Compétence du procureur européen délégué : encore et toujours des questions…

La chambre criminelle refuse de transmettre au Conseil constitutionnel trois questions prioritaires de constitutionnalité concernant la compétence du procureur européen délégué. Elle saisit toutefois l’occasion de se prononcer sur l’impartialité et l’indépendance du procureur européen délégué ainsi que sur les garanties offertes aux justiciables dans le cadre des procédures qu’il conduit.

 

La Cour d’appel de Paris a transmis trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) à la chambre criminelle de la Cour de cassation. Tandis que la première portait sur la possibilité pour le procureur européen délégué d’exercer les prérogatives dévolues au juge d’instruction, la deuxième portait sur l’exercice, par le procureur européen et ses délégués, du ministère public près la Cour d’appel de Paris pour les affaires relevant de ses attributions. La troisième se concentrait quant à elle sur la compétence du procureur européen délégué en matière de contrôle judiciaire.

Après avoir estimé que le Conseil avait déjà traité la question relative à la constitutionnalité de la compétence du procureur européen délégué en matière de contrôle judiciaire, la Cour refuse de renvoyer les deux autres questions au motif de leur absence de nouveauté et, surtout, de leur absence de caractère sérieux.

La non-transmission de la QPC portant sur la compétence du procureur européen délégué en matière de contrôle judiciaire

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel fait valoir que « les mots “de maintien et de modification” figurant à la première phrase du premier alinéa de l’article 696-119 du code de procédure pénale ont été déclarés conformes à la Constitution par la décision n° 2025-1153 QPC en date du 30 juillet 2025 » (pt 12 ; v. Dalloz actualité, 7 oct. 2025, obs. A. Coste). En effet, le Conseil a déjà jugé que la compétence du procureur européen délégué en matière de maintien et de modification du contrôle judiciaire ne portait atteinte ni au principe d’impartialité, ni à la présomption d’innocence, ni aux principes d’égalité devant la loi et devant la justice. Il a également estimé qu’elle ne portait pas atteinte aux droits à la liberté individuelle et à un recours juridictionnel effectif.

Cependant, la décision rendue le 30 juillet ne nous semble pas pouvoir à elle seule justifier l’absence de transmission de la troisième question. D’une part, cette question est plus large que celle à laquelle le Conseil constitutionnel a répondu. Alors qu’il est en l’espèce interrogé sur « les dispositions de l’article 696-119 du code de procédure pénale » (pt 3) et donc sur la compétence du procureur européen délégué en matière de maintien et de modification du contrôle judiciaire, mais aussi de placement sous contrôle judiciaire, la question traitée ne concernait que le maintien et la modification du contrôle judiciaire. D’autre part, s’il a rappelé que l’autorité judiciaire demeurait la gardienne des libertés individuelles et les magistrats du siège les contrôleurs des mesures privatives de liberté prolongées, le Conseil n’a pas examiné la conformité des dispositions de l’article 696-119 du code de procédure pénale au principe selon lequel la liberté personnelle ne saurait être entravée par une rigueur qui ne soit pas nécessaire. Certes, l’absence d’atteinte au principe d’égalité devant la loi a été constatée, mais ce constat n’a été assorti d’aucune justification. En refusant de transmettre la troisième QPC, la Cour de cassation clôt le débat. Sous réserve que la décision du procureur ne consiste pas à imposer à l’intéressé de rester à son domicile ou dans son lieu de résidence pendant plus de douze heures par jour et puisse être contestée devant le juge des libertés et de la détention, la compétence du procureur européen délégué en matière de contrôle judiciaire est conforme à la Constitution.

La question de l’impartialité et de l’indépendance du procureur européen délégué

Le requérant soutenait que la possibilité pour le procureur européen délégué d’exercer les prérogatives dévolues au juge d’instruction porte atteinte au principe fondamental reconnu par les lois de la République de séparation des autorités de poursuite et d’instruction. Se fondant sur la décision précitée, la Cour de cassation refuse de reconnaître l’existence d’un tel principe fondamental reconnu par les lois de la République (pt 7). Elle réaffirme que l’atteinte au principe d’impartialité ne résulte pas du cumul des fonctions de poursuite et d’instruction, mais seulement du cumul des fonctions de poursuite et de jugement. Au surplus, la Cour rappelle qu’en vertu de l’article 5 du règlement (UE) n° 2017/1939 du 12 octobre 2017 mettant en œuvre une coopération renforcée concernant la création du parquet européen, ce dernier se doit d’être impartial. Or, d’après la Cour, en dépit de leur statut, sinon hybride, du moins bicéphale, les procureurs européens délégués ne seraient pas soumis au régime d’une « indépendance dépendante » (v. Discours de J.-C. Marin du 15 janv. 2018) dont font l’objet les membres du ministère public. L’instauration d’une « double chaîne de commandement » (sur ce point, v. not., H. Christodoulou et J.-M. Schneider, La réception du règlement portant création du parquet européen par les législateurs allemand et français, RSC 2021. 593 ) de la part de l’Union et des États d’origine des procureurs délégués aurait été évitée.

En dépit de l’absence de soumission des procureurs délégués à la hiérarchie du ministère public, il est difficile de croire qu’un procureur puisse se départir de son rôle d’autorité poursuivante, notamment au moment du passage du cadre de l’enquête au cadre de l’instruction. En mettant en avant l’absence de superposition des pouvoirs d’investigation du procureur européen et du juge d’instruction, la chambre criminelle se veut rassurante, mais elle ne fait que révéler le gonflement du domaine des pouvoirs d’investigation confiés à l’autorité de poursuite. Ce gonflement crée certaines inquiétudes relatives aux garanties offertes aux justiciables dans le cadre des procédures qui peuvent être conduites par le procureur européen délégué.

La question des garanties offertes aux justiciables dans le cadre des procédures conduites par le procureur européen délégué

À propos de la conformité de la compétence des procureurs européens délégués au principe d’égalité devant la loi, la position de la chambre criminelle est assez classique : les individus mis en examen dans le cadre d’une procédure conduite par le procureur européen délégué se trouvent dans une situation différente de celle des individus mis en examen dans le cadre d’une procédure nationale. Cette différence de situation légitime une différence de traitement, dont elle relativise cependant les implications. À la faveur d’une volonté d’harmoniser les procédures pénales au sein de l’Union européenne et du développement d’une compétence accessoire de l’Union en matière de droits fondamentaux (à ce propos, v. par ex., F. Jerrari, Droits fondamentaux : « compétence accessoire » de l’Union européenne : vers une actualisation de la Charte, RDLF 2024. Chron. n° 83), le niveau de garanties offert par la Charte des droits fondamentaux de l’Union applicable dans le cadre d’une procédure conduite par le procureur européen délégué est proche de celui qu’offrent les États membres dans le cadre d’une procédure nationale.

Toutefois, les réserves émises par le Conseil constitutionnel dans la décision du 30 juillet dernier démontrent que l’attachement de l’Union à la fondamentalisation de la procédure pénale n’est pas exclusif d’une certaine vigilance et, de façon certaine, de nouvelles questions…

 

Crim. 2 sept. 2025, F-B, n° 25-90.017

par Angéline Coste, Docteure en droit privé et sciences criminelles, qualifiée aux fonctions de maître de conférences, Université Jean Moulin Lyon 3

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