Clause résolutoire (bail d’habitation) : pas de réduction du délai d’apurement de la dette pour les baux en cours !
Les dispositions de l’article 10 de la loi du 27 juillet 2023 qui modifient le délai minimal imparti au locataire pour s’acquitter de sa dette après la délivrance d’un commandement de payer visant la clause résolutoire insérée au bail prévu par l’article 24, alinéa 1er et 1°, de la loi du 6 juillet 1989, n’ont pas pour effet de modifier les délais figurant dans les clauses contractuelles des baux en cours au jour de l’entrée en vigueur de la loi.
Parue au Journal officiel le 28 juillet 2023, la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023, dite « loi Kasbarian » a généré de nombreux commentaires et études, dès la rentrée 2023 (par ex., N. Damas, Loi « protection des logements contre l’occupation illicite » : dispositions relatives aux rapports locatifs et à l’expulsion, AJDI 2023. 583
; P. de Plater, Nouvelles perspectives pour les rapports locatifs et pour la protestation de la propriété immobilière : JCP N 2023, n° 36, p. 902). Et pour cause, cette loi infléchit – à la marge, certes, et sur certains aspects seulement – l’équilibre locatif au profit des bailleurs. S’agissant du présent avis, c’est la réduction du délai assortissant le commandement de payer visant la clause résolutoire au titre de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, passant de deux mois à six semaines, qui posait question.
Le sujet est sensible, car au-delà de la réduction somme toute relative de ce délai, qui permet au locataire d’apurer sa situation locative et ainsi, d’échapper au constat d’acquisition de la clause résolutoire insérée à son bail, il est question d’un contentieux de masse. Aussi, les conséquences d’une mauvaise interprétation de la loi porteraient atteinte aux instances en cours.
En l’espèce, le Tribunal de proximité de Trévoux a saisi la Haute juridiction de l’application du délai de six semaines pris en vertu de l’article 10 de la loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023, à travers trois questions.
Tout d’abord, la juridiction souhaitait savoir si l’article 10 de la loi Kasbarian était immédiatement applicable aux contrats en cours à l’entrée en vigueur de la loi.
Ensuite, dans la positive, et apparemment consciente de la présence de dispositions d’ordre public de protection du locataire, la juridiction entendait voir préciser si le délai contractuel de 2 mois devait s’imposer sur le délai légal de 6 semaines.
Enfin, le tribunal souhaitait savoir si une telle clause dérogatoire au délai de six semaines de l’article 24 de la loi du 6 juillet 1989, et favorable au locataire, pouvait être réitérée en cas de tacite reconduction, renouvellement ou de conclusion d’un nouveau bail. Il convient d’ores et déjà d’appréhender le nouveau bail comme un bail « neuf » et non comme un bail renouvelé, bien que, juridiquement, les notions se rejoignent. Pour la Haute juridiction, cette question n’était pas recevable en ce qu’elle ne commandait pas l’issue du litige et ne visait, pour l’avocat général Sturlèse, que des « situations hypothétiques à des contrats conclus postérieurement à la loi nouvelle » (avis n° K 24-70.002).
L’article 10 de la loi Kasbarian ne s’applique pas aux contrats en cours, qui restent régis par leurs stipulations contractuelles
La position de la Haute juridiction est claire : l’article 10 relatif au délai de six semaines, « ne s’applique pas immédiatement aux contrats en cours, qui demeurent régis par les stipulations des parties, telles qu’encadrées par la loi au jour de la conclusion du bail et ne peut avoir pour effet d’entraîner leur réfaction ».
On rappellera à ce titre que, pour être valable, une clause résolutoire insérée dans les baux soumis à la loi du 6 juillet 1989 dans sa version antérieure à la loi du 27 juillet 2023, devait impartir au locataire un délai minimal de deux mois pour apurer sa dette. À défaut, la question n’était pas celle de la validité du délai, mais celle de la clause en son entier, contraignant le bailleur à agir devant le juge du fond en résiliation judiciaire.
