Compétence du tribunal de la procédure collective pour connaître de l’action du liquidateur en restitution du prix d’adjudication d’un immeuble saisi

Le tribunal de la procédure collective est seul compétent, à l’exclusion du juge de l’exécution, pour connaître de l’action du liquidateur en restitution du prix de la vente d’un immeuble saisi, remis au créancier poursuivant après l’ouverture de la procédure.

Chacun sait que la règle de l’arrêt des poursuites individuelles, telle que prévue par l’article L. 622- 21 du code de commerce, se décline. Outre la neutralisation des actions en paiement d’une somme d’argent et des actions en résolution d’un contrat pour défaut de paiement d’une somme d’argent, le jugement d’ouverture arrête les voies d’exécution portant sur les biens du débiteur qui tendent aux mêmes fins. Il arrête également les procédures de distribution non achevées à sa date.

S’agissant des procédures de distribution, depuis l’ordonnance du 18 décembre 2008, il faut se demander si la procédure a produit ou non un effet attributif avant le jugement d’ouverture. Dans l’affirmative, cette procédure n’est pas remise en cause. Dans la négative, les fonds doivent être remis au mandataire judiciaire ou au liquidateur, selon les cas (C. com., art. R. 622-19, R. 631-20 et R. 641-23). S’ils sont remis à tort à un créancier, ils doivent être restitués au mandataire de justice qui en fait la demande. Et si la restitution n’est pas effectuée, le mandataire de justice doit nécessairement se tourner devant le juge. Lequel ? Le tribunal de la procédure collective ou le juge de l’exécution ? Telle était la question posée à la Cour de cassation, s’agissant du prix dégagé dans le cadre d’une procédure de saisie immobilière.

Contexte de l’affaire

Dans cette espèce, une banque initia une procédure de saisie immobilière, qui déboucha sur la vente forcée de plusieurs immeubles du débiteur, constatée par un jugement d’adjudication rendu en juillet 2009. Le débiteur fut ensuite l’objet d’une procédure de redressement judiciaire, en mars 2010, convertie en liquidation judiciaire en mai de la même année. Le prix issu des différentes ventes fut remis à la banque, créancier unique, au cours de la période d’observation du redressement judiciaire. Le liquidateur assigna la banque en restitution des fonds perçus, en mars 2011, devant le tribunal de la procédure collective. Ce dernier déclina sa compétence au profit du juge de l’exécution. Saisie sur recours, la cour d’appel retint la même solution. Pour ce faire, elle estima que le litige s’insérait dans la compétence du juge de l’exécution, une compétence voulue exclusive en matière de saisie immobilière par le législateur. Elle ajouta que « la technicité de ce contentieux, y compris pour définir les critères de l’effet attributif en matière de saisie immobilière, fonde cette compétence qui nécessitera de cerner à quel moment, les fonds sont sortis du patrimoine du débiteur pour rejoindre celui du créancier ».

L’arrêt est cassé au visa des articles L. 213-6 du code de l’organisation judiciaire et R. 662-3 du code de commerce. La Cour de cassation énonce d’abord que, selon le premier de ces textes, « lorsque la procédure de saisie immobilière a pris fin, le juge de l’exécution ne peut plus connaître des contestations élevées à l’occasion de celles-ci, ni statuer sur les demandes reconventionnelles nées de cette procédure ou s’y rapportant ». Interprétant le deuxième de ces textes, elle affirme que le tribunal de la procédure collective est seul compétent pour connaître de l’action du liquidateur « tendant à la restitution du prix d’adjudication prétendument distribué au mépris de la règle de l’arrêt des voies d’exécution (…) dès lors que cette action est née de la procédure collective et est soumise à l’influence juridique de celle-ci ». Pour la Haute juridiction, la procédure de saisie immobilière ayant « pris fin par l’effet de la remise du prix d’adjudication au créancier poursuivant », le juge de l’exécution devenait incompétent pour connaître de cette action, fondée sur les articles L. 622-21 et R. 621-19 du code de commerce, qui relevait alors de la seule compétence du tribunal de la procédure collective.

Une solution discutable…

On avouera ne pas être convaincu par la solution retenue dans le présent arrêt, de même que par le raisonnement adopté par la Cour de cassation pour y parvenir. Il nous semble en effet que tant la compétence du juge de l’exécution que celle du tribunal de la procédure collective étaient ici potentiellement envisageables.

De prime abord, il peut sembler logique de considérer que, si la procédure de saisie immobilière a pris fin, le juge de l’exécution n’a plus vocation à se prononcer en la matière. Dans le même esprit, la Cour de cassation a ainsi affirmé que, dès lors que la procédure de saisie immobilière était arrêtée par l’effet du jugement d’ouverture, le juge de l’exécution perdait toute compétence pour statuer sur d’éventuelles contestations de la procédure de saisie (Com. 17 nov. 2015, n° 14-18.345, D. 2015. 2439  ; ibid. 2016. 1279, obs. A. Leborgne  ; Rev. sociétés 2016. 197, obs. P. Roussel Galle  ; APC 2016/1. Comm. 4, obs. Salvat ; Gaz. Pal. 9 févr. 2016, obs. L. Lauvergnat ; RPC 2016/2. Comm. 30, nos obs.).

