contrat, il ne fait que d’utiliser les codes de celui-ci pour déterminer si la clause doit s’appliquer ou non.
Cette appréciation paraît donc bien justifiée en l’état. En réalité, elle permet surtout d’assurer un cran de sécurité supplémentaire quand la clause ne peut pas être déclarée abusive sur le fondement des dispositions du droit de la consommation ou de celles issues du droit commun. Nous allons voir pourquoi.
Le contrôle en filigrane
La décision du 31 janvier 2024 joue avec les contrastes. En la parcourant, on comprend que le contrôle des clauses abusives avait été avancé au stade de la première instance. Le fondement n’est pas précisé mais s’agissant d’un contrat conclu entre un professionnel de l’enseignement et un élève mineur avec son père, ce sont les dispositions du code de la consommation qui devraient être applicables. À défaut, ce serait l’article 1171 du code civil (v. Com. 26 janv. 2022, n° 20-16.782 F-B, Dalloz actualité, 1er févr. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 539
, note S. Tisseyre
; ibid. 725, obs. N. Ferrier
; ibid. 1419, chron. S. Barbot, C. Bellino, C. de Cabarrus et S. Kass-Danno
; ibid. 2255, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra (EA n° 4216)
; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa et M. Mekki
; RTD civ. 2022. 124, obs. H. Barbier
). L’arrêt est un rendez-vous manqué de ce côté car le caractère abusif de la clause n’est pas attaqué par le pourvoi, ce qui est logique puisque c’est l’établissement scolaire qui forme le recours.
Pourtant, la clause dessinait bien un motif qui pouvait laisser penser à un déséquilibre significatif par cette appréciation unique, peut-être un peu trop stricte, par la direction de l’école. Il aurait, à ce titre, été intéressant que la première chambre civile cite explicitement, dans le rappel des faits, la stipulation insérée pour savoir pourquoi le tribunal de proximité n’avait pas retenu le caractère abusif.
Quoi qu’il en soit, on perçoit bien que le contrôle du juge dans le « motif impérieux et légitime » permet de poursuivre l’esprit du rôle du juge en droit des contrats. Même si la stipulation n’est pas réputée non écrite, le juge n’abandonne pas le contrat aux seules mains des parties quand elles se retrouvent dans une situation de blocage. Si ce sont elles qui, avant tout, doivent dessiner leur avenir contractuel, c’est au magistrat de se prononcer quand elles n’arrivent pas à s’entendre sur la mise en œuvre de la clause. Il existe donc une sorte de contrôle tant au stade de l’équilibre de la stipulation, en amont, qu’autour de son exécution, en aval. La décision permet de mettre en lumière ces différents garde-fous. Le rôle du juge est alors conforté. Ceci est d’autant plus intéressant que la position de la Cour de justice de l’Union européenne implique que la mise en jeu d’une clause peut la faire basculer dans une qualification de clause abusive (v. sur ce point précis dans la jurisprudence autour des clauses de déchéance du terme, CJUE 9 nov. 2023, Všeobecná úverová banka a.s., aff. C-598/21, Dalloz actualité, 24 nov. 2023, obs. C. Hélaine).
Voici donc un arrêt fort intéressant par lequel la première chambre civile rappelle le rôle du juge en droit des contrats. Loin d’avoir une place inexistante, celui-ci intervient quand il est nécessaire de le faire comme ici dans le cas d’une situation inextricable où chaque partie avance être dans son bon droit, l’une pour résilier, l’autre pour refuser la cause de résiliation.
Civ. 1re, 31 janv. 2024, F-B, n° 21-23.233
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