Conciliation prud’homale : l’importance de sécuriser l’accord par une renonciation irrévocable à toute action future

Une décision du 5 février 2025 vient préciser la portée d’un procès-verbal de conciliation. L’objet de la conciliation se limite aux prétentions des parties telles que fixées par l’acte introductif d’instance ainsi que par leurs écritures, sauf à ce que le procès-verbal ne contienne une clause de renonciation expresse et irrévocable à toute action portant tant sur l’exécution que sur la rupture du contrat, comparable à celle d’une transaction.

Introduction

Bien que le succès de la conciliation préalable en matière prud’homale ne soit que résiduel en ce que seulement 15 % des affaires traitées par les conseils de prud’hommes ont été résolues au stade du bureau de conciliation et d’orientation en 2023, cette étape préalable n’en demeure pas moins obligatoire. Ce principe de préliminaire de conciliation est une spécificité de la matière prud’homale, qui trouve sa source dans l’article L. 1411-1 du code du travail, lequel dispose que « Le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail soumis aux dispositions du présent code entre les employeurs, ou leurs représentants, et les salariés qu’ils emploient. Il juge les litiges lorsque la conciliation n’a pas abouti ». Ce n’est qu’en cas d’échec de la conciliation que l’affaire est transmise au bureau de jugement. Ce principe est affecté d’exceptions ponctuelles, justifiant qu’une affaire soit portée directement devant ce bureau. Tel est le cas notamment des demandes de requalification d’un CDD ou d’un contrat de mission de travail temporaire en CDI (v. par ex., Soc. 8 mars 2017, n° 15-18.560, JA 2018, n° 572, p. 39, étude J.-F. Paulin et M. Julien ; Dr. soc. 2017. 843, chron. S. Tournaux ; RDT 2017. 347, obs. S. Mraouahi ; ibid. 415, obs. S. Tournaux ), ou d’une demande de requalification d’une démission en prise d’acte (C. trav., art. L. 1454-1).

Le principe de conciliation obligatoire est également évoqué à l’article R. 1454-10 du code du travail, en application duquel « Le bureau de conciliation et d’orientation entend les explications des parties et s’efforce de les concilier. Un procès-verbal est établi ». La décision du bureau de conciliation et d’orientation prend alors la forme d’un procès-verbal, qui n’est autre qu’un contrat judiciaire dressé en la forme authentique, insusceptible de recours (Soc. 15 déc. 1971, n° 70-40.580).

Concrètement, la conciliation préalable obligatoire constitue une formalité substantielle (Soc. 6 juill. 1978, n° 76-40.728), dont l’existence justifie qu’une clause du contrat de travail instituant une procédure de conciliation préalable en cas de litige survenant à l’occasion de ce contrat n’empêche pas les parties de saisir directement le juge prud’homal de leur différend. En effet, l’inefficacité des clauses de conciliation précontentieuse insérées dans le contrat de travail est due à l’impératif de conciliation déjà imposé par le code du travail en matière prud’homale (Soc., avis, 14 juin 2022, n° 22-70.004, Dalloz actualité, 1er juill. 2022, obs. T. Goujon-Bethan ; D. 2022. 1158 ; ibid. 2330, obs. T. Clay ; RDT 2022. 529, obs. S. Mraouahi ; Rev. prat. rec. 2022. 7, chron. D. Cholet, R. Laher, O. Salati et A. Yatera ; ibid. 24, chron. B. Gorchs-Gelzer ; RTD civ. 2022. 706, obs. N. Cayrol ; v. J.-Cl. Travail Traité,  Conseils de prud’hommes – Procédure, par T. Lahalle, fasc. 81-40). Outre sa nature d’acte judiciaire, la procédure de conciliation préalable obligatoire se distingue des autres modes de règlement amiable en raison du rôle actif du bureau de conciliation dans la recherche d’un accord entre les parties. En ce sens, la jurisprudence a pu affirmer de manière expresse que la participation active du bureau de conciliation et d’orientation, ainsi que l’information effective des parties sur leurs droits respectifs constituent une condition de validité du procès-verbal de conciliation, sans laquelle l’accord pourrait être remis en cause par la saisine de la juridiction prud’homale (Soc. 28 mars 2000, n° 97-42.419, D. 2000. 537 , note J. Savatier ; Dr. soc. 2000. 661, obs. M. Keller ).

