Compétence de la juridiction administrative pour les dommages de travaux publics même en cas de bail commercial
La juridiction administrative est seule compétente pour connaître de l’action en indemnisation de dommages de travaux publics, même s’il existe un bail commercial entre la personne publique pour le compte de laquelle sont effectués les travaux et la victime de ces dommages.
La Ville de Paris, propriétaire de l’ensemble immobilier situé place du Châtelet qui abrite, d’une part, le théâtre du Châtelet, et d’autre part, des locaux à usage de brasserie loués à la société Zimmer Châtelet, avait entrepris de gros travaux de rénovation du théâtre du Châtelet.
Ces travaux perturbèrent gravement l’activité de la brasserie Zimmer Châtelet. Cette dernière, forte du bail commercial consenti par la Ville de Paris, l’assigna devant le tribunal judiciaire pour demander le remboursement des loyers ainsi que des dommages-intérêts en réparation des troubles subis dans le cadre de l’exploitation de son fonds de commerce.
La Ville de Paris souleva l’exception d’incompétence au profit de la juridiction administrative au motif qu’il s’agissait d’une action en indemnisation de dommages de travaux publics et que la juridiction administrative était dès lors seule compétente.
Cependant, la cour d’appel, qui avait pourtant relevé que « les travaux incriminés (devaient) recevoir la qualification de travaux publics », refusa de renvoyer le dossier à la juridiction administrative.
Son arrêt est cassé.
La Cour de cassation vise la loi des 16 et 24 août 1790, dont l’article 13 dispose : « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler, de quelque manière que ce soit, les opérations des corps administratifs, ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions ».
La Cour vise également le décret du 16 fructidor an III, toujours en vigueur, qui dispose : « Défenses itératives sont faites aux tribunaux de connaître des actes d’administration, de quelque espèce qu’ils soient, aux peines de droit ».
Compétence exclusive
C’est pourquoi les juridictions administratives sont seules compétentes pour statuer sur les dommages de travaux publics. Il en va ainsi, même si les parties sont liées par un bail commercial.
La compétence exclusive des juridictions administratives concernant les dommages liés à l’exécution de travaux publics résulte d’une jurisprudence constante : « Relèvent de la compétence de la juridiction administrative les dommages nés de l’exécution de travaux publics » (T. confl. 18 déc. 2000, req. n° 3225, D. 2001. 354
), la juridiction administrative étant qualifiée de « juge des travaux publics » (T. confl. 28 mars 1955, req. n° 01525).
Notion de « travaux publics »
Quant à la définition des travaux publics, elle résulte également d’une jurisprudence stable : « Sont des travaux publics ceux qui répondent à une fin d’intérêt général et qui comportent l’intervention d’une personne publique, soit en tant que collectivité réalisant les travaux, soit comme bénéficiaire de ces derniers. » (T. confl. 18 déc. 2000, req. n° 3225, préc. ; 8 nov. 2021, req. n° C4225, TJT 2022, n° 248, p. 12, obs. X. Delpech
; v. aussi, CE 10 juin 1921, req. n° 45681).
Deux conditions doivent être remplies pour que les travaux reçoivent la qualification de travaux publics. D’une part, les travaux doivent répondre à une fin d’intérêt général. D’autre part, ils doivent impliquer l’intervention d’une personne publique.
Cette qualification doit être retenue même si les travaux sont menés par une association syndicale ayant le caractère d’établissement public (T. confl. 28 mars 1955, req. n° 01525, préc.) et même s’ils ont lieu dans une église (CE 10 juin 1921, req. n° 45681, préc.).
En l’espèce, les juges avaient retenu que le théâtre du Châtelet remplissait une mission de service public en assurant des représentations artistiques de qualité, et que la maîtrise d’ouvrage revenait à la Direction des affaires culturelles de la Ville de Paris.
Civ. 3e, 14 mars 2024, FS-B, n° 22-24.222
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