Commission d'ouverture des demandes de prêt et clauses abusives

Dans un arrêt rendu le 16 mars 2023, Caixabank SA c/ X., la Cour de justice de l'Union européenne précise de nouveau certaines constantes concernant la directive 93/13/CEE autour des commissions d'ouverture en matière de crédits octroyés aux consommateurs

L’utilisation du renvoi préjudiciel en matière de clauses abusives continue d’être particulièrement riche en droit de la consommation. Les arrêts rendus par la Cour de justice de l’Union sont très nombreux, à ce titre, ces derniers mois (v. par ex. dernièrement, CJUE 12 janv. 2023, aff. C-395/21, Dalloz actualité, 17 janv. 2023, obs. C. Hélaine ; AJDA 2023. 491, chron. P. Bonneville, C. Gänser et A. Iljic  ; D. 2023. 70  ; 22 sept. 2022, aff. C-335/21, Dalloz actualité, 3 oct. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2023. 616, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud  ; 8 sept. 2022, aff. jtes C-80/21 à C-82/2, Dalloz actualité, 16 sept. 2022, obs. C. Hélaine ; D. 2022. 1596  ; Rev. prat. rec. 2022. 25, chron. K. De La Asuncion Planes ). Aujourd’hui, nous nous intéressons à une affaire relative aux contrats de crédit nous venant tout droit des juridictions espagnoles. Rappelons brièvement les faits pour en comprendre toute la portée. Le 21 septembre 2005, un consommateur décide de conclure avec un établissement bancaire un contrat de crédit avec une garantie hypothécaire pour un montant de 130 000 € qui prévoyait un versement d’un montant de 845 € au titre des commissions d’ouverture de la prestation reçue. Le 24 avril 2018, le consommateur demande en justice la nullité de la clause relative à la commission d’ouverture et la restitution de la somme versée. La demande est accueillie par le Juzgado de Primera Instancia (le tribunal de première instance espagnol). Celui-ci juge nulle la clause et non avenue : il condamne l’établissement bancaire à rembourser au consommateur le montant payé. La banque interjette appel auprès de la juridiction compétente, à savoir l’Audiencia Provincial de Palma de Mallorca (la cour provinciale de Palma de Majorque en Espagne). La cour d’appel refuse de faire droit à la demande de la banque puisque, selon elle, celle-ci n’aurait pas établi que le montant de la commission correspondait à la prestation d’un service effectivement réalisé. La banque s’est donc pourvue en cassation devant le Tribunal Supremo (la Cour suprême d’Espagne). C’est précisément la Cour suprême qui se questionne sur la législation européenne. Elle estime que l’arrêt du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria (aff. C‑224/19 et C‑259/19, D. 2020. 1516  ; ibid. 2021. 594, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ), qui intéresse le même établissement bancaire, souffre d’une difficulté majeure : la juridiction de renvoi concernée à cette époque aurait présenté la réglementation espagnole de manière déformée. Ceci aurait donc conduit à une hésitation sur la portée réelle de l’arrêt Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, qui justifie, selon elle, le renvoi de trois nouvelles questions préjudicielles. Elle décide de surseoir à statuer dans cette optique.

Voici les questions posées à la Cour de justice de l’Union européenne dans l’affaire C-565/21 :

1) L’article 3, paragraphe 1, et les articles 4 et 5 de la directive [93/13] s’opposent-t-ils à une jurisprudence nationale qui, eu égard à la réglementation spécifique de la commission d’ouverture en droit national, en tant que rémunération des services liés à l’examen, à l’octroi ou au traitement du prêt ou du crédit hypothécaire ou d’autres services similaires inhérents à l’activité du prêteur occasionnée par l’octroi du prêt ou du crédit, versée en une seule fois et, en règle générale, au moment de la conclusion du contrat, considère que la clause établissant une telle commission régit un élément essentiel du contrat, puisque cette dernière est une composante principale du prix, et que l’on ne saurait conclure au caractère abusif de cette clause si elle est rédigée de manière claire et compréhensible, au sens large établi par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne ?

2) L’article 4, paragraphe 2, de la directive 93/13/CEE s’oppose-t-il à une jurisprudence nationale qui, aux fins de l’appréciation du caractère clair et compréhensible de la clause régissant un élément essentiel du contrat de prêt ou de crédit hypothécaire, prend en considération des éléments tels que la connaissance répandue d’une telle clause parmi les consommateurs, les informations que l’établissement financier est tenu de donner à l’emprunteur potentiel conformément à la réglementation relative aux fiches d’information standardisées, la publicité des établissements bancaires, l’attention particulière que le consommateur moyen prête à cette clause, dans la mesure où il s’agit d’un élément du prix qui doit être intégralement versé au début du prêt et qui constitue une part substantielle du sacrifice économique que représente l’obtention du prêt pour le consommateur, ainsi que le fait que le libellé, l’emplacement et la structure de la clause permettent de constater qu’il s’agit d’un élément essentiel du contrat ?

3) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 93/13/CEE s’oppose-t-il à une jurisprudence nationale qui considère qu’une clause contractuelle telle que celle en cause au principal, relative à la commission d’ouverture d’un contrat de prêt ou de crédit ayant pour objet la rémunération de services liés à l’examen, à la constitution et au traitement personnalisé d’une demande de prêt ou de crédit (étude de la viabilité du prêt, de la solvabilité du débiteur, des charges grevant l’immeuble sur lequel l’hypothèque sera constituée, etc.), conditions préalables à l’obtention d’un tel prêt ou crédit, et étant expressément prévue par la réglementation nationale en tant que rémunération des tâches inhérentes à l’octroi du prêt ou du crédit, ne crée pas au détriment du consommateur un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties découlant du contrat, en dépit de l’exigence de bonne foi ?

Commission d’ouverture et possibilité du contrôle des clauses abusives

La Cour de justice est d’abord saisie de deux questions concernant l’exclusion théorique du contrôle des clauses abusives de l’article 4, § 2, de la directive.

La première question posée implique de déterminer si la clause litigieuse relève de l’objet principal du contrat au sens de l’article 4, § 2, de la directive en ce qu’elle représente l’une des composantes principales du prix. L’arrêt commence donc par rappeler le contenu de la disposition en question : le contrôle des clauses abusives ne porte pas sur la définition de l’objet principal ni sur l’adéquation entre le prix et la rémunération et les services et biens à fournir en contrepartie tant que ces clauses sont rédigées de manière claire et compréhensible. Au paragraphe n° 17 de son arrêt, la Cour rappelle le contenu de ce que l’on entend par l’objet principal du contrat, i.e. les clauses fixant les prestations essentielles de la convention et qui la caractérisent. Ces clauses s’opposent à celles « qui revêtent un caractère accessoire » par rapport à celles définissant l’essence du rapport contractuel. Mais en tant qu’exception, l’article 4, § 2, de la directive ne saurait qu’être interprétée strictement (§ n° 23). Ce principe méthodologique souvent rappelé dans les arrêts de la Cour de justice conduit cette dernière à refuser d’intégrer dans l’objet principal du contrat des prestations qui sont simplement en lien avec l’objet principal. Cette volonté d’éviter les extensions de l’exception permet de sauvegarder dans le giron du droit des clauses abusives de la directive toute une série de clauses pouvant théoriquement être contrôlées. Par conséquent, la clause prévoyant la commission d’ouverture d’un contrat de crédit ne saurait être utilement qualifiée de clause intéressant l’objet principal du contrat. Une telle stipulation contractuelle peut donc tout à fait faire l’objet par le juge national d’un contrôle au titre des clauses abusives. Cette possibilité théorique est bienvenue en ce que rien ne permettrait, effectivement, de rattacher la stipulation litigieuse à l’objet principal du contrat de prêt.

La deuxième question concerne le caractère clair et compréhensible de la clause prévoyant la perception d’une commission d’ouverture, étant précisé que l’on ne parle pas de l’exception de l’article 4, § 2, ici mais de l’exigence de clarté générale de l’article 5 de la directive qui impose ce critère à toutes les clauses proposées au consommateur par écrit. Au paragraphe n° 30, la Cour de justice de l’Union européenne rappelle ainsi ce que l’on appelle l’exigence de transparence qui est énoncée à cet article. Cette exigence n’est pas seulement formelle ou grammaticale, elle doit être entendue de manière extensive, ce qui dénote avec l’appréciation stricte de l’exception de l’article 4, § 2, étudiée précédemment. La solution est connue puisque l’article 5 est un principe général de rédaction des clauses à destination du consommateur. Il faut donc non seulement que la clause soit intelligible mais également qu’elle expose de manière transparence le fonctionnement du mécanisme en cause et donc des conséquences économiques résultant du contrat. L’arrêt insiste sur l’inégal rapport de force qui existe entre le professionnel, pour la juridiction de renvoi en l’occurrence le prêteur de deniers, et le consommateur. Sont repris les critères de l’arrêt Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria comme « la publicité et l’information fournies par le prêteur dans le cadre de la négociation d’un contrat de prêt, et en tenant compte du niveau d’attention pouvant être attendu d’un consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé ».

Mais c’est ici où les difficultés d’interprétation du droit national espagnol apparaissent puisque la Cour suprême, juridiction de renvoi, soulignait que dans l’affaire du 16 juillet 2020, Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria, le droit espagnol avait été mal retranscrit. Celle-ci a donc rappelé que sa jurisprudence ne prévoyait aucune automaticité eu égard aux obligations imposées par la réglementation nationale, d’où le libellé de la deuxième question préjudicielle sur les éléments permettant d’apprécier le caractère clair et compréhensible d’une telle clause, à savoir ceux « tels que la connaissance répandue d’une telle clause parmi les consommateurs, les informations que l’établissement financier est légalement tenu de donner à l’emprunteur potentiel, la publicité des établissements bancaires, l’attention particulière que le consommateur moyen est susceptible de prêter à cette clause, dans la mesure où elle prévoit le paiement intégral d’une somme substantielle dès l’octroi de ce prêt ou de ce crédit, ainsi que le fait que le libellé, l’emplacement et la structure de la clause permettraient de constater qu’il s’agit d’un élément important du contrat ».