Depuis la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, l’article L. 1235-1 du code du travail dispose que « le procès-verbal constatant l’accord vaut renonciation des parties à toutes réclamations et indemnités relatives à la rupture du contrat de travail prévues au présent chapitre ». Cette disposition a semé le doute quant à la portée de la conciliation prud’homale : est-elle « globale », comme tel était le cas avant cette réforme, ou purement et simplement « limitée » aux cas de rupture du contrat de travail ? Le procès-verbal de conciliation emporte-t-il renonciation à toute action portant sur l’exécution du contrat de travail, ou uniquement sur sa rupture ?

Une décision antérieure mais récente de la chambre sociale de la Cour de cassation du 24 avril 2024 a levé le doute sur cette incertitude (Soc. 24 avr. 2024, n° 22-20.472, D. 2024. 876 ). Dans cette espèce, les parties étaient convenues du versement à la salariée d’une indemnité globale, forfaitaire, transactionnelle et définitive, de sorte que l’accord valait renonciation à toutes réclamations et indemnités et entraînait désistement d’instance et d’action pour tout litige né ou à naître découlant du contrat de travail et du mandat de la salariée. La salariée soutenait que le procès-verbal de conciliation ne pouvait valablement emporter renonciation que des actions relatives à la rupture du contrat de travail, et à son exécution. La Cour de cassation rejette cet argument et pose nettement le principe selon lequel le bureau de conciliation et d’orientation conserve une compétence d’ordre général pour régler tout différend né à l’occasion du contrat de travail. De fait, il est tout à fait loisible aux parties d’étendre l’objet de leur conciliation à des questions dépassant celles des seules indemnités de rupture. Cette solution se comprend aisément puisque l’article L. 1411-1 du code du travail, pour y aboutir, dispose que « le conseil de prud’hommes règle par voie de conciliation les différends qui peuvent s’élever à l’occasion de tout contrat de travail […] », sans distinguer ceux portant sur son exécution de ceux portant sur sa rupture.

Par conséquent, la Cour de cassation a approuvé le raisonnement de la cour d’appel en considérant qu’elle en avait exactement déduit que les obligations réciproques des parties au titre d’une clause de non-concurrence étaient comprises dans l’objet de l’accord, qui n’avait pas vocation à se limiter aux litiges relatifs à la rupture du contrat de travail.

La décision commentée du 5 février 2025 concerne, quant à elle, un cas de conclusion entre un employeur et une salariée d’un procès-verbal de « conciliation totale » devant le bureau de conciliation et d’orientation, dans le cadre du préliminaire de conciliation obligatoire. Cité explicitement par la chambre sociale au visa de sa décision, l’article R. 1454-11 du code du travail confère à un tel procès-verbal la valeur de titre exécutoire, le distinguant ainsi des transactions (régies par les art. 2044 à 2052 c. civ.). C’est dans ce contexte que la Haute juridiction vient préciser habilement la jurisprudence du 24 avril 2024, notamment sur la portée d’un procès-verbal de conciliation. En l’espèce, quelques mois après la conclusion dudit procès-verbal, la salariée a de nouveau saisi le conseil de prud’hommes, au fond, afin de contester la rupture de son contrat de travail. En réponse, l’employeur lui a opposé la portée générale du procès-verbal de conciliation, emportant, selon lui, renonciation à toute action. Le conseil de prud’hommes a lui-même – à tort – accueilli cet argument : les demandes de la salariée ont été déclarées irrecevables par ce dernier, au motif que l’objet du procès-verbal de conciliation ne se limitait pas aux salaires impayés, mais portait également sur l’indemnisation du préjudice né de la rupture du contrat de travail. Ce raisonnement n’a pas manqué d’être censuré par la Cour de cassation : en combinant les articles 2048 du code civil, 4 du code de procédure civile, et R. 1454-11 du code du travail, elle considère que la renonciation à l’action, effet de la conciliation, n’est limitée qu’au seul différend visé dans l’acte introductif d’instance. De fait, la saisine de la formation de référé ne visait que les salaires impayés et les documents de fin de contrat, faisant abstraction totale de toute action sur la rupture du contrat de travail. Plus encore, il ne ressortait pas explicitement du procès-verbal de conciliation que la salariée avait renoncé de façon irrévocable à toute instance ou action née ou à naître au titre de la rupture du contrat de travail. Par conséquent, le procès-verbal ne constituait en aucun cas un obstacle infranchissable à l’introduction d’une telle action.

Ainsi faut-il considérer, au regard de cette décision, que l’objet de la conciliation se limite aux prétentions des parties telles que fixées par l’acte introductif d’instance ainsi que par leurs écritures, sauf à ce que le procès-verbal ne contienne une clause de renonciation expresse et irrévocable à toute action portant tant sur l’exécution que sur la rupture du contrat, comparable à celle d’une transaction.