Certains auteurs se sont très tôt interrogés sur l’application de la jurisprudence relative aux effets légaux du contrat, exception au principe de la survie de la loi ancienne, s’agissant des commandements visant la clause résolutoire délivrée postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi Kasbarian (sur cette question, B. Vial-Pedroletti et P. de Plater, La loi n° 2023-668 du 27 juillet 2023 ou le rééquilibrage des rapports locatifs et le renforcement de la propriété immobilière, Loyers et copr. 2024. Étude 1).
En effet, la Cour de cassation a jugé à plusieurs reprises que la loi pouvait régir immédiatement les effets des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées.
Cette jurisprudence a notamment été appliquée à l’article 7-1 de la loi du 6 juillet 1989 relatif au délai de prescription triennal (Civ. 3e, 17 nov. 2017, n° 15-24.552, AJDI 2017. 281, note N. Damas
), à son article 15-III relatif à la protection des personnes âgées disposant de faibles ressources (Civ. 3e, 23 nov. 2017, n° 16-20.475, D. 2017. 2426
; ibid. 2018. 1117, obs. N. Damas
; AJDI 2018. 281
, obs. N. Damas
), à son article 15-I relatif à la motivation et au contrôle du congé délivré par le bailleur (Civ. 3e, 9 févr. 2022, n° 21-10.388, Dalloz actualité, 4 mars 2022, obs. C. Dreveau ; D. 2022. 279
; ibid. 1007, obs. N. Damas
; ibid. 2023. 254, obs. R. Boffa et M. Mekki
; AJDI 2022. 527
, obs. N. Damas
), ou encore, à son article 22 relatif à la majoration automatique du dépôt de garantie en cas de restitution tardive (Civ. 3e, 17 nov. 2016, n° 15-24.552, Dalloz actualité, 24 nov. 2016, obs. Y. Rouquet ; D. 2016. 2399
; ibid. 2017. 1149, obs. N. Damas
; AJDI 2017. 281
, obs. N. Damas
; ibid. 157, point de vue F. de La Vaissière
; AJ contrat 2017. 47, obs. V. Forti
; RTD civ. 2017. 118, obs. H. Barbier
; Loyers et copr. 2017, n° 2, obs. Vial-Pedroletti ; à propos de cet arrêt, v. aussi, F. de La Vaissière, AJDI 2017. 157
). On rappellera enfin un avis rendu par la Haute juridiction du 16 février 2015, par lequel celle-ci considérait que la faculté pour le juge d’octroyer un délai de 3 années au preneur pour lui permettre de régler sa dette locative, s’appliquait aux baux en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi ALUR (Civ. 3e, avis, 16 févr. 2015, n° 14-70.011, Dalloz actualité, 2 mars 2015, obs. Y. Rouquet ; D. 2015. 489
; ibid. 1178, obs. N. Damas
; AJDI 2015. 608
, obs. N. Damas
; RTD civ. 2015. 569, obs. P. Deumier
).
Méticuleusement, l’avocat général Sturlèse s’est penché sur cette question, précisant que lorsque « le délai d’acquisition de la clause a été contractualisé, celui-ci ne peut plus être considéré comme un effet légal du contrat. Il importe ainsi de respecter les stipulations contractuelles établies conformément « avec la loi ancienne alors en vigueur ».
Relevons cependant que le délai légal de deux mois est le délai minimal applicable et les parties n’avaient ainsi pris aucune liberté quant à sa fixation, alors même que la norme d’ordre public de protection du locataire, permettait aux parties de fixer un délai plus long que le délai de deux mois.
Ces développements sont assez similaires à ceux du Tribunal judiciaire de Bobigny, qui a adopté le délai de deux mois au motif, d’une part, que la volonté des parties devait s’imposer et que d’autre part, la stipulation contractuelle qui a procédé à l’insertion dans le bail d’une clause résolutoire assortie d’un délai de deux mois ne saurait être qualifiée d’effet légal du contrat, dénonçant – ce que beaucoup de praticiens ont pu eux-mêmes constater – une difficulté liée à la délivrance d’un commandement de six semaines, visant une clause résolutoire assortie d’un délai de 2 mois (TJ Bobigny, 19 avr. 2024, n ° 24/00059, n° 24/00202 et n° 24/00203 ; 28 mai 2024, n° 24/00342). D’autres auteurs ont, à ce titre, relevé des décisions similaires rendues par le Tribunal judiciaire de Bobigny (Loyers et copr. 2024, n° 101, obs. B. Vial-Pedroletti).
