Compatibilité entre une autorisation d’urbanisme et une orientation d’aménagement et de programmation
Le Conseil d’État apporte une utile précision quant à la détermination de la compatibilité d’une autorisation d’urbanisme avec une orientation d’aménagement et de programmation.
Par arrêté du 11 avril 2022, le maire de la commune de Taluyers a autorisé la société d’habitation à loyer modéré Alliade Habitat la réalisation d’un ensemble immobilier de dix-sept logements. Par requête en excès de pouvoir introduite devant le Tribunal administratif de Lyon, des voisins ont demandé l’annulation dudit permis de construire. En application de l’article L. 600-5 du code de l’urbanisme, le tribunal a, par jugement du 6 juillet 2023, partiellement annulé le permis litigieux en tant, d’une part, qu’il est incompatible avec les dispositions de l’orientation d’aménagement et de programmation n° 1, dite « de La Tour-Sainte Maxime », du plan local d’urbanisme et, d’autre part, qu’il méconnaît les dispositions de l’article UB 10 du règlement de ce plan.
S’agissant de la méconnaissance du premier moyen retenu, le Tribunal administratif de Lyon a considéré que l’orientation d’aménagement et de programmation (OAP) prévoit un principe de mixité fonctionnelle pour renforcer l’entrée du village et qu’« une part importante des surfaces de plancher aménagées dans le cadre du renouvellement potentiel des parcelles logeant la route du Prieuré, au nord du périmètre, devra ainsi permettre l’accueil d’activités de service ». Or, le projet prévoit la création de dix-sept logements répartis sur trois bâtiments en R+1, à usage d’habitation, bénéficiant intégralement de prêts aidés. Dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier qu’une partie des surfaces de plancher créées en rez-de-chaussée par le projet permettra l’accueil d’activités de services. Les requérants sont ainsi fondés à soutenir que le projet est sur ce point incompatible avec l’OAP n° 1 » (TA Lyon, 2e ch., 6 juill. 2023, n° 2207194).
Saisi en cassation, le Conseil d’État annule le jugement du Tribunal administratif de Lyon et renvoie l’affaire devant la même juridiction.
Une actualisation de la jurisprudence Commune de Lavérune
Dans le deuxième paragraphe de la décision, le Conseil d’État cite pour les rappeler les dispositions des articles L. 151-2, L. 151-6, L. 151-7 et L. 152-1 du code de l’urbanisme. Aux termes de celles-ci, on se rappellera que les orientations d’aménagement et de programmation font partie des éléments susceptibles d’être compris dans un plan local d’urbanisme dont les finalités non exhaustives sont de favoriser la mixité fonctionnelle mais aussi de « mettre en valeur l’environnement, les paysages, les entrées de villes et le patrimoine, lutter contre l’insalubrité, permettre le renouvellement urbain, favoriser la densification et assurer le développement de la commune (…) ».
Initialement instaurées par la loi SRU n° 2000-1208 du 13 décembre 2000, les OAP visent à promouvoir une forme d’« urbanisme de projet » (E. Fatôme, À propos de l’urbanisme de projet, DAUH 2013. 27 et, plus réc., R. Noguellou, Où en est l’urbanisme de projet ?, RFDA 2020. 962
). À travers celles-ci, les collectivités peuvent projeter l’aménagement de zones couvertes par le PLU de manière assez fine sans assurer la maîtrise foncière. Ce procédé, relativement souple, a pu être questionné en doctrine pour son « opposabilité incertaine » (G. Godfrin, Insaisissables orientations d’aménagement et de programmation, AJDA 2017. 1262
). En pratique, comme le souligne Vincent Villette dans ses conclusions sous la décision Commune de Lavérune, « les collectivités ont eu tendance à introduire dans leurs OAP un luxe de détails, en rigidifiant ce faisant la souplesse que leur substance programmatique devait offrir ».
La décision Commune de Lavérune avait été l’occasion d’énoncer « qu’une autorisation d’urbanisme ne peut être légalement délivrée si les travaux qu’elle prévoit sont incompatibles avec les orientations d’aménagement et de programmation d’un plan local d’urbanisme et, en particulier, en contrarient les objectifs ». C’était alors l’occasion de rappeler le rapport de compatibilité entre l’autorisation d’urbanisme et l’OAP. C’était aussi un moyen, à travers la mise en exergue des « objectifs », d’insister sur la raison d’être de ces orientations. Pour Vincent Villette « il s’agit de tracer une épure, pour matérialiser une ambition sans pourtant se lier les mains – dès ce stade – avec des précisions qui viendraient ensuite pétrifier les marges d’adaptation de la collectivité face à l’inventivité du réel et à l’écoulement du temps » (V. Villette, concl. sur CE 30 déc. 2021, nos 446763-446766, Dalloz actualité, 20 janv. 2022, obs. L. Zaoui ; Lebon
; AJDA 2022. 15
).
