Comment réduire les 13 milliards d’euros de fraude sociale ?

Le Haut conseil du financement de la protection sociale vient de publier un rapport sur la lutte contre la fraude sociale. Pour la première fois, cette fraude a été évaluée à 13 milliards d’euros. Le Haut conseil formule plusieurs propositions pour la combattre sur l’abus de droit, le seuil de dépôt de plainte, le revenu social de référence ou la mutualisation des contrôles.

Dans son rapport publié la semaine dernière, le Haut conseil du financement de la protection sociale (HCFiPS) a décidé de se pencher sur la fraude sociale. En 2023, un peu plus 2 milliards d’euros de fraude ont été détectés (ou évités) et 600 millions d’euros ont été recouvrés. Mais, jusqu’ici, il n’y avait pas de réelle estimation de la fraude. Au regard des données disponibles, le HCFiPS considère « que le manque à gagner généré par la fraude pour la sécurité sociale avoisine 13 milliards d’euros ». Un chiffre minoré, certaines fraudes étant difficiles à estimer. « La part des assurés, et notamment des titulaires de minima sociaux, est faible dans l’ensemble ». Ainsi, la fraude au RSA sur laquelle se focalise souvent l’attention » ne représente qu’1,5 milliard et celle des professionnels de santé est d’un montant comparable (1,7 milliard). L’essentiel provient du travail dissimulé (près de 7 milliards d’euros).

Élargir l’abus de droit social

Le rapport est riche de 81 propositions, allant dans des directions très diverses. Il fait d’abord le point sur l’abus de droit social. La loi Essoc a permis de franchir un « grand pas » dans la distinction entre fraude et erreur : est « fraude » tout ce qui ne relève pas de la bonne foi. Toutefois, ce toilettage n’a pas eu lieu dans certaines branches de la sécurité sociale, qui continuent à considérer les notions de « faute » ou d’« abus », entre l’erreur et la fraude.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2024 a tenté de simplifier le dispositif d’abus de droit social. S’il est trop tôt pour en faire le bilan, le HCFiPS s’interroge sur l’idée de le rapprocher de l’abus de droit fiscal. L’abus de droit en matière de cotisation sociale vise les cas où le cotisant a pour motif « exclusif » d’éluder ou d’atténuer un prélèvement, alors que ce motif est plus large en fiscal (« principal »). Par ailleurs, les pénalités sont nettement plus importantes en fiscal (40 % voir 80 % et non 20 %). Le dispositif de l’abus de droit, pour l’instant limité au recouvrement, pourrait également être étendu aux prestations. Selon le rapport, certains organismes « ont souligné l’intérêt que pourrait avoir un tel dispositif notamment pour lutter contre les marchands de sommeil. »

Réduire les dépôts de plainte

Le rapport s’interroge sur la pertinence des seuils au-delà desquels les caisses sont tenues de déposer plainte en se constituant partie civile. Ils sont égaux à quatre ou huit plafonds en fonction des branches, ils pourraient être réévalués. Ces seuils « sont souvent jugés trop peu élevés par les caisses, dans la mesure où l’institution judiciaire n’est pas en capacité de prendre en charge l’ensemble des dossiers ». Les classements sans suite sont nombreux, ce qui est « symboliquement problématiques alors que les organismes ont qualifié les situations de frauduleuses ».

D’autant que « certains organismes considèrent à tort qu’ils ne peuvent engager à la fois des sanctions administratives et des sanctions pénales au nom du principe "non bis in idem" ». En cas de dépôt de plainte, ils abandonnent la sanction administrative : cela conduit donc parfois à voir les fraudes les plus graves échapper à toute sanction. Dès lors, le HCFiPS préconise de rehausser les seuils, soit un mouvement inverse à l’abaissement du « Verrou de Bercy » en matière fiscale.

Autre point : le rapport suggère d’intégrer le produit des activités illicites dans le calcul des prestations sociales. Car, « alors qu’il a été précisé en matière fiscale en 2009, le traitement des activités illicites n’est pas explicité en matière sociale ». Le rapport suggère donc de faire évoluer la loi, même si cela nécessitera « une forte coopération avec l’institution judiciaire et l’administration fiscale » pour informer systématiquement les URSSAF et les CAF des condamnations prononcées.

Vers un « revenu social de référence » ?

Le HCFiPS veut également rapprocher les caisses entre elles, ou avec le fisc, en matière de partage d’outils. Ainsi, pour faciliter l’accès aux prestations et aux contrôles, le HCFiPS préconise la mise en place d’un « revenu social de référence ». Il serait fixé par le législateur et s’imposerait pour toute nouvelle prestation.

Le rapport propose également d’engager une expérimentation sur la mise en place de délégations de contrôle entre les URSSAF et la sphère fiscale sur le périmètre des travailleurs indépendants. Autre rapprochement : pour contrôler la vente sur les plateformes, qui reste une zone mal régulée, la CNAM, France Travail et la CCMSA pourraient ainsi avoir accès au fichier DGFiP relatif aux plateformes.

 

Rapport du HCFiPS

© Lefebvre Dalloz