Comment freiner l’inexorable hausse des détentions provisoires ?
Au 1er janvier 2025, 24 285 personnes étaient en détention provisoire. Le chiffre a fortement augmenté ces dernières années. Dalloz actualité publie le rapport d’inspection, remis en avril 2024 qui s’est penché sur cette hausse. L’inspection formule plusieurs préconisations.
Selon les textes et l’esprit de la loi, l’incarcération avant jugement ne devrait être qu’exceptionnelle et prononcée qu’en dernier recours. Pourtant, au 1er janvier, 24 285 personnes étaient en détention provisoire. Un nombre qui n’a cessé d’augmenter ces dernières années. En 2019, le nombre total d’années passées en détention provisoire avant condamnation définitive s’élevait à 17 878, contre 12 648 en 2011 (+ 43 %).
Fin 2023, le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti avait saisi l’Inspection générale de la justice (IGJ) pour analyser la situation et identifier les leviers qui permettraient, dans un contexte de surpopulation carcérale, de réduire le nombre de personnes en détention provisoire. Dalloz actualité publie le rapport « Structure et durées de la détention provisoire », remis en avril 2024 et jusqu’ici non public.
Une exception banalisée
Cette hausse des détentions provisoires est coûteuse. D’abord, parce qu’elle remplit les maisons d’arrêt, déjà en état de surpopulation permanente. Pour l’inspection, « paradoxalement, ces milliers de personnes présumées innocentes subissent des conditions de détention plus strictes que les personnes condamnées sur lesquelles une attention particulière est portée pour préparer leur sortie et leur réinsertion ». Outre la charge pour l’administration pénitentiaire, l’indemnisation des détentions indues a coûté près de 15 millions d’euros en 2023, pour 650 dossiers.
La détention provisoire influence la peine finalement prononcée. À faits égaux et toutes choses égales par ailleurs, un placement en détention provisoire « multiplie par huit le risque d’être condamné à un emprisonnement ferme et que les personnes ayant été incarcérées avant leur jugement sont neuf fois sur dix condamnées à une peine de prison ferme contre 38 % des auteurs laissés libres, et pour des durées deux fois plus longues que ces derniers ».
L’inspection observe une augmentation significative du nombre des courtes détentions provisoires, due notamment aux affaires de violences par conjoint. Mais la hausse est principalement due à l’allongement des procédures : la durée moyenne de la détention effectuée avant jugement est passée de moins de 9 mois en 2014 à 11,5 mois en 2022 (+ 35 %).
Développer les alternatives à la détention provisoire
La mission note la sous-utilisation des mesures de contrôle alternatives à la détention provisoire. « Ainsi seules 55 % des places offertes dans le cadre du dispositif expérimental du contrôle judiciaire avec placement probatoire étaient occupées en mai 2023 et, malgré une politique volontariste, on ne recensait que 543 personnes placées sous assignation à résidence sous surveillance électronique (ARSE) au 1er janvier 2023 ».
Le rapport identifie plusieurs causes à la sous-utilisation de l’ARSE : l’enquête de faisabilité est chronophage (d’autant que certains SPIP refusent d’effectuer des visites à domicile), les délais de pose sont excessifs et la gestion des incidents techniques trop lourde. Enfin, l’imputation du temps passé sous ARSE sur le quantum de la peine de prison prononcée a régulièrement été citée « comme étant un frein important au prononcé de cette mesure » par certains magistrats qui voient cela comme une injustice. La mission regrette aussi que le suivi du contrôle judiciaire fasse l’objet de peu de contrôles inopinés. Elle propose d’expérimenter des dispositifs de semi-liberté ou de placements extérieurs provisoires.
Pour envisager des solutions alternatives à la détention provisoire, le législateur a mis en place des enquêtes sociales rapides (ESR), qui informent le magistrat sur la situation de la personne poursuivie. Or, les magistrats regrettent leur faible fiabilité « en raison de la fréquence des attestations de complaisance ». Ils soulignent aussi « que les rapports d’ESR réalisés par des associations sont de qualité inégale ». La mission souhaite que la Chancellerie harmonise les conditions d’intervention et de financement de ces acteurs associatifs, avec un pilotage national qui fait défaut.
Les ESR peuvent aussi être faites par les fonctionnaires des SPIP, mais les magistrats interrogés regrettent leur faible disponibilité. Sur le modèle espagnol, l’inspection suggère d’expérimenter une trame d’ESR dématérialisée, alimentée automatiquement des éléments d’identité recueillis pendant la garde à vue. Le déploiement du logiciel Prisme pourrait même permettre à terme un dossier unique de personnalité, comme pour les mineurs.
Les détentions provisoires du week-end
La mission note que de nombreuses juridictions ont un recours accru à la détention provisoire les week-ends. L’organisation d’une audience de comparution immédiate étant trop coûteuse, les personnes sont placées en détention provisoire pour quelques jours. Pourtant, en 2023, 7,7 % des personnes placées en détention provisoire un vendredi ont pourtant été libérées la semaine suivante. La détention provisoire devient alors « une variable dépendant directement des organisations de travail ».
Pour limiter les détentions provisoires, la mission salue l’organisation mise en place à Toulon, où un projet de juridiction a permis de développer les procédures rapides, proposant des ordonnances pénales délictuelles défèrement, des compositions pénales sur défèrement et des CRPC défèrement. L’objectif est de tirer profit de toutes les possibilités procédurales, en sortant de l’alternative comparution immédiate/comparution sur procès-verbal. Mais cela nécessite un engagement de toute la chaîne pénale.
Pour diminuer la durée des longues détentions provisoires, il n’y a pas de solution magique. Les pistes d’amélioration pour réduire les informations judiciaires « relèvent plus des moyens alloués aux investigations, extractions et expertises, qu’aux allégements procéduraux ». Elle propose toutefois, pour accroître la capacité de jugement, d’étendre la compétence du juge unique (déjà élargie par 7 lois successives entre 2019 et 2022). Elle suggère aussi de mettre en place une politique volontariste favorisant le recours à la procédure de CRPC tant en première instance qu’en appel.
Rapport, Structure et durées de la détention provisoire, avr. 2024
© Lefebvre Dalloz