Un avis qui remédie à une appréciation juridictionnelle en ordre dispersé
Il est intéressant de constater que les juridictions se sont prononcées assez diversement, avant que la Cour de cassation rende l’avis objet du présent commentaire. Tout d’abord, une majorité des décisions consultées ont été rendues en faveur de l’application immédiate du délai de six semaines, en dépit d’une clause contractuelle du bail en cours, stipulant un délai de deux mois (par ex., TJ Bobigny, 29 avr. 2024, n° 24/00134 ; TJ Bordeaux, 12 avr. 2024, n° 24/00147). En ce sens, certaines juridictions ont évoqué la théorie des effets légaux du contrat … en excluant l’application du délai de 6 mois aux commandements délivrés avant le 29 juillet 2023 (TJ Évry, 30 mai 2024, n° 24/00074 et n° 23/01597).
Certaines juridictions ont, quant à elles, adopté le délai de deux mois. Les décisions ci-après illustrent ces divers courants jurisprudentiels.
Certaines juridictions ont appliqué le délai de deux mois sans justification particulière, relevant pour notre part qu’une contestation du locataire semble peu probable sur cet aspect, le juge statuant sur un délai qui lui est plus favorable que celui de la nouvelle loi (TJ Lille, 27 mai 2024, n° 24/01582).
D’autres juridictions ont constaté l’absence de volonté des parties de se soumettre à la nouvelle réglementation. Par un jugement rendu le 24 mai 2024, le Tribunal judiciaire de Rennes a appliqué le délai de deux mois, au motif que « les stipulations du contrat de bail doivent prévaloir sur les dispositions légales qui ne peuvent avoir d’effet rétroactif sur les contrats conclus antérieurement à leur entrée en vigueur » et « en l’absence d’autre élément permettant d’établir une volonté des parties de voir appliquer le droit nouveau à leur contrat de bail » (TJ Rennes, 24 mai 2024, n° 23/09496). Dans la même veine, le Tribunal judiciaire d’Évry a appliqué le délai de deux mois à un commandement de payer délivré le 25 septembre 2023, précisant que la clause résolutoire « ne produit effet que six semaines après un commandement de payer demeuré infructueux, sauf disposition amiable plus favorable au locataire » (TJ Évry, 31 mai 2024, n° 24/00314). L’expression de « disposition amiable » visait, très probablement, la stipulation contractuelle du bail en cours à la date de l’entrée en vigueur de la loi.
Pour sa part, le Tribunal judiciaire de Paris a pu se prononcer en faveur du délai de deux mois, jugeant que le délai de six semaines ne correspondait pas au délai légal existant lors de la signature du contrat de bail versé au dossier, faisant ainsi prévaloir la loi en cours à la conclusion du bail (TJ Paris, 13 juin 2024, n° 24/01807 ; v. aussi, TJ Paris, 16 mai 2024, n° 23/10154).
Enfin, on relèvera un jugement rendu le 22 avril 2024 par le Tribunal judiciaire de Saint-Denis-de-la-Réunion, qui a appliqué le délai de six semaines de la loi Kasbarian à un commandement délivré après le 29 juillet 2023, jugeant « le nouveau délai de six semaines » résultant de la loi du 27 juillet 2023 est « d’application immédiate pour tous les contrats en cours » à deux exceptions : si le commandement a été délivré avant le 29 juillet 2023 ou s’il a été délivré postérieurement au 29 juillet 2023 mais qu’il mentionne « un délai de deux mois pour payer la dette locative, en vertu d’une clause résolutoire visant un délai de deux mois » (TJ Saint-Denis-de-la-Réunion, 22 avr. 2024 n° 24/00143). La juridiction de Saint-Denis-de-la-Réunion a reproduit à l’identique son raisonnement dans plusieurs décisions, qui portaient cependant sur des commandements délivrés avant l’entrée en vigueur de la loi Kasbarian (TJ Saint-Denis-de-la-Réunion, 22 avr. 2024, n° 24/00142 ; n° 24/00190).
