Communication judiciaire du procureur de la République : une circulaire présente les nouvelles dispositions de l'article 11 du code de procédure pénale
Cette circulaire du 19 janvier 2023 propose des critères à prendre en compte dans les autorisations de communication données aux services d'enquête par le procureur de la République.
« Certains secrets sont essentiels à la confiance dans l’institution judiciaire (c’est le cas du secret professionnel des avocats), d’autres sèment le doute et entretiennent les critiques sur son fonctionnement, accusé de manquer de transparence » (E. Raschel, La loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et la protection du secret de la procédure pénale, RSC 2022. 645
).
Cette phrase résume bien l’esprit qui semble avoir gouverné la modification de l’alinéa 3 de l’article 11 du code de procédure pénale, telle qu’impulsée par la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire du 22 décembre 2021.
La nouvelle rédaction de l’article 11 du code de procédure pénale
Pour rappel, l’article 11 du code de procédure pénale prévoit que, sauf dans le cas où la loi en dispose autrement et sans préjudice des droits de la défense, la procédure au cours de l’enquête et de l’instruction est secrète.
La violation du secret de l’enquête ou de l’instruction est ainsi réprimée par l’article 226-13 du code pénal, lequel punit d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende la violation de tout secret professionnel. Les personnes qui divulguent des informations soumises au secret peuvent également être poursuivies si leur action constitue une entrave à l’exercice de la justice. L’article 434-7-2 du code pénal punit de deux ans d’emprisonnement de 30 000 € d’amende toute personne qui « du fait de ses fonctions, a connaissance, en application des dispositions du code de procédure pénale, d’informations issues d’une enquête ou d’une instruction en cours concernant un crime ou un délit, de révéler sciemment ces informations à des personnes qu’elle sait susceptibles d’être impliquées comme auteurs, coauteurs, complices ou receleurs, dans la commission de ces infractions, lorsque cette révélation est réalisée dans le dessein d’entraver le déroulement des investigations ou la manifestation de la vérité ».
Par ailleurs, on le sait, la jurisprudence est très stricte en matière de secret de l’enquête et de l’instruction (v. pour un ex. récent, Crim. 24 mars 2020, n° 19-80.909, D. 2020. 877
; ibid. 1643, obs. J. Pradel
; Légipresse 2020. 212 et les obs.
; ibid. 227, étude E. Dreyer
; RSC 2020. 682, obs. P.-J. Delage
), essayant sans doute de compenser par l’arme pénale des violations quotidiennes du secret que déjà en 1912 Garraud constatait (Traité théorique et pratique d’instruction criminelle et de procédure pénale, 1912, t. III, p. 16, où est signalé nettement le rôle de la presse).
Toujours est-il que l’alinéa 3 de l’article 11 du code de procédure pénale, lequel intéresse plus précisément la circulaire, objet du présent commentaire, permet malgré tout au procureur de la République de rendre publics certains éléments objectifs tirés de la procédure. Cette communication peut se faire à l’initiative du procureur ou à la demande du juge d’instruction ou des parties. Cette communication ne pouvait toutefois initialement avoir lieu qu’à deux conditions : en cas de propagation d’informations inexactes ou parcellaires ou pour mettre fin à un trouble à l’ordre public.
Seulement, le législateur, par le truchement de l’article 4 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, a modifié cet alinéa afin d’élargir le champ de la communication judiciaire du procureur de la République. Le texte prévoit désormais que le procureur de la République peut communiquer « lorsque tout autre impératif d’intérêt public le justifie ». Avec cet élargissement des objectifs de communication judiciaire, celle-ci n’apparaît plus seulement comme un outil qui peut être mobilisé en réaction à un emballement médiatique susceptible de porter atteinte à la sérénité du déroulement de la procédure. Elle permet désormais d’évoquer publiquement toute affaire si cela apparaît opportun au regard des circonstances de l’affaire, dans le respect du secret de l’enquête et de la présomption d’innocence.
L’alinéa 3 de l’article 11 prévoit par ailleurs désormais que cette communication peut se faire « par l’intermédiaire d’un officier de police judiciaire agissant avec l’accord et sous le contrôle » du procureur de la République.
Prérogative du procureur de la République, il arrive pourtant régulièrement dans la pratique que dans le cadre de sa communication, le procureur soit accompagné des services enquêteurs ou de la hiérarchie de la police ou de la gendarmerie lorsqu’il s’exprime devant la presse. Il autorise aussi parfois à communiquer à des fins de valorisation du travail accompli. Les médias – les chaînes d’information continue en particulier – sont par ailleurs très demandeurs de cette communication, l’action des services d’enquête les plaçant au plus près de l’information. Seulement cette pratique, assez couramment admise, ne reposait jusque là sur aucun cadre légal et ne bénéficiait pas d’une protection juridique suffisante.
En ouvrant légalement des fenêtres de communication aux officiers de police judiciaire, l’article 11 apporte en outre un cadre à ces pratiques en rappelant que l’autorisation donnée par le procureur aux officiers de police judiciaire de communiquer est encadrée et contrôlée pour garantir la diffusion d’une information exacte et maîtrisée.