Le rappel de la délimitation des effets d’un procès-verbal de conciliation

C’est par un jeu de combinaison de trois articles que la Cour de cassation délimite les contours des effets des procès-verbaux de conciliation. Elle cite dans son visa :

  • l’article 2048 du code civil, relatif à la portée des transactions, qui se renferment dans leur objet. Ainsi, la renonciation y est faite à toute action relative au différend qui donne lieu à la transaction ;
  • l’article 4 du code de procédure civile, qui précise que l’objet du litige est déterminé par les prétentions des parties, elles-mêmes fixées par l’acte introductif d’instance ;
  • l’article R. 1454-11 du code du travail lequel confère au procès-verbal de conciliation une force exécutoire.

C’est sur ces fondements que la Cour de cassation censure le raisonnement de la Cour d’appel de Montpellier, affirmant alors explicitement qu’un procès-verbal de conciliation, résultant de la phase obligatoire de conciliation devant le bureau de conciliation et d’orientation, ne vaut pas automatiquement renonciation à toute action future. En l’espèce, ce dernier prévoyait le versement à la salariée d’une indemnité « globale, forfaitaire, transactionnelle et de dommages et intérêts pour mettre fin au litige », ce qui n’avait pas vocation à traduire la volonté de la salariée de renoncer de façon irrévocable à toute action née ou à naître au titre de la rupture du contrat de travail. Cette formule n’avait pour seul effet que de rendre irrecevables les actions portant sur les demandes formulées dans l’acte de saisine du conseil de prud’hommes, à savoir, le paiement des salaires impayés et la production des documents de fin de contrat.

Cette solution, bien que s’inscrivant dans une logique de protection des droits des salariés et d’indemnisation du préjudice subi par ces derniers du fait de la rupture, n’en reste pas moins critiquable du fait de l’imprévisibilité qu’elle génère. On le comprend, la Cour de cassation exige une rigueur exemplaire dans la rédaction du procès-verbal de conciliation pour pouvoir lui reconnaître la portée la plus large possible. Or, un procès-verbal de « conciliation totale », précisant que la salariée perçoit une somme à titre d’indemnité globale, forfaitaire, et transactionnelle et de dommages et intérêts pour mettre un terme au litige n’est-il pas suffisamment clair sur sa volonté d’achever définitivement tout contentieux lié au contrat de travail, né ou à naître ? Plus précisément, la mention dans le procès-verbal de conciliation du versement de dommages et intérêts démontrait que cet accord n’avait pas uniquement vocation à traiter le règlement des salaires, mais également l’indemnisation du préjudice subi par la salariée, aussi bien en raison du retard dans le paiement des salaires, que tout autre litige né de la rupture ou de l’exécution du contrat de travail. La Haute juridiction fait alors preuve d’intransigeance quant au principe selon lequel le procès-verbal de conciliation ne met fin qu’au différend qu’il vise expressément.

Certes, comme l’avait déjà précisé l’arrêt du 24 avril 2024, il est tout à fait possible, par le biais d’un procès-verbal de conciliation, de trouver un accord aussi bien sur des différends relatifs à l’exécution du contrat, que sur des litiges relatifs à la rupture de ce dernier. Mais ce que vient ajouter la décision du 5 février 2025 restreint la portée de cette jurisprudence : ledit procès-verbal n’en reste pas moins limité par l’acte de saisine du conseil de prud’hommes. Concilier à la fois sur la rupture et l’exécution du contrat de travail est tout à fait envisageable (en application de la décision du 24 avr. 2024), mais à condition (depuis la décision du 5 févr. 2025) que l’acte introductif d’instance ne vise pas uniquement l’un, ou l’autre…

Ces décisions mettent en exergue l’importance de la rédaction des procès-verbaux de conciliation, et appellent à la prudence : comme le précise la Cour, seule une clause prévoyant la renonciation irrévocable à toute action née ou à naître au titre de la rupture du contrat de travail peut faire obstacle à l’introduction d’une instance à ce sujet.

