Compensation légale invoquée par le cessionnaire du chef d’une créance cédée : la date de la notification de la cession de créance au débiteur cédé mis en procédure collective est déterminante

La compensation légale ne peut s’opérer au profit du cessionnaire du chef d’une créance cédée qu’après la notification de la cession au débiteur, laquelle doit intervenir avant le jugement d’ouverture de la procédure collective de ce dernier qui prend effet dès le jour de son prononcé.

Par principe, la survenance d’une procédure collective fait obstacle au jeu de la compensation. Étant définie comme « l’extinction simultanée de deux obligations réciproques entre deux personnes » (C. civ., art. 1347), la compensation ne semble guère compatible avec le traitement égalitaire des créanciers recherché dans le cadre d’une procédure collective (J.-Cl. Civ. Code, Extinction des obligations : compensation, confusion, remise de dette, impossibilité d’exécution, par P. Simler, spéc. § 16). Toutefois, la confrontation de la compensation avec les principes directeurs du droit des entreprises en difficulté est appréhendée de manière différente selon que ses conditions sont réunies avant le jugement d’ouverture ou après celui-ci.

Le sort de la compensation légale dans un contexte de procédure collective est particulièrement évocateur de cette dichotomie de traitement. Alors qu’elle ne peut jouer après le jugement d’ouverture afin de ne pas heurter la règle de l’interdiction de paiement des créances antérieures, il reste néanmoins possible de l’invoquer si, et seulement si, toutes les conditions de la compensation légale telles que définies par l’article 1347-1 du code civil, à savoir les conditions de fongibilité, de certitude, de liquidité et d’exigibilité des créances réciproques, ont été réunies avant le jugement d’ouverture. L’on perçoit ainsi l’enjeu de déterminer avec précision la date à laquelle les conditions de la compensation légale sont remplies. Véritable échappatoire à l’interdiction des paiements lorsque la date est antérieure au jugement d’ouverture (C. Saint-Alary-Houin, Dans quelle mesure la compensation des créances est-elle une échappatoire à l’interdiction des paiements ?, BJE mars 2021, n° 118n3, p. 9), elle se trouve au contraire paralysée si elle lui est postérieure.

En dépit de l’abandon, par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, de l’effet de plein droit de la compensation légale au jour où ses conditions sont réunies (C. civ., art. 1347, al. 2, la compensation s’opère « sous réserve d’être invoquée »), la date de son invocation par le créancier doit en revanche rester indifférente. En effet, l’effet extinctif de la compensation légale doit être décorrélé de la volonté du créancier de s’en prévaloir (en faveur de cette analyse, v. not., A. Honteberyrie, Le régime général des obligations et le rôle de la volonté dans l’acte juridique, in Mélanges A. Aynès, LGDJ, p. 297, n° 14 ; Contra, L. Andreu, L’extinction de l’obligation, Dr. et patr. 1er mai 2016, n° 258, p. 86). L’invocation par le créancier ne vise qu’à mettre en œuvre le mécanisme légal (M. Houssin, Une analyse de la compensation de créances en procédure collective, RTD com. 2021. 231, spéc. n° 11 ) dont l’effet extinctif s’est produit automatiquement au jour où les conditions de la compensation ont été réunies (C. Saint-Alary-Houin, art. préc.). Il en résulte que, conformément à la jurisprudence applicable avant la réforme du droit des obligations (Com. 27 sept. 2011, n° 10-24.793, Dalloz actualité, 6 oct. 2011, obs. A. Lienhard ; D. 2011. 2466, obs. A. Lienhard ; RTD civ. 2011. 764, obs. B. Fages ; RTD com. 2012. 614, obs. A. Martin-Serf ; Gaz. Pal. 21 janv. 2012, n° 20, p. 19, note P. Roussel-Galle ; LXB hebdo 20 oct. 2011, n° 269, note E. Le Corre-Broly), la compensation légale peut être invoquée après le jugement d’ouverture dès lors qu’elle a joué antérieurement (en ce sens, P.-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, 12e éd., Dalloz Action, 2023-2024, n° 632.213).

Cependant, il arrive que certains obstacles se dressent devant le créancier qui entend faire reconnaître le jeu de la compensation légale postérieurement au jugement d’ouverture. Le présent arrêt en est une parfaite illustration, dans un contexte précis de compensation invoquée par un cessionnaire du chef d’une créance qui lui a été transmise avant que le débiteur cédé ne soit placé en procédure collective.

La chronologie des faits a son importance en l’espèce.

Les faits

Deux sociétés, Trimax développement et Espace conseil, avaient obtenu la condamnation de la société Ecossev à leur payer des dommages et intérêts par un arrêt devenu irrévocable le 24 mars 2017. Le 29 mai 2019, elles ont cédé leur créance à la société Triel Seine Amont, dont la société Ecossev était par ailleurs associée. Le 25 juillet 2019, la société Ecossev a été placée en liquidation judiciaire. Ce n’est que le 29 juillet 2019, soit après l’ouverture de la procédure collective, que les cessions de créances lui ont été notifiées. Dans le cadre de la liquidation judiciaire, le litige opposait le liquidateur de la société Ecossev à la société Triel Seine Amont. Le premier réclamait à la seconde le paiement du solde du compte courant d’associé de la société Ecossev, tandis que la société Triel Seine Amont entendait se prévaloir d’une compensation de cette dette avec les créances qu’elle avait acquises le 29 mai 2019. La Cour d’appel de Versailles avait accueilli cette exception de compensation, considérant que les conditions de la compensation légale étaient réunies dès le 29 mai 2019, soit avant l’ouverture de la procédure collective.

