Conditions d’appréciation du caractère partiel de l’origine professionnelle de l’inaptitude du salarié
Le contentieux en matière d’inaptitude ne tarit pas comme l’illustrent parfaitement les deux présentes décisions. Dans ces affaires, les juges estiment que le lien entre l’inaptitude déclarée par le médecin du travail et l’accident du travail ou la maladie professionnelle ne peut se déduire de la décision de reconnaissance rendue par la CPAM, non remise en cause, et qu’il appartient au juge du fond de qualifier l’origine partiellement professionnelle entre l’inaptitude et l’accident de travail ou la maladie professionnelle.
Depuis la loi n° 81-3 du 7 janvier 1981 relative à la protection de l’emploi des salariés victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, lorsque l’inaptitude du salarié résulte d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle la réparation du salarié est améliorée. À cet égard, il convient de rappeler que le salarié licencié à la suite d’une inaptitude professionnelle bénéficie notamment d’une indemnité spéciale de licenciement correspondant, a minima, au double de l’indemnité légale de licenciement et d’une indemnité de préavis (C. trav., art. L. 1226-14). Les enjeux financiers pour les parties étant non négligeables, c’est la raison pour laquelle la Cour de cassation est rapidement venue poser le principe selon lequel « les règles protectrices des victimes d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle s’applique dès lors que l’inaptitude du salarié, quel que soit le moment où elle est constatée ou invoquée a, au moins partiellement, pour origine cet accident ou cette maladie et que l’employeur avait connaissance de cette origine professionnelle lors du licenciement » (Soc. 4 févr. 1993, n° 89-41.498 ; 9 mai 1995, n° 91-44.918, Dr. soc. 1995. 673, obs. D. Corrignan-Carsin
; RJS 6/1995, n° 639 ; 23 sept. 2009, n° 08-41.685, Dalloz actualité, 12 oct. 2009, obs. C. Dechristé ; RJS 12/2009, n° 921 ; 15 févr. 2011, n° 09-67.491). Récemment, une décision du 7 mai 2024 (Soc. 7 mai 2024, n° 22-10.905) a rappelé, d’une part, l’indépendance du droit du travail vis-à-vis du droit de la sécurité sociale et, d’autre part, que la preuve du lien entre l’inaptitude déclarée par le médecin du travail et l’accident du travail ou la maladie professionnelle ne peut puiser sa source dans la décision rendue par la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM ; v. égal., Soc. 13 févr. 2013, n° 11-26.887). Cet arrêt ajoute par ailleurs le principe selon lequel l’inaptitude d’un salarié peut désormais être considérée comme ayant une origine professionnelle, même si celle-ci n’est pas la conséquence directe d’un accident de travail ou d’une maladie professionnelle, cette inaptitude devant seulement trouver une origine « partiellement professionnelle ».
Par les deux présentes décisions du 18 septembre 2024, la Cour de cassation apporte un éclairage supplémentaire sur l’appréciation du juge dans la reconnaissance du lien, au moins partielle, de l’inaptitude avec l’accident de travail ou la maladie professionnelle.
Appréciation souveraine du juge dans la reconnaissance du lien, au moins partielle, de l’inaptitude avec l’accident de travail ou la maladie professionnelle
Dans le premier arrêt (n° 22-22.782), le salarié soutient que son inaptitude est d’origine professionnelle au motif que son accident a été reconnu par la CPAM et que le rôle du juge prud’homal doit se limiter à vérifier le lien entre cet accident et son inaptitude, mais qu’il ne peut pas remettre en cause la décision rendue par la CPAM. Dans le second arrêt (n° 22-24.703), l’employeur argue que la salariée n’apporte aucun élément justifiant de qualifier l’inaptitude comme étant d’origine professionnelle et que l’accident subi par la salariée, reconnu comme accident de travail par la CPAM, ne saurait suffire à en déduire qu’il y avait lieu de faire application des règles protectrices spécifiques à l’inaptitude d’origine professionnelle.
Dans la première espèce, la Cour de cassation retient que « lorsqu’un accident de travail ou une maladie professionnelle a été reconnu par la Caisse primaire d’assurance maladie par une décision non remise en cause, cette décision s’impose au juge prud’homal auquel il revient alors de se prononcer sur le lien de causalité entre cet accident ou cette maladie et l’inaptitude et sur la connaissance de l’origine professionnelle de l’accident ou la maladie ». De la même manière, dans la seconde espèce, les juges considèrent que le juge du fond ne peut se prononcer sur la seule constatation que l’accident subi par le salarié a été qualifié d’accident de travail, sans vérifier « si l’inaptitude avait, au moins partiellement, pour origine un accident de travail ou une maladie professionnelle ».
Ainsi, faisant écho à l’arrêt du 7 mai 2024 précité, les juges, par les présentes décisions, rappellent qu’il relève du seul pouvoir souverain des juges du fond de se prononcer sur le lien entre l’inaptitude et l’accident de travail ou la maladie professionnelle. Surtout, les juges estiment, à présent, que le seul constat que l’accident ou la maladie du salarié est reconnu comme étant d’origine professionnelle par une décision de la CPAM est insuffisant pour caractériser son lien avec l’inaptitude (n° 22-24.703, préc.). De plus, les juges précisent que pour exclure le caractère professionnel de l’inaptitude, le juge du fond ne peut pas remettre en question un accident de travail ou une maladie professionnelle reconnu par une décision de la CPAM non remise en cause (n° 22-22.782, préc.). Ces décisions semblent s’appuyer sur le principe d’indépendance du droit travail à l’égard du droit de la sécurité sociale.
En conclusion, bien que ces décisions soient essentielles en ce qu’elles dessinent les premiers contours de la qualification de l’origine « partiellement » professionnelle de l’inaptitude, il devient urgent pour le législateur ou les juges de se saisir de ce sujet pour fixer les critères permettant de mesurer le degré d’incidence de l’accident de travail ou de la maladie professionnelle sur l’inaptitude du salarié afin de ne pas laisser les parties dans l’incertitude quant aux droits et obligations de chacune d’entre elles.
Soc. 18 sept. 2024, F-B, n° 22-22.782
Soc. 18 sept. 2024, F-B, n° 22-24.703
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