Conclusions vs lettre de licenciement : quel office du juge ?
Aux termes des articles L. 1232-1 et L. 1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement fixe les limites du litige en ce qui concerne les griefs articulés à l’encontre du salarié. Il en résulte que le juge a l’obligation d’examiner l’ensemble des griefs invoqués dans la lettre de licenciement même si certains ne sont pas développés dans les conclusions de l’employeur.
Dans une décision du 23 octobre 2024, la Cour de cassation rappelle l’importance de la rédaction de la lettre de licenciement dans l’analyse de l’existence d’une cause réelle et sérieuse de licenciement dans la mesure où l’intégralité des griefs qui y sont énoncés (et uniquement ceux-ci) devra être analysée par le juge (Soc. 15 avr. 1996, n° 94-44.222).
En l’espèce, un conducteur de travaux a été licencié pour faute grave en juillet 2018, il a par la suite sollicité des précisions sur le motif de son licenciement auxquelles la société a répondu. Il a saisi la juridiction prud’homale en contestation de son licenciement.
La cour d’appel a jugé que le licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse. Selon elle, aucun des trois griefs développés par l’employeur (l’utilisation à des fins personnelles du véhicule de fonction mis à disposition, le fait de consentir des prestations gratuites à des clients de l’entreprise, les malfaçons sur des chantiers et les délais pour établir les procès-verbaux) ne permet de justifier d’une cause réelle et sérieuse de licenciement puisqu’ils sont soit prescrits, soit insuffisamment caractérisés soit encore parce qu’ils ont déjà fait l’objet d’une sanction. Elle a néanmoins omis dans le cadre de sa décision d’analyser un des griefs énoncés dans la lettre de licenciement, celui de faire courir des rumeurs sur l’entreprise dans l’intention de nuire à la société, et ce dans la mesure où l’employeur n’a pas développé ce grief dans le cadre de ses écritures (et pour lequel il n’a donc semble-t-il apporté aucun élément de preuve).
L’employeur s’est donc pourvu en cassation.
La lettre de licenciement fixe les limites du litige
En application de l’article L. 1232-6 du code du travail, l’employeur doit énoncer le ou les motifs qu’il invoque au soutien du licenciement dans la lettre de licenciement.
Partant de ce principe, la Cour de cassation rappelle de manière constante depuis plusieurs années que la lettre de licenciement fixe les limites du litige. Ainsi, seuls les motifs énoncés dans la notification de licenciement pourront être étudiés par le juge.
Le juge devra donc écarter les griefs évoqués dans la lettre de convocation à entretien préalable (Soc. 30 nov. 1994, n° 93-40.422 ; 27 nov. 1998, n° 96-40.199, Dr. soc. 1999. 13, concl. L. Joinet
) ou lors de l’entretien préalable (Soc. 12 janv. 1994, n° 92-42.745, Ouest location (Sté) c/ Martienne, D. 1995. 361
, obs. S. Frossard
) qui n’ont pas été repris dans la lettre de licenciement, et ce dans la mesure où à cette date, l’employeur n’est pas censé avoir pris la décision définitive de licencier. A contrario, le juge devra examiner les griefs mentionnés dans la lettre de licenciement, même s’ils n’ont pas été évoqués lors de l’entretien préalable (Soc. 18 mai 1995, n° 94-40.153, Dr. soc. 1995. 675 et les obs.
; 28 mai 1997, n° 94-42.835).
De même, l’employeur ne peut pas modifier ou compléter les motifs indiqués dans la lettre de licenciement (Soc. 9 avr. 1987, n° 83-45.425 ; 8 nov. 1989, n° 86-45.661), mais seulement les préciser dans les conditions prévues par l’article L. 1235-2. En effet, la lettre de licenciement devra, pour être suffisamment motivée, énoncer des griefs matériellement vérifiables, lesquels peuvent depuis l’ordonnance de 2017 être précisés par la suite par l’employeur, à l’initiative de l’employeur ou à la demande du salarié (C. trav., art. L. 1235-2).
Le juge doit analyser l’ensemble des griefs énoncés dans la lettre de licenciement
L’obligation de motiver la lettre de licenciement trouve sa résultante dans l’obligation pour le juge d’analyser l’ensemble des griefs retenus par l’employeur dans cette dernière et non uniquement ceux développés par l’employeur dans ses conclusions.
Cette analyse suppose pour le juge de déterminer, dans un premier temps, l’existence ou non du grief et dans un second temps, si ce grief (dont la preuve a été apportée) constitue à lui seul (ou cumulé avec les autres griefs qui auraient été démontrés dans le cadre de cette sanction ou de sanctions plus anciennes) une cause réelle et sérieuse de licenciement ou le cas échéant, une faute grave.
Dans la présente affaire, la cour d’appel n’a pas analysé le grief tiré du « comportement déloyal du salarié consistant en la circulation de rumeurs mensongères sur l’entreprise dans l’intention de nuire à l’employeur » pourtant énoncé dans la lettre de licenciement au motif que l’employeur ne le développait pas dans le cadre de ses conclusions.
La Cour de cassation considère que le juge d’appel a commis une erreur de droit en statuant ainsi. En effet, légalement, celui-ci ne pouvait pas se faire l’économie d’étudier ce grief en s’appuyant sur ce motif mais devait procéder à l’analyse de l’existence ou non de ce grief au regard des éléments transmis par les parties.
En matière de licenciement, le juge forme sa conviction « au vu des éléments fournis par les parties » (C. trav., art. L. 1235-1).
L’employeur doit donc apporter des éléments de preuve permettant a minima d’étayer le motif de licenciement.
Dans la décision susvisée, en n’évoquant pas ce grief dans ses conclusions, l’employeur n’apporte a priori aucune preuve permettant d’étayer le grief reproché au salarié.
La décision de la cour d’appel de renvoi devrait donc être identique mais avec un fondement qui est distinct de celui retenu par la première cour d’appel. En effet, le rejet de ce grief pour apprécier l’existence ou non d’une cause réelle et sérieuse de licenciement peut uniquement être motivé par l’absence de démonstration de la preuve de l’existence de ce grief par l’employeur (et non parce que l’employeur ne l’évoquait pas dans ses conclusions).
L’employeur pourrait néanmoins devant la cour d’appel de renvoi apporter de nouveaux éléments de preuve permettant d’étayer ce grief en vue d’une confirmation du jugement du conseil de prud’hommes qui a débouté le salarié de ses demandes au titre du licenciement.
En conclusion, l’employeur doit veiller à ne pas omettre d’énoncer un des griefs à l’appui du licenciement lorsqu’il rédigera la lettre de licenciement mais également s’assurer d’avoir les éléments de preuve permettant d’en justifier dans le cadre d’un litige (et d’y faire référence). À défaut, il encourt le risque que le licenciement soit jugé comme ne reposant pas sur une cause réelle et sérieuse, et donc un risque de condamnation au paiement de dommages et intérêts pour rupture abusive du contrat de travail.
Soc. 23 oct. 2024, FS-B, n° 22-22.206
© Lefebvre Dalloz