Pourtant, cette mise à l’écart de la compétence du juge de l’exécution suscite l’interrogation. Il nous semble en effet discutable de retenir que la procédure de saisie immobilière prend fin « par la remise du prix d’adjudication au créancier poursuivant ». Plusieurs étapes précèdent la remise du prix au créancier poursuivant et l’on peut penser que la « fin de la procédure » de saisie immobilière est antérieure à cette remise. Ainsi de la consignation du prix par l’adjudicataire, qui doit être faite dans les deux mois de l’adjudication définitive (C. pr. exéc., art. R. 322-56). Ainsi encore de l’adjudication elle-même qui devient définitive au terme du délai de dix jours pour faire surenchère (C. pr. exéc., art. R. 322-51). C’est davantage ce moment-là qui marque la fin de la saisie immobilière et, en toute hypothèse, sa mise à l’abri de la procédure collective. C’est donc, à notre sens, plutôt au regard de la question de la distribution du prix que l’on aurait pu s’interroger, en se demandant si cette procédure avait débuté et, dans l’affirmative, si elle n’avait pas été arrêtée. Or, l’article L. 213- 6 du code de l’organisation judiciaire, dans son deuxième alinéa, donne aussi compétence au juge de l’exécution pour connaître des procédures de distribution du prix de l’immeuble saisi. L’article R. 121-1 du code des procédures civiles d’exécution précise pour sa part que tout autre juge que le juge de l’exécution doit relever son incompétence, signe très fort de l’importance qu’attache le pouvoir réglementaire à la compétence du juge de l’exécution.

Plus convaincante est l’affirmation de la compétence du tribunal de la procédure collective, sur le fondement de l’article R. 662-3 du code de commerce. On sait que la Cour de cassation interprète ce texte, relativement vague, en indiquant que ce tribunal est compétent pour toutes les questions nées de la procédure collective ou les questions sur lesquelles la procédure collective exerce une influence. De ce point de vue, il est certain que l’action du liquidateur en restitution des fonds n’existe qu’à raison de l’ouverture de la procédure collective du débiteur et, plus précisément, qu’en vertu des articles L. 622-21 et R. 622-19 du code de commerce.

… qui s’inscrit cependant dans une tendance jurisprudentielle

À notre sens, il existait donc de solides raisons juridiques de retenir la compétence de l’une comme de l’autre des deux juridictions. Ce sont donc davantage des raisons d’opportunité qui pouvaient, selon nous, guider le choix de l’une ou de l’autre. Le dilemme n’était au demeurant pas totalement nouveau. Par le passé, la Cour de cassation a déjà fait prévaloir la compétence du tribunal de la procédure collective sur celle du juge de l’exécution pour connaître de l’action en mainlevée d’une saisie, arrêtée à raison de l’ouverture de la procédure collective du débiteur (et aussi à raison des nullités de la période suspecte, v. Com. 29 avr. 2014, n° 13-13.572, D. 2015. 1339, obs. A. Leborgne  ; Gaz. Pal. 9 sept. 2014, p. 16, obs. L. Lauvergnat ; RPC 2014. Comm. 91, nos obs.). C’est donc dans une même tendance que s’inscrit le présent arrêt.

Pour autant, il n’est pas certain que le choix retenu soit le plus pertinent. Les difficultés sont sans doute peu nombreuses pour déterminer à quel moment la procédure de distribution du prix produit un effet attributif, en présence d’un créancier unique (sur ce cas, v. C. pr. exéc, art. R. 332-1). Mais d’autres situations seront sans doute plus complexes et l’on peut comprendre les raisons des juges d’appel, ayant retenu la compétence du juge de l’exécution. En présence d’une pluralité de créanciers associés à la saisie, il est délicat de savoir à quel moment cette procédure de distribution produit un effet attributif. Certains auteurs suggèrent de retenir le paiement effectif des créanciers associés à la saisie comme moment où se produit l’effet attributif de la procédure de distribution (M. et J.-B. Donnier, Voies d’exécution et procédures de distribution, 10e éd., LexisNexis, 2020, n° 1767 ; adde J.-J. Ansault, Procédures civiles d’exécution, 2e éd., LGDJ, 2022, n° 81).

D’autres invitent à retenir la date d’acquisition définitive des droits à répartition, nécessairement antérieure, qui s’entendrait soit du jugement d’homologation de l’accord sur les répartitions, soit du passage en force de chose jugée de la décision de répartition, en l’absence d’accord sur les répartitions (P. Hoonakker, La saisie immobilière et les procédures collective, in Mesures d’exécution et procédures collectives, Bruylant, 2012, p. 63, spéc. note 153 ; M. Guastella, Les principes directeurs des répartitions en procédure collective, thèse, Université Côte d’Azur, 2022, nos 104 s. ; adde P. Cagnoli, Procédures civiles d’exécution, Lextenso, 2018, n° 761, note 16). La technicité de ces questions aurait sans doute pu conduire à privilégier la compétence du juge de l’exécution, davantage rompu à ces questions.

 

Com. 6 mars 2024, F-B, n° 22-22.465

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