La solution

C’est cette analyse que vient censurer la Cour de cassation au visa des articles 1324 et 1347 du code civil, ainsi que des articles L. 622-7 et R. 621-4 du code de commerce. Elle énonce que la compensation légale ne peut s’opérer au profit du cessionnaire du chef d’une créance cédée qu’après la notification de la cession au débiteur et que cette notification doit impérativement intervenir avant le jugement d’ouverture de la procédure collective du débiteur, lequel prend effet dès le jour de son prononcé. Or, en l’espèce, la cession de créance n’avait été notifiée à la société Ecossev que le 29 juillet 2019, soit postérieurement à la liquidation judiciaire ouverte le 25 juillet 2019. Dès lors, la créance cédée ne pouvait être compensée avec la créance de la société Ecossev à l’encontre de la société Triel Seine Amont.

La décision de la Cour de cassation qui met en lumière la délicate articulation entre les règles de la compensation légale, de la cession de créance et du droit des entreprises en difficulté montre que d’autres conditions s’imposent, en sus des conditions classiques, pour que le créancier puisse invoquer, dans la procédure collective de son débiteur, la compensation légale du chef d’une créance cédée.

La compensation légale subordonnée à la notification de la cession de créance au débiteur cédé

La cession de la créance doit avoir été notifiée au débiteur cédé, en application de l’article 1324 du code civil. En effet, si l’effet translatif de la cession de créance et son opposabilité aux tiers s’opèrent en principe immédiatement, à la date de l’acte, l’opposabilité au débiteur cédé est différée au jour où celui-ci en a été officiellement informé par notification ou en a pris acte (J.-Cl. Notarial Formulaire,  Régime général des obligations – Opérations sur obligations – Cession de créance – Effets, par L. Andreu, fasc. 12, spéc. n° 42).

La notification joue un rôle clé dans les relations cessionnaire/débiteur cédé. Tant qu’il n’y a pas eu de notification, le débiteur cédé est en droit de se considérer comme le débiteur du cédant à défaut d’opposabilité de la cession à son égard. A contrario, une fois que la cession est notifiée au débiteur cédé, le cessionnaire est substitué dans le rapport d’obligation originel et peut réclamer le paiement au débiteur cédé. Il peut aussi invoquer la compensation de la créance cédée avec la dette qu’il a envers le débiteur cédé. Toutefois, pour que cette compensation légale puisse s’opérer en faveur du cessionnaire, une seconde condition, d’ordre temporel, s’impose si le débiteur cédé est placé en procédure collective.

La compensation légale subordonnée à une notification antérieure à la procédure collective du débiteur cédé

Le cessionnaire appelé au paiement de sa dette envers le débiteur cédé ne peut opposer au liquidateur une exception de compensation du chef de la créance cédée si la cession n’a pas été notifiée antérieurement au jugement d’ouverture.

La précision apportée par les Hauts magistrats se justifiait en l’espèce au regard de la règle de l’interdiction de paiement des créances antérieures qui fait obstacle à l’invocation d’une compensation légale n’ayant pas joué avant l’ouverture de la procédure, faute pour les créances d’être réciproques à cette date. En effet, la condition de réciprocité entre la créance du débiteur cédé et la créance transmise au cessionnaire ne pouvait être remplie que si la notification préexistait à l’ouverture de la procédure collective, car c’est au moment de la notification que la substitution de créancier s’opère à l’égard du débiteur cédé. Ce faisant, si ce dernier détient une créance contre le cessionnaire, ce n’est qu’au jour de l’accomplissement de cette formalité que le débiteur cédé et le cessionnaire sont considérés comme étant réciproquement débiteur et créancier l’un de l’autre. La condition de réciprocité n’était ainsi pas remplie en l’espèce, dans la mesure où, en l’absence de notification, le cessionnaire n’était pas encore considéré comme le créancier du débiteur cédé à l’ouverture de la procédure collective.

La solution est lourde de conséquences pour le cessionnaire si la cession de créance est notifiée postérieurement au jugement d’ouverture. Il ne pourra pas obtenir le paiement de la créance qui lui a été cédée du fait de la règle de l’interdiction de paiement des créances antérieures, tandis qu’il devra acquitter la dette qu’il a à l’égard du débiteur cédé entre les mains du liquidateur. Si le cessionnaire est ainsi privé de l’exercice de son droit à compensation, la procédure collective ouverte contre le débiteur cédé ressort au contraire gagnante de cette notification tardive de la cession de créance.

 

Com. 23 oct. 2024, F-B, n° 23-17.704

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