Pour répondre à cette interrogation, la cour de justice commence donc par rappeler qu’il ne lui appartient pas de vérifier si l’interprétation du droit national fait par la juridiction de renvoi est correcte. La Cour élimine, ensuite, les éléments non pertinents pour sélectionner ceux qui le sont :

  • la connaissance répandue parmi les consommateurs ne saurait être prise en considération pour apprécier le caractère clair et compréhensible (n° 41 de l’arrêt). C’est une situation assez logique car cet élément n’a aucune espèce de rapport avec la rédaction de la clause ;
  • les informations que l’établissement financier est tenu de donner à l’emprunteur conformément à la réglementation nationale sont des éléments pertinents (n° 42). Là-encore, la décision est empreinte de bon sens car ceci participe à l’élaboration du consentement du consommateur ;
  • la publicité de l’établissement financier au sujet du type de contrat souscrit doit être prise en compte (n° 43 de l’arrêt) ;
  • l’attention particulière que le consommateur moyen prête à une telle clause puisse être prise en compte (n° 44). Sur ce point, il faut bien noter le caractère vaporeux du critère bien difficile à mobiliser et à démontrer ;
  • l’emplacement et la structure de la clause, enfin, permettent de constater si la stipulation est un élément important du contrat, ce qui facilite l’évaluation des conséquences économiques dans le cadre de ce contrôle.

La deuxième question permet d’aboutir à une réponse simple : en contemplation des éléments de faits précédemment cités et jugés pertinents, le juge doit vérifier que l’emprunteur a bien été en mesure d’évaluer les conséquences économiques de la clause de commission d’ouverture eu égard à l’exigence de transparence. Reste donc à étudier la question sur la nature même du contrôle des clauses abusives.

Sur le contrôle en lui-même

Nous serons plus bref sur cette partie de l’arrêt. La troisième et dernière question implique de déterminer si la clause de commission d’ouverture ne vient pas créer le déséquilibre significatif qu’évoquent les textes de la directive. Voici l’occasion de rappeler le caractère concret du contrôle « en fonction des circonstances propres au cas d’espèce ». Est également évoqué le principe même de la détermination du déséquilibre significatif (pt n° 51 de l’arrêt). Là-encore, une présentation erronée dans l’arrêt Caixabank et Banco Bilbao Vizcaya Argentaria du 16 juillet 2020 aurait influencé la décision en question. La Cour suprême, juridiction de renvoi, rappelle qu’il aurait été omis à cette occasion de décrire le droit spécial gouvernant la commission d’ouverture ayant un régime distinct des autres commissions bancaires. Il existerait, en outre, une difficulté de combinaison de cette décision de 2020 avec un arrêt Kiss et CIB Bank (CJUE 3 oct. 2019, aff. C-621/17, D. 2019. 1932  ; ibid. 2020. 624, obs. H. Aubry, E. Poillot et N. Sauphanor-Brouillaud ).

La Cour de justice doit donc se mener à une interprétation de ses propres arrêts. L’arrêt du 16 mars 2023 rappelle donc qu’une jurisprudence nationale qui viendrait considérer que le paiement par l’emprunteur d’une commission d’ouverture destinée à rémunérer les services liés à l’examen de son dossier peut ne pas créer un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties n’est pas contraire à l’article 3, § 1, de la directive 93/13/CEE. Encore faut-il évidemment que la jurisprudence nationale laisse une certaine marge de manœuvre : une jurisprudence qui viendrait énoncer que la clause établissant la commission d’ouverture ne saurait pas, en tout état de cause, être abusive violerait assurément l’article 3, § 1, de la directive 93/13/CEE. Voici de quoi rassurer les spécialistes du droit de la banque. La commission d’ouverture peut, sous réserve de l’interprétation faite par les juridictions internes, ne pas être considérée comme une clause abusive si la stipulation n’affecte pas de manière défavorable la position du consommateur.

Le juge reste tenu d’un contrôle concret de la clause en fonction des documents contractuels remis au consommateur. C’est parce que la commission d’ouverture rémunère les services liés à l’examen du dossier de l’emprunteur qu’une telle interprétation reste possible en l’état. Des garde-fous sont érigés notamment, en premier lieu, au paragraphe n° 59 de l’arrêt à travers la disproportion de la commission par rapport au montant du prêt qui permettrait de déclencher la protection des clauses abusives en pareille situation. En somme, nous l’aurons compris, une telle clause de commission d’ouverture n’est pas nécessairement abusive. Les crans de sécurité sont toutefois nombreux pour rappeler que le juge peut, en toutes circonstances, opérer son contrôle et démontrer un déséquilibre significatif en fonction de la rédaction et de l’environnement de la stipulation contractuelle concernée en l’espèce.

Voici un arrêt très intéressant en matière de crédit conclu avec un consommateur. L’établissement bancaire doit se méfier de la rédaction de sa clause de commission d’ouverture qui rémunère les services liés à l’examen du dossier. Mais sous réserve d’une rédaction cohérente et respectueuse de la directive, une telle stipulation n’est pas nécessairement abusive selon la Cour de justice de l’Union européenne.

© Lefebvre Dalloz