Conséquences pratiques, directes ou indirectes, de l’avis de la Cour de cassation
Tentons désormais de résumer les solutions applicables, à date, sans se limiter à la solution apportée par l’avis de la troisième chambre de la Cour de cassation, relevant que l’ensemble des éléments ci-après resteront, naturellement, soumis à l’appréciation des juridictions saisies. Il s’agit simplement d’opinions partagées. Dans les exemples ci-dessous, nous visons les baux en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi, et les commandements de payer visant la clause résolutoire signifiés postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi.
Les baux en cours à l’entrée en vigueur de la loi Kasbarian
S’agissant des baux en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi Kasbarian et dotés d’une clause résolutoire visant un délai de deux mois pour défaut de paiement, le délai de deux mois doit être respecté. Le commandement de payer visant la clause résolutoire doit donc viser le délai de deux mois.
S’agissant des baux en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi Kasbarian, qui excluent expressément toute clause résolutoire, il nous semble que la clause résolutoire induite de la loi Kasbarian pourrait ne pas trouver à s’appliquer, en raison de la volonté des parties, à la date de la conclusion du bail en cours, de ne pas stipuler de clause résolutoire au bail, au bénéfice du locataire.
S’agissant des baux en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi Kasbarian, qui présentent une rédaction défaillante de la clause résolutoire (par ex., en fixant un délai de 1 mois), la question est plus complexe. En effet, appliquer la loi Kasbarian viendrait à réparer une défaillance rédactionnelle, s’agissant d’un délai d’ordre public de protection du locataire dont la violation entraîne l’irrégularité de la clause (pour un ex. en matière de bail commercial, Civ. 3e, 8 déc. 2010, n° 09-16.939, D. 2011. 9, obs. Y. Rouquet
; ibid. 1786, obs. M.-P. Dumont-Lefrand
; AJDI 2011. 362
, obs. M.-P. Dumont-Lefrand
; ibid. 519
, obs. J.-P. Blatter
; RTD com. 2011. 316, obs. F. Kendérian
). Dans ces conditions, il n’est pas exclu que la clause résolutoire soit inopérante, en dépit de l’entrée en vigueur de la loi Kasbarian.
Les baux tacitement reconduits après l’entrée en vigueur de la loi Kasbarian
Les stipulations des baux tacitement reconduits étant identiques à celles du bail initial, la clause résolutoire du bail initial assortie d’un délai de deux mois, plus favorable au locataire, nous paraît toujours valable au lieu et place du nouveau délai de six semaines.
Les baux expressément renouvelés et les nouveaux baux conclus à la suite de l’entrée en vigueur de la loi Kasbarian
Les parties prendront soin d’établir des baux conformes à la réglementation applicable à leurs dates de signature. Il conviendra cependant de faire particulièrement attention quant à l’adoption du bail type par décret, qui n’a pas été mis en conformité à la loi Kasbarian, à la date de la présente étude. Pas plus que la notice jointe, qui fait état toujours état d’un délai de deux mois et non d’un délai de six semaines (Décr. n° 2015-587 du 29 mai 2015 ; Arr. n° TREL2236647A du 16 févr. 2023). Aussi, il convient de ne pas se prévaloir de ces textes, tant qu’ils ne seront pas actualisés.
Propos conclusifs
La troisième chambre de la Cour de cassation insuffle certainement une dose de sécurité juridique au contentieux locatif d’habitation. Néanmoins, la jurisprudence n’est pas toujours très lisible, de sorte qu’on ne peut ignorer l’inspiration consumériste du droit des baux d’habitation, qui poursuit son cheminement, même lorsque les réformes législatives apportent un rééquilibrage au profit du bailleur.
Restons désormais attentifs à l’accueil qui sera fait à cet avis du 13 juin 2024.
La rédaction remercie M. l’avocat général Bruno Sturlèse pour la communication de son avis.
Civ. 3e, avis, 13 juin 2024, P+B, n° 24-70.002
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