Les critères posés par la circulaire
La circulaire relative à la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions propose des critères à prendre en compte dans les autorisations de communication données aux services d’enquête. Il en ressort que ces autorisations doivent en premier lieu s’envisager en fonction de la nature des affaires, ce afin de fluidifier la communication sur celles relevant de la délinquance du quotidien. En second lieu, ces autorisations doivent faire l’objet d’un contrôle strict de la part du procureur.
Sur le premier point, la circulaire indique qu’une autorisation de communication aux services d’enquête peut être envisagée « afin de répondre aux nombreuses sollicitations des médias, de surcroît lorsque cette communication n’appelle pas nécessairement la solennité de l’intervention d’un représentant du parquet ».
On ne manquera pas de s’interroger sur ce qui semble être un cas d’école. Par hypothèse, une affaire faisant l’objet « de nombreuses sollicitations des médias » revêt par nature un degré d’importance certain (sinon les médias ne s’y intéresseraient pas) et doit donc par nature appeler la nécessité de « la solennité de l’intervention d’un représentant du parquet », ce pour ramener un peu de calme au milieu des tumultes de l’opinion publique et de la passion médiatique. Ceci est confirmé par la liste des critères visés par la circulaire et qui pourront être pris en compte pour identifier les affaires dans lesquelles la communication judiciaire doit revenir au procureur : la personnalité de l’auteur ou de la victime, l’émotion ou l’émoi suscité par l’affaire, la mise en cause de l’action de l’État et l’intérêt des médias nationaux ou internationaux pour l’affaire. Une liste de critères qui, in fine, pourrait se résumer à son dernier dans la mesure où si l’affaire n’était pas relayée par les médias, personne n’en entendrait parler et le procureur n’aurait pas à communiquer dessus. Toujours est-il que si l’on réserve la primeur au procureur pour les affaires graves et/ou les affaires remplissant l’un ou plusieurs de ces critères, alors il ne restera pas grand-chose pour les services d’enquêtes dans la mesure où les autres affaires ne susciteront pas l’intérêt des médias.
Reste l’hypothèse des affaires du quotidien, « à faible intensité médiatique », également visée par la circulaire. Dans ce cadre, cette dernière propose la mise en place d’une autorisation permanente de communiquer donnée aux chefs de services d’enquête, ce qui pourrait avoir une vertu pédagogique d’information et de prévention auprès des citoyens. En matière de délinquance routière par exemple, cette autorisation peut porter sur les contrôles opérés, le nombre d’infractions relevées, le profil des mis en cause, les engagées et les suites judiciaires éventuellement données. La circulaire prend soin de préciser qu’il appartient au parquet de définir les catégories d’infractions susceptibles de faire l’objet d’autorisations permanentes et de préciser les modalités pratiques de cette communication (information du procureur de la République, vecteurs médiatiques utilisés etc..). On retrouve dans cet aspect pédagogique de la communication un objectif similaire à ceux poursuivis par la justice de proximité, lancée à la fin de l’année 2020. Il n’y a en effet aucun mal à ce que les citoyens aient une meilleure visibilité sur la manière dont travaillent les services d’enquête et le parquet. Il faudra seulement veiller à ce que cette communication régulière sur les affaires du quotidien ne se transforme pas en une forme de « compétition » entre les services d’enquête sur qui présentera le plus de contrôles opérés ou d’infractions relevées.
Concernant le second point évoqué par la circulaire, celui du contrôle de la communication par le procureur, une fois l’autorisation donnée, il est précisé que toute communication judiciaire doit se faire dans le strict respect de l’article 11 du code de procédure pénale. Si le nouvel article 11 du code de procédure pénale a étendu les objectifs de cette communication, il demeure inchangé sur la nature des informations susceptibles d’être rendues publiques, qui ne peuvent concerner que des « éléments objectifs tirés de la procédure ne comportant aucune appréciation sur le bien-fondé des charges retenues contre les personnes mises en cause ». L’attention des officiers de police judiciaire est enfin portée sur le nécessaire respect de la présomption d’innocence des personnes mises en cause (en veillant notamment à ne pas diffuser des éléments d’identité sur les personnes concernées) et du secret de l’enquête. Il s’agit là d’un rappel nécessaire au regard du nombre trop important d’éléments relatifs à des affaires médiatiques en cours fuitant régulièrement dans la presse.
Une réforme nécessaire ?
Au-delà de la circulaire, on pourrait s’interroger sur la nécessité qu’il y avait à réformer ces dispositions. L’article 11 du code de procédure pénale confiait déjà la communication sur les affaires en cours entre les mains du procureur, ce qui demeure encore aujourd’hui le principe. En outre, et comme indiqué précédemment, l’observation de la pratique permet déjà de mettre en exergue de nombreux cas de communication conjointe entre le procureur et les services d’enquête. Si cela existe, c’est que cela fonctionne déjà bien. Et si cela fonctionne bien, c’est parce que les procureurs ont déjà pris le pli d’encadrer cette communication au sein de leurs ressorts respectifs. S’il n’y a pas de mal à vouloir poser un cadre à de telles pratiques, il n’était peut être pas nécessaire d’aller jusqu’à modifier la loi, le procureur de la République étant capable, de lui-même, d’établir des protocoles avec les services d’enquête afin d’encadrer la communication dans son ressort. Modifier légalement les contours d’un principe, ici celui de la communication du procureur de la République, c’est toujours prendre le risque de l’affaiblir.