La nécessaire vigilance lors de la rédaction du procès-verbal de conciliation

C’est également le défaut de mention de renonciation irrévocable, définitive, à toute instance ou action née ou à naître au titre de la rupture du contrat de travail dans l’accord signé qui empêche de faire obstacle à l’action de la salariée. Ce faisant, la Cour semble calquer le régime du procès-verbal de conciliation sur celui, déjà bien connu en jurisprudence, de la transaction. C’est d’ailleurs le choix des dispositions citées qui se montre particulièrement intéressant, notamment par l’utilisation de l’article 2048 du code civil, qui traite de la portée des transactions. Elle semble appliquer aux procès-verbaux de conciliation le principe selon lequel les transactions se renferment dans leur objet, et accorder une importance particulière à la rédaction de l’accord. Le lien entre la transaction et le procès-verbal de conciliation n’est pas étonnant tant les objectifs de ces accords sont intrinsèquement similaires. En effet, l’article 2044 du code civil érige la transaction en un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître. L’objectif de ces deux accords est alors de mettre définitivement un terme à un différend, opposant en l’occurrence les parties au contrat de travail. Mais dans quelle limite ?

En matière de transaction, une jurisprudence abondante de la Cour de cassation a d’ores et déjà levé le doute sur la portée de ces dernières, ainsi que sur leurs effets quant aux actions engagées postérieurement. Tout comme le met en exergue l’arrêt du 5 février 2025 pour les procès-verbaux de conciliation, la Cour de cassation se montre particulièrement stricte lorsqu’il s’agit de la rédaction des transactions et de ce qu’elles recouvrent réellement. Rappelons qu’en la matière, la Cour de cassation a déjà jugé que la clause de renonciation à tout recours « ne permet plus au salarié d’invoquer un préjudice fondé sur le caractère illicite de la clause dont il avait nécessairement connaissance lors de la conclusion de la transaction » (Soc. 20 avr. 2017, n° 16-10.286).

Dans cette même dynamique, la Haute juridiction a également jugé qu’ayant relevé qu’aux termes de la transaction, le salarié a déclaré n’avoir plus rien à réclamer à l’employeur à « quelque titre que ce soit et pour quelque cause que ce soit, tant en raison de l’exécution que de la rupture du contrat de travail », la cour d’appel a exactement retenu que le salarié ne pouvait pas prétendre au paiement de sommes à titre de dommages et intérêts pour perte de salaires et d’une indemnité compensatrice de préavis (Soc. 5 nov. 2014, n° 13-18.984 ; 12 nov. 2020, n° 19-12.488, inédit ; 17 févr. 2021, n°19-20.635, D. 2021. 354 ; ibid. 2203, obs. Centre de droit économique et du développement Yves Serra ; Dr. soc. 2021. 371, obs. J. Mouly ; ibid. 510, étude C. Radé , sur une clause de non-concurrence.).

En définitive, on déduit aisément de ces jurisprudences qu’une transaction prévoyant une renonciation expresse et irrévocable à toute action future, portant aussi bien sur l’exécution que sur la rupture du contrat de travail, se voit reconnaître une portée considérablement étendue. À la lecture de la décision du 5 février 2025, dans laquelle la Cour de cassation vise l’article 2048 du code civil, il est fort probable que ce raisonnement soit transposé aux procès-verbaux de conciliation. En l’espèce, si le procès-verbal avait prévu une renonciation irrévocable à toute action future portant sur la rupture du contrat, la demande de la salariée aurait été irrecevable, comme tel est le cas pour les transactions. En somme, cette décision appelle indéniablement à la prudence lors de la rédaction de procès-verbaux de conciliation : pour garantir sa pleine efficacité, ce document doit comporter une renonciation claire, explicite et irrévocable à toute action future afin d’éviter toute saisine ultérieure de la juridiction prud’homale par le salarié. À défaut, l’accord se limitera aux écritures des parties lors de leur saisine du conseil de prud’hommes, et les indemnités liées à des litiges ultérieurs n’y seront pas comprises.

En conclusion, inclure une telle mention offrirait avant tout une meilleure sécurité aux parties, en réduisant le risque de contentieux futurs. Toutefois, d’un point de vue plus pratique, la rédaction du procès-verbal de conciliation devra être particulièrement rigoureuse afin de garantir le bénéfice des exonérations sociales et fiscales prévues par le code du travail, dans la limite du barème fixé à l’article D. 1235-21 de ce même code. En effet, cet article ne s’applique qu’aux conciliations relevant de l’article L. 1235-1 du code du travail, qui ne permettent de renoncer qu’aux réclamations ultérieures liées à la rupture du contrat de travail, et non à son exécution. Il sera donc essentiel que le procès-verbal distingue clairement les sommes attribuées à la conciliation sur la rupture du contrat et celles relatives à son exécution, afin de bénéficier pleinement de ce dispositif tout en permettant une sécurité juridique totale du dispositif.

 

Soc. 5 févr. 2025, FS-B, n° 23-15.205

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