Cet extrait de la décision Commune de Lavérune est expressément repris dans la décision du 18 novembre 2024 après que le Conseil d’État ait cité les textes désormais applicables au litige. En cela, la décision évoquée constitue une actualisation bienvenue au regard de la renumérotation du code de l’urbanisme.
Une jurisprudence enrichie
Le Conseil d’État ajoute que « cette compatibilité s’apprécie en procédant à une analyse globale des effets du projet sur l’objectif ou les différents objectifs d’une orientation d’aménagement et de programmation, à l’échelle de la zone à laquelle ils se rapportent ». Il résulte de cet énoncé qu’il appartient aux services instructeurs et au juge administratif d’apprécier la compatibilité à l’échelle de la zone visée par l’OAP.
Cette définition de la compatibilité rejoint celle énoncée, à une autre échelle, quant à l’application d’un tel rapport entre un plan local d’urbanisme (PLU) et un schéma de cohérence territoriale (SCoT). En effet, dans sa décision ROSO (CE 18 déc. 2017, n° 395216, Dalloz actualité, 8 jan. 2018, obs. J.-M. Pastor ; Lebon
; AJDA 2018. 1348
, note J. Tremeau
; ibid. 2017. 2497
; RDI 2018. 125, obs. J.-P. Strebler
; AJCT 2018. 286, obs. P. Peynet
), le Conseil d’État a considéré que « leur compatibilité avec les orientations générales et les objectifs qu’ils définissent ; que, pour apprécier la compatibilité d’un plan local d’urbanisme avec un schéma de cohérence territoriale, il appartient au juge administratif de rechercher, dans le cadre d’une analyse globale le conduisant à se placer à l’échelle de l’ensemble du territoire ». La déclinaison du contrôle au regard d’un périmètre pertinent avait également pu être perçue quant à la compatibilité avec un schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (CE 25 sept. 2019, Ministre de la transition écologique et solidaire et ASA de Benon, nos 418658 et 418706, Dalloz actualité, 7 oct. 2019, obs. E. Maupin ; Lebon
; AJDA 2020. 243
, note F. Balaguer
; ibid. 2019. 1904
).
La décision Société Alliade Habitat du 18 novembre 2024 offre une nouvelle nuance du contrôle de compatibilité à l’échelle de la zone couverte par une OAP. L’adaptation du contrôle à une échelle pertinente peut paraître logique.
L’application de cette règle au point 3 de l’arrêt évoqué est conclue par une critique de la décision des juges de première instance, censurés par le Conseil d’État.
Comme vu supra, ceux-ci avaient considéré qu’il y avait une incompatibilité entre l’orientation d’aménagement et de programmation prévoyant pour renforcer la mixité fonctionnelle à l’entrée du village et garantir la mise en œuvre du projet communal dans les dix années à venir, qu’« une part importante des surfaces de plancher aménagées dans le cadre du renouvellement potentiel des parcelles longeant la route du Prieuré, au nord du périmètre, devra ainsi permettre l’accueil d’activités de services » et la création de dix-sept logements à usage d’habitation répartis dans trois bâtiments sans qu’une partie des surfaces de plancher créées en rez-de-chaussée ne permette l’accueil d’activités de services.
En se positionnant à l’échelle du projet, on peut quand même mettre au crédit du tribunal administratif que l’on voit mal comment ne pas retenir une contrariété évidente entre le permis de construire en litige et l’OAP.
Le Conseil d’État invite donc à élargir la focale en appréciant la contrariété de manière plus souple à l’échelle de la zone. Il conclut qu’en retenant l’incompatibilité « sans rechercher si les effets de ce projet devaient être regardés comme suffisants pour contrarier, par eux-mêmes, les objectifs de l’orientation d’aménagement et de programmation à l’échelle de la zone », les juges du Tribunal administratif de Lyon ont commis une erreur de droit.
Cela dit, à ce compte, chaque opération située dans l’OAP prise individuellement peut ne pas remettre en cause les objectifs à l’échelle de la zone. In fine, le cumul de projets ne remettant pas en cause l’OAP à leur échelle peut finir par vider l’orientation de sa substance.
Cette jurisprudence contribue à atténuer la portée contraignante d’une OAP. Elle semble, à cet égard, recentrer les OAP sur leur rôle initial de simple orientation.
Si les auteurs de PLU veulent donner à une OAP une force plus contraignante, il leur revient de préciser dans le règlement lui-même que les opérations dans la zone devront respecter les conditions définies par ladite orientation d’aménagement et de programmation. Dans cette hypothèse uniquement c’est un rapport de conformité qui s’applique (en ce sens, CE 11 avr. 2019, n° 406947).
CE 18 nov. 2024, Société Alliade Habitat, n° 489066
© Lefebvre Dalloz